tag:blogger.com,1999:blog-28367962779220065892024-03-16T08:49:09.162+03:00Le journal d'un lecteurC'est l'histoire d'un type qui lit, qui lit. Il aime ça.Pierre Mauryhttp://www.blogger.com/profile/18035069557787798270noreply@blogger.comBlogger2494125tag:blogger.com,1999:blog-2836796277922006589.post-24227353422022685362020-12-03T15:36:00.001+03:002020-12-03T15:36:33.672+03:00Irène Frain, Prix Interallié<p style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: Bitter;"><a href="https://www.seuil.com/ouvrage/un-crime-sans-importance-irene-frain/9782021455885" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;" target="_blank"><img alt="" data-original-height="500" data-original-width="342" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhEyUmxl2ju7Brhbblhb6z_MBab73sw6tW1EaD4Tck-YhGE2sKxIrcwb24-svZBErT7TO4dNczxuONuYX306BQ9pdd-aep95r0sNTNLUHutFjpA0M41vidOaKXcMSHnbwC5xRgcx1mUF_cO/" width="164" /></a></span></div><span style="font-family: Bitter;"><br />Irène Frain, autrice protéiforme, est surtout connue pour
des romans pleins d’aventures, souvent inspirés de parcours biographiques qu’un
ancrage breton, avec une origine commune à de nombreux grands voyageurs,
l’autorise à aller chercher un peu partout sur la planète – avec une
prédilection pour l’Orient.</span><p></p><p class="MsoNormal"><span style="font-family: Bitter;"><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">On sait peut-être moins que, côté littérature, elle place
très haut l’œuvre de Julien Gracq et que, côté société, la cause des femmes lui
est chère. Son nouveau livre penche de ces deux côtés : une écriture d’une
élégance très tenue et un personnage féminin dont la mort a été laissée dans
l’ombre. <i style="mso-bidi-font-style: normal;"><a href="https://www.seuil.com/ouvrage/un-crime-sans-importance-irene-frain/9782021455885" target="_blank">Un crime sans importance</a></i> est
un récit, affiché comme tel, où une mort tragique pose avec urgence des
questions auxquelles toutes les réponses ne sont pas données. En visitant les
creux des silences, elle fait entendre une voix qui porte loin.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">C’est un fait divers comme on en rencontre trop souvent, qui
met en scène un agresseur inconnu et sa victime de 79 ans, et qui remue
d’autant plus les proches que l’affaire n’est pas résolue. Irène Frain pose les
données : « Les faits. Le peu qu’on en a su pendant des mois. Ce
qu’on a cru savoir. Les rumeurs, les récits. » Description des lieux,
lumière limpide, hésitations, déjà, sur quelques détails qui n’en sont
peut-être pas. Car la narratrice embarquée bien malgré elle dans une enquête
pour laquelle elle n’est pas formée commence celle-ci après les semaines du
coma dont la victime n’est pas sortie, après l’enterrement auquel assistait,
avec son compagnon, une femme en manteau bleu-noir. Elle a échangé quelques
mots avec les enfants de la défunte.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">« Comment l’auteur de ces lignes est-il au fait de
cette information ? C’est très simple. Je suis la femme en manteau
bleu-noir. Et la victime de l’impasse, c’est ma sœur. »<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Outre qu’elle était son aînée et sa marraine, Denise a joué
un rôle essentiel dans la vie d’Irène. Qui a pourtant été, de tous les membres
de la famille, la dernière informée, par un simple faire-part à la veille des
obsèques – alors que l’agression s’était produite, sans qu’elle en sache rien,
sept semaines auparavant. La faute peut-être à la distance qui s’était
installée entre les deux sœurs qui ne s’étaient pas vues depuis des années. La
faute peut-être à la maladie de Denise, et on peut remonter ainsi, de causes en
effets, le temps des effets pervers qui ont conduit à cet éloignement. Il dure
après les obsèques puisque, au contraire de ce qu’ils avaient annoncé, les
enfants de Denise ne donnent plus signe de vie.</span></p><p class="MsoNormal"><span style="font-family: Bitter;"><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Les histoires de famille sont, ainsi, pleines de secrets
douteux dont on ne sait pas toujours très bien comment ils se sont trouvés
enfermés dans les mémoires avec interdiction d’en sortir. Irène prend des
notes, remplit des carnets, le présent appelle le passé, les nœuds ne se défont
pas et, même, se resserrent : « j’ai voulu tenir la chronique du
silence. Mais au fil des mois, un autre propos, beaucoup plus conscient, a pris
le pas sur le premier. Il a commencé à se dessiner le jour où j’ai découvert
que la police et la justice m’opposaient le même mutisme que ma famille.
L’accablement, à ce moment-là, a fait place à la colère. »<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Cette colère sous-tend le texte, comme l’effroi de la
disparition inexpliquée. Il reste des trous dans l’histoire, que « la
petite ravaudeuse du passé », comme elle se décrit dans un poème final,
tente de combler. Avec le talent nécessaire pour dire les sentiments
contradictoires qui l’animent.</span><o:p></o:p></p>Pierre Mauryhttp://www.blogger.com/profile/18035069557787798270noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-2836796277922006589.post-87710732058962607582020-12-02T17:20:00.003+03:002020-12-02T17:20:26.560+03:00Djaïli Amadou Amal, Goncourt des Lycéens<p style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: Bitter;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjgaiIYrgiVONNgRGxTRK8k-GIHlCxQp8Ziyp5GZadj4mphGFDwtCrihuplGqsvsyWHbVqYl-PNVErwZt05jfjet2O41Vn4WvO15DpSE_wzR2tbkOCIl5cIKWU_s42SoKOs6H5Aa08_pCE2/s729/impatientes.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="729" data-original-width="481" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjgaiIYrgiVONNgRGxTRK8k-GIHlCxQp8Ziyp5GZadj4mphGFDwtCrihuplGqsvsyWHbVqYl-PNVErwZt05jfjet2O41Vn4WvO15DpSE_wzR2tbkOCIl5cIKWU_s42SoKOs6H5Aa08_pCE2/s320/impatientes.jpg" /></a></span></div><span style="font-family: Bitter;"><br />Djaïli Amadou Amal s’était déjà imposée au Cameroun, son
pays, grâce aux trois romans qu’elle y a publiés de 2010 à 2017. Mais, hors
quelques spécialistes de la littérature africaine, qui la connaissait sous nos
latitudes ? Le déclic s’est produit l’an dernier avec l’attribution du
Prix Orange du livre en Afrique à <i>Munyal,
les larmes de la patience</i>, son livre le plus récent, paru à Yaoundé aux
Editions Proximité en 2017. Il vient d’être réédité par Emmanuelle Collas sous
un autre titre : <i>Les impatientes</i>.
Il ne passe pas inaperçu : finaliste du Goncourt,
il a reçu le Goncourt des Lycéens.</span><p></p><p class="MsoNormal"><span style="font-family: Bitter;"><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Pour expliquer ce qu’est le roman, reprenons le premier mot du
titre original : <i style="mso-bidi-font-style: normal;">munyal</i>. Cela ne
nous disait rien avant la lecture, c’est bien entré (et ancré) maintenant tant il
est répété, en version originale ou en français, la langue d’écriture de Djali
Amadou Amal : patience. La plus grande vertu des femmes devant leurs
maris…<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Elle est la conséquence des conseils qu’un père donne à sa
fille quand elle se marie : « Ils ne se résumaient qu’à une seule et
unique recommandation : soyez soumises ! » Tout accepter de
l’époux, endosser la responsabilité de la réussite ou de l’échec du mariage.
« Pour conclure, patience, <i>munyal </i>face aux épreuves, à la
douleur, aux peines. »</span></p><p class="MsoNormal"><span style="font-family: Bitter;"><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Elles sont trois, les impatientes de la romancière :
Ramla, Hindou et Safira. Peu enclines à suivre les lois qui leur sont imposées,
rétives à rester à la place précise que la société musulmane définit pour
chacun – et encore davantage pour chacune. La révolte gronde en elles, les moyens
de l’exprimer sont limités et elles se heurtent au poids des traditions et aux habitudes
de la polygamie. « Souviens-toi que personne ne doit soupçonner ton
ressentiment. Personne ne doit deviner ton chagrin, ta rage ou ta colère.
N’oublie pas. Maîtrise de soi ! Sang-froid ! Patience ! »
La tante de Safira comprend ce qui bout à l’intérieur, mais les conseils sont
les mêmes que ceux d’un père.</span><o:p></o:p></p>Pierre Mauryhttp://www.blogger.com/profile/18035069557787798270noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-2836796277922006589.post-23364584785613439732020-12-02T05:25:00.000+03:002020-12-02T05:25:09.779+03:00Marie Ndiaye, Prix Marguerite Yourcenar<p style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Impressionnante Marie Ndiaye. Depuis ses débuts en 1985 (<i>Quant au riche avenir</i>, Minuit), elle ne
cesse de faire des pas de côté tout en construisant ce qu’il faut appeler une
œuvre, comme l’a reconnu le jury du Prix Marguerite Yourcenar, de la Scam, en
plaçant son nom au palmarès. Elle n’a pas fini de surprendre, imagine-t-on
volontiers. Après une pièce de théâtre qui vient de paraître (<i>Royan</i>, Gallimard), elle sortira son
nouveau roman en janvier : <i>La
vengeance m’appartient</i> (Gallimard). Je suis impatient.</span></p><p class="MsoNormal"><span style="font-family: Bitter;"><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">En attendant, coup de projecteur dans le rétro…<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><o:p><span style="font-family: Bitter;"> </span></o:p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Femme_chang%C3%A9e_en_b%C3%BBche-1727-1-1-0-1.html" target="_blank">La femme changée en bûche</a></i> (1989)<o:p></o:p></span></b></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: Bitter;"><a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Femme_chang%C3%A9e_en_b%C3%BBche-1727-1-1-0-1.html" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;" target="_blank"><img border="0" data-original-height="242" data-original-width="180" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEho0TEuuL2q866yYmN3JOradgvrpF7_3WBXBj0_JaSp98xz-O7tJ2NI99iYdG8uVnjbksgo3clRtgsRAtG9_8BoR7x3qFdVhY3L43jRHQwnfbuBF-jmP6O5eluZAoSQyhZ6bycuJlOi561w/s0/ndiaye-buche.jpg" /></a></span></div><span style="font-family: Bitter;"><br />Une fois encore – c’est la troisième –, Marie Ndiaye a écrit
un curieux petit roman, dont il est difficile de parler parce qu’on ne sait
trop par quel bout le prendre. Comme si l’auteur, à tant faire danser son
écriture, finissait par rendre son sujet si flou qu’il en devienne
insaisissable. C’était, de manière exemplaire, ce qui était arrivé à son
précédent livre, <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Comédie classique</i>, où
la technique de la phrase unique coulant du début à la fin avait masqué le
contenu. C’est encore le cas, mais plus discrètement, dans <i style="mso-bidi-font-style: normal;">La femme changée en bûche</i>, construit en trois parties curieusement
détachées les unes des autres, chacun de ces longs chapitres pouvant, s’il a
frappé davantage que les autres, modifier la perception que l’on a de l’ensemble.<o:p></o:p></span><p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">La narratrice, trompée par son mari, brûle son bébé et part
se réfugier chez le Diable qui lui a promis, autrefois, son aide en cas de
problèmes. Arrivée là, elle tombe sur l’étrange spectacle d’une file d’attente
qu’elle parvient cependant à franchir pour entrer. Mais à l’intérieur, plus
rien n’est pareil. Le Diable semble avoir perdu de sa superbe…<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">L’errance de cette jeune femme reprend ensuite, et on ne
sait quand elle s’arrêtera puisque, le titre l’indique, elle se laisse porter
par les courants qu’elle rencontre.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">« Valérie est
ordinaire mais son goût de l’existence la transfigure »</i>, conclut le
personnage principal à propos de son amie. Affirmation à transposer pour
conclure à propos de ce livre, pas ordinaire et transfiguré par un
extraordinaire sens de l’écriture qui console du flou du récit.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><o:p><span style="font-family: Bitter;"> </span></o:p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-En_famille-1728-1-1-0-1.html" target="_blank">En famille</a></i> (1991)<o:p></o:p></span></b></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: Bitter;"><a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-En_famille-1728-1-1-0-1.html" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;" target="_blank"><img border="0" data-original-height="244" data-original-width="180" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEilsMvdTIsCxTuQ5ONO7XCjpB0UZ9HujLDthW-K6OiiDjV6qMlivj6gAsAXf98cmH-98cYXGdEHD7O5PDnUKOrFQZIML5rvGDgvLOSXrHxqDRxVB1k1MWtpfxMk9ZOE9EB95A8qkUYDfkD9/s0/ndiaye-famille.jpg" /></a></span></div><span style="font-family: Bitter;"><br />Marie Ndiaye doit avoir appris que la valeur n’attend pas le
nombre des années. Elle a publié son premier livre alors qu’elle n’avait pas
dix-huit ans et, menant sans bruit excessif une carrière littéraire qui s’annonce
brillante, simplement en alignant l’un derrière l’autre des livres qui, à
chaque fois, séduisent un peu plus, elle vient de frapper un grand coup avec <i style="mso-bidi-font-style: normal;">En famille</i>, un roman qui ne ressemble à
rien de connu. Ce roman non identifiable fait un bien fou, parce qu’il n’est
pas de chose plus insupportable, comme le dit Nabokov, que la monotonie de la
vie quotidienne. Et que, pour élargir ce propos à la littérature, il est
agréable de sortir d’une production banale pour rencontrer l’inattendu.<o:p></o:p></span><p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">L’inattendu, il est surtout pour Fanny, le personnage
principal du roman. Ce n’est pas son véritable prénom, mais on l’appelle ainsi
le jour où elle vient à la fête d’anniversaire de l’aïeule. Tante Colette
venait de lire un roman où elle avait rencontré ce prénom, et elle en a affublé
sa nièce. Celle-ci s’en accommode d’autant mieux qu’elle avait envie de changer
d’étiquette. Le lecteur s’en trouve bien aussi, puisque cela donne résolument à
Fanny le statut de personnage romanesque par excellence. Chaque fois, désormais,
qu’elle entendra son ancien prénom – nous ne le connaîtrons jamais, nous n’en
saurons qu’une chose : il est constitué de trois syllabes et beaucoup d’autres
jeunes filles de son village le portent aussi –, elle n’aimera pas l’entendre.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Mais qu’elle s’appelle désormais Fanny signifie autre chose :
elle n’appartient plus à sa famille. Celle-ci la renie, pour une raison presque
inconnue. Quelques détails seront donnés à Fanny par sa tante Colette : elle
est orgueilleuse, elle réussissait trop bien à l’école, elle était d’une beauté
trop piquante… Quoi d’autre ? Le soupçon la prend, un instant, qu’elle n’est
pas la fille de sa mère mais celle de cette tante Léda qui était, avant elle, une
proscrite : elle n’a pas été invitée lors de la naissance de Fanny et
celle-ci ressent son absence comme le signe d’une malédiction qui pèse sur elle.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Peut-être, si Fanny retrouve la tante Léda, pourra-t-elle
comprendre ce qui lui arrive, les motivations de cet ostracisme dont elle est
victime. Alors, elle part, au village voisin, dit-elle – mais on comprend, au
fil de ses aventures, que chaque « village » représente en réalité
une entité plus importante, un pays, voire même un continent, et qu’il suffit
de prendre l’autobus pour être considérée comme une étrangère. La situation s’aggrave
quand les pérégrinations de Fanny la ramènent jusque dans son village d’origine,
où plus personne ne considère qu’elle appartient à la communauté.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">En famille</i> est un
roman empli d’anecdotes savoureuses, parfois drôles, parfois tragiques, mais le
plus souvent incompréhensibles pour Fanny qui ignore dans quel monde elle vit. Rejetée
par tous, elle est la parfaite étrangère, le symbole de toutes les différences.
Sans doute ne faut-il pas trop chercher à interpréter en ce sens le roman de
Marie Ndiaye. Il n’empêche qu’en filigrane s’y dessine une fable qui dit bien
la difficulté d’être autre, surtout quand personne ne vous dit pourquoi on vous
considère ainsi, rejetée à la périphérie du monde.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">L’essentiel est, plus probablement, dans la manière dont
Marie Ndiaye conduit son livre et ses personnages : avec un culot qui se
permet tout et ne l’empêche jamais de tenir fermes les rênes du récit.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><o:p><span style="font-family: Bitter;"> </span></o:p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><br /><a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Sorci%C3%A8re-1731-1-1-0-1.html" target="_blank">La sorcière</a></i><a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Sorci%C3%A8re-1731-1-1-0-1.html" target="_blank"> </a>(1996)<o:p></o:p></span></b></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: Bitter;"><a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Sorci%C3%A8re-1731-1-1-0-1.html" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;" target="_blank"><img border="0" data-original-height="250" data-original-width="180" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiwDpRaiUQX9GLXj21iN1gTOqeo7xD87PGHLTXqTRZ2RgRY3wtPLrUKQaOcMktRY6MZQFHzZgkFAsy89QYe3cXmnFgoF0E5MFOe70KOvn72pk7IaV1owbCJclMGNskB1D5CL3cA23F2EMBj/s0/ndiaye-sorciere.jpg" /></a></span></div><span style="font-family: Bitter;">Depuis ses débuts en 1985 avec <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Quant au riche avenir</i>, Marie NDiaye fait figure de surdouée. Elle n’avait,
il est vrai, que 22 ans et la sûreté de son écriture avait séduit autant que la
singularité de son univers. Depuis onze ans et cinq livres plus tard, il est
devenu plus difficile de confirmer. Mais on aurait bien tort de faire la fine
bouche, et il faut se laisser aller à lire <i style="mso-bidi-font-style: normal;">La
sorcière</i> sans chercher à l’installer dans une quelconque hiérarchie. C’est
un roman qui s’ouvre sur une phrase mystérieuse <i style="mso-bidi-font-style: normal;">(« Quand mes filles eurent atteint l’âge de douze ans, je les
initiai aux mystérieux pouvoirs »</i>) et se clôt sur d’hypothétiques
projets de vacances. Entre-temps, il s’est passé pas mal de choses, certaines
assez banales, d’autres moins habituelles.<o:p></o:p></span><p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Il faut bien commencer par l’extraordinaire, au sens premier
du mot, puisque c’est sur cette voie que Marie NDiaye nous entraîne d’emblée. Lucie
est une sorcière. Voilà, c’est dit, et il ne faut pas croire pour autant que
nous allons baigner dans une atmosphère baroque où le paranormal donnerait une
coloration particulière au récit. Rien de plus naturel que ce surnaturel-là.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">D’ailleurs, Lucie est une sorcière aux pouvoirs limités. Sa
mère était beaucoup plus douée qu’elle, même si elle n’a jamais voulu utiliser
ses pouvoirs comme elle l’aurait pu, et ses filles, très vite, se révéleront
des élèves modèles, capables d’emblée de surpasser leur initiatrice. Il ne
suffit pas de pleurer des larmes de sang, il faut encore être capable de voir dans
l’avenir, de se transformer en oiseau, de quelques autres métamorphoses qui
prennent ici un tour parfaitement normal…<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">On ne sait trop. <i style="mso-bidi-font-style: normal;">« Avec
force douleur je mettais en branle ma technique de divination, ou de vision
rétrospective, mais, aussi grave que pût être le sujet, je n’apercevais que des
détails sans importance, révélateurs de rien du tout : la couleur d’un
habit, l’aspect du ciel, une tasse de café fumant délicatement tenue par la
personne sur qui je fixais mon regard extralucide… »</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">A côté de cela, les pouvoirs des deux filles de Lucie
paraissent quasi illimités, et leur mère prend presque peur tant tout devient
possible.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Mais cette histoire de sorcières s’inscrit dans un contexte
familial complexe, et c’est l’aspect banal du roman : le mari de Lucie
finit par s’enfuir et par vivre avec une autre femme. On sent bien qu’il n’est
pas à sa place dans cet univers et qu’il vaut mieux, pour lui, trouver ailleurs
un équilibre moins précaire, moins menacé par l’inattendu.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Il faut parler aussi de la voisine qui s’incruste et surgit
aux moments les plus inattendus, jusqu’à proposer à Lucie un emploi de
professeur de Connaissance objective du passé et de l’avenir pour soi-même et
les autres. Malheureusement, Lucie sera rattrapée par la logique sociale et accusée
de charlatanisme. Comment pourrait-elle se défendre ? <i style="mso-bidi-font-style: normal;">« Je suis une espèce de sorcière, malgré tout. Là-dessus, je n’ai
abusé personne. »</i> C’est tout ce qu’elle trouve à dire et on devine qu’un
argument de ce genre n’a aucune chance de convaincre un conseiller municipal…<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">La sorcière</i> est
donc une histoire triste. Mais c’est aussi une histoire gaie, dans laquelle on
s’amuse d’un rien, au fur et à mesure que l’imagination de Marie NDiaye offre à
ses personnages le loisir d’agir comme bon leur semble. Roman fantaisiste, mais
qui contrôle la fantaisie dans le cadre très strict d’un parfait réalisme,
« La sorcière » installe un doux malaise dans le confort des
habitudes et des préjugés.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">C’est pour cela qu’on aime lire Marie NDiaye. Parce qu’elle
ne fait rien comme les autres, prend des chemins obscurs et peu fréquentés, bouscule
les conventions avec une rare audace et réussit tout ce qu’elle ose, comme si
rien ne pouvait lui résister, même pas les hypothèses les plus improbables.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><o:p><span style="font-family: Bitter;"> </span></o:p></p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b><span style="font-family: Bitter;"><i></i></span></b></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><b><span style="font-family: Bitter;"><i><a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Rosie_Carpe-1734-1-1-0-1.html" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;" target="_blank"><img border="0" data-original-height="258" data-original-width="180" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiVCx2HuuUpSg0NeN2NZt8rwdT9_BKWLH1lHYFVNIf5uQQlQA8zmhE_K4ZNBbZsoEq5KLi1hErxVNcS6xawiutMq7kbBS6F13rfZjQuuKmrw8uYDVbxrua5eQo-FYao_heJwi9Z0_ynxaV0/s0/ndiaye-rosie.jpg" /></a></i></span></b></div><b><span style="font-family: Bitter;"><i><br /><a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Rosie_Carpe-1734-1-1-0-1.html" target="_blank">Rosie Carpe</a></i> (2001)<o:p></o:p></span></b><p></p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Le roman qui a révélé Marie Ndiaye au grand public, grâce notamment à un prix Femina. Rosie Carpe est une jeune femme que la vie a déchirée. Elle débarque en Guadeloupe pour y retrouver son frère. Mais Lazare ne l’attend pas à l’aéroport. Et rien d’ailleurs ne sera comme elle l’avait imaginé. Dans un foisonnement d’intrigues qui se croisent en une chronologie disloquée, l’écrivaine impose des images, des lieux et des personnages. Le retour vers ce livre s’impose aujourd’hui.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><o:p></o:p></p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><o:p><span style="font-family: Bitter;"> </span></o:p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><br /><br /><a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/MERCURE-DE-FRANCE/Traits-et-portraits/Autoportrait-en-vert" target="_blank"></a></i></b></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/MERCURE-DE-FRANCE/Traits-et-portraits/Autoportrait-en-vert" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;" target="_blank"><img border="0" data-original-height="284" data-original-width="195" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgK_izkpGwfMB55W3Qucmf-HQhHelh4iCmf0m23urVhY4_iVog0ZZggyLsntArQ16b9cvSIUxrRG07oldaAQ3aDmFkNPCdDXfQ9oV5GgIODmKqpJ4peWMuK62vca96X1gG7zV5obNCuuJfj/s0/ndiaye-vert.jpg" /></a></i></b></span></div><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">Autoportrait en vert</i> (2005)</b><o:p></o:p></span><p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: Bitter;"><br /></span></div><span style="font-family: Bitter;">Un conseil : si vous devez rencontrer un jour Marie
Ndiaye, ne vous habillez pas en vert. C’est pour elle, au moins dans ce livre,
la couleur portée par des femmes désespérantes à faire peur. Son monde
quotidien, quand il se teinte de vert, devient confus. Une personne passe pour
une autre, la Garonne connaît une de ces crues dont elle a le secret, la
famille se rappelle au souvenir, et le souvenir n’est pas toujours bon. Une
magie frémissante et inquiétante agit dans ces pages.<o:p></o:p></span><p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><o:p><span style="font-family: Bitter;"> </span></o:p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><br /></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/Trois-femmes-puissantes" target="_blank">Trois femmes puissantes</a></i> (2009)</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: Bitter;"><a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/Trois-femmes-puissantes" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;" target="_blank"><img border="0" data-original-height="290" data-original-width="195" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEif0EJCFpAGWjR41JwrByrzMJo1VpxP_O8_Oz-x0jFHUnp5EOXYxO_43hUKzvpFJ_fL3uh9grCoJcTiOuBpjJvaszVJ11ugr74CN-oY-7JzgXABXaeLgGoOppE2EvfK9eemG4GiNG4dAj-J/s0/ndiaye-trois.jpg" /></a></span></div><span style="font-family: Bitter;"><br />Elles sont magnifiques, les <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Trois femmes puissantes</i> de Marie Ndiaye. Elles tiennent debout par
leurs propres qualités, bien sûr. Mais aussi et surtout par la grâce d’une
écriture enchanteresse, lovée dans un roman qui se pare de poésie et abrite des
merveilles d’expression. La description ne pouvant rendre qu’un hommage trop
faible à ce style ample, il est nécessaire de citer. Et tant pis, ou tant
mieux, si le premier paragraphe, une seule phrase parfaite d’équilibre et de
beauté, est un peu long.<o:p></o:p></span><p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">« Et celui qui
l’accueillit ou qui parut comme fortuitement sur le seuil de sa grande maison
de béton, dans une intensité de lumière soudain si forte que son corps vêtu de
clair paraissait la produire et la répandre lui-même, cet homme qui se tenait
là, petit, alourdi, diffusant un éclat blanc comme une ampoule au néon, cet
homme surgi au seuil de sa maison démesurée n’avait plus rien, se dit aussitôt Norah,
de sa superbe, de sa stature, de sa jeunesse auparavant si mystérieusement
constante qu’elle semblait impérissable. »</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Norah est face à son père. Elle ne sait pas pourquoi il lui
a demandé de venir le voir en Afrique. Elle se sent peu d’affinités avec lui,
qui a quitté son épouse française, a eu d’autres femmes, d’autres enfants. Elle
aimerait probablement le dominer pour renverser leurs rapports d’autrefois.
