lundi 29 mars 2010

Zapculture : spécial Salon du Livre

Je profite du Salon du Livre de Paris pour vous abreuver, aujourd'hui, de sons renvoyant à l'écrit sous toutes ses formes. Car le numérique fait parler de lui, nous ne manquerons pas d'écouter ce qu'on en dit. Le Zapculture de la semaine est téléchargeable en passant par le casque...

L'actualité culturelle du Rendez-vous (France Culture) présente brièvement les grandes tendances de la littérature d'aujourd'hui, comme on le fait dans les saisons de défilés. Autofiction et alterfiction sont au rendez-vous. (0'25"-2'19")

Le téléphone sonne (France Inter) avait rassemblé un plateau de spécialistes pour répondre aux questions multiples et variées des auditeurs à propos du livre numérique. Nous entendrons successivement:
Thierry Pech, d'Alternatives Economiques (qui publie une enquête sur La révolution du livre), évoquer le problème du prix du livre numérique;
Virginie Clayssen, Présidente des Commissions Numérique et Nouvelles technologies du Syndicat national de l'Edition, et chargée chez Editis du développement numérique et de la veille sur les domaines du numérique et de l'édition, parler du rôle des libraires;
Olivier Donnat, sociologue, qui a dirigé l'étude du Ministère de la Culture et de la Communication sur "Les pratiques culturelles à l'ère numérique", chargé de recherches au Département des études, de la prospective et des statistiques, nuancer la place du numérique en fonction des secteurs d'édition;
François Gèze, Président des Editions La Découverte, évoquer les progrès à venir. (2'19"-4'38")

Mais tout n'est pas rose dans l'univers électronique, comme le prouvent trois extraits du Rendez-vous. Ainsi, les chercheurs éprouvent des difficultés à lire les archives que Salman Rushdie leur a confiées (4'38"-5'14"). Nina Bouraoui réagit en évoquant, non sans nostalgie, le temps où elle écrivait sur des cahiers Clairefontaine (5'14"-6'08"). Et les créateurs de bande dessinée montent au front pour défendre leurs droits (6'08"-7'36").

Retour vers le livre papier pour les dernières séquences, consacrées à deux romancières primées pendant le Salon du Livre.
Je vous ai parlé déjà de La centrale, d'Elizabeth Filhol, et de son prix France Culture/Télérama.
J'ignorais qu'elle avait fait preuve d'une grande discrétion depuis la sortie de son livre en janvier, au point de n'avoir donné aucun entretien à une radio ou à une télévision. Cette lacune est comblée grâce à Tout arrive (France Culture). Elisabeth Filhol explique en quoi l'univers d'une centrale nucléaire lui semblait se prêter au cadre d'un roman. Elle ne s'était pas trompée. La technologie est un terrain que, comme tous les autres, la littérature est capable d'investir pour nous aider, sinon à la comprendre, au moins à l'approcher avec la sensibilité particulière de l'écriture. (7'36"-8'41")

Quant à Kim Thúy, elle a reçu le prix RTL/Lire pour Ru, que je n'ai malheureusement pas lu mais que Laissez-vous tenter (RTL) vous présente avec elle. Cette Québécoise d'origine vietnamienne s'est inspirée de sa vie pour écrire un roman qui a été très bien accueilli. L'éditeur le décrit ainsi:
Une femme voyage à travers le désordre des souvenirs: l'enfance dans sa cage d'or à Saigon, l'arrivée du communisme dans le Sud-Vietnam apeuré, la fuite dans le ventre d'un bateau au large du golfe de Siam, l'internement dans un camp de réfugiés en Malaisie, les premiers frissons dans le froid du Québec. Récit entre la guerre et la paix, Ru dit le vide et le trop-plein, l'égarement et la beauté. De ce tumulte, des incidents tragi-comiques, des objets ordinaires émergent comme autant de repères d'un parcours. En évoquant un bracelet en acrylique rempli de diamants, des bols bleus cerclés d'argent ou la puissance d'une odeur d'assouplissant, Kim Thúy restitue le Vietnam d'hier et d'aujourd'hui avec la maîtrise d'un grand écrivain. (8'41"-9'57")

A la semaine prochaine...

