André Brink se livre probablement beaucoup dans L'amour et l'oubli, une vaste rétrospective - romanesque, il faut quand même le souligner - des femmes qu'un écrivain a aimées.
L'écrivain s'appelle Chris Minnaar, son parcours est différent de celui d'André Brink, mais il y a entre les deux vies assez de points d'intersection pour que cela ressemble à une autobiographie, sur un plan au moins : l'engagement personnel contre l'apartheid. Pour ce qui est de la vie amoureuse d'André Brink, après tout, quelle importance ?
Celle de Chris Minnaar, en revanche, nous concerne au premier chef. Nous l'accompagnons pendant près de 500 pages avec l'impression de recevoir ces confidences en cadeau. Elles viennent d'un homme qui vient de voir mourir Rachel, dont il est certain qu'elle restera sa dernière femme. Rachel a été sauvagement agressée - l'Afrique du Sud d'après l'apartheid n'est pas devenue un paradis, le romancier fait bien de nous le rappeler - et est entrée dans un profond coma. Chris ne l'avouera qu'à la toute fin du livre : il a été à deux doigts de commettre un geste définitif pour abréger les souffrances de Rachel.
Le jour même de la mort de sa maîtresse, Chris entreprend de lui rendre hommage - à elle et aux autres. « Et c'est pourquoi j'aime mes femmes et chacune d'entre elles : chacune a été adorée, chacune a été nécessaire. J'ai toujours été bien présent, pleinement là, dans le lit de l'amour, aimant la réalité d'un corps précis, chaque particularité, chaque détail, chaque palpitant signe de vie. »
Le récit commence dès l'enfance, dans un milieu rigoriste où les secrets du sexe ne sont pas dévoilés. Mais se donnent à connaître par hasard. Il pourrait, au fil du temps, se transformer en catalogue de conquêtes. Il ne tombe jamais dans ce travers épuisant. Toujours l'exaltation des sens est au rendez-vous, qui aiguillonne l'esprit et lui donne une plus grande vivacité. Elle lui fournit aussi les premières occasions de transgression : l'Immorality Act, qui interdit les rapports sexuels entre races différentes, est allégrement bafoué par Chris à tout âge - et il découvrira que son père, un parangon de vertu, avait cédé lui aussi à la tentation.
Toutes ces femmes, en Afrique du Sud, à Londres ou à Paris, ont constitué l'homme qu'il est devenu.
Et ce sont elles encore, resurgissant en foule de sa mémoire, qui lui permettent de rompre avec le syndrome de la page blanche dont il souffrait depuis plusieurs années.
Pendant le temps où Chris rédige ce texte, la guerre d'Irak fait rage, qu'il suit la nuit à la télévision comme un spectacle dont les enjeux lui paraissent bien obscurs. A la fin de l'ouvrage, la guerre se termine, le laissant avec une sensation de vide, et sa mère meurt.
Si l'on veut extraire une réflexion qui, pour celle-là au moins, appartient autant au personnage qu'à André Brink, ce sera celle-ci : « L'Afrique du Sud était devenue la seule femme que je ne pourrais jamais, en fin de compte, quitter, parce qu'elle-même refusait de me quitter. Jusqu'à ce que la mort nous sépare. »
L'écrivain s'appelle Chris Minnaar, son parcours est différent de celui d'André Brink, mais il y a entre les deux vies assez de points d'intersection pour que cela ressemble à une autobiographie, sur un plan au moins : l'engagement personnel contre l'apartheid. Pour ce qui est de la vie amoureuse d'André Brink, après tout, quelle importance ?
Celle de Chris Minnaar, en revanche, nous concerne au premier chef. Nous l'accompagnons pendant près de 500 pages avec l'impression de recevoir ces confidences en cadeau. Elles viennent d'un homme qui vient de voir mourir Rachel, dont il est certain qu'elle restera sa dernière femme. Rachel a été sauvagement agressée - l'Afrique du Sud d'après l'apartheid n'est pas devenue un paradis, le romancier fait bien de nous le rappeler - et est entrée dans un profond coma. Chris ne l'avouera qu'à la toute fin du livre : il a été à deux doigts de commettre un geste définitif pour abréger les souffrances de Rachel.
Le jour même de la mort de sa maîtresse, Chris entreprend de lui rendre hommage - à elle et aux autres. « Et c'est pourquoi j'aime mes femmes et chacune d'entre elles : chacune a été adorée, chacune a été nécessaire. J'ai toujours été bien présent, pleinement là, dans le lit de l'amour, aimant la réalité d'un corps précis, chaque particularité, chaque détail, chaque palpitant signe de vie. »
Le récit commence dès l'enfance, dans un milieu rigoriste où les secrets du sexe ne sont pas dévoilés. Mais se donnent à connaître par hasard. Il pourrait, au fil du temps, se transformer en catalogue de conquêtes. Il ne tombe jamais dans ce travers épuisant. Toujours l'exaltation des sens est au rendez-vous, qui aiguillonne l'esprit et lui donne une plus grande vivacité. Elle lui fournit aussi les premières occasions de transgression : l'Immorality Act, qui interdit les rapports sexuels entre races différentes, est allégrement bafoué par Chris à tout âge - et il découvrira que son père, un parangon de vertu, avait cédé lui aussi à la tentation.
Toutes ces femmes, en Afrique du Sud, à Londres ou à Paris, ont constitué l'homme qu'il est devenu.
Et ce sont elles encore, resurgissant en foule de sa mémoire, qui lui permettent de rompre avec le syndrome de la page blanche dont il souffrait depuis plusieurs années.
Pendant le temps où Chris rédige ce texte, la guerre d'Irak fait rage, qu'il suit la nuit à la télévision comme un spectacle dont les enjeux lui paraissent bien obscurs. A la fin de l'ouvrage, la guerre se termine, le laissant avec une sensation de vide, et sa mère meurt.
Si l'on veut extraire une réflexion qui, pour celle-là au moins, appartient autant au personnage qu'à André Brink, ce sera celle-ci : « L'Afrique du Sud était devenue la seule femme que je ne pourrais jamais, en fin de compte, quitter, parce qu'elle-même refusait de me quitter. Jusqu'à ce que la mort nous sépare. »
Je suis justement plongée dedans et dans quelques autres... Je vous mets en lien, vous m'aiderez à faire le tri, j'aimerais comme vous passer mon temps à lire, que du temps volé malheureusement par bribes...
RépondreSupprimerJe termine ce merveilleux roman, cette "autobiographie fictive" d'un don juan vieillissant. Chris Minnaar le nom de son personnage veut dire amant en Afrikaans...mais A. Brink est toujours le grand écrivain de ses premiers romans
RépondreSupprimerJe préfère ses premiers romans mais il reste toujours ce grand écrivain.
RépondreSupprimerMerci pour ce billet très juste et très complet, vous parlez très bien de ce roman.