Mais la situation imprévue qu’elle découvre la conduit sur un tout autre
chemin.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Dans la deuxième partie de cet ouvrage composé comme des
récits presque, mais pas tout à fait, détachés les uns des autres, Fanta se
trouve face à un homme qui est en train de perdre son travail et ses illusions.
Et qui entraîne sa femme dans sa chute. Celle-ci a, en réalité, commencé bien
des années auparavant, comme on le découvre en même temps qu’un Rudy jusque-là
aveugle devant ses propres comportements.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Khady, dernière héroïne de ce triptyque, part vers l’Europe
pour y immigrer clandestinement. Mais le chemin est fait de tous les dangers
qu’elle rencontre et son destin s’écrit en lettres tremblantes, gravées sur un
corps malade.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Les liens entre ces trois textes sont ténus. Ils sont
surtout à voir avec un lieu. Plus largement cependant, les trois femmes sont
quelque part entre l’Afrique et l’Europe, face à elles-mêmes et à leurs
proches, face aux malheurs et aux moyens de les enrayer. C’est saisissant de
vérité. Une vérité qui n’est pas celle des sociologues mais qui emprunte à une
sorte de connaissance intime de l’être humain. Les détours des phrases sont
aussi ceux d’une pensée qui chemine sans hâte vers l’élucidation d’un mystère
profond. Marie Ndiaye avait déjà écrit quelques livres qui comptent. Elle vient
probablement de faire mieux encore avec celui-ci.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><o:p><span style="font-family: Bitter;"> </span></o:p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">Un portrait</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Marie Ndiaye a souvent déménagé. La dernière fois, c’était
en 2007, après l’élection de Nicolas Sarkozy. Elle ne cache pas que les deux
événements sont liés. <i style="mso-bidi-font-style: normal;">« Nous
n’avions plus du tout envie d’être là, dans cette France qui venait d’élire
Sarkozy »</i>, expliquait-elle à <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Télérama</i>.
« Nous », c’est-à-dire Jean-Yves Cendrey, son mari romancier, elle et
leurs trois enfants. Une famille, avant d’être une famille d’écrivains. Le
couple s’est rencontré par la littérature : Jean-Yves a écrit à Marie
après avoir lu son premier livre. Et plus si affinités, comme on dit. Cela dure
toujours aujourd’hui. Ils ont habité l’Espagne, l’Italie, Berlin une première
fois, la Normandie et la Gironde.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Mais Marie Ndiaye revendique surtout une jeunesse française
ordinaire, un esprit modelé par la campagne beauceronne. Et n’allez pas lui
dire, au prétexte que sa peau est noire, qu’elle est une écrivaine
« francophone », comme appelle les anciens colonisés – ou les Belges
– qui écrivent en français. Son père, Sénégalais, est rentré en Afrique quand
elle avait un an. De ce côté-là de ses origines, elle n’a connu aucune
influence culturelle. Il lui arrive d’ailleurs de le regretter. Son frère aîné,
Pap Ndiaye, est devenu un grand spécialiste de la question noire en France.
Marie, en ce qui la concerne, dit : <i style="mso-bidi-font-style: normal;">« Je
n’ai pas de réflexion politique très personnelle ou originale, je ne suis pas
une penseuse. »</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Elle est surtout une raconteuse d’histoires qui ont beaucoup
puisé dans le répertoire du fantastique. Par le roman, pour les enfants aussi,
et plus récemment par le théâtre, parfois avec son mari. Puisque tous deux
mènent en parallèle une vie d’écriture qui les rapproche en certaines
occasions. Chacun est le premier lecteur de l’autre. Et ils ont écrit ensemble
pour le théâtre. Mais ils gardent leur personnalité, comme le prouvent leurs
romans parus simultanément, mais chez différents éditeurs, lors de la récente
rentrée littéraire : <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Honecker 21</i>
pour Jean-Yves, <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Trois femmes puissantes</i>
pour Marie.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal"></p><div style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">A ses débuts, Marie Ndiaye parlait peu. Par un manque
d’assurance lié à sa jeunesse ? Ou parce que le silence lui va bien ?
(</span><i style="font-family: Bitter;">« J’aime écouter. Ce silence est
une disponibilité »</i><span style="font-family: Bitter;">, répondait-elle à </span><i style="font-family: Bitter;">Lire</i><span style="font-family: Bitter;">.) Aujourd’hui, elle s’exprime plus volontiers. Bien obligée,
aussi, en raison d’un succès qu’elle explique notamment par sa
persévérance : </span><i style="font-family: Bitter;">« Ce prix est
inattendu. C’est aussi le couronnement et la récompense de 25 ans d’écriture et
de cette </i></div><span style="font-family: Bitter;"><div style="text-align: justify;"><i>opiniâtreté. »</i></div><o:p></o:p></span><p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Elle vit en tout cas une très belle saison. Elle avait déjà
reçu en septembre la bourse Jean Gattégno du Centre national du livre, 50.000
euros pour son œuvre de création littéraire. Auxquels elle peut ajouter aujourd’hui
les 10 euros du prix Goncourt – un chèque qui, habituellement, s’encadre plutôt
qu’il ne s’encaisse – et, surtout, les droits d’auteur que lui verseront les
Editions Gallimard quand on fera les comptes de ce qui devrait être un joli
succès de librairie.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Un succès tout à fait mérité, et pas seulement à force
d’opiniâtreté. Marie Ndiaye est un talent très sûr, dont la vingtaine de livres
publiés ne sont, à 42 ans, qu’un début dont on se souviendra quand, plus tard,
revenant sur son œuvre, il faudra dire d’elle qu’elle a marqué son époque sans
pour autant faire d’émules. Elle représente un cas trop singulier pour qu’il
soit possible de l’imaginer en chef de file d’une nouvelle tendance, et encore
moins d’une école. Elle se contente d’être elle-même, de creuser un sillon
unique. C’est déjà beaucoup.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><o:p><span style="font-family: Bitter;"> </span></o:p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">Le Goncourt</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Marie Ndiaye est une femme à qui rien ni personne ne
résiste. Jérôme Lindon, le patron de Minuit, a craqué le premier en recevant le
manuscrit de <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Quant au riche avenir </i>:
il est allée l’attendre, contrat à la main, à la sortie du lycée – elle n’avait
pas dix-huit ans. Pour son deuxième livre, écrit en une seule phrase, Paul
Otchakowsky-Laurens, de POL, a suivi. Elle est arrivée chez Gallimard quand
elle l’a voulu. Sa pièce <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Papa doit manger</i>
est entrée au répertoire de la Comédie-Française en 2003. Deux ans auparavant,
elle avait été couronnée par le prix Femina dès le premier tour de scrutin. Et
l’académie Goncourt a fait de même en la choisissant sans longues
discussions : cinq voix au premier tour, contre deux à Jean-Philippe
Toussaint et une à Delphine de Vigan, Laurent Mauvignier ayant été tout à fait
oublié dans cette absence de débat.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Il y avait du beau monde dans le dernier carré du Goncourt.
Il n’y avait même que du beau monde, contrairement à bien des années
précédentes où les jeux d’influence avaient parfois, selon les apparences,
dominé les questions littéraires. Certes, il y aura des mauvaises langues pour
expliquer le prix Goncourt de <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Trois
femmes puissantes</i> par de mauvaises raisons. Marie Ndiaye est publiée chez
Gallimard. Elle est une femme. Elle est… noire (oui, oui, on va le
dire !). Mais il suffit de le lire pour reconnaître combien, à l’évidence,
son roman méritait ces lauriers.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Nous l’avions d’ailleurs souligné dès l’ouverture de la
rentrée littéraire : <i style="mso-bidi-font-style: normal;">« Elles
sont magnifiques, les </i>Trois femmes puissantes<i style="mso-bidi-font-style: normal;"> de Marie Ndiaye. Elles tiennent debout par leurs propres qualités,
bien sûr. Mais aussi et surtout par la grâce d’une écriture enchanteresse,
lovée dans un roman qui se pare de poésie et abrite des merveilles
d’expression. »</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Curieusement, mais somme toute assez logiquement puisque la
qualité d’une écriture est une notion très subjective, un autre critique avait
cité les mêmes lignes que nous – celles qui ouvrent le livre – pour démontrer à
quel point le style était pesant.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Les lecteurs, merci pour eux, semblent nous avoir donné
raison : <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Trois femmes puissantes</i>
était, de tous les romans en course pour les prix littéraires, celui qui se
vendait le mieux avant même son Goncourt.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">S’il y a une chose sur laquelle il faut insister, c’est bien
que la littérature, au sens le meilleur du mot, sort aussi gagnante de ce
palmarès parfois dérisoire. Marie Ndiaye est d’abord et avant tout quelqu’un
qui <i style="mso-bidi-font-style: normal;">écrit</i>. Même si elle dit
aujourd’hui que ses premiers livres étaient bourrés à l’excès d’influences
diverses – elle cite souvent Marcel Proust et Henry James –, il y a presque
vingt-cinq ans qu’elle impressionne par un style qui lui est propre. Style en
évolution permanente de livre en livre, bien entendu, et dont la fluidité est
probablement plus grande aujourd’hui qu’en 1985. Mais toujours elle s’autorise
des audaces calculées, des décalages par rapport au langage habituel, avec par
exemple cette première phrase de <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Trois
femmes puissantes</i>, que nous avons plaisir à citer de nouveau :<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">« Et celui qui
l’accueillit ou qui parut comme fortuitement sur le seuil de sa grande maison
de béton, dans une intensité de lumière soudain si forte que son corps vêtu de
clair paraissait la produire et la répandre lui-même, cet homme qui se tenait
là, petit, alourdi, diffusant un éclat blanc comme une ampoule au néon, cet
homme surgi au seuil de sa maison démesurée n’avait plus rien, se dit aussitôt
Norah, de sa superbe, de sa stature, de sa jeunesse auparavant si
mystérieusement constante qu’elle semblait impérissable. »</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Norah est la première des trois femmes du roman. Nous
rencontrerons ensuite Fanta et Khady. Elles sont toutes liées par des anecdotes
ténues et des lieux précis. Elles font un pont entre l’Europe et l’Afrique.
Khady, la troisième, tente d’émigrer en Europe. Un cas exemplaire à travers
lequel Marie Ndiaye apporte sa pierre à une interprétation moins unilatérale de
cette tentation : <i style="mso-bidi-font-style: normal;">« <span style="mso-bidi-font-weight: bold;">L’histoire des migrants est une histoire déjà
souvent relatée, mais si le sort de ces gens peut être encore mieux su et
compris, j’en serai très contente »</span></i><span style="mso-bidi-font-weight: bold;">, disait-elle hier.<o:p></o:p></span></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><o:p><span style="font-family: Bitter;"> </span></o:p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/Ladivine" target="_blank">Ladivine</a></i> (2013)</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: Bitter;"><a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/Ladivine" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;" target="_blank"><img border="0" data-original-height="287" data-original-width="195" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjtue-nVE-V-D9IJ2YzYEoh8YlPRt1abcDPVj7fojAbB1u7qvO-thkhye42inT6LBpq6r0c5vK944ibmhYHPCEh1rmHtxCp26nagc33Y0uafpCwHnt6H1_P53_v64Lz0T5BNaFtI0FJ1PsH/s0/ndiaye-ladivine.jpg" /></a></span></div><span style="font-family: Bitter;"><br />Ladivine, Malinka/Clarisse et Ladivine encore : trois
générations de femmes, comme en écho aux <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Trois
femmes puissantes</i> de son précédent roman qui, prix Goncourt oblige, a
modifié le statut de Marie Ndiaye. Seulement le statut, car rien d’autre n’a
changé chez elle. Ni la manière qu’elle a de répondre aux questions avec
précision mais sans assurance excessive. Ni son écriture singulière. Ni son
ambition romanesque. Sur les deux premiers points, l’entretien ci-après est
éclairant. A propos du troisième, plongeons dans un livre qui, disons-le de
suite, confirme l’étendue de son talent.<o:p></o:p></span><p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">La proposition de départ donne une (petite) idée d’une
complexité qui ne cessera, par la suite, de s’approfondir, développant des
rhizomes qui éveillent des échos entre les vies des trois personnages
principaux. Clarisse Larivière, dont le prénom était Malinka quand elle vivait
avec Ladivine, sa mère, retrouve celle-ci, en même temps que son ancienne
identité, le premier mardi de chaque mois, pour une visite clandestine.
Richard, le mari de Clarisse, ignore tout de l’existence de cette mère souvent
appelée « la servante », ainsi que du passé de son épouse. Leur
fille, Ladivine, porte donc le prénom d’une grand-mère dont elle ne sait rien.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Entre les silences et les secrets s’écrit une histoire de
culpabilités multiples. La ligne de fuite sera parfois la seule sortie vers un
hypothétique salut. Ladivine, la seconde, est hantée, malgré elle, par des
fantômes dont elle ne connaît pas les pouvoirs. Ni s’ils sont bénéfiques ou
maléfiques, quand bien même ils semblent s’incarner dans les yeux d’un chien,
lors de vacances lointaines chargées de signes contradictoires.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">Ladivine</i> n’est en
rien le fouillis inextricable qu’évoque peut-être cet article trop bref pour
rendre compte des mécanismes subtils à l’œuvre dans le roman. On s’installe
dans le livre, on se laisse porter par une écriture naturelle et savante à la
fois, et les relations ambiguës entre les personnages se mettent en place avec
évidence. Marie Ndiaye passe haut la main l’épreuve, difficile pour certains
écrivains, du roman post-Goncourt.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><o:p><span style="font-family: Bitter;"> </span></o:p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">Entretien</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">Vous vivez à Berlin.
Cette distance par rapport à un pays où l’on parle français est-elle une aide
pour l’écriture ?</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">Je crois que ça ne
fait rien du tout, ni dans un sens, ni dans un autre. Ce n’est pas une aide,
parce que je n’ai jamais été gênée par le fait de vivre en France pour écrire
en français. Ce n’est pas non plus un inconvénient.</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">Il y a quand même une
curieuse coïncidence. Trois des quatre derniers lauréats du prix Goncourt
vivent à l’étranger, ou au moins y vivaient. Vous-même en 2009, Michel Houellebecq
en 2010 et Jérôme Ferrari l’année dernière. C’est curieux, non ?</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">C’est vrai, oui. Il
faudrait considérer que le fait d’être loin vous donne un regard plus acéré sur
les choses, et je ne le crois pas du tout. J’ai l’impression d’écrire
maintenant exactement dans le même esprit, avec le même regard que quand
j’habitais, avant de venir à Berlin, un village reculé de Gironde. Du reste, le
livre précédent, qui a eu le prix Goncourt, a été écrit en grande partie en
France.</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">Votre écriture est
singulière. En avez-vous conscience ?</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-family: Bitter;">Oui. Non seulement je
le sais, mais j’y travaille.<o:p></o:p></span></i></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;"><span style="font-family: Bitter;">Si on tente de la
décrire, ce qui n’est pas facile, on pourrait dire qu’elle est déhanchée.
Est-ce que cela vous convient ?<o:p></o:p></span></b></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">Oui, je trouve ça très
joli, en plus.</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">En même temps elle
est enveloppante…</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">Alors, c’est
parfait : déhanchée et enveloppante, ça me va parfaitement.</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">Cette écriture-là
vous vient-elle naturellement, ou après beaucoup de travail ?</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">Elle est vraiment
naturelle. Après, dans le cadre de cette évidence, si j’ose dire, il y a quand
même un travail très précis sur le choix des mots, surtout des adjectifs.</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">Un travail sur les
répétitions, sur la manière de faire tourner les phrases ?</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">Oui, c’est très
conscient, très intentionnel.</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">Pratiquez-vous le
même genre d’écriture dans le théâtre, pour lequel vous travaillez aussi ?</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">Non. Au théâtre, ce
serait difficile, je pense. L’écriture théâtrale est beaucoup plus directe,
elle est moins ressassante, moins concentrique.</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">Quel a été le déclic,
le point de départ de « Ladivine »<i style="mso-bidi-font-style: normal;"> </i>?</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">Le point de départ
était l’image d’une famille très contemporaine, un couple et leurs deux jeunes
enfants, qui réalise un rêve de vacances et dont le rêve se transforme en
quelque chose d’infernal. C’était vraiment le point de départ : cette
image de pauvres touristes égarés, désorientés et qui, finalement, après avoir
mis tout ce qu’ils avaient d’économies et d’énergie dans un voyage important et
lointain, se retrouvent profondément désillusionnés.</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">Cette désillusion
revient à plusieurs reprises, et sur d’autres plans, dans le roman. C’est
devenu un thème récurrent dans « Ladivine »<i style="mso-bidi-font-style: normal;"> </i>? Par exemple, vous écrivez, à propos de cette famille :
« elle les aimait tous les trois, mais non sans détresse. » De
l’amour et de la détresse en même temps, cela correspond aussi à de la
désillusion ?</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">Oui, c’est vrai. Mais
elle aime aussi avec détresse parce qu’elle a peur pour eux. Je crois qu’il est
dit à un autre moment qu’elle a tellement peur pour ses enfants qu’elle
souhaiterait presque les voir vieux très vite. C’est ça aussi, l’amour, c’est
plein de peur, je crois : la peur de ce qu’il peut arriver à ceux qu’on
aime.</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">Et il en arrive, des
choses : des gens disparaissent, d’autres meurent… C’est un livre
tragique ?</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-family: Bitter;">Je ne suis pas sûre,
parce que j’ai l’impression quand même que ça finit sur une note d’espoir…<o:p></o:p></span></i></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">Apaisée,
plutôt ?</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">Apaisée, oui.</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">Malinka, qui change
de prénom pour s’appeler Clarisse, a honte de sa vie d’avant, elle a honte de
Ladivine et elle souffre de cette honte. Vos personnages sont pleins de
souffrances…</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">Oui, c’est vrai. Elle
a honte de sa honte. Ce serait plus simple pour elle si elle avait simplement
honte, et puis voilà. Mais sa situation est compliquée…</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">Dans la première
partie du livre, elle semble nommer sa mère plus souvent « la
servante » que « ma mère ». Savez-vous si la fréquence du mot
« servante » est plus élevée ?</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">Je suis sûre, oui.</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;"><span style="font-family: Bitter;">Très souvent dans vos
livres, une place est accordée au fantastique. Il fait partie de votre
univers ?<o:p></o:p></span></b></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">Il ne fait pas partie
de ma vraie vie, je ne suis pas du tout sujette à ces croyances. En fait, il
n’y a rien de surnaturel à quoi je crois. Je ne suis pas croyante, par exemple,
dans le sens traditionnel du terme.</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">Dans le roman, le
fantastique se manifeste par la présence des chiens…</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">Oui.</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;"><span style="font-family: Bitter;">Pourquoi les
chiens ?<o:p></o:p></span></b></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">Dans la partie « famille
en vacances », avec le chien qui guette les sorties de Ladivine, je me
suis posé la question du choix de l’animal qui devait la surveiller ou la
protéger. Il m’a paru évident que c’était un chien car, d’une certaine manière,
il était impossible que ce soit autre chose. Dans les rues d’une grande ville,
il n’y a qu’un chien qui puisse être là sans que ça semble bizarre.</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">Les lieux sont
importants : Bordeaux, Langon, Berlin, les vacances allemandes, les
vacances dans un pays qui n’est pas nommé mais qui semble être un pays africain
anglophone… Est-ce que vous avez pensé à ce livre d’une manière
géographique ?</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">Oui, bien sûr.</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">Chaque lieu
donne-t-il une tonalité différente ?</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">Je pense, oui.</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">Les avez-vous choisis
rapidement ou ont-ils surgi en cours d’écriture ?</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">Je les ai choisis très
rapidement, parce que j’ai du mal à parler de lieux où je ne suis jamais allée.
Langon, c’est là où je vivais avant. Berlin, j’y vis. Annecy, je connais. Et
l’endroit indéterminé, probablement d’Afrique, ça pourrait être le Ghana, où je
suis allée.</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">C’est là où vous avez
puisé les images ?</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">Oui.</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">Ce livre paraît
relativement longtemps, trois ans et demi, après « Trois femmes puissantes ».
Il est vrai que vous avez aussi écrit pour le théâtre entretemps.
Travaillez-vous tout le temps à un roman ou y a-t-il des périodes de
relâche ?</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">Après chaque roman, je
laisse passer plus d’un an avant de me remettre à un autre roman. Entretemps,
j’écris des choses plus brèves, mais je ne commence jamais le roman suivant
avant qu’il ne se soit écoulé de nombreux mois.</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">Pendant ces mois, ça
mûrit sans que vous vous en rendiez compte, ou avez-vous conscience que quelque
chose est en train de naître ?</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">J’en ai conscience, je
réfléchis presque chaque jour à ce que sera le roman suivant, mais sans écrire.</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">Comment vivez-vous ce
séjour parisien ? Vous n’êtes là que trois jours et vous devez avoir dix
mille interviews au programme…</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-family: Bitter;">Je serai contente de
rentrer tout à l’heure !<o:p></o:p></span></i></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><o:p><span style="font-family: Bitter;"> </span></o:p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/La-Cheffe-roman-d-une-cuisiniere" target="_blank">La Cheffe, roman d’une cuisinière</a></i> (2016)<o:p></o:p></span></b></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: Bitter;"><a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/La-Cheffe-roman-d-une-cuisiniere" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;" target="_blank"><img border="0" data-original-height="289" data-original-width="195" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgomYWpiwA6R6A_vk_cWj_eBQsDB9AJLZFuNOutdhQYDmWLRLiP8tB0UzcDw5sxWY1y53iLA_c4dDi2rcK5qlZCI-i5TZPcrlbaWyF89PtFKbH5mp46_xJXrgabidg1ePYqkiFFARAJymDg/s0/ndiaye-cheffe.jpg" /></a></span></div><span style="font-family: Bitter;"><br />Marie Ndiaye est la romancière des évidences et des
contre-évidences. Les évidences, elle les crée et les impose. Ainsi ce féminin
peu usité de « Cheffe », dans le titre de son nouveau roman. Il sera
si peu question du prénom de Gabrielle, presque toujours appelée « la
Cheffe », que cela semble tout naturel. Par ailleurs, comme elle l’avait
déjà fait, notamment dans <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Trois femmes
puissantes</i>, qui commençait par un « Et » renvoyant à on ne sait
quoi, elle ouvre <i style="mso-bidi-font-style: normal;">La Cheffe, histoire
d’une cuisinière</i> par une phrase rien moins qu’évidente : <i style="mso-bidi-font-style: normal;">« Oh oui, bien sûr, c’est une question
qu’on lui a souvent posée. »</i> Quelle question ? Elle ne sera
jamais précisée. Même si on devine, à la réponse du narrateur, qu’elle se
rapporte à la supposée faible intelligence de la Cheffe. Il dément, bien sûr.
Car elle a été la femme de sa vie et elle a manifesté pour lui quelque chose
qui s’apparentait à de l’amitié.<o:p></o:p></span><p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">La Cheffe est morte et sa biographie ou sa légende reste à
construire. Contre ce que raconte sa fille, le narrateur rétablit sa vérité.