dimanche 28 mars 2010

Jean-Baptiste Del Amo et Paris qui pue

Le prix Goncourt du premier roman 2009 est paru en poche, et c'est une bonne nouvelle, car Une éducation libertine, de Jean-Baptiste Del Amo, mérite d'être découvert.
Avait-on déjà peint une Seine si noire? Dans le magnifique premier roman de Jean-Baptiste Del Amo, elle charrie toutes les sanies de la ville, la peau de ceux qui y travaillent se couvre de squames répugnantes, une tête de bébé ou un cadavre de bourgeois y traîne parfois. Pour Gaspard, qui vient d’arriver à Paris, elle est le lieu de son premier emploi précaire quand il est chargé, avec d’autres compagnons d’infortune, de récupérer des trains de troncs d’arbre. Elle est aussi le rappel d’un autre fleuve, près de Quimper, où s’est achevée la poursuite d’un cochon et la vie de son père.
De Quimper à Paris, c’est la même crasse. Faite de sang et de lisier dans une enfance marquée aussi par un monstrueux accouchement de sa mère. Faite de déjections diverses et d’une persistante odeur de mort dans une capitale qui, dans les années 1760, offre au jeune homme des perspectives d’ascension sociale, même s’il a commencé sa carrière plus bas que terre, dans une misère répugnante et une promiscuité moite.
Gaspard possède quelques atouts sous sa dégaine de paysan mal dégrossi: il est joli garçon et ne manifeste pas le moindre signe de sens moral. Arriviste, il utilise donc ses armes sans aucun scrupule, séduisant des hommes situés de plus en plus haut dans la hiérarchie sociale afin d’atteindre le statut de parvenu dont il rêve. Sous les assauts répétés d’amants dont il se lasse vite, il n’éprouve guère de plaisir. Et ne pense qu’à la suite, quand il gravira un nouvel échelon…
Libertin, Gaspard n’est cependant pas un parfait cynique. La corruption des chairs au milieu desquelles il se vautre faute de mieux correspond chez lui à une corruption de l’âme dont il prend de mieux en mieux conscience. Il aimerait extirper le mal qu’il devine dans son corps, contre lequel il aimerait se battre. La lutte est inégale entre l’ambition et la perception sourde d’une douleur née des années plus tôt. Aux blessures de l’enfance répondent alors celles que s’inflige Gaspard, dans une tentative désespérée de quitter la spirale de la débauche où il est entré.
Ce roman pue. Pour la bonne cause: les odeurs délétères qui flottent au-dessus de ses pages sont le reflet d’une probable réalité à laquelle nous sommes confrontés sans préparation. Jean-Baptiste Del Amo l’affiche dès la première phrase: «Paris, nombril crasseux et puant de la France.» Avant de dérouler un récit somptueusement baroque, dans toute la gamme des teintes prises par les corps malades et les cadavres. On piétine un cimetière, la beauté s’efface rapidement, brûlée par l’acide de désirs bestiaux qui ne s’embarrassent pas d’hygiène.
L’éducation est ici celle, et uniquement celle, de l’argent et du pouvoir – pouvoir illusoire en un temps où le pays vacille sur ses bases. Les philosophes mettent en doute bien des certitudes. La Révolution n’est plus très loin. En attendant, Paris pouilleux danse une funèbre farandole, emporté dans un délire comparable au fleuve malsain qui infecte plus qu’il nettoie.

samedi 27 mars 2010

Maxence Fermine vers Angkor

Je lis les romans de Maxence Fermine depuis une dizaine d'années. Il ne m'a jamais déçu. Ni tout à fait comblé. Souvent, j'ai l'impression qu'il lui manque un tout petit rien pour atteindre la quasi perfection. Je l'écris souvent dans mes articles, ce qui ne lui a pas échappé...
Cette fois, dans Le papillon de Siam, il met ses pas dans ceux de Henri Mouhot, un peu oublié aujourd'hui mais dont la redécouverte du site d'Angkor a fait un des grands explorateurs français du 19e siècle.
Comme je n'avais pas encore eu l'occasion d'interroger Maxence Fermine sur son travail d'écrivain, je l'ai fait cette fois-ci, pour vous.

Comment êtes-vous tombé sur Henri Mouhot, dont le nom n'est plus très célèbre?

J'ai découvert Henri Mouhot en lisant son récit de voyage publié chez Olizane, un peu suranné et colonialiste, mais qui a suscité ma curiosité. Cela m'a donné envie de voir plus loin, et surtout de raconter sa vie d'aventurier, qui était celle d'un personnage de roman. Ce récit est actuellement réédité chez Arléa.

Qu'est-ce qui vous frappé chez lui au point d'en faire un personnage de roman?

J'aurais voulu vivre ce qu'il a vécu, mais sans mourir à 35 ans, donc se mettre à sa place et vivre par procuration cette quête insensée me semblait plus sage que de me perdre corps et âme dans la profondeur des jungles asiatiques.

Dans la dédicace que vous me faites, vous dites que Le papillon de Siam est "une esquisse avant beaucoup mieux". Un peu d'ironie par rapport à mes remarques répétitives, ou l'annonce d'un projet ambitieux?

Je suis en train d'écrire un "gros" roman, plus ambitieux d'un point de vue littéraire et spirituel, que j'espère terminer un jour. Il se passe en Guadeloupe et se nomme Rhum Caraïbes. Dans ce livre, je voudrais rassembler toute la magie de la vie et de la folie des hommes autour d'une chronique familiale sur trois générations. C'est en quelque sorte une ode à la divinisation de la nature (je suis panthéiste), un poème à la vie et à ce qui la rend sacrée.