Dans les détails, parce qu’il a lui-même enquêté sur le passé de celle qu’il
aimait, et dans la philosophie dont elle était imprégnée autant qu’elle en
faisait la colonne vertébrale de sa cuisine. Le mot qui la définit le mieux est
sans doute : loyauté. Loyauté envers les autres, envers elle-même, envers son
talent qu’elle ne surestime pas mais qu’elle exploite au mieux, envers les
produits qui n’ont pas besoin de séduire par des artifices quand ils sont bien
choisis. <i style="mso-bidi-font-style: normal;">« Elle se méfiait de tout
procédé qui visait à faire joli, à faire bien au détriment, le cas échéant, de
la qualité première du produit. »</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Après les années de formation sur le tas, guidée par
l’intuition des merveilles qu’elle peut faire naître de la nourriture, la
Cheffe a ouvert son enseigne, fidèle à ses principes. Ceux-ci se sont révélés
efficaces au-delà de ce qu’elle aurait pu souhaiter. Elle aimait accueillir ses
clients comme des amis, sans cependant leur manifester son amitié autrement que
par les vertus de ses plats, car pour le reste elle est peu démonstrative. Et
puis, le succès appelant la notoriété, elle a reçu une étoile. Ce jour-là, elle
a pleuré. Non de joie : <i style="mso-bidi-font-style: normal;">« Si on
me récompense, c’est que j’ai démérité »</i>, dit-elle. Elle a eu le
sentiment de s’être compromise…<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Sur ce premier malheur paradoxal s’en est greffé un
deuxième : sa fille est rentrée du Canada, a pris les choses en main selon
les lois d’un marketing agressif. Changeant la décoration, augmentant les prix,
imposant de la musique là où il n’y en avait jamais eu. Les conséquences ont
été rapides : perte de l’étoile, fermeture du restaurant. Et on se dit, en
suivant l’histoire de la Cheffe, que sa droiture morale ne pouvait se satisfaire
des apparences de la réussite, qu’elle a donc consciemment laissé sa fille
détruire ce qui, déjà, n’existait plus tout à fait.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Ce destin, rapporté par la voix du plus fidèle d’entre les
fidèles, est fascinant. Et fascine encore davantage à travers l’écriture déhanchée
et enveloppante de Marie Ndiaye, pour reprendre deux mots que nous lui avions
proposés et qu’elle avait validés.</span><o:p></o:p></p>Pierre Mauryhttp://www.blogger.com/profile/18035069557787798270noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-2836796277922006589.post-63522333467425074732020-12-01T15:39:00.002+03:002020-12-01T15:39:41.525+03:00« Histoire de l’édition en Belgique », Prix Triennal de l'essai de la Fédération Wallonie-Bruxelles<p style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: Bitter;"><a href="https://lesimpressionsnouvelles.com/catalogue/histoire-de-ledition-belge/" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;" target="_blank"><img border="0" data-original-height="300" data-original-width="207" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjmZymQ2lNZdY42wbLpZKN7jqJgJvAY0H2EgFld1167hSOOch6-jcSiDIFg0ADcxGnn6DCftVQgjDWALIqXHZ9FVqMKsbWfgOM1Y67Xf9iu0lBvTfoJaS5empo5X6tGJns-NXrQ1hfKoCTo/s0/durand-habrand.jpg" /></a></span></div><span style="font-family: Bitter;"><br />En publiant leur <i>Histoire
de l’édition en Belgique : XVe - XXIe siècle</i>, Pascal Durand et Tanguy
Habrand comblent un manque criant. Il n’existait pas d’ouvrage comparable,
susceptible de retracer, depuis les débuts de l’imprimerie et jusqu’à nos
jours, l’évolution d’un secteur où culture et économie sont non seulement liées
avec force mais aussi dépendantes l’une de l’autre.</span><p></p><p class="MsoNormal"><span style="font-family: Bitter;"><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Le survol ne reste pas à distance du sujet : chaque
grande période est analysée dans le détail comme dans les grandes mutations
qu’elle entraîne. L’articulation en sept chapitres (dont le dernier constitue
un épilogue très contemporain) semble logique. Aux premiers imprimeurs, dont
Plantin est le plus connu mais on découvrira Thierry Martens, succèdent les
contrefacteurs. Puis, de 1850 à 1914, l’édition religieuse prend son envol en
même temps que s’impose une démarche artistique. L’entre-deux-guerres est
revisitée de manière inédite, l’édition industrielle prend des galons après la
Seconde Guerre mondiale mais laisse une place à des initiatives plus
littéraires. Les deux dernières décennies du XXe siècle dessinent un paysage
nouveau, dont les auteurs nous fournissent les principaux traits dans
l’entretien qu’ils nous ont accordé. Et l’épilogue se prolonge d’une postface
où Yves Winkin ouvre des perspectives.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Il ne suffit pas de combler un manque, il vaut mieux le
faire avec une érudition sans faille et une élégance d’écriture qui aide à
transmettre l’information. Le pari est réussi, c’est passionnant !<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><br /></span></p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><i><span style="font-family: Bitter;">Entretien</span></i></p><p class="MsoNormal"></p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">Quand avez-vous pensé
à vous lancer dans cet énorme travail ?</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">Pascal Durand.</b> <i style="mso-bidi-font-style: normal;">J’ai commencé à travailler à ce projet de
reconstruction approfondie du système éditorial belge du XVe siècle à nos jours
dans la seconde moitié des années 1990, dans la foulée d’une enquête
approfondie sur l’édition littéraire et les trajectoires éditoriales des
auteurs belges menée en collaboration avec Yves Winkin. Sociologue, celui-ci
avait fait œuvre de pionnier dès 1975 avec un mémoire sur l’édition belge
d’expression française superbement intitulé </i>L’or et le plomb.<i style="mso-bidi-font-style: normal;"> Le projet a pris tournure plus déterminée
au cours des années 2000, puis Tanguy Habrand m’a rejoint et nous l’avons mené
à bien en étroite coopération.</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">L’ambition, au point
de départ, était-elle de faire ce livre-ci, ou bien est-ce que cela a bougé en
cours de travail ?</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">P.D.</b> <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Cela a bougé en cours de route, dans une
perspective plus historienne. Dans un premier temps, c’était une sociologie des
pratiques d’édition qui était en ligne de mire. Chemin faisant, la direction
historique est devenue plus déterminante, mais une histoire entrecroisant
histoire du livre, histoire de la littérature, histoire des idées et histoire
des politiques du livre et des institutions de la vie intellectuelle.</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">Le livre publié
aujourd’hui correspond-il à ce que vous aviez envisagé ?</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">P.D.</b> <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Oui, absolument. Très vite, lorsque le livre
a pris tournure, les sept grandes parties ont été définies, correspondant
chacune à un des temps forts de l’histoire de la production du livre en
Belgique, depuis les premiers imprimeurs jusqu’aux processus de concentration
de la fin du XXe siècle, et même au-delà puisque le dernier chapitre décrit les
grandes lignes de force et les perspectives du système éditorial actuel. La
dernière information retenue est tombée en janvier 2018.</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">Le découpage en
périodes était-il une forme d’évidence, ou bien aurait-il pu être différent ?</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">P.D.</b> <i style="mso-bidi-font-style: normal;">D’autres découpages sont toujours possibles :
aucun n’est spontanément imposé par l’objet étudié. Faire l’histoire de quelque
domaine que ce soit, c’est construire un récit. Et un récit suppose des
acteurs, des personnages, des séquences d’actions. D’autres séquences auraient
sans doute pu être retenues. Mais je crois que celles qui l’ont été, après mûre
réflexion, sont éclairantes sur les métamorphoses que la production imprimée en
Belgique a connues de ses origines à nos jours.</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">Avez-vous travaillé
ensemble sur toutes les périodes ou vous êtes-vous partagé la tâche ?</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">P.D.</b> <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Nous nous sommes assez bien réparti la
tâche. Dès qu’il s’est agi d’envisager l’histoire à partir du XVe siècle, nous
nous sommes distribué les secteurs, les domaines, parce que, évidemment, la
matière est énorme. Mais tout un travail de construction globale et d’écriture
a été nécessaire, tout du long, pour conférer à l’ensemble son style et son
unité. Pour caractériser le partage, qui n’a rien eu d’étanche, je dirais que
la dimension la plus littéraire a été essentiellement prise en charge par moi
et la partie touchant notamment à la bande dessinée par exemple ou à l’édition
scolaire a été prise en charge par Tanguy Habrand.</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">Tanguy Habrand.</b> <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Certaines transitions correspondent à des
événements historiques majeurs, comme la Première et la Seconde guerre mondiale
qui redistribuent les cartes de l’édition. Pour la fin du XXe siècle, il nous a
semblé important d’introduire une rupture en 1980, pour des raisons à la fois
politiques et culturelles : le paysage éditorial se reconfigure en
profondeur lors de la naissance de la Communauté française de Belgique.</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">Peut-on s’arrêter sur
la charnière de 1980 ? Il y a eu le dossier « Une autre
Belgique » dirigé par Pierre Mertens dans « Les Nouvelles
littéraires » en 1976, le volume conçu par Jacques Sojcher en 1980,
« La Belgique malgré tout », Europalia Belgique la même année. Est-ce
cette convergence, augmentée du volontarisme de Marc Quaghebeur, qui a modifié
le paysage ?</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">T.H.</b> <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Ces prises de position à caractère
identitaire et la mise en place d’une politique culturelle forte, à travers la
Promotion des Lettres, ont fait entrer l’édition littéraire dans un nouveau
paradigme. Cela correspond en gros à la reconnaissance d’une édition
« d’art et d’essai », encadrée par des aides et subventions comme les
contrats-programmes. Le fossé se creuse au même moment entre ces éditeurs et
l’édition industrielle. Marabout et les grands noms de la bande dessinée
(Casterman, Dupuis, Le Lombard) se heurtent quant à eux aux mutations de
l’édition internationale. On observe d’importants mouvements de concentration,
et des maisons d’édition belges rejoignent des groupes français.</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">Avec, comme cas les
plus flagrants, Casterman et Marabout ?</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">P.D.</b> <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Nous réservons en effet toute une section à
l’extraordinaire aventure, très pilotée, des collections Marabout. Elle est
partie intégrante de la mémoire collective. Quant à Casterman, la date de
novembre 1999, moment où l’éditeur de Tournai est racheté par Flammarion, a
servi de date pivot et de date butoir. Elle marque le sommet d’une période,
allant des années 1980 aux années 2000, caractérisée par un tiraillement entre des
logiques de marché et des logiques publiques, avec un développement éditorial,
dans le domaine littéraire, stimulé par l’Etat avec l’intermédiaire de la
Promotion des Lettres.</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">Si on vous suit bien,
l’édition belge a surtout réussi dans des niches, parfois de grosses niches
d’ailleurs. C’est là où elle est à son meilleur ?</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">P.D.</b> <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Oui. C’est le produit d’une histoire très
longue qui est celle du rapport déséquilibré entre le marché culturel belge et
la très puissante institution littéraire et éditoriale parisienne. Ce
déséquilibre en fait de force et de pouvoir symbolique a conduit un certain nombre
de nos éditeurs les plus aventureux à investir ou à inventer des créneaux extérieurs
à la littérature dans sa définition lettrée, fortement soumise à l’attraction
parisienne, tels que la bande dessinée, le livre jeunesse ou encore le livre
pratique. C’était, si l’on veut, faire de nécessité vertu. C’était aussi le
produit d’une conversion d’aptitudes techniques et commerciales mais aussi
d’attitudes à l’égard du médium du livre héritées de l’époque de la contrefaçon
qui a pris fin au milieu du XIXe siècle mais s’est prolongée sous diverses
formes. Tout cela, mélangé, articulé avec d’autres facteurs, a permis à
Casterman et à Dupuis, au Lombard et à Marabout de dégager de fortes ressources
de créativité et de proximité avec les lecteurs.</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">T.H.</b> <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Parmi ces niches, on retrouve des domaines
dont le traitement est spécifique à la Belgique. Je pense par exemple à
l’édition scolaire ou à l’édition juridique qui, par la force des choses,
répondent à des nécessités locales et échappent au marché français. De la même
manière, des sujets à caractère local ou régionaliste sont préservés par
rapport à l’édition française. Mais ce ne sont pas ici des créneaux du
même ordre que le cinéma et la photographie chez Yellow Now ou l’architecture
chez Mardaga.</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">Peut-on dire qu’il y
a, dans l’édition belge, un peu d’expérimentation, un peu plus d’idéologie par
moments et surtout beaucoup de commerce ?</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">P.D.</b> <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Sans doute, mais on peut aussi présenter les
choses autrement. Ce que notre livre met en évidence, c’est que l’édition belge
a connu des périodes d’émergences fortes, en particulier à la fin du XIXe
siècle où l’on voit s’inverser en partie le flux des auteurs entre Paris et la
Belgique. Hugo chez Lacroix, Maupassant chez Kistemaeckers, Mallarmé chez Deman
ont aussi pour contrepartie un essor remarquable de l’édition d’auteurs locaux,
de De Coster à Verhaeren en passant par Lemonnier. Entre 1940 et 1945, en
raison du cadenassage de la production installé par l’occupant et d’un embargo
sur la production française, c’est dans le domaine des paralittératures que
l’édition locale va se déployer, du côté du roman policier avec Stanislas-André
Steeman au « Jury » escorté par une nuée de professionnels du genre
et, du côté du fantastique, avec Jean Ray, l’auteur de<span style="mso-spacerun: yes;"> </span></i>Malpertuis<i style="mso-bidi-font-style: normal;"> se mettant en cheville avec d’autres écrivains tels que Steeman et le
jeune Owen, au sein d’une coopérative d’édition, les Auteurs Associés. Autre
moment phare, celui des années 1970-1980, lorsque Jacques Antoine lance ses
collections de patrimoine et de création littéraires belges, dans la foulée
desquelles se déploieront les Eperonniers, Le Cri, Talus d’approche ou encore
Luce Wilquin. Sans oublier, à Liège, les éditions Mardaga ou à Bruxelles les
éditions Complexe, dans le domaine des sciences humaines</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">En parlant de Jacques
Antoine et de son épouse, Lysiane D’Haeyere, c’est l’occasion de noter que
votre ouvrage contient un grand nombre de portraits d’éditeurs, et que la place
des femmes y est importante.</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">P.D.</b> <i style="mso-bidi-font-style: normal;">La perspective d’une histoire longue permet
de dessiner des tendances mais nous avons eu à cœur, pour chaque période, de
mettre en relief un certain nombre d’éditeurs. Pas seulement des enseignes ou
des marques, mais aussi des acteurs très singularisés. Parce que, derrière la
façade d’une maison ou d’une couverture, il y a des individus avec leur talent
et leur tempérament, qui contribuent à la vitalité et quelquefois aux embardées
du secteur. Quant à la place des femmes dans l’édition, elle devient en effet de
plus en plus importante à mesure qu’on s’approche de l’époque contemporaine et
pas seulement dans les postes classiques d’attachée de presse ou de
communication. C’est un mouvement général dans lequel on peut inclure Danielle
Vincken chez Complexe, Anne Leloup chez Esperluète, ou Florence Mixhel portée
tout récemment à la rédaction en chef de </i>Spirou<i style="mso-bidi-font-style: normal;">… Ce mouvement correspond à un processus de féminisation des
professions culturelles, qui dépasse donc le seul monde du livre et de
l’édition.<o:p></o:p></i></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">T.H.</b> <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Les femmes jouent depuis des décennies un
rôle prépondérant dans les métiers du livre, mais les postes à responsabilité
sont presque toujours occupés par des hommes. Ce que l’on voit timidement se
modifier à la fin du XXe siècle, et que la trajectoire de Lysiane D’Haeyere,
puis de Luce Wilquin, incarnent parfaitement, c’est la reconnaissance publique
de la figure de l’éditrice. On observe donc une plus grande parité depuis une
trentaine d’années, mais la féminisation de la profession est loin d’être
acquise.</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">Avez-vous, à titre
personnel, fait des découvertes en cours de travail ?</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">T.H.</b> <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Je pense par exemple à l’édition littéraire
de l’entre-deux-guerres, que les archives de La Renaissance du Livre ont aidée
à sortir de l’ombre. On associe généralement cette période aux origines de
l’édition industrielle en bande dessinée, avec Hergé chez Casterman ou les
débuts du </i>Journal de Spirou<i style="mso-bidi-font-style: normal;"> chez
Dupuis. Or l’ancêtre de La Renaissance du Livre que l’on connaît aujourd’hui y
occupe une place centrale en littérature. Pour compenser l’absence de
rentabilité de son catalogue littéraire, la maison multiplie les ouvrages
scolaires dans le domaine de l’enseignement technique et les beaux livres
vendus par courtage. Elle y excelle à la Libération avec la réédition, en
plusieurs volumes, de l’</i>Histoire de la Belgique <i style="mso-bidi-font-style: normal;">d’Henri Pirenne, tandis que le secteur entre dans une phase de grande
prospérité, dont profiteront à leur manière Marabout et Artis-Historia.</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;">P.D.</b> <i style="mso-bidi-font-style: normal;">La surprise que je retiens quant à moi, pour
insister une fois encore sur l’importance de l’histoire dans la longue durée,
c’est d’avoir vu se reproduire du XVe siècle à nos jours un même discours des
professionnels du livre au sujet de leur propre statut culturel, du manque
d’intérêt que le public et les pouvoirs publics portent à leur activité. Notre
livre fait l’histoire des pratiques d’édition, mais aussi des représentations
du livre et du travail éditorial. Thierry Martens, pionnier du livre imprimé en
Belgique dès 1473, se plaint amèrement au début du XVIe siècle de ce que les
lecteurs prêtent plus de poids et de prestige aux ouvrages édités hors de
Belgique alors que ceux qui sortent de ses presses, dit-il, valent bien ceux
qui viennent de Bâle ou de Paris. Ce discours, on l’entendra à travers
l’histoire jusqu’à nos jours, de même qu’un discours souvent très sévère des
auteurs au sujet des éditeurs locaux. C’est l’expression d’un classique
complexe d’insécurité propre aux aires périphériques. C’est aussi le reflet
d’une très curieuse tendance des acteurs culturels belges à noircir le tableau
au sein duquel ils figurent. Si notre livre permet de mettre mieux en lumière
ce tableau, sans ignorer ses zones d’ombre ou ses lacunes, et de faire valoir
ce que nos éditeurs de poésie ou nos éditeurs industriels ont de singulier et
de créatif, nous n’aurons pas travaillé en vain.</i></span><o:p></o:p></p><i></i><p></p>Pierre Mauryhttp://www.blogger.com/profile/18035069557787798270noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-2836796277922006589.post-80134665002215158052020-12-01T15:17:00.000+03:002020-12-01T15:17:43.426+03:00Caroline Lamarche, Prix quinquennal de la Fédération Wallonie-Bruxelles<p style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">La fédération Wallonie-Bruxelles attribue un certain nombre
de prix littéraires – et l’a fait ce mardi en visioconférence, comme c’est
devenu la règle en ces temps de pandémie. Le plus significatif d’entre eux est
le Prix quinquennal, décerné tous les cinq ans comme son nom l’indique, et qui
couronne un auteur ou une autrice pour l’ensemble de son œuvre.</span></p><p class="MsoNormal"><span style="font-family: Bitter;"><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Caroline Lamarche succède, au palmarès, à Jean-Marie Piemme.
Et voici quelques points de repère.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><o:p><span style="font-family: Bitter;"> </span></o:p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Le_Jour_du_chien-1693-1-1-0-1.html" target="_blank">Le jour du chien</a></i> (1996) – Prix Rossel</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"></i></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Le_Jour_du_chien-1693-1-1-0-1.html" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;" target="_blank"><img border="0" data-original-height="242" data-original-width="180" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEheqG4X1VuQzuheGUVOu1RI4pLSlwJlFBQ39OTxDK9wf-yBa-g0eHk_RzaLPVOJvcKTEGSNsafIjMZDz9xZF9eyq3m7fFiK5aaYbZdtZw-ZJ0QOlKN71mqdky9FSCnMUX73ddFxBROus0vG/s0/lamarche-jour.jpg" /></a></i></span></div><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><br />Le jour du chien</i>
est un roman en six parties qui sont comme autant de nouvelles consacrées à un
personnage. Mais elles sont reliées entre elles par l’événement qui provoque, chez
chacun, l’envie de raconter une histoire : le fait d’être tombé, sur l’autoroute,
devant cette image furtive mais forte d’un chien abandonné en quête de quelque
havre où il serait en sécurité. Ce ne serait évidemment pas l’autoroute
elle-même où tous les dangers sont très présents, ce dont se rendent bien
compte les six personnages qui s’arrêtent, sans doute perturbés dans un premier
temps par les risques réels d’accident grave provoqués par l’animal errant.<o:p></o:p></span><p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Un seul instant suffit pour leur donner en commun une
inquiétude qui, très vite, se transforme en authentique questionnement sur l’existence.
Ils vont au fond de problèmes dont ils ne soupçonnaient même pas l’importance
auparavant et connaissent, le temps d’écrire quelques pages, d’imprévisibles
mouvements de l’âme à travers lesquels ils se révèlent.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">De brefs regards les relient les uns aux autres. Certes, ils
ont comme même point de fuite ce chien fuyant, mais ils savent, ou ils sentent,
que d’autres personnes découvrent en même temps qu’eux des sensations aussi
bouleversantes. Et tout cela finit par constituer un kaléidoscope d’émotions à
travers lequel le lecteur partage des destinées fragiles, en devenir d’on ne
sait trop quoi : un camionneur, un prêtre, une femme, un cycliste
homosexuel (sur l’autoroute !), une mère et sa fille, nous offrent autant
de regards sur l’abandon et la reconnaissance…<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Quand, tout à la fin du roman, le sixième personnage s’identifie
au chien, on se dit qu’une implacable logique émotionnelle a traversé des pages
dont chacune décrit au plus près comment une anecdote apparemment anodine peut
bouleverser en profondeur des êtres humains.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Et ceux-ci, brièvement croisés au cours d’une lecture, accompagneront
longtemps ceux qui auront pris la peine de partager avec eux cette qualité de
cœur qui ne ressemble à aucune autre, qui n’est pas donnée à tous, et qui rend
les blessures sensibles, essentielles. Il n’est pas de vies – de vraies vies – sans
fractures.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Caroline Lamarche, qui a donné de manière très surprenante
ses trois premiers livres de prose en moins de douze mois, et qui se voit donc
couronnée pour sa première participation au prix Rossel, est de toute évidence
un écrivain de race, dont on devine que toute l’énergie est désormais déployée
vers l’invention d’autres mondes, d’autres histoires. Un roman érotique, un
recueil de nouvelles et ce qu’elle appelle un « roman par nouvelles »
proposent déjà des facettes complémentaires d’un univers fictionnel dont la
richesse est évidente.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><o:p><span style="font-family: Bitter;"> </span></o:p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">La biographie de la
lauréate</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Caroline Lamarche est née le 3 mars 1955 à Liège où
elle a fait ses études de philologie romane, terminées en 1975.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Elle a d’abord enseigné au Lycée Saint-Jacques à Liège puis,
après son mariage en 1979, elle a passé un an au Nigeria où elle donnait, en
anglais élémentaire, des cours de français dans la brousse.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">De retour en Belgique, elle a travaillé comme secrétaire jusqu’à
la naissance de sa seconde fille, en 1983 – la première était née en 1981.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Ensuite, elle s’est essentiellement occupée de sa famille, tout
en animant des ateliers sur le rêve et en travaillant comme rédactrice
indépendante, comme dactylo. Pendant dix ans, elle a aussi effectué beaucoup de
bénévolat associatif, dans l’Association de lutte contre la mucoviscidose.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Elle s’est mise à écrire assez tard : en 1988, quand
des poèmes lui sont venus pendant ses insomnies. Un recueil inédit, <i style="mso-bidi-font-style: normal;">L’arbre rouge</i>, a obtenu en 1990, le prix
Goffin en Belgique et le prix Brocéliande en France, avant d’être publié chez
Caractères l’année suivante.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Ensuite, elle est passée à la nouvelle. En 1994, elle a reçu,
ex-aequo, le prix de la Fureur de lire et a été lauréate du prix de Radio
France internationale. Elle a alors obtenu une bourse d’aide à l’écriture du
ministère de la Culture pour terminer un recueil, <i style="mso-bidi-font-style: normal;">J’ai cent ans</i>, paru cette année à l’Âge d’Homme.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Le passage au roman s’est fait par le biais de la
littérature érotique et de <i style="mso-bidi-font-style: normal;">La nuit l’après-midi</i>,
publié en 1995 chez Spengler.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Enfin, <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Le jour du
chien</i>, qui lui vaut le prix Victor Rossel 1996, est paru lors de la
dernière rentrée littéraire chez Minuit.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><o:p><span style="font-family: Bitter;"> </span></o:p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">Entretien</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Pendant que le jury se réunissait dans les locaux du <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Soir</i>, Caroline Lamarche cirait ses
meubles. Une activité à laquelle elle ne se livre pas très fréquemment, mais
elle avait besoin de s’occuper en attendant le coup de téléphone libérateur. Elle
cherchait surtout à ne pas y penser, à faire comme si de rien n’était, mais son
activité presque fébrile devait quand même lui faire mesurer une réelle anxiété.
Quand elle est arrivée rue Royale, applaudie par le jury qui venait de la
choisir, l’anxiété était bien oubliée : elle était rayonnante, autant qu’émue.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;"><span style="font-family: Bitter;">Vous venez de
connaître une aventure étonnante, avant même ce prix Rossel. Vous avez en effet
publié, après un premier et unique recueil de poèmes, trois livres de prose en
moins de douze mois. Comment avez-vous vécu cette coïncidence ?<o:p></o:p></span></b></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-family: Bitter;">Stratégiquement, je
crains que ce soit désastreux…<o:p></o:p></span></i></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;"><span style="font-family: Bitter;">Pensez-vous beaucoup
à la stratégie ?<o:p></o:p></span></b></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-family: Bitter;">Non, mais quelqu’un de
la Promotion des Lettres belges m’a dit que ce n’était pas très bon. En fait, c’est
un concours de circonstances et je ne le regrette pas. Je crois que cela a créé
un effet de surprise. Je n’ai pas beaucoup écrit cette année, parce que j’ai dû
m’occuper de la promotion de mes livres, mais ce fut quand même une année
heureuse.<o:p></o:p></span></i></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;"><span style="font-family: Bitter;">Ce sont trois livres
très différents, qui paraissent chez des éditeurs différents. Avantage ou
inconvénient ?<o:p></o:p></span></b></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">J’ai beaucoup appris :
ce sont des contacts différents, des réalités éditoriales différentes. À vrai
dire, le monde de l’édition restait très abstrait pour moi, mais je ne l’imaginais
pas aussi fraternel. C’était une bonne surprise. Chaque livre a été reçu
différemment aussi. L’épreuve, c’était </i>La nuit l’après-midi<i style="mso-bidi-font-style: normal;">, un livre assez spécifique qui a surpris
beaucoup de membres de ma famille et des amis. C’était un peu l’épreuve du feu.
Après, dans la foulée, j’ai pu défendre les deux autres livres avec plus d’aisance
parce que j’étais passée sous les fourches caudines de la publication d’un
livre dit érotique, alors qu’il s’agit surtout d’un roman.<o:p></o:p></i></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;"><span style="font-family: Bitter;">« Le jour du
chien » se présente en six parties, avec six personnages principaux, et
ressemble donc beaucoup à un recueil de nouvelles. Quand on vous dit cela, comment
le recevez-vous ?<o:p></o:p></span></b></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-family: Bitter;">C’est ce qu’on appelle
un roman par nouvelles. C’est une structure littéraire assez à la mode pour l’instant
et qui, cependant, n’est pas neuve. On trouve la même chose au cinéma. Ce qui m’intéressait
dans la rédaction de ce livre, c’était d’abord l’émotion de départ, qui était
très forte. J’ai vu ce chien sur l’autoroute.<o:p></o:p></span></i></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;"><span style="font-family: Bitter;">Tout part donc d’un
moment vécu ?<o:p></o:p></span></b></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-family: Bitter;">Oui. J’étais au volant
de ma voiture, j’ai vu ce chien sur l’autoroute et son attitude m’a bouleversée.
J’ai essayé de le récupérer, et je n’ai pas pu. C’est un constat d’impuissance.
Je me suis dit : qu’est-ce qui se passe, qu’est-ce qui fait que je sois si
bouleversée ?<o:p></o:p></span></i></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;"><span style="font-family: Bitter;">D’autres personnes s’étaient-elles
arrêtées en même temps ?<o:p></o:p></span></b></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-family: Bitter;">Oui, il y a eu trois
ou quatre personnes, dont je me souviens très fugitivement et qui ne m’ont en
aucun cas inspirée pour mes personnages.<o:p></o:p></span></i></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;"><span style="font-family: Bitter;">Vos propres réactions
vous ont-elle, alors, inspirée pour un personnage en particulier ?<o:p></o:p></span></b></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-family: Bitter;">Je ne peux pas
vraiment répondre, parce que je suis dans tous les personnages. La deuxième
partie du travail était une recherche consciente sur la fiction. Dans mes
nouvelles, j’utilisais en général des voix de femmes. Ici, j’ai vraiment
travaillé sur des personnages qui, au départ, étaient loin de moi. Il y a une
mère et sa fille, je suis moi-même mère et fille, mais ces personnages ont une
autonomie : il ne s’agit ni de ma mère, ni de ma fille, ni de moi-même. Il
y avait ce défi-là, mais au départ d’une émotion qui a porté tout le livre.<o:p></o:p></span></i></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;"><span style="font-family: Bitter;">Les six personnages
vous sont-ils venus facilement ?<o:p></o:p></span></b></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-family: Bitter;">Ils se sont imposés au
départ de faits divers, des petites choses lues dans les journaux. Mais je me
suis inquiétée pour chaque personnage, y compris pour ceux de la mère et de la
fille. On écrit toujours à partir d’expériences personnelles et les relations
avec les parents proches sont très importantes pour moi. Je craignais donc que,
dans mon entourage, on prenne certains textes au premier degré. Cela n’a pas
été du tout le cas. Je me suis donc dit que le travail sur la fiction était
réussi, qu’il avait mis une distance entre mes proches et mes personnages.<o:p></o:p></span></i></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;"><span style="font-family: Bitter;">En fait, si le chien
est au centre du livre, il est surtout le révélateur de chacun des six
personnages…<o:p></o:p></span></b></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-family: Bitter;">Oui. Le camionneur dit
à un certain moment : « Il y a une manière de regarder qui fait que
je me vois ». Moi, Caroline Lamarche, quand j’ai vu ce chien, mon regard a
fait que je me suis vue dans ce chien.<o:p></o:p></span></i></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;"><span style="font-family: Bitter;">Ce qui fait que le
dernier personnage s’identifie au chien ?<o:p></o:p></span></b></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-family: Bitter;">Elle s’identifie au
chien au point d’imaginer mourir sur cette autoroute. Comme c’est une jeune
fille très complexée et peu reconnue par son entourage, elle imagine qu’elle
pourrait créer un accident mortel et qu’enfin on s’intéresserait à elle. Je
suis dans chaque personnage, et ce sont des choses que j’ai rêvées à certains
moments : créer un grand accident pour que tout le monde s’occupe de moi.<o:p></o:p></span></i></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;"><span style="font-family: Bitter;">L’écriture de ce
livre vous a-t-elle changée ?<o:p></o:p></span></b></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-family: Bitter;">Je crois, oui. On m’a
toujours confié beaucoup de choses et j’imaginais toujours que je pouvais aider.
En voyant ce chien, j’ai eu un terrible sentiment d’impuissance et j’en ai pris
conscience en écrivant le livre. Quand la mère dit : « Il n’y a rien
à faire », c’est une chose que je pensais. Mystérieusement, dans cet aveu
d’impuissance, il y a une porte qui s’ouvre, une lumière, je ne sais quoi. C’est
comme si, en faisant l’aveu d’une impuissance, j’étais passée en un autre lieu,
où je suis puissante, où j’ai un pouvoir. C’est lié aux mots, à l’écriture. Aussi
au fait que c’est avec ce livre qu’on me connaît, qu’on me reconnaît.<o:p></o:p></span></i></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;"><span style="font-family: Bitter;">C’est important, pour
vous, d’être connue, reconnue ?<o:p></o:p></span></b></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-family: Bitter;">C’est terriblement
important. L’écriture est un travail très solitaire, c’est beaucoup de travail,
c’est ma chair et mon sang. Mais j’ai toujours été reconnue, ne serait-ce que
par une seule personne. Sinon je pense que j’aurais désespéré. Il y a toujours
eu, dans mon entourage, une ou deux personnes, pas nécessairement des écrivains
– en général pas –, qui m’ont dit : vas-y, continue. Et puis j’ai eu des
encouragements… J’ai toujours recherché les encouragements par manque de
confiance en moi. Donc ces histoires de prix, de bourses, etc., sont très
importantes pour moi. Maintenant, ça va le devenir moins, parce que je ne
pouvais pas espérer mieux que le prix Rossel. Après un an, c’est formidable. C’est
le bonheur.<o:p></o:p></span></i></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><o:p><span style="font-family: Bitter;"> </span></o:p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b><i style="mso-bidi-font-style: normal;"></i></b></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: Bitter;"><b><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio/Carnets-d-une-soumise-de-province" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;" target="_blank"><img border="0" data-original-height="2048" data-original-width="1235" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjDtryv4GBa-0jrC5HVVln89p00N2y6mK-ahW-RlO0E03mj4clnQGxvHRTmmHa-c99o-jGeNTq7WdXkgpXtQYRkL3OG6F6PWniCSBRI7rlQnQyOmSiRDi3NAaHv7t-v5CCYlNJhfeCYVGSj/s320/lamarche-carnets.jpg" /></a></i></b></span></div><span style="font-family: Bitter;"><b><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><br /><a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio/Carnets-d-une-soumise-de-province" target="_blank">Carnets d’une soumise de province</a></i> (2005 pour la réédition en poche)</b><o:p></o:p></span><p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Fétichistes et autres spécialistes de la soumission, surtout
ne pas s’abstenir ! Caroline Lamarche nous met dans la peau de la Renarde,
comme l’appelle son maître. Comme toutes les sortes de l’amour sont dans la
nature humaine, cette relation-ci ne devrait pas prêter à sourire. Certes,
l’accumulation des figures obligées paraît parfois excessive. Le lecteur qui ne
partage pas ces fantasmes hésite entre la curiosité et le rejet. Qu’il aille
quand même jusqu’au bout : après tout, qui sait, il peut découvrir quelque
chose. Au pire, il se sera ennuyé quelque temps. Et l’exercice de l’écrivain
est assez impressionnant. On s’y croirait. S’abaisser devant l’homme qu’on aime
pour se sentir aimée à son tour, le programme est curieux. Mais il est tenu
jusqu’au bout.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><o:p><span style="font-family: Bitter;"> </span></o:p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"></i></b></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><a href="https://lesimpressionsnouvelles.com/catalogue/mira/" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;" target="_blank"><img border="0" data-original-height="300" data-original-width="207" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh93bkznCQiccZKHaSjLFRMchCXTDHoj6m7mAtfKsJY8MFp4fjWdp29104LDNgGRC9XGPu9tmOx11RTNIuX3yFVYTBX-d-5lzVYSkuzpqPUrI_GsZKuXvCUcWf1pRl67HW_ntv6bWEJMExO/s0/lamarche-mira.jpg" /></a></i></b></span></div><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><br /><a href="https://lesimpressionsnouvelles.com/catalogue/mira/" target="_blank">Mira</a></i> (2013)</b><o:p></o:p></span><p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Caroline Lamarche ouvre son nouveau roman en douceur. <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Mira</i> dégage, dans les premières lignes,
une impression de calme d’autant plus saisissante que <i style="mso-bidi-font-style: normal;">« la ville est proche de la zone des combats »</i>. Les
combats auront la délicatesse de rester à l’écart. Pas leurs
conséquences : Mira y perd son frère dont elle cherchera longtemps à
retrouver les restes – quelques os, comme la trace d’une vie depuis longtemps
évanouie. La ville n’est pas pour autant un havre de paix puisque, chez la
barbière qui donne son titre à la première partie, les hommes viennent moins se
faire raser qu’offrir un œil, qu’elle extrait promptement, à Ob, mystérieuse
entité résidant dans le télescope géant érigé sur une colline. Mira récolte les
yeux chez la barbière et les porte à l’observatoire où se déroule un rituel
singulier, dont nous vous laissons le plaisir de la découverte.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Ce n’est pas le seul rituel d’une ville où l’on vit
décidément trop tranquille pour que cela ne masque pas des pratiques étranges
auxquelles Mira participe activement. Jusqu’au moment où, un cycle se
terminant, elle part pour l’île où la fixent bientôt deux hommes auxquels elle
s’attache de manière différente : le boulanger féru d’expérimentations
prolongées par Mira dans d’audacieuses innovations, et le marchand de cycles
qui a loué un vélo à la jeune femme et prend d’elle des photos que le boulanger
ne supportera pas.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Mira traverse ainsi des épisodes qui pourraient être
douloureux et qui semblent ne laisser que des traces ténues dans son esprit.
Elle est, d’une certaine manière, intouchable, trop pure pour être abîmée par
les jeux auxquels elle se prête, plus forte que les cruautés diverses qu’elle
croise. Peut-être parce que l’absence de son frère lui suffit pour sa part de
douleur et que rien n’est assez violent pour y ajouter.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">La troisième et dernière partie boucle le roman qui prend
alors tout son sens, dans sa géographie et dans le dévoilement d’indices
jusqu’alors discrètement placés au fil des pages. Caroline Lamarche pratique
une écriture toute en retenue – parfois pour dire, sur un ton d’une parfaite
modération, des horreurs. Cette écriture, mieux probablement que le feraient de
grands flamboiements, s’insinue en nous comme un poison dont très vite il n’est
plus question de se passer. Quitte à prendre, au passage, quelques grandes
claques salutaires.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><o:p><span style="font-family: Bitter;"> </span></o:p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"></i></b></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/La-memoire-de-l-air" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;" target="_blank"><img border="0" data-original-height="2048" data-original-width="1289" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEg8avKoValvNf1sxJUbW4VmV5dyGzFZ1UPOuB0Heq4TGEnwF1zHZ9gYozGrjf7z2zNlLGgRDOSerlKgA8fo_lR4umrLQuJqIMfnJpq7-dIdiTP1snGMZWTWweinV2fgyahY9hzrIFTZ_FAk/s320/lamarche-memoire.jpg" /></a></i></b></span></div><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><br /><a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/La-memoire-de-l-air" target="_blank">La mémoire de l’air</a></i> (2014)</b><o:p></o:p></span><p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">La violence n’est pas consubstantielle à l’amour, mais il
arrive qu’elle s’y installe et enfonce son coin jusqu’à ce que ça craque. Et
qu’il reste, dans les rêves récurrents de la femme qui parle à la première
personne, l’image d’un cadavre au fond d’un ravin, ni tout à fait elle, ni tout
à fait une autre. Une pelote piquée d’aiguilles qu’il faut ôter une à une
jusqu’à comprendre pourquoi on a préféré oublier telle ou telle chose, en
sachant que c’est inutile : <i style="mso-bidi-font-style: normal;">« La
mémoire de l’air conserve tous nos gestes, tous nos mots et même les gestes et
les mots auxquels nous finissons par renoncer. »</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">La mémoire de l’air</i>,
de Caroline Lamarche, est un monologue qui revendique sa forme dès l’exergue
d’Unica Zürn : <i style="mso-bidi-font-style: normal;">« Seul le
monologue peut traduire la vérité – qui oserait découvrir son secret à
l’autre ? »</i> C’est aussi un inventaire des moments les plus
pénibles par lesquels est passée l’existence. Une série d’épreuves à surmonter
dans l’improvisation constante, en essayant de faire au mieux sans certitude de
ne pas choisir le pire.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Certains <i style="mso-bidi-font-style: normal;">« épisodes
adorables »</i> seront passés sous silence ici, ce n’est pas le propos du
récit. Dans la relation avec <i style="mso-bidi-font-style: normal;">« l’homme
d’avant »</i>, qui devient vite et plus simplement Davant, il y a pourtant
eu de ces moments plaisants que les couples aiment à se remémorer. Mais il est
surtout, et presque exclusivement, question d’écarts qui se creusent, de jeux
où la narratrice est l’éternelle perdante, d’une chambre où deux petits miroirs
inquiètent là où ils sont placés. L’irritation se transforme en violence, rien
de vraiment tragique mais c’est un début qui ne présage rien de bon pour la
suite, d’autant que les images de mort sont de plus en plus présentes. Elle lui
envoie un livre à la figure, il lui donne un coup de poing – et elle fait
constater l’ecchymose par un médecin.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">On ne s’attarde sur cette violence-là que pour éviter d’en
venir à une bien plus grande, retenue plus longtemps et dont les mots de Davant
provoquent le retour, avec le besoin d’expliquer les détails qui ont été mal
perçus au commissariat, au moment du dépôt de la plainte. Tout est dans la
nuance : elle a été violée, voilà, c’est dit, mais elle est vivante et
cela aurait pu être pire. <i style="mso-bidi-font-style: normal;">« Ai-je
envie de raconter cela ? Je l’ignore. Mais puisqu’un homme m’a dit un jour
que ma violence provenait sans doute du fait que je n’avais pas réglé cette
vieille histoire de viol, je vais donc la raconter. »</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Tout ce qui précédait n’était là que pour trouver la force
de décrire ces instants et ce qui s’est enchaîné ensuite. Pour comprendre,
enfin, à la dernière ligne : un rapport de force entre un être sans
défense sur qui quelqu’un d’autre a tous les pouvoirs. Une violence dont
Caroline Lamarche donne une version universelle.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><o:p><span style="font-family: Bitter;"> </span></o:p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"></i></b></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/Dans-la-maison-un-grand-cerf" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;" target="_blank"><img border="0" data-original-height="2048" data-original-width="1290" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiS_PJ0vVC2w_2klQRquCdVqWXHAoO7B6LI_MNMl66gBuYSpl_wKBGcLjSw6AJoEgWbWRiIFFdbpqNTGGBMcmSsEhwNEXpIQeD2qwUvBSGi2PkQV1QXXDqJrSNd79LbVVpv5pfCSjWphyZL/s320/lamarche-maison.jpg" /></a></i></b></span></div><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><br /><a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/Dans-la-maison-un-grand-cerf" target="_blank">Dans la maison un grand cerf</a></i> (2017)</b><o:p></o:p></span><p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Le père de la narratrice fête son anniversaire au lendemain
de la Saint-Hubert. Une librairie baptisée ainsi, dans la galerie bruxelloise
du même nom, permettra à celle qui raconte de sortir du marasme où elle se
trouve après la rupture qui a mis fin à neuf ans d’une relation complexe avec
M. Deux mots ont cristallisé la fin de l’histoire : « toujours »
et « jamais ». Elle a dit, dans une phrase qui dépassait sa
pensée : <i style="mso-bidi-font-style: normal;">« Je vais partir pour
toujours ! »</i> Il a répondu, en pleine conscience : <i style="mso-bidi-font-style: normal;">« Si tu pars pour toujours, ne reviens
plus jamais. »</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">L’équilibre est fragile, comme à la chasse, dont
Saint-Hubert est le patron et que pratiquent les cousins, entre l’animal et
celui qui veut l’abattre. Nécessité ancienne devenue un rituel d’hommes, la
battue rassemble autant qu’elle sépare : celles et ceux qui restent à
l’extérieur sont rejetés hors du cercle. Nous allions écrire : pour
toujours, ou : à jamais…<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Les événements à consonance négative additionnent leurs
effets. La mort du père est une sorte de chasse qui se termine, de la même
manière que le conflit permanent entre la narratrice, qui est écrivaine, et M,
s’achève avec un goût d’inaccompli. Au fond, il aurait peut-être suffi que
chacun y mette du sien pour conduire l’histoire plus loin.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Sinon que la vie permet de rebondir, grâce à la librairie
déjà évoquée, et davantage encore grâce à son libraire. Bertrand, <i style="mso-bidi-font-style: normal;">« libraire par défaut et galeriste par
passion »</i>, aime les livres et les écrivains, mais encore davantage les
artistes et leurs œuvres. Ce qui ne fait pas vraiment vivre son homme, malgré
le cœur qu’il met à l’ouvrage sur des jambes en mauvais état près de céder sous
le poids des cartons.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Caroline Lamarche parle-t-elle d’elle-même dans ce qui
serait une autofiction ? Peut-être bien. Ou non. A vrai dire, on s’en
moque un peu. <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Dans la maison un grand
cerf</i>, roman traversé par la présence récurrente de cet animal envisagé sous
plusieurs angles – une plasticienne, Berlinde, en fait l’usage le plus
singulier –, est un concentré d’émotions contradictoires. Une succession de
chocs où le père joue le rôle du grand cerf, à moins que ce soit le contraire.
Tout se mêle sans se confondre, sur le chemin étroit qui conduit du réel à la
littérature, avec une rare justesse de ton.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><o:p><span style="font-family: Bitter;"> </span></o:p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"></i></b></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/Nous-sommes-a-la-lisiere" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;" target="_blank"><img border="0" data-original-height="2048" data-original-width="1307" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgS9LnWJ3QqzLjEs0AB6X8jW4gEGgnqWlalRvCd3cDwrUmP1zoGI049wouJFZGy6cnkDF-M7CcH7pYC79h2hfS9fpRVhCFnBVuQoEoTAeZv-eiat3uy9CZ-yo23xH_PAZCiO4cpJx-spxBq/s320/lamarche-lisiere.jpg" /></a></i></b></span></div><span style="font-family: Bitter;"><b style="mso-bidi-font-weight: normal;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><br /><a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/Nous-sommes-a-la-lisiere" target="_blank">Nous sommes à la lisière</a></i> (2019)</b><o:p></o:p></span><p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Les titres des neuf nouvelles de Caroline Lamarche dans <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Nous sommes à la lisière</i> nomment leurs
personnages, le plus souvent des animaux : Frou-Frou, Mensonge, Ulysse,
Elie, Horatio, Tish, Merlin, Rudi. Une cane, un cheval, un hérisson, un
papillon, un rat, un chat, un merle (peut-être), un écureuil. (Si vous avez
compté, vous aurez constaté qu’il en manque une, on y viendra.)<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Encore ces noms leurs sont-ils venus par des détours parfois
complexes. Ulysse, par exemple, est d’abord l’<i style="mso-bidi-font-style: normal;">Ulysse</i> de Joyce, un roman que la presque compagne de Zoran n’a
jamais réussi à lire alors que ce livre est, ce soir-là, avec le professeur
Meyer, au centre de la conversation. Quant à elle, elle préfère éviter le sujet
<i style="mso-bidi-font-style: normal;">« car il me paraît épineux. Epineux,
oui, hérissé de piquants, un peu comme un hérisson qu’on ne sait par quel côté
saisir – cela arrive pour les livres aussi. »</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Un hérisson, précisément, elle en a croisé un sur la route
la veille, en venant chez Zoran (le couple n’en est pas tout à fait un, leur
vaisselle est aussi dépareillée que le sont l’homme et la femme). L’animal
gambadait sur le macadam, au mépris du danger, et elle a freiné pour ne pas
l’écraser. Elle est sortie de la voiture, a ramassé le hérisson et a cherché un
endroit où elle pourrait le déposer à l’abri des véhicules.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Depuis, elle se demande si elle a bien fait ou si, au
contraire, le lieu qu’elle a choisi n’allait pas pousser le hérisson à
reprendre la direction de la route. <i style="mso-bidi-font-style: normal;">« Bref,
je pensais à cet animal comme à moi-même : quelqu’un qui se hâte avec
ardeur vers un but (mais lequel ?) et que la vie, sans cesse, contrarie ou
place dans des situations potentiellement périlleuses. »</i> Qu’est-il
advenu de lui ?<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">Ulysse</i>, le roman,
elle sait : l’exemplaire qu’elle avait acheté en se disant qu’il était
temps de découvrir ce chef-d’œuvre universellement salué comme tel a fini,
projeté par sa lectrice exaspérée de n’y rien comprendre, dans la Méditerranée.
Remplacé désormais, dans l’esprit de la narratrice, par le hérisson auquel elle
continue à penser avec inquiétude : <i style="mso-bidi-font-style: normal;">« Je
décide de l’appeler Ulysse. Mon Ulysse. Qui n’a pas sombré, lui, dans une mer
corrosive, mais que j’aime à imaginer, en ce doux soir d’été où je voudrais
être loin d’ici, blotti sous le ventre bienveillant d’une vache. »</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">La lisière entre le monde animal et les sentiments humains
est aussi le lieu imaginaire dans lequel se développent les autres nouvelles.
Elles installent la confusion dans la manière dont le monde se révèle, parfois
se trouble comme une eau obscurcie par la vase.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">C’est vrai aussi pour le texte dont le titre renvoie à des
prénoms de personnes. Lin, Clet, Clément, Sixte, Corneille et Cyprien sont des
saints désormais oubliés dans la liturgie, devenus aussi indifférenciés que les
fourmis dérangées par des enfants en promenade. Et encore : peut-être seul
le grouillement des insectes est-il la cause de notre possible aveuglement
devant une humanisation qui serait présente malgré tout.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><o:p><span style="font-family: Bitter;"> </span></o:p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">Prix Goncourt de la
nouvelle</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">La vie des bêtes (pas si bêtes), pour Caroline Lamarche,
c’est à peu près comme pour les hommes et les femmes. Ceux-ci ont peut-être
tendance à développer des relations amoureuses plus complexes, comme dans <i style="mso-bidi-font-style: normal;">La nuit l’après-midi</i>, son premier roman
paru brièvement en 1995 dans une aventure éditoriale complexe avant de se fixer
chez Minuit en 1998.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">A ce moment-là, Caroline Lamarche avait déjà obtenu le Prix
Rossel 1996 pour <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Le jour du chien</i>
(Minuit). Des chiens, il y en aura d’autres ensuite (<i style="mso-bidi-font-style: normal;">La chienne de Naha</i>, Gallimard, 2012). Des cerfs envahissent la
maison (<i style="mso-bidi-font-style: normal;">Dans la maison un grand cerf</i>,
Gallimard, 2017). Et toute une ménagerie entre dans <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Nous sommes à la lisière</i>, qui vient de recevoir le Goncourt de la
nouvelle.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Jamais Caroline Lamarche n’avait poussé si loin que dans ces
neuf nouvelles le rapprochement entre la faune et l’humanité. Les titres de
chaque texte nomment des animaux – leurs noms de baptême leur viennent de
femmes et d’hommes, c’est sous le regard de ceux-ci qu’ils gagnent le droit à l’individualité,
mais rien n’est simple et en réalité peut-être est-ce l’humain qui,
reconnaissant quelque chose de lui dans une cane, un cheval, des fourmis, un
hérisson, un papillon, un rat, un chat, un merle ou un écureuil, se hisse au
niveau d’un être pur, désencombré des obligations sociales qui le réduisaient à
un schéma préétabli…<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Chaque nouvelle est un bijou aux reflets presque
insaisissables. Caroline Lamarche sait à chaque fois, sur quel chemin elle veut
nous entraîner – et chacun de ces chemins est aussi différent du précédent que
du suivant – mais elle ne trace pas la route immédiatement. Détours et
contournements sont la règle, à nous de suivre pour trouver le sens du texte et
découvrir le lien qui situe, à la lisière, notre position exacte par rapport à
une espèce du monde animal. Lien rationnel ou sentimental, il touche juste,
éclaire ce que nous sommes, la comparaison est plus implicite que décrite dans
le détail et fournit des clés que nous n’avions pas demandées mais que nous
sommes heureux de trouver.</span><o:p></o:p></p>Pierre Mauryhttp://www.blogger.com/profile/18035069557787798270noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-2836796277922006589.post-1446640693173783232020-12-01T05:08:00.001+03:002020-12-01T05:08:24.728+03:00Le Renaudot de Marie-Hélène Lafon<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: Bitter;"><a href="http://www.buchetchastel.fr/histoire-du-fils-marie-helene-lafon-9782283032800" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;" target="_blank"><img border="0" data-original-height="366" data-original-width="250" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj2HwxyLG8yeLd1e2xL1x2BrvFBg3lVI2NzL73zEM18c2HvSDYerZUGqgGOe0DKXaIA1JJ20nJsF2w2O-m5S9a_BxRWwOIrZQBeLRP2Fn9yVwE0X-SIluNdT9jWKGT3jXx0SfUycMjZxNpW/s320/lafonm.jpg" /></a></span></div><span style="font-family: Bitter;"><br />Quelques minutes après le Goncourt, tradition oblige, c’était
donc au tour du Renaudot. Pour le roman, d’abord.<o:p></o:p></span><p></p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Les secrets perdus de Gabrielle, qui a eu plusieurs
existences, hantent le nouveau roman de Marie-Hélène Lafon, <i><a href="http://www.buchetchastel.fr/histoire-du-fils-marie-helene-lafon-9782283032800" target="_blank">Histoire du fils</a></i>. Ils sont les manques à
partir desquels se bâtissent des fictions approximatives, seul support à une
imagination qui tenterait de trouver une logique là où, peut-être, il n’y en a
guère. André, le fils de Gabrielle, vit ainsi, avec l’absence de père officiel,
et néanmoins la volonté, par brusque sursauts, de boucher les trous, d’aller
par exemple se poser devant l’immeuble parisien où Maître Lachalme a ses
bureaux, à deux pas de la prison de la Santé où se trouvent certains de ses
clients.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Mais André a attendu douze ans après son mariage avec
Juliette pour faire le voyage, dire : « cette année je le cherche je
le trouve je veux le voir on monte trois jours à Paris à Pâques tu viens avec
moi je n’y vais pas sans toi. » Sans une virgule et, on l’imagine, sans
reprendre son souffle – le souffle très présent dans chaque phrase du roman et
au rythme duquel percent les sentiments des uns et des autres, dans leur riche
diversité. Douze ans, c’était peut-être trop, il ne restera du voyage qu’une
photo d’André devant l’immeuble…<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Et, avec des intervalles très longs, ainsi que le disent les
dates, 1962, 1984, 1998, c’est « une vie entière à flairer les traces du
père, de loin ou de près, à Paris ou dans le Lot », ainsi que le résume à
sa manière Antoine, le fils de Juliette et d’André.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Car plusieurs générations trouvent place dans un récit
pourtant assez bref. Il suffit de lire le premier chapitre, daté du jeudi 25 avril
1908 (il y aura ensuite des avancées dans le temps et des retours en arrière),
pour être emporté par les rapides d’histoires multiples. Armand et Paul ont
bientôt cinq ans, le premier se lève, silencieux, attentif aux odeurs qui ont
pour lui des couleurs précises, « son » Antoinette est dans la
cuisine, il se jette sur elle après l’avoir observée un moment, le drame
survient – « un cri déchiré qui réveille Paul. »</span></p><p class="MsoNormal"><span style="font-family: Bitter;"><o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Comme ce qui suivra, c’est remarquable d’attention aux
détails, de justesse dans la manière dont le petit garçon utilise ses sens, d’équilibre,
précaire mais tenu, dans la phrase – on en revient au souffle, omniprésent.<o:p></o:p></span></p><p>
</p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Les lieux ont aussi leur
importance, comme dans toute l’œuvre de Marie-Hélène Lafon qui, à son Cantal
d’origine, ajoute le Lot, paysages où l’on vit et où l’on meurt, et où
s’installent, dans les intervalles, les silences et les secrets des pères
absents.</span></p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: Bitter;"><a href="https://www.grasset.fr/livres/les-villes-de-papier-9782246819875" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;" target="_blank"><img border="0" data-original-height="855" data-original-width="600" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjsXJ2rGW0JqMKdoGD86aDQQpfjyLR2o80Uhuf4OGZGYPWiECozod-ECN6yYCV2xR_YSBbNviRYap869b1MYkjZ05Bl1PjFGsCD-X0KksU6FA8wZGvA1ccX2BaSUb83G9e2SsO3gPJ4P2i4/s320/fortier.jpeg" /></a></span></div><span style="font-family: Bitter;"><br />Et ensuite le Renaudot essai…<o:p></o:p></span><p></p><p class="MsoNormal">
</p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">« Une vie parfaite,
parfaitement close, enclose en elle-même. » Emily Dickinson la recluse,
plus sorcière que magicienne, chez qui le pouvoir des mots transpose le monde
extérieur. Dans un texte éclaté et éclatant, la voici telle qu’on l’imagine à
la suite de Dominique Fortier. Celle-ci vibre à l’unisson des textes publiés,
et aborde par la sensibilité les pans moins connus de celle qui écrivait des
tombeaux « à la mémoire de l’invisible. »</span></p><p></p>Pierre Mauryhttp://www.blogger.com/profile/18035069557787798270noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-2836796277922006589.post-44811779845901006572020-12-01T04:54:00.005+03:002020-12-01T04:54:55.819+03:00Le Goncourt d'Hervé Le Tellier<p style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: Bitter;"><a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/L-anomalie" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;" target="_blank"><img border="0" data-original-height="2048" data-original-width="1399" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhV3N2MhyphenhypheniD_eNVIfjkS98wlkEqYLGvd8uQhuURNQrtkiaTOi38STjnaUp1fxCi-2Jhm2WnwvDuEadQLoMsaRk1gVUe6mW7qh_wJrgidi0PdQ2HPB9CE-dl2LWv5qK2ZinzdG3aGSGVaBaq/s320/anomalie.jpg" /></a></span></div><span style="font-family: Bitter;"><br />La rumeur n’avait pas tort, qui traçait une voie royale à
Hervé Le Tellier vers le Goncourt avec <i><a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/L-anomalie" target="_blank">L’anomalie</a></i>,
son dernier roman. Ou vers tout autre prix littéraire qui lui aurait plu, car
il était présent dans la plupart des premières sélections. Le point de départ
de l’ouvrage est piquant, le traitement ne l’est pas moins, il y a lieu de se
réjouir de la possibilité d’une excellente lecture, pour les lauriers c’est
fait. Victor Miesel, l’écrivain qui est un des personnages – et qui écrit <i>L’anomalie</i> – a vu un précédent livre, <i>Des échecs qui ont raté</i>, retenu « dans
les premières listes du Médicis, du Goncourt et du Renaudot, pour disparaître
quinze jours plus tard des deuxièmes sélections ». C’est lui qui a consolé
son éditrice, Clémence Balmer…</span><p></p><p class="MsoNormal"><span style="font-family: Bitter;"><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Comme tous les passagers et les membres d’équipage du vol
AF006 Paris-New York, Victor Miesel a traversé la lessiveuse d’un gigantesque
front nuageux, le 10 mars 2021. Le commandant Markle a mené son Boeing 787 à
bon (aéro)port. Tout le monde a été secoué, les vitres blindées sont étoilées
des impacts de grêlons mais, au final, tout le monde s’en tire bien.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Sinon que, trois mois plus tard, la même scène se reproduit
presque à l’identique : même vol, même équipage, mêmes passagers,
traversée de l’orage et, au moment de la reprise de contact avec le sol,
l’avion est dérouté vers un autre aéroport. A peine au sol, l’appareil et ses
occupants sont pris en charge par l’armée. Enquêtes, interrogatoires… Les
personnes qui avaient atterri en mars ont, depuis, continué à vivre leur vie (à
un suicide près), celles qui arrivent aux Etats-Unis en juin, les mêmes, ont un
trou de trois mois dans leur existence. C’est bien une anomalie, une situation
imprévue.</span></p><p class="MsoNormal"><span style="font-family: Bitter;"><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Elle mérite de battre le rappel des chercheurs qui ont
élaboré, après le 11 septembre 2001, les scénarios envisageant les moindres dysfonctionnements
possibles du trafic aérien. Résultat : tout est maintenant sous contrôle
et les meilleures décisions à prendre sont détaillées, pour chaque cas, dans un
copieux mémorandum. Qui pourtant ne satisfait pas encore le Pentagone :
« Et si nous sommes confrontés à un cas n’obéissant à aucune situation
étudiée ? » Va pour un protocole 42 que Tina et Adrian ajoutent à
leurs travaux, avec une seule recommandation : faire appel aux scientifiques
qui ont planché sur le sujet, bien qu’ils avaient envisagé leur réponse à
l’improbable comme une blague de potaches.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Tout le roman a aussi l’air d’une blague, mais d’une blague
dont l’auteur, comme le pouvoir devant le dédoublement du vol 006, prend les
conséquences très au sérieux. Quelques aventures individuelles sont détaillées,
elles ne manquent pas de sel. A commencer par ce que devient Blake, le tueur
professionnel d’un premier chapitre qui nous avait lancé sur la fausse piste
d’un polar…<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Sur une idée de roman fantastique, Hervé Le Tellier a
construit un roman qui se coule dans le réalisme de situations inédites, avec
des pointes d’humour et une gravité engendrée par une remise en question de la
condition humaine.</span><o:p></o:p></p>Pierre Mauryhttp://www.blogger.com/profile/18035069557787798270noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-2836796277922006589.post-4848618555176701332020-11-28T05:45:00.002+03:002020-11-28T05:45:34.664+03:00Goncourt, les paris sont ouverts<p style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Non, il n’y a rien à gagner dans ces paris – pour vous, pour
moi au moins, car il en va tout autrement pour le lauréat ou la lauréate ainsi
que pour son éditeur. Lundi, à 12 h 30, on saura lequel, des quatre
ouvrages restés dans le dernier carré, auront choisi les jurés.</span></p><p class="MsoNormal"><span style="font-family: Bitter;"><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Je vous rappelle les livres retenus ? Oui, c’est
peut-être utile pour les distraits ou les distraites.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"></p><ul><li><span style="font-family: Bitter;">Djaïli Amadou Amal. Les impatientes (Emmanuelle Collas)</span></li><li><span style="font-family: Bitter;">Hervé Le Tellier. L’anomalie (Gallimard)</span></li><li><span style="font-family: Bitter;">Maël Renouard. L’historiographe du Royaume (Grasset)</span></li><li><span style="font-family: Bitter;">Camille de Toledo. Thésée, sa vie nouvelle (Verdier)</span></li></ul><p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Comme chaque année, <i>Livres
Hebdo</i> a demandé leur avis à quinze critiques littéraires : qui aura le
Goncourt ? qui le mérite ? Le récapitulatif de tout ça a été publié
hier, <a href="https://www.livreshebdo.fr/article/qui-aura-le-goncourt-7" target="_blank">c’est ici</a>. Sur le fond, je ne me démarque pas des autres, voici d’ailleurs
mes réponses aux deux questions.<o:p></o:p></span></p>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgZxu7062t98ZHyvxA0iltQcniZDWnSNBq59S9EZAYdrf8l1VCx-wzyTuY2eQ4rPOhVxTCsXN27BEKKKXbktkNmVxiJe_q0WQr5gaHW3m-2E41WVmV6MwRWfbwiaXCk6VzK7YoOj9KZEaDb/s715/Goncourt.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="715" data-original-width="699" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgZxu7062t98ZHyvxA0iltQcniZDWnSNBq59S9EZAYdrf8l1VCx-wzyTuY2eQ4rPOhVxTCsXN27BEKKKXbktkNmVxiJe_q0WQr5gaHW3m-2E41WVmV6MwRWfbwiaXCk6VzK7YoOj9KZEaDb/s320/Goncourt.jpg" /></a></div><br /><p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Dix autres critiques pensent aussi qu’Hervé Le Tellier aura
le Goncourt. Mais ils ne sont que trois à me rejoindre sur le fait qu’il le
mérite, ce qui donne une égalité de voix entre </span><i style="font-family: Bitter;">L’anomalie</i><span style="font-family: Bitter;"> et </span><i style="font-family: Bitter;">Histoires de la
nuit</i><span style="font-family: Bitter;">, de Laurent Mauvignier – dont je ne comprends pas non plus comment il
n’a pas été retenu par le jury du Goncourt. Mais, bon, je ne voyais pas bien
pourquoi laisser croire aux chances d’un roman ignoré par ces lecteurs-là.
Quand la chance est passée…</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Vingt minutes après le
Goncourt, car l’événement est virtuel et minuté cette année (encore faudra-t-il
voir si les connections se passent avec la souplesse souhaitée, il semble que
cela n’a pas été le cas pour d’autres remises de prix dans les jours
précédents), vingt minutes plus tard, donc, si tout va bien, le Renaudot
donnera son palmarès. J’y serai, en principe, par écran interposé, je vous
raconterai probablement cela dans <i><a href="https://plus.lesoir.be/" target="_blank">Le Soir</a></i>
ou ici.</span></p>Pierre Mauryhttp://www.blogger.com/profile/18035069557787798270noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-2836796277922006589.post-68000864182661178642020-11-20T08:00:00.000+03:002020-11-20T08:00:00.565+03:00Le calendrier des prix littéraires en reconstruction<p style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Certains jurys ont fait comme si de rien n’était, ou presque
– Femina, Médicis, <i>Inrocks</i>. La
plupart, en revanche, ont pris acte de la fermeture des librairies en France et
ont retardé les proclamations de leurs résultats, même quand les délibérations,
comme cela semble être le cas ici ou là, ont déjà eu lieu.</span></p><p class="MsoNormal"><span style="font-family: Bitter;"><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">La semaine prochaine, les librairies françaises seront
toujours fermées (je sais, il y a le « click & collect », comme
on dit dans l’Hexagone, et les envois par la Poste), mais les jurés et jurées s’impatientent.
Des dates sont donc maintenant fixées et les réjouissances, dans une version
étriquée de circonstance, s’annoncent. Il manque encore quelques détails, d’autres
prix importants s’ajouteront à ceux-ci mais voici, à ma connaissance, où nous
en sommes. Calendrier et dernières sélections…<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><o:p><span style="font-family: Bitter;"> </span></o:p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b>Lundi 23 novembre – Prix Wepler-Fondation La Poste</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"></p><ul><li style="text-align: left;"><span style="font-family: Bitter;">Lise Charles. La demoiselle à cœur ouvert (P.O.L)</span></li><li style="text-align: left;"><span style="font-family: Bitter;">Béatrice Commengé. Alger, rue des Bananiers (Verdier)</span></li><li style="text-align: left;"><span style="font-family: Bitter;">Mireille Gagné. Le lièvre d’Amérique (La Peuplade)</span></li><li style="text-align: left;"><span style="font-family: Bitter;">Christian Garcin. Le Bon, La Brute et le Renard (Actes Sud)</span></li><li style="text-align: left;"><span style="font-family: Bitter;">Marius Jauffret. Le fumoir (Anne Carrière)</span></li><li style="text-align: left;"><span style="font-family: Bitter;">Julia Kerninon. Liv Maria (L’Iconoclaste)</span></li><li style="text-align: left;"><span style="font-family: Bitter;">Grégory Le Floch. De parcourir le monde et d’y rôder (Bourgois)</span></li><li style="text-align: left;"><span style="font-family: Bitter;">Hervé Le Tellier. L’anomalie (Gallimard)</span></li><li style="text-align: left;"><span style="font-family: Bitter;">Fiston Mwanza Mujila. La Danse du Vilain (Métailié)</span></li><li style="text-align: left;"><span style="font-family: Bitter;">Muriel Pic. Affranchissements (Seuil)</span></li><li style="text-align: left;"><span style="font-family: Bitter;">Jean Rolin. Le pont de Bezons (P.O.L)</span></li><li style="text-align: left;"><span style="font-family: Bitter;">Florence Seyvos. Une bête aux aguets (L’Olivier)</span></li></ul><p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><o:p><span style="font-family: Bitter;"> </span></o:p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b>Jeudi 26 novembre – Grand Prix du roman de l’Académie
française</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"></p><ul><li style="text-align: left;"><span style="font-family: Bitter;">Miguel Bonnefoy. Héritage (Rivages)</span></li><li style="text-align: left;"><span style="font-family: Bitter;">Étienne de Montety. La grande épreuve (Stock)</span></li><li style="text-align: left;"><span style="font-family: Bitter;">Maël Renouard. L’historiographe du Royaume (Grasset)</span></li></ul><p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><o:p><span style="font-family: Bitter;"> </span></o:p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b>Lundi 30 novembre – Prix Goncourt</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"></p><ul><li style="text-align: left;"><span style="font-family: Bitter;">Djaïli Amadou Amal. Les impatientes (Emmanuelle Collas)</span></li><li style="text-align: left;"><span style="font-family: Bitter;">Hervé Le Tellier. L’anomalie (Gallimard)</span></li><li style="text-align: left;"><span style="font-family: Bitter;">Maël Renouard. L’historiographe du Royaume (Grasset)</span></li><li style="text-align: left;"><span style="font-family: Bitter;">Camille de Toledo. Thésée, sa vie nouvelle (Verdier)</span></li></ul><p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><o:p><span style="font-family: Bitter;"> </span></o:p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b>Lundi 30 novembre – Prix Renaudot</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-family: Bitter;">Romans<o:p></o:p></span></i></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"></p><ul><li style="text-align: left;"><span style="font-family: Bitter;">Jean-Paul Enthoven. Ce qui plaisait à Blanche (Grasset)</span></li><li style="text-align: left;"><span style="font-family: Bitter;">Irène Frain. Un crime sans importance (Seuil)</span></li><li style="text-align: left;"><span style="font-family: Bitter;">Marie-Hélène Lafon. Histoire du fils (Buchet-Chastel)</span></li><li style="text-align: left;"><span style="font-family: Bitter;">Hervé Le Tellier. L’anomalie (Gallimard)</span></li><li style="text-align: left;"><span style="font-family: Bitter;">Étienne de Montety. La grande épreuve (Stock)</span></li><li style="text-align: left;"><span style="font-family: Bitter;">Anthony Palou. La faucille d’or (Le Rocher)</span></li></ul><p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-family: Bitter;">Essais<o:p></o:p></span></i></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"></p><ul><li style="text-align: left;"><span style="font-family: Bitter;">Dominique Fortier. Les villes de papier (Grasset)</span></li><li style="text-align: left;"><span style="font-family: Bitter;">David Le Bailly. L’autre Rimbaud (L’Iconoclasteà</span></li><li style="text-align: left;"><span style="font-family: Bitter;">Frédéric Pajak. Avec Pessoa (Noir sur blanc)</span></li></ul><p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><o:p><span style="font-family: Bitter;"> </span></o:p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><b>Mardi 1er décembre – Prix Décembre</b><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"></p><ul><li style="text-align: left;"><span style="font-family: Bitter;">Jean Rolin. Le pont de Bezons (P.O.L)</span></li><li style="text-align: left;"><span style="font-family: Bitter;">Grégory Le Floch. De parcourir le monde et d’y rôder (Bourgois)</span></li><li style="text-align: left;"><span style="font-family: Bitter;">Valère Novarina. Le jeu des ombres (P.O.L)</span></li></ul><p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Pendant ce temps, les prix littéraires anglo-saxons conservent
leur cap.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: Bitter;"><a href="https://www.auxforgesdevulcain.fr/collections/fiction/chinatown-interieur/" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;" target="_blank"><img border="0" data-original-height="409" data-original-width="280" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh1uannOmfxFiJyHfRZLfAKo_fdOU4ApO5j4e-wF2xmJynIX20bwxwAwK2qLm3yZU11clRkvmFPLgCTcuymSgSIiDow0ShDSnTBS3Yb6Fa66Hvx9h4mYjlndRnh092L-xSxkqJV2O7hUz2t/s320/Chinatown.jpg" /></a></span></div><span style="font-family: Bitter;">À Londres, le Booker Prize a été attribué hier à l’Écossais Douglas
Stuart, plus célèbre jusqu’ici comme styliste mais que son premier roman, <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Shuggie Bain</i>, range désormais dans la
catégorie « écrivain ». Il y raconte (je pille Wikipedia) l’histoire
du plus jeune des trois enfants d’une mère alcoolique dans les années 80.<o:p></o:p></span><p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Aux États-Unis, Charles Yu est le lauréat, dans la catégorie
fiction, du National Book Award pour <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Interior
Chinatown</i>, paru en français à la rentrée Aux Forges de Vulcain dans une
traduction d’Aurélie Thiria-Meulemans. Je n’ai pas lu <i style="mso-bidi-font-style: normal;"><a href="https://www.auxforgesdevulcain.fr/collections/fiction/chinatown-interieur/" target="_blank">Chinatown, intérieur</a></i>, et je le regrette à découvrir l’extrait que
voici – vous en savez autant que moi désormais.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"></span></p><blockquote><p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Dans le monde de <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Noir
et Blanc</i>, tout le monde commence en tant qu’Asiat’ de Service. Enfin, tous
ceux qui ont ta tronche, en tout cas. Sauf si t’es une femme, auquel cas tu
commences en tant que Jeune Asiat’ Mignonne.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Vous travaillez au Pavillon d’Or, autrefois Pavillon de
Jade, autrefois Pavillon de la Félicité. Il y a un aquarium à l’avant et, au
fond, un vivier crado avec des crabes et des homards d’un kilo qui se grimpent
les uns sur les autres. Des menus laminés suggèrent le plat du jour, toujours
agrémenté d’un bol de riz blanc et d’une soupe au choix, aux œufs ou
aigre-douce. Une enseigne « Tsingtao » clignote et grésille derrière
le bar dans un coin sombre, une salle au plafond à caissons, en bois ou faux
bois, où tout baigne dans une lumière rouge produite par des lanternes de
papier bon marché, festonnées et souvent couvertes de crottes de mouche, leur
papier jauni déchiré, bouclant sur lui-même.</span></p></blockquote><p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"></span><o:p></o:p></p>Pierre Mauryhttp://www.blogger.com/profile/18035069557787798270noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-2836796277922006589.post-12301143947100333952020-11-12T23:09:00.000+03:002020-11-12T23:09:00.017+03:00Le Grand Prix de littérature américaine à Stephen Markley<p style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: Bitter;"><a href="https://www.albin-michel.fr/ouvrages/ohio-9782226442048" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;" target="_blank"><img border="0" data-original-height="439" data-original-width="300" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiVJiMqigaYMiDqiynZgtbixuywkY01yDRArAopqg-8-WI7j2tGZJ5568JKG0m2mqayrVXzIJ3eqLJfUqGkIIRz5HTFSR2ufHM4NdJmzcDMi9FXBCQQMj76dG_AxL2hSSN21cFNjrhrhFZC/s320/Ohio.jpg" /></a></span></div><span style="font-family: Bitter;">Quand on se retrouve, avant de refermer un roman, à lire les
remerciements de l’auteur avec autant d’appétit que les 550 pages précédentes,
c’est qu’il s’est passé quelque chose. Au passage, notons que cet addendum très
fréquent dans l’édition américaine est ici particulièrement bien troussé – mais
ce n’est pas le propos.</span><p></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i>Ohio</i>, donc,
de Stephen Markley (traduit par Charles Recoursé), ne ressemble en rien à une œuvre de débutant et a tout d’un
torrent d’événements et de réflexions canalisé comme par miracle tant les
choses menacent sans cesse de déborder. Elles débordent d’ailleurs, mais aux
moments choisis par l’écrivain. Ce doit être ce qu’il évoque quand il remercie
Ethan Canin : « Il a lu ce roman à un état embryonnaire et ses
encouragements m’ont permis de me dépêtrer des choix difficiles et des subtiles
anarchies à venir. »</span></p><p class="MsoNormal"><span style="font-family: Bitter;"><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Pour le dire vite, <i>Ohio</i>
est l’histoire de quatre lycéens et lycéennes de New Canaan (et quelques autres
autour) devenus adultes dans une période très compliquée. Ils étaient en cours
le 11 septembre 2001, un élan nationaliste a saisi quelques-uns d’entre eux, pressés
de s’engager dans l’armée pour combattre les forces du mal, en Afghanistan ou
en Irak. Tous n’en sont pas revenus, certains sont rentrés avec des blessures,
il n’en est pas un seul, même celui qui s’opposait avec virulence à la
propagande nationaliste, à n’avoir pas été marqué par la violence de
l’expérience.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">En outre, leurs copines ne les ont pas forcément attendus,
ce qui a pu provoquer de vives réactions, à un âge où le désir et l’amour se
confondent dans un brouhaha encombré d’alcool et de drogue, au milieu, pour ne
rien arranger, d’une crise économique qui en laisse beaucoup sur le carreau.</span></p><p class="MsoNormal"><span style="font-family: Bitter;"><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Toute une époque défile ainsi, elle n’est pas toujours belle
à voir dans la tête des « mecs qui composaient le pénible tissu de
l’adolescence masculine. »<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Mais l’agitation n’est pas moindre du côté des filles,
écartelées entre la découverte de la sexualité, qui est parfois une homosexualité
pas facile à vivre dans le coin, le besoin de reconnaissance, la cote des
footballeurs les plus appréciés, l’acceptation des pires saloperies qu’un
garçon trop aimé se croit permis d’imposer…<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Tout n’est pas noir cependant dans les échanges entre les
protagonistes. Il y a des moments de grâce pendant lesquels il semble qu’on
pourrait échapper au pire – quand deux aspirations se rencontrent dans le flou
du présent, l’avenir restant encore à dessiner. Il s’annonce menaçant, selon
les sombres prévisions de Walter Benjamin quand il parle de l’ange de
l’Histoire : « Là où nous apparaît une chaîne d’événements, il ne
voit, lui, qu’une seule et unique catastrophe, qui sans cesse amoncelle ruines
sur ruines et les précipite à ses pieds. »</span></p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Bienvenue en Ohio ! On
aurait tort de ne pas visiter ce théâtre des opérations resté dans l’ombre des
grands événements, où pulse le sang d’une génération sacrifiée.</span></p>Pierre Mauryhttp://www.blogger.com/profile/18035069557787798270noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-2836796277922006589.post-25858552083917750852020-10-28T17:01:00.005+03:002020-10-28T17:01:58.235+03:00La langue française orpheline d’Alain Rey<p style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Alain Rey avait 92 ans et vient de mourir, la preuve s’il en
était besoin que l’intérêt pour les mots, leur fréquentation assidue, le
questionnement du lexique et son éclaircissement (je pourrais continuer
longtemps la liste) entretiennent la santé, au moins mentale mais peut-être
bien physique aussi. Bref, Alain Rey n’est plus et je me désole car j’éprouvais
une admiration sans limites pour le travail de cet homme que j’avais rencontré
en 1992, à la parution de la première édition du <i>Dictionnaire historique de la langue française</i>.</span></p><p class="MsoNormal"><span style="font-family: Bitter;"><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">En sa mémoire, je republie l’article qui témoignait de mon
éblouissement.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><o:p><span style="font-family: Bitter;"> <table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><tbody><tr><td style="text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgd0ctLBNjQ12HgwzLke1tKBkKaQbeUSP5f-cKnCphE4bd7yEQRL8fsK4nh-109lhPUsJK8MezBjHc_CxJ_TmxGtQhcYGiSO5UXBUIOuYmw1WZKWSlkXulIE5g1g-JtvLibJaDBg1dwrkSW/s600/Alain_Rey%252C_2014_%2528cropped%2529.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" data-original-height="600" data-original-width="424" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgd0ctLBNjQ12HgwzLke1tKBkKaQbeUSP5f-cKnCphE4bd7yEQRL8fsK4nh-109lhPUsJK8MezBjHc_CxJ_TmxGtQhcYGiSO5UXBUIOuYmw1WZKWSlkXulIE5g1g-JtvLibJaDBg1dwrkSW/s320/Alain_Rey%252C_2014_%2528cropped%2529.jpg" /></a></td></tr><tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Photo Lionel Allorge</td></tr></tbody></table><br /></span></o:p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Rien de ce qui touche à la langue française n’est étranger à
Alain Rey. On lui doit déjà, en tout ou en partie, le <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Grand Robert</i>, leurs petits frères, différents travaux sur le
français, et même le <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Dictionnaire des
littératures de langue française</i>. Il est donc bien davantage qu’un
lexicographe puisqu’il s’intéresse directement à la chair des mots avec
laquelle les écrivains ont recouvert leur squelette.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Il fallait donc bien qu’un jour, avec ses collaborateurs, il
se penche sur un des aspects quasiment absents des dictionnaires habituels :
l’histoire des mots. Elle commence par l’étymologie, qui remonte ici jusqu’aux
sources les plus lointaines, c’est-à-dire quand il le faut aux racines
indo-européennes. Elle se poursuit par les variations non seulement
orthographiques mais aussi sémantiques : les mots en effet n’ont pas
toujours eu le même sens, et l’histoire des modifications du sens est une des
plus passionnantes qui soit.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">C’est bien simple : malgré les difficultés de
manipulation des deux gros volumes de ce <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Dictionnaire
historique de la langue française</i>, voilà un livre de chevet qu’on ne se
lasse pas de consulter, et pas seulement par besoin : pour le plaisir !
La vie des mots tient en haleine autant que celle de personnages romanesques, et
l’ensemble est un corps vivant qui fait penser à la société. Quelle fresque
étonnante que celle-là, à laquelle on découvre, chaque fois qu’on flâne dans ce
dictionnaire, des facettes nouvelles.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">En outre, des articles plus encyclopédiques, consacrés à des
notions indispensables à l’histoire de la langue – cela va des autres langues
qui ont influencé la nôtre jusqu’à des notions comme la francophonie ou la
question de la datation – complètent le dictionnaire proprement dit par des
réflexions pertinentes.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Ce qui tombe bien pour la promotion de ce dictionnaire, c’est
que la langue française a mille ans : un bel anniversaire, qu’on peut
fêter avec ces deux volumes.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">« Ça tombe bien, mais
il se trouve que c’est vrai »</i>, se justifie Alain Rey. <i style="mso-bidi-font-style: normal;">« Le premier texte, Les Serments de
Strasbourg, existe en 842. Bien entendu, on parlait cette langue-là avant, on
sait que les gens ne comprenaient plus le latin. Vers le sixième ou septième
siècle, les dialectes gallo-romans existaient déjà. Mais on ne peut pas, à ce
moment, parler d’autre chose que d’un ensemble de dialectes. À partir du
neuvième siècle, très progressivement les choses changent et très précisément
dans les vingt dernières années du dixième siècle, il y a la convergence de
plusieurs faits : d’une part l’apparition de textes qu’on peut vraiment
appeler littéraires et, d’autre part, un changement de dynastie. Avec les
Capétiens, qui n’ont d’ailleurs qu’un tout petit pouvoir, la monarchie
française se développe en même temps qu’une communauté d’expression garantie
par une langue. »</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">En se plongeant complètement dans l’histoire du français, Alain
Rey a été amené à revoir quelques idées reçues, à commencer par celle qui donne
au français des origines le statut d’un dialecte parmi d’autres, devenu langue
dominante par le hasard d’une royauté…<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-family: Bitter;">« Il faut savoir
que ce français n’est pas un dialecte parmi d’autres mais que c’est un réglage.
En Ile-de-France, les gens parlaient un ensemble de dialectes apparentés, suivant
les frontières, au picard, au champenois, etc. Au milieu, il n’y a pas de
dialecte propre, il y a une répartition… »<o:p></o:p></span></i></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Les siècles passent, et un ensemble de pouvoirs aux
caractéristiques diverses imposent le français pour en faire ce qu’il est
aujourd’hui : les écrivains, les savants, les politiques, mais aussi le
peuple l’ont tant modifié en mille ans que le texte des <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Serments de Strasbourg</i> est devenu illisible. Alain Rey s’interroge
d’ailleurs sur le sentiment d’éloignement éprouvé par le lecteur ou le
spectateur d’une pièce quand un respect excessif pour la version originale l’empêche
de tout saisir.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">« Un enfant, aujourd’hui,
ne comprend pas les </i>Fables<i style="mso-bidi-font-style: normal;"> de La
Fontaine si on ne les lui explique pas, il ne comprend même pas certains
chapitres de Balzac ou de Zola. Molière, s’il est regardé par des Allemands ou
par des Chinois, le sera en allemand moderne ou en chinois moderne. Ils auront
donc un meilleur accès au contenu que les Français. On dirait que les seules
personnes au monde qui ne peuvent plus lire parfaitement Shakespeare, ce sont
les anglophones, les seules qui ne peuvent plus bien lire Cervantès, ce sont
les hispanophones et celles qui ne peuvent pas bien lire Molière, ce sont les
francophones. C’est un sacré paradoxe ! »<o:p></o:p></i></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Ce dictionnaire permet de lever un certain nombre d’ambiguïtés
éprouvées à la lecture de Molière, pour rester sur cet exemple. À une nuance
près : <i style="mso-bidi-font-style: normal;">« La meilleure source
pour comprendre Molière, c’est Furetière, parce que c’est fait à la même époque.
Mais, pour lire Furetière même, il faut un dictionnaire : ses explications
sont dans la langue qui pose elle-même un problème. Dans la définition du mot, il
y aura autant de difficultés que dans le mot, ce qui n’est pas idéal. »</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Avec les dates qu’on trouve dans le dictionnaire historique
dirigé par Alain Rey, il devient possible de savoir quelle était la
signification d’un mot à l’époque de Molière. Les chercheurs trouveront
peut-être que les sources auraient mérité d’être davantage citées : il
faut souvent, ici, se contenter d’une date sèche. Mais on aurait alors
largement débordé d’un volume qui, déjà maintenant, est plus copieux que ce qu’espérait
Alain Rey : <i style="mso-bidi-font-style: normal;">« Je rêvais d’un
volume qui aurait été l’équivalent du </i>Petit Robert<i style="mso-bidi-font-style: normal;"> »</i>, dit-il. On peut toujours rêver, en effet. Du moins ces
deux tomes, tels qu’ils sont actuellement, permettent-ils de suivre des
aventures langagières très réjouissantes pour l’esprit. Une autre façon de
rêver…</span></p>Pierre Mauryhttp://www.blogger.com/profile/18035069557787798270noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-2836796277922006589.post-46412545944397699212020-10-27T16:27:00.008+03:002020-10-27T16:28:21.702+03:00La dernière sélection du Goncourt, surprise ou non?<p style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">A lire la moitié des noms d’éditeurs présents dans la
dernière sélection du Goncourt, il n’y a pas de surprise : Gallimard et
Grasset, comme d’habitude.</span></p><p class="MsoNormal"><span style="font-family: Bitter;"><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">A lire l’autre moitié de ces noms, quelque chose d’un séisme
(mini-séisme, n’exagérons rien) a dû se produire pendant les mois
confinés-déconfinés (reconfinés ?) de 2020 qui ont bousculé l’édition et
retardé le calendrier de ce prix littéraire : Emmanuelle Collas et Verdier,
comme jamais (pas sûr pour Verdier cependant, même si je n’ai pas le souvenir d’un
livre paru là-bas et qui se serait trouvé auparavant dans le dernier carré du
Goncourt).<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Mais, bien sûr, ce n’est pas la répartition par maison d’édition
qu’il faut analyser. Seules les mauvaises langues prétendent que les mêmes
sont, à peu de choses près, toujours récompensées (à quoi les vertueux leur
répondent qu’elles sont les premiers choix des auteurs et autrices). Et, quand un
éditeur moins fréquenté remporte le gros lot, les mêmes mauvaises langues
affirment qu’il s’agit, pour l’académie Goncourt, de s’acheter à peu de frais un
gage de virginité. Renouvelé de loin en loin, très rarement pour tout dire.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Donc, allons à l’essentiel : les livres.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">La sélection est celle-ci :<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"></p><ul><li><i style="font-family: Bitter;">Les impatientes</i><span style="font-family: Bitter;"> de
Djaïli Amadou Amal (Emmanuelle Collas)</span></li><li><i style="font-family: Bitter;">L’anomalie</i><span style="font-family: Bitter;"> de
Hervé Le Tellier (Gallimard)</span></li><li><i style="font-family: Bitter;">L’historiographe du
Royaume</i><span style="font-family: Bitter;"> de Maël Renouard (Grasset)</span></li><li><i style="font-family: Bitter;">Thésée, sa vie
nouvelle</i><span style="font-family: Bitter;"> de Camille de Toledo (Verdier)</span></li></ul><p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Mon choix est clair : Hervé Le Tellier mérite le
Goncourt cette année.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">D’autant que le roman de Maël Renouard, vers lequel j’aurais
pu pencher également, a toutes les chances d’obtenir ce jeudi le Grand Prix du
roman de l’Académie française (mais il est déjà arrivé qu’un roman soit
couronné par les deux jurys, n’est-ce pas, Jonathan Littell ?).<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Quant à <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Thésée, sa vie
nouvelle</i>, c’est très beau mais je suis resté un peu froid devant la douleur
du narrateur.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Et si c’était Djaïli Amadou Amal ? Quel symbole !
Une femme, noire, d’Afrique, musulmane, qui parle de la polygamie vue de l’intérieur !
Le courage ne suffit pourtant pas au lecteur que je suis. Il eût fallu, aussi,
un talent que l’écrivaine n’a pas (encore ?).</span><o:p></o:p></p>Pierre Mauryhttp://www.blogger.com/profile/18035069557787798270noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-2836796277922006589.post-67197020124628318972020-10-15T06:49:00.003+03:002020-10-15T06:49:13.681+03:00Prix Landerneau des lecteurs : Lola Lafon<p style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: Bitter;"><a href="https://www.actes-sud.fr/catalogue/litterature/chavirer" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;" target="_blank"><img border="0" data-original-height="923" data-original-width="489" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiGwK0NX9AKfIAZkoP8oFDSUIGwzVI2PRn88k7zkIAXHOYlVRZTT4zAlBWtNR6ymj0ue1TX0TmkLhvdyR9Xj8ffveWEn-HMSNSLRIzKHJdIh_xxNySibUgliJLrizx8BlGfIh2hgvwcjvAM/s320/lafon.jpg" /></a></span></div><span style="font-family: Bitter;">On a presque terminé <i><a href="https://www.actes-sud.fr/catalogue/litterature/chavirer" target="_blank">Chavirer</a></i>,
le nouveau roman de Lola Lafon, et on l’est, chaviré, depuis un certain temps,
quand arrivent deux phrases à l’air d’une profession de foi. L’idée est
attribuée à Enid, une documentariste, mais elle est sans aucun doute ancrée aussi
dans l’esprit de l’autrice : <i>« Aux étudiants en cinéma, elle affirme
continuellement qu’elle n’a pas de méthode à leur transmettre. Elle sait
seulement ceci : il faut raconter ce qui hante. »</i></span><p></p><p class="MsoNormal"><span style="font-family: Bitter;"><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Par quoi Lola Lafon était-elle donc hantée quand elle a
écrit <i>Chavirer </i>? Par l’air du
temps, certainement, celui que souffle le hashtag #MeToo, mais aussi par le
besoin de construire un récit plus nuancé que les témoignages ne le sont
souvent sur ce terrain miné. Son personnage principal, Cléo, est certes une
victime. Mais « une mauvaise victime ». Et voilà comment dépasser
l’air du temps pour entrer dans l’esprit d’une adolescente qui n’a pas tout
compris aux codes dont elle dépend, qui utilise les zones d’ombre pour s’y
réfugier et devenir, du même coup, complice des prédateurs.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Cela pourrait être un parcours presque réussi. Cléo a treize
ans en 1984, ses parents l’ont poussée à prendre des cours de danse pour
qu’elle ne reste pas affalée devant la télé. Cléo n’appartient pas à la
meilleure société de sa ville de banlieue, le cours privé de Madame Nicolle
l’amène à côtoyer les élèves d’un collège huppé, à les entendre évoquer, comme
si c’était naturel, <i>« un week-end en Normandie, des vacances aux Baléares,
un séjour linguistique aux États-Unis. La voiture de maman, celle de papa. La
femme de ménage, la nounou. L’abonnement à la Comédie-Française et au théâtre
des Champs-Élysées. »</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Quand Cléo est détectée par Cathy, une chasseuse de talents,
qu’elle voit miroiter la possibilité d’une bourse grâce à laquelle sa vie
ressemblera à un rêve éveillé, elle emprunte sans se poser de questions le
chemin qui s’ouvre devant elle. Devenir pro, prendre la lumière… <i>« Le
futur ressemblait à une ivresse. »</i></span></p><p class="MsoNormal"><span style="font-family: Bitter;"><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Sinon qu’après l’ivresse vient la gueule de bois. La
fondation Galatée ne choisit que l’excellence après des entretiens qui suivent
l’acceptation du dossier. Pour celui-ci, une photo est nécessaire, dont Cathy
s’occupe en rétribuant Cléo – un billet de cent francs, le premier d’une longue
série – pour le temps qu’elle y a passé. D’ailleurs, cela en valait la
peine : un membre influent du jury a été séduit par le dossier (ou par la
photo ?) et veut rencontrer Cléo. Les premiers pas vers la gloire
supposent d’être détendue, souriante, les suivants mettent en valeur la
fraîcheur, l’envie d’être dévorée, la bouche, la langue, les doigts <i>« comme
des insectes agacés exaspérés de ne pas réussir à aller là où ils s’acharnaient
à aller quand même »</i>.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Cléo sent bien que quelque chose n’est pas normal. La honte
la gagne, mais ne faut-il pas en passer par là ? D’une certaine manière,
<i>« désirer vraiment la bourse,
était-ce désirer les doigts ? »</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">L’engrenage est puissant, y échapper demanderait une force
de caractère ainsi que la conscience des faits, et Cléo n’a ni l’une ni
l’autre. Manipulée, elle manipule à son tour, recrute la chair fraîche qu’elle
a été, en faisant miroiter les mêmes espoirs que Cathy lui avait laissé
entrevoir.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Tout cela est une histoire tragique de piège, de
demi-consentement, d’autorité malfaisante, de soumission plus ou moins
volontaire. <i>Chavirer</i> navigue dans des
eaux ambigües au sein desquelles le bien et le mal se confondent
dangereusement, à un âge précoce où il est impossible de discerner les limites
qui n’auraient pas dû être franchies.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Cléo grandira, elle dansera, même sans bourse, mais l’épisode
de la fondation Galatée, pendant lequel elle fut autant victime que coupable,
restera une tache durable sur son passé. Malgré celle-ci, Lola Lafon parle
merveilleusement de ces danseuses utilisées à peu près comme du bétail
décoratif, dans les ballets de Michel Drucker ou dans des salles de spectacle.
On sue et on souffre avec elles en même temps qu’on partage leur intimité. Le
réel nous happe.</span></p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Et pourtant, la plus belle
réussite de la romancière est de faire ressentir la violence faite par les hommes
aux petites filles en n’en disant presque rien. L’ellipse règne en outil
efficace de la suggestion. C’est derrière les mots du livre que s’avancent les
pincements au cœur qui saisissent à la lecture.</span></p>Pierre Mauryhttp://www.blogger.com/profile/18035069557787798270noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-2836796277922006589.post-3307616573543941212020-10-10T09:23:00.002+03:002020-10-10T09:24:51.154+03:00Javier Cercas, un passé familial qui ne passe pas (entretien)<p style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: Bitter;"><a href="https://www.actes-sud.fr/catalogue/pochebabel/le-monarque-des-ombres-babel" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;" target="_blank"><img border="0" data-original-height="749" data-original-width="468" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjJrp8uI3bR3hCzjY6VnEPanHQelB1FYjjZTjyN0hGQ4LQLEe_S9DzDcRWxuW-nSjqJ213EYLK9FUMOVRwpCcY7B8f-WCv8NrbJBzgbLEc9Kq0ETe3O7jlIAilWWQxbW_tdb6yP28oSiJgd/s320/cercas.jpg" /></a></span></div><span style="font-family: Bitter;">Quand on tente de décrire le passé, cela semble <i>« aussi difficile que saisir l’eau dans
ses mains »</i>, écrit Javier Cercas dans <i><a href="https://www.actes-sud.fr/catalogue/pochebabel/le-monarque-des-ombres-babel" target="_blank">Le monarque des ombres</a></i>. Traité avec autant de rigueur qu’Enric
Marco, le personnage de <i>L’imposteur</i>,
Manuel Mena était encore davantage un homme sur qui, comme l’écrivain le disait
du précédent, il ne voulait pas écrire. Le danger se situait, cette fois, dans
la proximité : ce fervent phalangiste au début de la Guerre d’Espagne
appartenait à sa famille. Mais, comme Javier Cercas nous l’explique, il aime la
complexité.</span><p></p><p class="MsoNormal"><span style="font-family: Bitter;"><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b><span style="font-family: Bitter;">Avez-vous, comme vous
le racontez, hésité avant de vous décider à écrire ce livre ? Pensiez-vous
vraiment confier la documentation à quelqu’un d’autre ?<o:p></o:p></span></b></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i>La réponse aux deux
questions est oui. </i>Le monarque<i> est le
premier livre que j’ai voulu écrire, parce que la première question complexe
que je me suis posée dans la vie est liée au destin de Manuel Mena, son
protagoniste – ou du moins, son protagoniste apparent – et, pour moi, écrire un
roman consiste à formuler une question complexe dans sa plus grande complexité
possible. La meilleure réponse à la
question de savoir pourquoi j’ai tant tardé à l’écrire se trouve dans le livre
lui-même, qui décrit son propre processus de composition. J’ai tant tardé parce
que la littérature est ce qui transforme le particulier en universel et il me
semblait extrêmement difficile de rendre universelle une histoire aussi
personnelle que celle de Manuel Mena. J’ai tant tardé parce que, quand j’étais
jeune, je pensais pouvoir refuser mon héritage familial le plus sordide – celui
de la guerre civile, celui de l’adhésion de ma famille à la cause franquiste,
dont Manuel Mena est le symbole –, et je n’avais pas compris, alors, que ce que
l’on peut faire de mieux avec son héritage c’est, d’abord, le connaître en
profondeur – ce qui n’a rien de facile – et, ensuite, le comprendre –
comprendre ne signifiant pas justifier mais précisément le contraire :
cela consiste à se doter des instruments qui empêchent de commettre les mêmes
erreurs. Pourquoi ? Parce que si l’on connaît et comprend l’aspect le plus
sordide de son héritage, on peut le contrôler ; faute de quoi, c’est lui
qui nous contrôle.<o:p></o:p></i></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b><span style="font-family: Bitter;">Vous écrivez
plusieurs fois, sous diverses formes : « je ne suis pas littérateur
et je ne peux pas affabuler ». S’agit-il d’un garde-fou à votre propre
usage, pour éviter une possible dérive ?<o:p></o:p></span></b></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><i><span style="font-family: Bitter;">C’est probable. J’alterne
dans ce livre les voix de deux narrateurs (ou celle d’un seul narrateur
dédoublé, si l’on préfère). D’un côté, la voix d’un historien, presque un
notaire, qui tente de reconstruire avec la plus grande précision et complexité
possibles une histoire du passé récent (l’histoire de Manuel Mena, de ma
famille et de mon village natal pendant les années 1920 et 1930, qui sont un
exact reflet de l’Espagne d’alors : « dépeins ton village et tu
dépeindras le monde » a dit Tolstoï). Ce narrateur parle de moi à la troisième
personne, me corrige, etc. ; c’est lui qui n’aime pas les littérateurs et
qui affirme qu’il ne peut pas fabuler parce que les historiens ne peuvent pas
fabuler. Mais, en alternance avec ce premier narrateur, j’en ai installé un deuxième
qui s’appelle Javier Cercas et qui, comme je le disais plus haut, raconte le
processus de composition du livre : mes doutes, mes perplexités, mes
voyages pour réunir la documentation et interroger des témoins, etc. ; un
narrateur plus souple que le précédent, qui a recours à l’humour et va même
jusqu’à inventer certaines choses (très peu). Le roman surgit du dialogue entre
ces deux narrateurs, entre le présent et le passé récent, et entre l’histoire
et la littérature. Avant d’avoir trouvé ce mécanisme – qui me permettait de me
mettre à distance de moi-même et de mon héritage tout en racontant la vérité et
en me plaçant à l’intérieur de l’histoire – je n’avais pas trouvé le livre, je
ne voyais pas le moyen de transformer le particulier en universel, de faire de
l’histoire de Manuel Mena l’histoire de millions et de millions d’adolescents
qui partent à la guerre dupés par les adultes, croyant que la guerre est noble
et utile, et dupés aussi par des idéologies toxiques qui, à l’instar du
fascisme dans les années 1930 ou de l’islamisme radical actuel, promettent le
paradis et finissent par créer l’enfer.<o:p></o:p></span></i></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b><span style="font-family: Bitter;">Manuel Mena est un
sujet passionnant mais délicat. On aimerait le détester franchement, ce n’est
pas si simple. Avez-vous évolué de la même manière ?<o:p></o:p></span></b></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><i><span style="font-family: Bitter;">En effet. Mon
intention était, comme je l’ai dit, de comprendre et non de juger. Je crois que
c’est notre obligation en tant que personnes, mais surtout en tant
qu’écrivains. Et ce que j’ai compris ce sont certaines vérités embarrassantes,
comme par exemple que les meilleurs individus, mus par les élans les plus
nobles (l’idéalisme, la générosité, le courage), peuvent commettre les pires
erreurs. C’est un constat à la fois évident et très difficile à accepter pour
la plupart des gens qui généralement préfèrent le confort d’un mensonge beau et
simple à l’embarras que cause une vérité complexe et désagréable. Voilà
pourquoi beaucoup préfèrent le mensonge à la vérité ; et c’est toujours le
mensonge qui l’emporte.<o:p></o:p></span></i></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b><span style="font-family: Bitter;">Vous analysez des documents
parfois erronés. Mais la mémoire, écrivez-vous, est « encore moins
fiable ». N’est-ce pas toujours le cas quand vous rencontrez les témoins
d’une époque passée ?<o:p></o:p></span></b></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i>Absolument. Et c’est
pourquoi il ne faut ni sacraliser la mémoire ni cesser de soumettre à la
critique les propos des témoins d’un fait. C’était le thème de mon précédent
livre </i>L’imposteur<i> que </i>Le monarque<i> vient, au fond, compléter.<o:p></o:p></i></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"><i>Les témoins sont
essentiels pour la reconstruction du passé mais, comme la mémoire est fragile,
ils peuvent se tromper (et même essayer de nous tromper délibérément, comme le
faisait le protagoniste de </i>L’imposteur<i>).
Renoncer à soumettre à la critique la mémoire des témoins, c’est renoncer à la
vérité.<o:p></o:p></i></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><b><span style="font-family: Bitter;">Pourquoi est-il si
important d’écrire sur le passé ?<o:p></o:p></span></b></p>
<i><div style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Parce que le passé – et
surtout le passé pour lequel subsistent une mémoire et des témoins, qui est
celui qui m’intéresse –, n’est pas encore passé : il est une dimension du
présent ; et sans elle, le présent est mutilé. C’est pourquoi, même si
parfois ce n’est pas évident, mes livres parlent toujours du présent : ils
essaient, en fait, de démontrer que le présent est plus riche et plus complexe
qu’il n’y paraît et qu’il englobe aussi le passé immédiat. Et que sans ce passé
le présent manque de sens. Pour le reste, si elle ne nous aide pas à comprendre
le présent – et à essayer d’éviter les erreurs du passé – l’histoire ne sert
presque à rien.</span></div></i>Pierre Mauryhttp://www.blogger.com/profile/18035069557787798270noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-2836796277922006589.post-92097433836742200522020-10-01T07:38:00.003+03:002020-10-01T07:38:15.033+03:00Œdipe en Turquie<p style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: Bitter;"><a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio/La-Femme-aux-Cheveux-roux" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;" target="_blank"><img border="0" data-original-height="329" data-original-width="200" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgACpTcpUzww83z0oL-v7qiwzfy3vuNDMgbok0mPYbPRy2z31wYAN35hMcaAND_jQhTsoUA1e2ngU-4Awo7UgRH-M2M9lDBmiAgO6tK8Qi2rkCRFGS5S6qBl2PzqCkNqYWHmT40nJSr_xp3/s320/Pamuk.jpg" /></a></span></div><span style="font-family: Bitter;">Cem a seize ans, son pharmacien de père a disparu. Non en
raison de ses opinions politiques qui lui avaient valu un noble emprisonnement
quelques années plus tôt. Mais pour une autre femme que la sienne. Le lycéen,
qui rêve de devenir écrivain, qui aide d’ailleurs un libraire, ne se fait
aucune illusion sur l’homme qui l’a engendré. Pour gagner un peu plus d’argent
qu’à la librairie, Cem va accompagner un puisatier sur un chantier qui
s’éternise, dépenser ses jeunes forces à chercher de l’eau qu’on ne trouve pas,
et provoquer, la faute à la fatigue, un accident dont il fuit les conséquences
– choisissant d’ignorer d’ailleurs ce qu’elles sont, tant il craint le pire.</span><p></p><p class="MsoNormal"><span style="font-family: Bitter;"><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Le travail qu’il a accompli là change tout dans sa vie.
D’abord, il a trouvé en Maître Malmut un père de substitution : sévère,
mais juste. Ensuite, il a rencontré, dans ce qui n’est pas encore un faubourg
d’Istanbul, une femme rousse avec laquelle il fait l’amour et qui occupera ses
pensées bien plus longtemps que prévu. Enfin, tout est en place pour rejouer
une histoire que Cem a lue quand il puisait ses lectures dans les rayons du
libraire, celle d’Œdipe.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Le mythe a donné naissance à bien des œuvres, pas seulement
littéraires d’ailleurs. Il est si lourd de sens qu’il peut donner naissance à
de multiples interprétations sans jamais perdre sa charge fondamentale où se
mêlent le destin et les rapports familiaux.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Orhan Pamuk s’en est emparé à son tour dans son nouveau
roman, <i><a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio/La-Femme-aux-Cheveux-roux" target="_blank">La femme aux cheveux roux</a> </i>(traduit par Valérie Gay-Aksoy).
Comme il se doit, le récit s’avance derrière des masques d’apparence anodine –
si un premier amour est anodin, ou la fuite d’un père, ou un accident, ou une
vocation contrariée. Il est, quoi qu’il en soit, implacable. D’autant que se
superpose, à la tragédie d’Œdipe, celle de Rostam, tirée d’une épopée
iranienne : le père y tue le fils, comme dans une image en miroir qui trouble
la vision globale – et trouble en particulier Cem, obsédé par les deux récits. <i>« C’est à cette période-là que, dans le
cours de la vie ordinaire, je pris l’habitude de comparer les pères et les fils
que je rencontrais avec Œdipe et Rostam »</i>, reconnaît-il dans un roman
dont il est le narrateur.</span></p><p class="MsoNormal"><span style="font-family: Bitter;"><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Son intérêt ne faiblissant pas, alors qu’il est marié avec
Ayse sans espoir de descendance, son épouse commence à partager cette lecture
du monde : elle y <i>« voyait une
rêverie autour du fils que nous n’avions pas eu »</i>. Au moins, pas de
fils pour Cem, donc pas de meurtre programmé, ni Œdipe ni Rostam. En principe…</span></p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Orhan Pamuk est un
romancier retors – et fascinant. On peut lire son livre comme une histoire
d’amour. Ce n’est pas faux. On peut en tirer des leçons sur les strates du sol,
le savoir du puisatier, celui de l’ingénieur. <i>La femme aux cheveux roux</i> est cela aussi, et bien d’autres choses.
Mais, surtout, un courant souterrain l’anime, qui emporte personnages et
lecteurs dans un même flux dont la direction se précisera petit à petit.</span><o:p></o:p></p>Pierre Mauryhttp://www.blogger.com/profile/18035069557787798270noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-2836796277922006589.post-4492348205432246012020-09-30T07:06:00.001+03:002020-09-30T07:06:20.911+03:00La faute à pas de chance – ou à Chris Offutt<p style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;"></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: Bitter;"><a href="https://www.gallmeister.fr/livres/fiche/397/offutt-chris-nuits-appalaches" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;" target="_blank"><img border="0" data-original-height="300" data-original-width="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiMaopuLbM8J_dyFh8z85mPfd-r6_FRk4VwTkTY_h0hFLxfM47dZvgGOsRamPV2FnGFTjTOJpUtnjEfr8jrM5dOpm9WF92pQHxdx-dUOwqmWimNrqpgaZpBpsHWgoJpLq5i2k4bo2BIEIkD/s0/Offutt.jpg" /></a></span></div><span style="font-family: Bitter;">Tucker n’a pas encore dix-huit ans et, en 1954, sa longue
marche l’a amené au Kentucky : il rentre chez lui après avoir participé à
la guerre de Corée. L’expérience qu’il n’aurait pas connue sans mentir sur son
âge en s’engageant l’a mûri. <i>« C’était la guerre de Truman, pas celle de
Tucker, mais il avait tué et avait failli se faire tuer, et il avait vu des
hommes trembler de peur et pleurer comme des enfants. »</i> Il possède 440
dollars et onze médailles, ainsi qu’un embryon de morale et une détermination
absolue.</span><p></p><p class="MsoNormal"><span style="font-family: Bitter;"><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">La bravoure manifestée au combat se réveille quand il tombe
sur un viol : l’oncle de Rhonda s’est arrangé pour se retrouver seul avec
elle, son désir accru par le jeune âge de sa nièce – elle a quinze ans. Tucker,
généreux guerrier, sauve la belle et laisse la vie sauve au criminel, il est de
la famille. Presque de la sienne puisque l’événement rapproche tant les jeunes
gens qu’ils se marient.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Dix ans plus tard, dans la deuxième partie du roman, Hattie,
assistante sociale, accompagnée de son chef Marvin, se rend chez Tucker et
Rhonda. Le premier est absent – il est au travail, on saura lequel plus tard.
Rhonda déprime, c’est logique : seule Jo, parmi leurs quatre enfants, ne
souffre d’aucun handicap. Deux petites filles prostrées et un garçon d’une
dizaine d’années complètent une famille que Hattie fréquente régulièrement et
qu’elle estime surtout malchanceuse. Tandis que Marvin, qui la découvre, est choqué
et envisage pour les enfants un placement immédiat…</span></p><p class="MsoNormal"><span style="font-family: Bitter;"><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">D’une part, cette existence à l’écart du monde, selon des
normes peu communes et correspondant, malgré tout, à un certain équilibre
interne. D’autre part, le représentant de l’ordre social et moral, imaginant
qu’il suffit de déplacer des enfants pour que la paysage retrouve une apparence
paisible.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Le débat est posé, mais il ne se prolongera qu’en filigrane
de la trajectoire qui conduit Tucker, transporteur d’alcool illégal pour un
gros bonnet de ce trafic, vers la case prison. Où il fera un séjour plus long
que prévu, ce qui ennuie tout le monde : lui-même, bien entendu, son boss,
qui le paie pour cela, et Rhonda, désormais sans ses enfants.</span></p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: Bitter;">Les <i><a href="https://www.gallmeister.fr/livres/fiche/397/offutt-chris-nuits-appalaches" target="_blank">Nuits appalaches</a></i>, de Chris Offutt, sont noires comme un roman de la
même couleur. Elles sont néanmoins traversées d’une humanité qui, pour ne pas
s’embarrasser de douceur (c’est un euphémisme), ne déroge à certains principes.
On est à la fois horrifié et séduit.</span></p>Pierre Mauryhttp://www.blogger.com/profile/18035069557787798270noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-2836796277922006589.post-55017031550326812632020-09-29T05:29:00.000+03:002020-09-29T05:29:12.492+03:00Vincent Message place « Cora dans la spirale »<p style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;"></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: arial;"><a href="https://www.editionspoints.com/ouvrage/cora-dans-la-spirale-vincent-message/9782757880449" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;" target="_blank"><img border="0" data-original-height="600" data-original-width="364" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiOnbUiktQxRv8HGdZf2yJeYfjLEawgFb7e2FjDQPT0U8wsQvaqwVnFcOVYwwwxFjFikG0lWd4rKQyJeVzajrJ2Qdjvo7VbFzZIFPFwzwI-CZeEGVPq4ZwkQnzjr7DFaXHIUVyl3VLHaJ6e/s320/message.jpg" /></a></span></div><span style="font-family: arial;"><br />Vincent Message, avec son troisième roman, poursuit une
démarche cohérente où l’imagination se met au service d’une interprétation du
monde – de notre monde contemporain. <i><a href="https://www.editionspoints.com/ouvrage/cora-dans-la-spirale-vincent-message/9782757880449" target="_blank">Cora dans la spirale</a></i> est l’histoire d’une jeune femme aspirée par un système de
management qui vise à l’efficacité totale, à la rentabilité maximale, et tant
pis pour celles et ceux qui ne se montrent pas à la hauteur ou ne sont pas
assez malléables pour se plier avec docilité aux lois du moment.</span><p></p><p class="MsoNormal"><span style="font-family: arial;"><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Chez Borélia, une compagnie d’assurances en pleine
transformation – plus tard, on pourra dire restructuration –, l’entreprise
familiale a cédé aux sirènes d’un groupe plus important. « Big is
beautiful », n’est-ce pas ? Cora voit venir les changements avec un
peu de crainte car elle vient de rentrer d’un congé de maternité – et la petite
Manon, si elle enchante sa vie avec Pierre, ne simplifie pas l’organisation de
la vie quotidienne. Mais, forte de ses qualités reconnues dans le secteur du
marketing où elle se trouve, elle imagine traverser sans trop de mal
l’inévitable tempête.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Bien entendu, rien ne se passe comme prévu. La marche d’une
entreprise est un rouleau compresseur qui fait peu de cas des individus et les
états d’âme ne sont rien devant les buts poursuivis. Que Cora tombe amoureuse
de Delphine, membre de la mission de conseil chargée d’optimiser le
fonctionnement des différents secteurs, qu’elle s’attache à aider un réfugié
malien en quête de paix après la guerre qu’il a fuie, ainsi que d’une
autorisation de séjour en France, ce ne sont que des détails dans une histoire
globale.</span></p><p class="MsoNormal"><span style="font-family: arial;"><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">C’est pourtant à ce genre de détails que Mathias s’attache
quand il tente de reconstituer, longtemps après des événements dont on
apprendra pourquoi ils le touchent de près, ce qui est arrivé jusqu’au drame.
De celui-ci, n’en disons pas rien, car il est longtemps annoncé, menace à
l’horizon, et, à l’évidence, il se concrétisera le moment venu – laissons-le donc
venir, il est assez brutal pour justifier l’attente.</span></p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">D’autant que cette attente
est nourrie d’une vie examinée sous tous les angles, comme s’il s’agissait de
rédiger un portrait long format. Très long format. Les aspirations de Cora
étaient bien plus grandes que le territoire sans cesse rétréci que lui ont
laissé les années. « 30 ans seulement, et de moins en moins de vies
possibles », a-t-elle écrit dans un des carnets qui retracent par bribes
quelques épisodes du passé, avec les hauts et les bas d’une sensibilité parfois
exacerbée. Mais qui nous touche à chaque instant.</span></p>Pierre Mauryhttp://www.blogger.com/profile/18035069557787798270noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-2836796277922006589.post-74273479572229741632020-09-21T07:16:00.001+03:002020-09-21T07:17:11.059+03:00Lola rouge se joue de l’espace<p style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;"></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: arial;"><a href="https://www.actes-sud.fr/catalogue/pochebabel/requiem-pour-lola-rouge-babel" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;" target="_blank"><img border="0" data-original-height="749" data-original-width="468" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgGEJSPw4ZjZ1Ys7MtPKwZcYiHogi5z-wSZMk0opEpptAIim2Ftz7luUon2ew1lLZRGGmlw2-veJhFBX9n7T8ko5L5FYy-UKJvkwM0h9XIXeWrpBjeGLrS1SbZzusHlX2n9NY8F4bdvnQ26/s320/Ducrozet.jpg" /></a></span></div><span style="font-family: arial;">Brûlant comme un premier amour, ce qu’un premier roman n’est
pas à chaque fois. Ou brûlant comme un amour définitif, premier et dernier,
après toi il n’y aura plus personne, et qu’y aura-t-il après le premier
roman ? Poser la question, c’est savoir qu’il n’y a pas de réponse dans <i><a href="https://www.actes-sud.fr/catalogue/pochebabel/requiem-pour-lola-rouge-babel" target="_blank">Requiem pour Lola rouge</a></i> (au
moins jusqu’au deuxième roman, depuis 2010 on est rassuré), mais reconnaître la frénésie manifestée par
Pierre Ducrozet. Assez contagieuse pour laisser une trace, assez entraînante
pour suivre un jeune homme amoureux jusqu’au bout du monde, dans une démarche
imitatrice, puisque lui-même suit Lola partout, Lola perdue et retrouvée,
depuis la nuit où il l’a rencontrée.</span><p></p><p class="MsoNormal"><span style="font-family: arial;"><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Mais peut-être rêvait-il et n’a-t-il plus cessé depuis. <i>« Je ne sais plus si je rêve ou si je
suis rêvé »</i>, écrit le narrateur, P. Que fume-t-il ? Avec quoi se
pique-t-il ? C’est la littérature, peut-être, qui l’a mis dans cet état,
il faudra se souvenir de ces lignes, glissées dans la deuxième page comme une
promesse ou une menace : <i>« Un
ami m’avait passé un livre, les </i>Chants de Maldoror<i>, tu verras, m’avait-il dit. J’avais vu. Ça m’avait cramé les circuits.
Les mots, des vipères – j’en finis par le déchirer, ce foutu bouquin, une nuit
d’hiver à s’en esquinter la vie – page par page, oui, jusqu’à le jeter,
ensanglanté, dans un coin de l’appartement. »</i> Après ça, comment s’étonner
que plus rien ne soit pareil ? Que Lola se pointe ? Qu’elle agace et
soit indispensable, qu’elle traverse les murs et l’espace ?<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Une musique rythmée, que l’on imagine jouée par un
saxophoniste déhanché, finit d’emporter l’adhésion, à moins qu’elle soit au
début de celle-ci. Tout est lié dans ce livre, le ton et des événements invraisemblables,
l’invention verbale et la dérive sociale – P. est une sorte d’assistant-cambrioleur,
dont une bande d’authentiques voleurs se sert pour faire ouvrir les portes,
parce qu’il présente bien et peut inspirer confiance.</span></p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">P. est un menteur congénital. D’où le fait, se dit-on avec l’impression
d’avoir compris, qu’il a tout inventé. Sinon qu’il se ment d’abord à lui-même,
depuis toujours, pour échapper au réel. Et, cette fois-ci, le réel lui échappe.
Personne ne pourra le croire, forcément. Sauf le lecteur, qu’il bouscule agréablement.
Voilà qui change de la routine. Traverser la rue devient une aventure, puisque
peut-être Lola rouge sera sur l’autre trottoir et que, soudain, au lieu d’être
à Montmartre, on sera à Lisbonne, ou au Vietnam. Et, l’instant d’après, sur la
route de Bangkok. Parce que Lola a disparu entre-temps, bien sûr.</span></p>Pierre Mauryhttp://www.blogger.com/profile/18035069557787798270noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-2836796277922006589.post-20546639687595582020-09-14T06:52:00.001+03:002020-09-14T06:52:06.349+03:00Nicolas Mathieu raconte une tranche de réel<p style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;"></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://www.actes-sud.fr/catalogue/pochebabel/leurs-enfants-apres-eux-babel" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;" target="_blank"><img border="0" data-original-height="749" data-original-width="468" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgJEiiV_ZWoy5BZfAUyCZnDW4LLPl5zwzkDHu7bcDUy1U5uqfulggscOu8cREmsmulJJtf6aCKum5cW_gat_J_uz-yd2xo7ujTbqCqauno9OA-ApY_0ZofWGnAztUU_H2zm66W-CXyJ7Wa9/s320/mathieu.jpg" /></a></div>Nicolas Mathieu, 42 ans, né à Epinal, a le vent en
poupe : son premier roman, <i style="font-family: arial;">Aux animaux
la guerre</i><span style="font-family: arial;">, paru en 2014 dans la collection Actes noirs, a été adapté par
Alain Tasma en six épisodes d’une série pour France 3 ; le deuxième, </span><i style="font-family: arial;"><a href="https://www.actes-sud.fr/catalogue/pochebabel/leurs-enfants-apres-eux-babel" target="_blank">Leurs enfants après eux</a></i><span style="font-family: arial;">, toujours chez
Actes Sud mais dans la série de littérature, lui a valu le Goncourt en 2018.</span><p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Les deux romans se déroulent dans la région d’origine de
l’écrivain. La ville industriellement sinistrée de Heillange est le décor de <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Leurs enfants après eux</i>. Sinistre,
forcément sinistre, cette ville sur laquelle ne règnent pas Anthony et Hacine,
deux personnages principaux que tout oppose. La rouille a envahi les aciéries
désaffectées, les habitants sont aussi tristes que leur environnement, même si
les jeunes écoutent Nirvana en 1992 et frémissent au parcours de l’équipe de
France au Mondial de football en 1998. Ce sont les deux dates butoirs entre
lesquelles le roman se déroule et l’ambiance ne s’est améliorée que de manière
très superficielle.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">D’ailleurs, tout le monde veut quitter Heillange puisqu’il
n’y a pas d’avenir sur place, autre que la répétition des beuveries, du feu
d’artifice du 14 juillet, de la baston, des amours pas très gaies. Certains
voudraient réagir, comme le proclame Pierre Chaussoy : <i style="mso-bidi-font-style: normal;">« le temps du deuil est fini. Ça fait
dix ans maintenant qu’on pleure Metalor. À chaque fois qu’on parle d’Heillange,
c’est pour évoquer la crise, la misère, la casse sociale. Ça suffit.
Aujourd’hui, nous avons le droit de penser à autre chose. A l’avenir, par
exemple. »</i> Mais le président de l’association qui gère le club
nautique pense surtout à sa propre carrière politique. Et se moque pas mal, au
fond, de savoir si sa fille Steph, qui fascine Antony, est heureuse…<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">De ces dialogues de sourds, Hacine a cherché à s’enfuir.
Faire fortune ailleurs, laisser tomber les entretiens qui ne débouchent jamais
sur une embauche, passer du côté de l’illégalité grâce à la drogue qui se
cultive bien au bled, blanchir l’argent ensuite – c’est là que ça coincera,
pour un retour peu glorieux afin d’éviter de plus gros ennuis encore. Au fond,
les histoires de moto volée, cramée, avec juste retour des choses au moment où
l’on croyait le conflit apaisé, restent moins graves, tant pis si elles sont
vécues sans enthousiasme.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Nicolas Mathieu raconte avec justesse la vie grise d’un
groupe d’adolescents piégés par le lieu où ils n’ont pas choisi de naître. Son
roman social qui ne se donne pas pour tel est une tranche de réel comme aucun
sociologue n’oserait en écrire. Il faut être romancier pour le faire.</span><o:p></o:p></p>Pierre Mauryhttp://www.blogger.com/profile/18035069557787798270noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-2836796277922006589.post-10113368432315581722020-09-13T08:40:00.004+03:002020-09-13T08:40:21.144+03:00« Merci », le mot-clé du dernier roman de Delphine de Vigan<p style="text-align: justify;"><a href="https://www.livredepoche.com/livre/les-gratitudes-9782253934288" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;" target="_blank"><img border="0" data-original-height="435" data-original-width="269" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEicsUiO42VpS3qRBaRLorEolOsGNdcYAbuV44lzZKN3SX3Y2-mrZnrrovduY9kXRIph1SRELN5OctVtGAveHRf-NwoRFj6rJTrViTZ57fpgHHrKC9zxn61vEwPpG9jDCUrPOVQ2h3ALlQzg/s320/vigan.jpeg" style="text-align: left;" /></a><span style="font-family: arial;">En refermant </span><i style="font-family: arial;"><a href="https://www.livredepoche.com/livre/les-gratitudes-9782253934288" target="_blank">Les gratitudes</a></i><span style="font-family: arial;">, le dernier roman de Delphine de Vigan, on quitte des
personnag</span><span style="font-family: arial;">es</span><span style="font-family: arial;"> tous positifs et pourtant le livre est formidable. L’autrice ne
doit pas avoir grande considératio</span><span style="font-family: arial;">n pour l’aff</span><span style="font-family: arial;">irmation d’André Gide : </span><i style="font-family: arial;">« Ce n’est pas avec de bons sentiments
qu’on fait de la bonne littérature. »</i><span style="font-family: arial;"> Affirmation balayée avec
assurance.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Pour l’essentiel, il</span><span style="font-family: arial;">s sont trois protagonistes dont deux
prennent en charge la narration à tour de rôle : Marie et Jérôme. Ils sont
jeunes mais se croisent – sans se rencontrer – dans une maison de retraite
Ehpad (Etablissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, selon la
terminologie française). Ils y rendent visite, à des moments différents, à une
vieille dame, Michka. Celle-ci s’est beaucoup occupée de Marie qui, sans elle,
aurait été laissée à elle-même à une époque où elle avait besoin </span><span style="font-family: arial;">d’une famille.
Quant à Jérôme, les heures qu’il passe dans la chambre de Michka ont une
motivation professionnelle : il est orthophoniste et tente de rééduquer
celle qui a perdu une partie de ses moyens d’expression.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Michka avait compris tout de suite, même si la façon qu’elle
avait eu de le dire à l’opératrice appelée dans un moment de panique : <i>« Je suis en train de perdre. »</i>
Perdre quoi ? Le dire est d’autant plus difficile que c’est l’outil même
de la parole qui se déglingue. Ce qui domine, quand Marie arrive chez elle,
avant l’installation à l’Ephad, c’est la peur. La peur ne la quittera plus, car
Michka conserve une certaine lucidité envers son avenir. En témoigne ce bout de
dialogue avec Jérôme, lors de sa première visite :</span></p><p class="MsoNormal"><span style="font-family: arial;"><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-family: arial;">« — Ça ne va pas
s’arranger, n’est-ce pas ?<o:p></o:p></span></i></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-family: arial;">— Quoi donc ?<o:p></o:p></span></i></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">— Tout ça. Tout ce qui
s’en va, s’enfuite, c</i></span><i style="font-family: arial; mso-bidi-font-style: normal;">omme ça, à toute vitesse. Ça ne va pas s’arranger ? »</i></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Devant l’évidence, Jérôme ne pourra pas nier : <i style="mso-bidi-font-style: normal;">« On peut ralentir les choses, mais on
ne peut pas les arrêter. »</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">La situation est terrible, surtout pour une femme qui fut
correctrice dans un journal. Sentir les mots lui échapper est tragique et, pour
nous qui lisons comment elle remplace un terme par un autre, c’est un
crève-cœur. Heureusement, l’effet comique produit par les dérapages verbaux de
Michka est irrésistible : on devine tout ce qu’elle veut dire avec son
vocabulaire involontairement créatif et un sourire naît souvent devant ses
phrases, ce qui allège l’atmosphère.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">L’humanité profonde de chaque personnage resplendit,
souveraine. Diminuée mais pas idiote, Michka demande à Marie de lancer une
recherche sur une famille qui l’a hébergée quand elle était encore enfant,
pendant la Seconde Guerre mondiale. Il s’agit, même tardivement, de dire
« merci ». Un mot qui compte, ou pas, selon </span><span style="font-family: arial;">qu’il est prononcé
distraitement ou vient du fond de l’âme, et auquel sont consacrées les
premières pages du roman : </span><i style="font-family: arial; mso-bidi-font-style: normal;">« Vous
êtes-vous déjà demandé combien de fois dans votre vie vous aviez réellement dit
merci ? Un vrai merci. L’expression de votre gratitude, de votre
reconnaissance, de votre dette. »</i></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;">Les gratitudes</i>, au
fond, ne parle que de cela : les dettes contractées auprès d’autres
personnes, et pas toujours remboursées. Michka, Marie et Jérôme se doivent
beaucoup les uns aux autres. Ils le savent, la romancière leur donne l’occasion
de l’exprimer, parfois avec maladresse mais toujours avec honnêteté. Après <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Les loyautés</i> et peut-être avant
d’explorer les ambitions, Delphine de Vigan poursuit l’exploration de ce qui
nous anime.</span><o:p></o:p></p><br />Pierre Mauryhttp://www.blogger.com/profile/18035069557787798270noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-2836796277922006589.post-81239991813979685312020-09-10T05:39:00.000+03:002020-09-10T05:39:07.319+03:00Le Congo belge de Barbara Kingsolver n’est pas celui de Tintin<p style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;"></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: arial;"><a href="https://www.payot-rivages.fr/rivages/livre/les-yeux-dans-les-arbres-2ieme-ed-poche-9782743628864" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;" target="_blank"><img border="0" data-original-height="342" data-original-width="220" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhRCtrmvAHswRCvByZ_1X9NcF8nryjjsT7D6z_69KjAvS1AlS9Lsrxqjnnn18lHrSi4FxHJee_wpaIX5bvegpTtbtHqNpBXiQ6JizxHvLqMg1hqAKbuFZn6o1DMmYGXh6RSzfX2lAzv4AaM/s320/Kingsolver.jpg" /></a></span></div><span style="font-family: arial;">Dans son gros roman à cinq voix, <a href="https://www.payot-rivages.fr/rivages/livre/les-yeux-dans-les-arbres-2ieme-ed-poche-9782743628864" target="_blank"><i>Les yeux dans les arbres</i> </a>(traduit par Guillemette Belleteste), l’Américaine
Barbara Kingsolver emmène une famille au Congo belge, en 1959. Par quel hasard ?
Celui qui y a fait vivre, comme elle le révèle dans un avant-propos, ses
parents : <i>« Des gens qui, en
tant que personnels de santé, ont été attirés au Congo par la compassion et la
curiosité. »</i> Mais, précise-t-elle, les personnages de son roman n’ont
rien à voir avec sa famille. Heureusement pour elle : Nathan Price, le
père du roman, est un pasteur intransigeant et, donc, peu commode. Il fait
penser souvent à ces coopérants partis vers des pays émergents, comme on ne le
disait pas encore à l’époque, emplis de la volonté farouche d’imposer la
civilisation, la seule civilisation possible – la leur – à ceux qui, selon eux,
souffrent de ne pas la connaître. Oubliant au passage que ce qu’on ne connaît
pas ne peut pas manquer.</span><p></p><p class="MsoNormal"><span style="font-family: arial;"><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Nathan Price est de ces hommes-là, fort de ses convictions
baptistes imposées déjà à sa famille, soit son épouse Orleanna et ses quatre
filles – Rachel, l’aînée, Leah et Adah, les jumelles, Ruth May, la plus jeune. De
la Géorgie à Kilanga, il y a bien plus qu’un voyage, si compliqué soit-il – on
se régale des pauvres stratagèmes par lesquels il faut passer pour emporter les
suppléments de bagages. Il y a surtout un changement de monde, avec les
manifestations extérieures qui lui sont liées : une autre langue, un autre
paysage, un autre climat, une autre nourriture, une autre manière de vivre. Avec,
aussi, des différences invisibles pour qui ne veut pas les voir : des
croyances bien installées, d’excellentes raisons pratiques pour renoncer à
certains rites, des structures sociales répondant à une culture ancienne, etc.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Il va de soi que le pasteur n’a aucune intention d’en tenir
compte. Son projet consiste à répandre la bonne parole sans plier. Quelles que
soient les difficultés. Certes, il apprend vite quand il s’agit d’adapter le
mode de culture aux conditions locales. Mais, s’agissant de la foi et de ses
représentations rituelles, il sera inflexible, au risque de s’attirer la
réprobation générale.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">La figure de Nathan Price domine le roman mais nous n’entendons
sa voix que rapportée par son épouse ou ses filles. Celles-ci, surtout, racontent
leur vie sous l’angle qui correspond à leur caractère individuel. Rachel est
dotée d’une intelligence moyenne et s’intéresse à des choses futiles. Leah et
Adah sont surdouées bien que la seconde souffre d’un handicap depuis sa
naissance. Ruth May est trop jeune pour avoir été moulée par la société
américaine et est la plus à l’aise dans le village congolais. Leurs tons variés,
parfois même leurs interprétations différentes des mêmes événements, fournissent
au roman une épaisseur peu commune puisqu’une réalité unique est envisagée sous
plusieurs formes et cela correspond, somme toute, assez bien à la distance
créée par l’étrangeté du Congo pour des Américaines.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">En 1960, c’est l’indépendance. Lumumba est élu, le Katanga
fait sécession, Lumumba est assassiné, Mobutu prend le pouvoir, ce sera le
début d’une nouvelle ère dont Leah, restée sur place, sera le témoin. Mais la
famille, entre-temps, a explosé. A force de résistance, le pasteur a réussi à
démolir tout ce qui pouvait l’être, et toujours avec cette même merveilleuse
inconscience. Ruth May est morte, les autres femmes n’ont échappé aux dangers
qu’avec beaucoup de chance, le père s’est enfoncé dans la forêt… A l’image d’un
pays que, pour une fois, elles imitent dans leur ensemble, l’unité des femmes
se défait, chacune suivant son destin en fonction de ses aspirations.</span></p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;"><i>Les
yeux dans les arbres</i> est
un roman passionnant dans lequel le choc entre les cultures provoque
catastrophes et prodiges, et dont les personnages vivent des moments
historiques sans s’en rendre compte. Mieux instruit, le lecteur ne s’y trompe
pas et prend la mesure des limites humaines. Celles que refusait le pasteur Price.</span></p>Pierre Mauryhttp://www.blogger.com/profile/18035069557787798270noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-2836796277922006589.post-80883997572248770782020-08-23T07:57:00.000+03:002020-08-23T07:57:25.363+03:00Le Prix Maison rouge aux crabes rouges de Dorothée Janin<p style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;"></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: arial;"><a href="https://www.fayard.fr/litterature-francaise/lile-de-jacob-9782213713168" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;" target="_blank"><img border="0" data-original-height="540" data-original-width="340" height="432" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgb830OOhv03GY0OdXQ6jcGXYMy4hph5im8n-1MQkcFNABq6hl9IiBMz4DpKJZjVlt-7h_ImJdP1koGRhN3E9OKfz7ZbP6FTNiyoTOYufxWJb2lJ_fLaJIMW6qHe4VxKwW4XlWnGisym9GO/w272-h432/janin.jpeg" width="272" /></a></span></div><span style="font-family: arial;">C’est un prix littéraire encore marginal, mais la plupart de
celles et ceux qui l’ont baptisé Maison rouge, du nom d’un établissement de
Biarritz, possèdent une réputation (une surface ?) qui lui promet une
notoriété croissante, s’il dure. Le jury se compose de Philippe Djian, Frédéric
Beigbeder, Frédéric Schiffer, Isabelle Carré, Dominique de Saint Pern, Diane
Ducret, Claude Nori et Jean Le Gall. En outre, ils avaient élu l’an dernier l’excellent
<i>Chroniques d’une station-service</i>, d’Alexandre
Labruffe. Le choix de 2020 n’est pas mal non plus : <i><a href="https://www.fayard.fr/litterature-francaise/lile-de-jacob-9782213713168" target="_blank">L’île de Jacob</a></i>, de Dorothée Janin.</span><p></p><p class="MsoNormal"><span style="font-family: arial;"><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Dans l’île en question, qui s’appelle Christmas Island, le
narrateur est arrivé adolescent, en compagnie de son père. Il y avait là des
mines de phosphate et des crabes rouges, espèce locale envahissante mais
protégée. Des millions de crabes rouges, que Werner Herzog était venu filmer,
fasciné comme nous le sommes dans la description que fait la romancière de leur
présence. Quand ils se mettent en mouvement, ils couvrent tout, on n’entend qu’eux.
Un bruit qui continue de hanter le narrateur, longtemps après : <i>« maintenant quand je suis sur le
continent et que j’entends des rats fouiller les poubelles – j’habite un quartier
très propre, très bien, mais toutes les nuits c’est pareil – il faut que je me
force pour ne pas penser que ce sont des crabes. »</i><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Plus un gamin, pas encore un homme, le garçon rêve de
rencontrer là une fille, <i>« au moins
une jeune asiatique bienveillante à mon égard »</i>. Le désir court tout le
temps qu’il passe sur l’île, mais il est pollué par d’autres préoccupations. La
présence de Jacob Cazaly, réputé sexy, auréolé d’une réputation de tombeur – <i>« des kilotonnes de touristes »</i>,
des Allemandes dont les maris étaient à la pêche au gros – et tout à coup
replié sur la protection (ou la garde rapprochée) de Nisaï. Elle venait du Sri
Lanka, elle avait échoué sur Christmas Island comme beaucoup d’autres
clandestins qui finissaient enfermés au « centre d’accueil et de
traitement de l’immigration ». Car l’île était devenue une prison
australienne, un territoire éloigné sur lequel les règles du droit d’asile n’avaient
pas cours.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-left: 35.4pt; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">On pouvait indéfiniment détenir
les gens qui étaient là en attendant de décider quoi en faire et où les
renvoyer. Selon les cauchemars de saison dominaient les Tamouls, les Hazaras d’Afghanistan, les Kurdes. Ils
étaient un peu plus nombreux que les habitants de l’île, leur nombre augmentait
chaque année.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Des réfugiés, des crabes en
sursis, un homme plein de mystères et, à y regarder de près, peut-être
menaçant, c’est plus qu’il n’en faut pour déstabiliser le narrateur et appeler,
en écho d’une catastrophe écologique globale, une catastrophe intime dont
Vicky, présente à cette époque, retrouvée plus tard, prend peut-être la mesure.
Ou pas.</span></p>Pierre Mauryhttp://www.blogger.com/profile/18035069557787798270noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-2836796277922006589.post-17900506751039925252020-08-22T07:43:00.003+03:002020-08-22T07:43:28.835+03:00Vinca Van Eecke, le rêve fracassé<p style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;"></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: arial;"><a href="https://www.seuil.com/ouvrage/des-kilometres-a-la-ronde-vinca-van-eecke/9782021461237" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;" target="_blank"><img border="0" data-original-height="292" data-original-width="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgIuw3EspzjkQEYdiRhHC-zc7e7i2ybus4Dpn-WGbzpWhnsZSVRdX4QqeeSQk7wpsLpO5vfYKiqHpd-5si2kamWnVgIIziMkUJpwbQgIC0bvCmt7_Y5MJFRyYSj3WfZhQ0bJGRmS9q5Y-YM/s0/vaneecke.jpg" /></a></span></div><span style="font-family: arial;">Pourquoi la jeune narratrice du premier roman de Vinca Van
Eecke, <i><a href="https://www.seuil.com/ouvrage/des-kilometres-a-la-ronde-vinca-van-eecke/9782021461237" target="_blank">Des kilomètres à la ronde</a></i>,
s’entiche-t-elle d’une bande de loubards de province, forts en gueule, toujours
les premiers pour faire du bruit dans les rues et échapper mine de rien au
système dans lequel ils sont sans le savoir déjà enfermés puisqu’ils sont du
genre à travailler tôt ? Et pourquoi ça dure, pourquoi est-ce encore avec
eux qu’elle brûle ses cours du lycée après avoir réussi le bac ? <i>« Peut-être parce que les contraires se
subjuguent »</i>, avance-elle avec précaution, et parmi d’autres
« peut-être », dans un prologue qui donne le ton. Plus tard,
l’explication se fait plus précise, bien qu’elle soit incapable de la
transmettre à sa mère qui s’inquiète de ses fréquentations : <i>« la grâce »</i>.</span><p></p><p class="MsoNormal"><span style="font-family: arial;"><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-left: 35.4pt; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Une intelligence du mouvement,
une connivence au monde, qui faisaient que, de tout temps, les gens comme moi,
voués à s’asseoir dans des amphithéâtres, avaient été subjugués par les gens
comme eux et cherchaient leurs mots pour décrire ce truc indéfinissable après
lequel on soupirait sans fin.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Ils s’appellent Phil, son frère Buddy le bègue, Mallow,
Jimmy, José, Reno et Chuck, pour la plupart – Jimmy est l’exception – ce sont
des surnoms qui tentent de dire ce qu’ils veulent être, dans la lignée d’une
mythologie nord-américaine. Prolongée, ça tombe bien, avec la découverte des
Doors et du destin brisé de Jim Morrison.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Mais la belle insouciance n’a qu’un temps, il faut bien un
jour redevenir sérieux – les accidents de la vie sont là pour rappeler que
celle-ci ne se déroule jamais selon le programme que l’on pensait suivre sans
fin. On a traversé la moitié du roman sur un rythme allègre, sans se poser de
questions (à peine la narratrice est-elle effleurée, parfois, de légers
doutes), et voilà que le poids d’un cercueil semble marquer un basculement
définitif vers autre chose. Est-ce que ça s’appelle grandir, la rencontre avec
le malheur ?<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-left: 35.4pt; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Frottés au même macadam depuis
des années, nos enthousiasmes ne produisaient plus que de vagues étincelles.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Roman de formation, <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Des
kilomètres à la ronde</i> dit, et de belle manière, de la manière qui râpe
quand c’est nécessaire, l’indispensable rêve de l’adolescence tenu encore à
bout de bras pendant quelques années d’une vie d’adulte – et comment le rêve se
fracasse sur le réel, laissant des traces qui oscillent entre nostalgie et
cicatrices, à moins qu’il s’agisse de la nostalgie des blessures qui ont causé
ces cicatrices.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Par certains aspects, plus discrets mais présents malgré
tout, c’est aussi le roman des oubliés de la société française, dans une région
– en lisière du Morvan – qui laisse peu de possibilités de participer à la
compétition sociale à laquelle d’autres, ailleurs, se livrent avec tant
d’énergie. L’énergie est présente chez ces jeunes aussi, mais ils ne trouvent
pas, parce qu’on ne leur en donne pas l’occasion, de meilleure manière d’être
dépensée qu’en vaines activités dévoreuses de temps. On brûle, mais on brûle en
vain.</span><o:p></o:p></p>Pierre Mauryhttp://www.blogger.com/profile/18035069557787798270noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-2836796277922006589.post-81513032022054783472020-08-21T06:32:00.005+03:002020-08-21T06:32:59.922+03:00Le Prix Stanislas à Laurent Petitmangin, côté obscur<p style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;"></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: arial;"><a href="https://www.lamanufacturedelivres.com/livres/fiche/181/petitmangin-laurent-ce-qu-il-faut-de-nuit" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;" target="_blank"><img border="0" data-original-height="360" data-original-width="216" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjaVawBVbTPhSQp8LOpp8O9PWeOSyv0F5WsL7LwzvngBYZbbBVK58O2P8qZolSybVNGYMKvwv74aFuvzPGWuP9ToXlyPoJsLKTz0Oacok2cwfBr0l9WXCshg3xAuBHW3NZlFyI_iQfiD_DH/s0/Petitmangin.jpg" /></a></span></div><span style="font-family: arial;">Le premier roman de Laurent Petitmangin, <i>Ce qu’il faut de nuit</i>, arrive précédé
d’une agréable rumeur : les éditeurs étrangers se l’arrachent, c’est la
divine surprise. Du genre qu’avaient provoqué Gaël Faye en 2016 ou Adeline
Dieudonné deux ans plus tard ? Allez savoir… Ma boule de cristal ne me dit
rien à ce sujet, mais je l’ai lu et je n’en pense que du bien. Le Prix
Stanislas, attribué hier, lui sera en tout cas remis le 12 septembre à
Nancy.</span><p></p><p class="MsoNormal"><span style="font-family: arial;"><o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Fus, qui s’appelle Frédéric mais qui a été rebaptisé ainsi à
cause du <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Fußball</i>, y joue, au foot, le
dimanche. Y va, aussi, voir Metz, dont il est fan avec son père, quand l’équipe
joue à domicile. Fus est le moteur du récit, ce qu’il est et ce qu’il deviendra
en forment la colonne vertébrale. Son petit frère Gillou a un début de vie plus
lisse, tourné vers l’excellence. Leur mère est morte d’un cancer, c’est leur
père, qui travaille à la SNCF et à travers les yeux duquel nous allons suivre
toute cette histoire, qui s’occupe d’eux. Comme il peut, pas trop mal, en fait.
Même s’il sera amené à se poser bien des questions à ce sujet.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Il a tracté, il a collé, parcours de militant socialiste en
héritage familial qui n’empêche pas la sincérité. Il en est pourtant revenu,
sans pour autant avoir changé d’idées, et se contente de retrouver de temps en
temps ses potes à la section, autour d’un gâteau. Seul le jeune Jérémy a remis
un peu de carburant pour que la flamme ne s’éteigne pas, lui qui cherche à
tracer sa voie vers la politique, y faire carrière, peut-être, suivi par
Guillou qui lui emboîte le pas.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Quant à Fus, il a vaguement décroché, pris une voie de
garage avant d’emprunter des chemins de traverse plus hasardeux. Il s’éloigne,
il se fait des potes, passe du temps avec eux, revient un jour avec un bandana
marqué d’une croix celtique.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-left: 35.4pt; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">« Fus, c’est quoi cette
croix ? – Pa, j’en sais rien, c’est juste un bandana prêté par un pote. –
Fus, si tu ne le sais pas, je vais te le dire, c’est une croix celtique !
Une croix celtique ! Bon Dieu, Fus, tu portes des trucs de facho
maintenant ? – Pa, calme-toi, c’est un bandana d’ultra, pas de facho. Ça
vient de la Lazio, de leur virage nord. C’est leur truc de reconnaissance.
C’est Bastien qui les collectionne. »<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">À l’exact opposé de son socialiste de père, Fus fraie avec
le FN, trouve que ces types ne sont pas si mal, une gêne s’installe même avec
Jérémy, son ami de toujours. La dérive est active : Fus aussi colle des
affiches, comme avait fait son père, mais pour le camp d’en face, les ennemis,
les racistes.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-left: 35.4pt; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Quoi qu’on fasse, quoi qu’on
veuille, c’était fait : mon fils avait fricoté avec des fachos.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">L’idée n’est pas facile à accepter, la suite le sera encore
beaucoup moins, quand les débats d’idées, fussent-elles simplistes, se
transforment en haine, en baston, en coups qui font vraiment mal – et que germe
l’idée d’une vengeance.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Dit comme ça, le roman peut paraître binaire. Mais, entre le
blanc et le noir (le bien et le mal ?), s’installe une zone de gris, faite
de silences, de progressive acceptation, de concessions mutuelles. Jusqu’au
moment, du moins, où il sera trop tard pour revenir en arrière, sans qu’il soit
possible de comprendre à quel moment les choses se sont articulées jusqu’à cela
– que je ne vous dirai pas, et qui fait un choc quand on l’apprend abruptement
avant d’en découvrir les détails.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-left: 35.4pt; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">J’avais finalement compris que la
vie de Fus avait basculé sur un rien. Que toutes nos vies, malgré leur
incroyable linéarité de façade, n’étaient qu’accidents, hasards, croisements et
rendez-vous manqués. Nos vies étaient remplies de cette foultitude de riens,
qui selon leur agencement nous feraient rois du monde ou taulards.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Dans un monde qui se défait, les liens familiaux ont perdu
une grande partie de leur signification et ne suffisent en tout cas pas à
rattraper celui qui va tomber. Peut-être le phénomène n’est-il pas nouveau. Il
est, quoi qu’il en soit, décrit ici avec une efficacité que l’écriture hachée
de Laurent Petitmangin renforce, avec une forte influence de l’oralité.</span><o:p></o:p></p>Pierre Mauryhttp://www.blogger.com/profile/18035069557787798270noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-2836796277922006589.post-86934196342055077322020-08-20T08:20:00.000+03:002020-08-20T08:20:01.953+03:00Comment être lesbienne et musulmane<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;"></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: arial;"><a href="http://www.leseditionsnoirsurblanc.fr/la-petite-derniere-fatima-daas-9782882506504" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;" target="_blank"><img border="0" data-original-height="391" data-original-width="250" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiUROOsl1hqqKDBlA-rc133pl9qZ3oaWzCk3g5FULn_SjZ8c-n7It3AxgOtMYusopxgUmYa9NjIfbR4ax-WCBkwPX_u3BWDVDbCBHOHXT2zSEaYAKFowU_p1SfQS8E2XC3uA8hHGuWwu9Dj/s0/daas.jpg" /></a></span></div><span style="font-family: arial;">Avec Virginie Despentes pour marraine – ou
l’équivalent : préfacière –, Fatima Daas arrive avec un premier roman fort
d’un atout majeur. Et argumenté : <i>« Le
monologue de Fatima Daas se construit par fragments, comme si elle updatait
Barthes et Mauriac pour Clichy-sous-Bois »</i>, écrit Virginie Despentes à
propos de <i><a href="http://www.leseditionsnoirsurblanc.fr/la-petite-derniere-fatima-daas-9782882506504" target="_blank">La petite dernière</a></i>. On ne
lui donnera pas tort, car son livre permet la rencontre d’une voix prégnante
qui s’avance avec précaution mais insistance, jusqu’à s’imposer par le jeu des
répétitions et des déplacements.<o:p></o:p></span><p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;"><i>« Je m’appelle
Fatima. » « Je m’appelle Fatima Daas. »</i> Les fragments commencent
presque tous ainsi, affirmation d’une identité (celle de la romancière ou de
son personnage ? on ne cherchera pas à démêler les faits et la fiction)
revendiquée ou nécessité de le dire et le redire en raison d’une incertitude
qu’elle cherche à lever, sachant qu’elle a peu de chances d’y parvenir. Plus le
texte se déroule par à-coups, plus on penche pour la deuxième explication, tant
Fatima ressent un malaise qui nous gagne.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;"><i>« Je porte le nom
d’un personnage symbolique en islam. Je porte un nom auquel il faut rendre
honneur. »</i> Et tout le livre dit combien elle se sent destinée à
transgresser ce qu’elle devrait être. Dans un groupe d’amis, elle est la seule
fille – <i>« mais je ne le sais pas
encore »</i>, ajoute-t-elle. Car elle se cherche une identité sexuelle
qu’elle découvre peu compatible avec les préceptes de sa religion. Elle
consulte un imam, au prétexte de lui poser des questions sur le cas d’une amie.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-left: 35.4pt; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">J’ai une amie lesbienne
musulmane. Tout le monde pense que ça n’existe pas. Je veux dire être musulman
et homosexuel. On lui dit que l’homosexualité est un phénomène social, une
notion occidentale pas adaptée à des personnes musulmanes. Je voulais avoir
votre avis, comment la conseiller, comment faire pour qu’elle ne se sente pas
excommuniée.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Sans surprise, les réponses ne la satisfont pas. Elle n’est
pas, elle ne sera décidément pas une bonne musulmane. En outre, Nina, dont elle
est amoureuse, la tient à distance, lui laisse entendre que jamais elle ne sera
pour elle ce que Fatima voudrait qu’elle soit. Et, comme les causes de malaise
se nourrissent les uns des autres, plantant leurs racines vives dans un sol
fécond, ses voyages en Algérie, le pays de ses parents, où ses deux sœurs sont
nées, agrandissent le fossé qui la séparent de ce qu’elle devrait être.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-left: 35.4pt; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">J’ai l’impression de laisser une
partie de moi en Algérie, mais je me dis à chaque fois que je n’y retournerai
pas.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Mais cette phrase est
écrite dans un carnet, car la porte de sortie se trouve peut-être dans
l’écriture, dans le roman – qu’elle racontera, ou pas, à sa mère, qu’elle nous
raconte en tout cas, avec le bouillonnement intérieur qui conduit, dans
l’urgence, dans la nécessité, à ce livre.</span></p>Pierre Mauryhttp://www.blogger.com/profile/18035069557787798270noreply@blogger.com0