vendredi 26 mars 2010

30 ans de Salon du Livre, 30 ans de littérature française


Je ne lis pas que les livres, je lis aussi des articles sur les livres. Et il faut rendre hommage aux confrères journalistes littéraires quand ils ont bien travaillé. C'est le cas de l'équipe du Monde des livres dans le supplément de cette semaine, opportunément paru au moment où s'ouvre le trentième Salon du Livre de Paris.
L'occasion de proposer douze pages d'une rare densité, un regard démultiplié sur trente ans de littérature française à travers quelques thèmes forts (l'autofiction, le roman policier, le réel, la critique, la présence de cette littérature à l'étranger, etc.). Les écrivains ont aussi la parole, puisque plusieurs d'entre eux apportent un témoignage sur leur travail: Marie Billetdoux, Emmanuel Carrère, Philippe Djian, Serge Doubrovsky, Anne-Marie Garat, Philippe Jaccottet, Dany Laferrière et Camille Laurens.
Du beau monde pour un beau Monde, un numéro à lire attentivement et à conserver.
Je signale que, respectant sa propre tradition, Libération a proposé hier un journal où tous les textes sont signés par des écrivains. Je ne l'ai pas lu, peut-être les articles seront-ils accessibles aujourd'hui sur le site du quotidien, mais on peut déjà lire un "chat" avec Claire Devarrieux qui en est, en quelque sorte, le "making off".

mercredi 24 mars 2010

Prix de saison, avant le Salon du Livre: Laurent Mauvignier et Elisabeth Filhol

Après la Foire du Livre de Bruxelles, le Salon du Livre de Paris. Dénomination plus classieuse, mais déchirements en coulisses. Après les prix littéraires d'automne, ceux du printemps. Une saison pleine de promesses, ouverte par les libraires et France Culture/Télérama.

Les libraires n'ont pas surpris, puisqu'ils avaient déjà fait leur choix à la rentrée de septembre. Ils avaient plébiscité Des hommes, de Laurent Mauvignier, dans le sondage de Livres-Hebdo. Six mois plus tard, ils n'ont pas changé d'avis. Je ne leur donne pas tort.
Laurent Mauvignier fait appel à Jean Genet, en épigraphe du roman, pour poser la question à laquelle Des hommes tentera de répondre: «Et ta blessure, où est-elle?» Car il faut qu’il y ait une blessure quelque part pour qu’un simple cadeau d’anniversaire ait pareilles conséquences. Pour que tout de suite, on devine que quelque chose d’anormal se produit lorsque Feu-de-Bois, surnom qui s’est substitué au prénom de Bernard, entre dans la salle où sa sœur Solange fête ses soixante ans et son départ à la retraite.
Dans les douze premières pages, de l’arrivée de Bernard au moment où Solange ouvre la petite boîte où se trouve le cadeau, l’écrivain travaille caméra à l’épaule. Avec les ressources de l’écriture en plus. Si l’image avait pu montrer comment Bernard était habillé, elle aurait difficilement pu faire comprendre que sa tenue était le fruit d’un effort inhabituel. Encore moins fournir l’information: «Aujourd’hui, on dira qu’il ne sentait pas trop mauvais.» Avec une belle économie de moyens, l’auteur pose son premier personnage au milieu des autres, que nous allons apprendre à connaître. Il a soixante-trois ans, «il n’a pas toujours été ce type qui vit aux crochets des autres». C’est donc qu’il a un passé qui ne ressemble pas à son présent. Il n’empêche: il fait tache. Sinon, pourquoi le remarquerait-on à ce point? Et pourquoi un tel malaise quand Solange découvre la «grande broche en or nacré» que lui offre son frère?
Le lecteur ressent le malaise. Bernard, encore plus. Surtout quand Solange, qui a épinglé la broche à la place de celle qu’elle portait, l’a enlevée: «Et j’ai vu comment Solange a hésité en relevant les mains vers la broche, puis en se décidant franchement à la retirer, prétextant quoi, je ne sais pas, rien, peut-être rien, elle ne va pas avec ce pull, elle est trop belle, oui, trop belle pour ce pull, tu es fou, Bernard, de l’or, et puis quoi, avec quel argent.»
Puis les conséquences du malaise, le brusque emportement contre Chefraoui, l’Arabe du village, le «bougnoule». Bernard n’en a pas fini avec sa colère. Il va se rendre chez Chefraoui, effrayer sa femme et ses enfants, provoquer de l’agitation chez le maire et les gendarmes, peu habitués à pareil comportement, pourtant prévisible, disent certains, de la part d’un homme si sauvage…
«Et ta blessure, où est-elle?» Loin. Elle a été ouverte quarante ans plus tôt, ne s’est jamais refermée. En 1960, la France faisait une guerre qui ne disait pas son nom. Des jeunes appelés traversaient la Méditerranée, posaient le pied en Algérie et découvraient la peur en même temps que la violence. Violence d’ailleurs exacerbée par la peur, répression sans aucune limite, représailles de même, dans des combats où il valait mieux ne pas réfléchir si l’on voulait en sortir sans devenir aussi enragé qu’un animal.
Bernard a-t-il gardé sur la peau l’odeur des villages incendiés, jusqu’à la reproduire et mériter son sobriquet, Feu-de-Bois? N’a-t-il jamais pardonné à sa mère d’avoir retiré le bénéfice de son travail avant la majorité? A-t-il conservé des doutes sur les relations entre Mireille, rencontrée à Oran puis devenue sa femme, et Rabut, le cousin avec qui il s’est battu près d’un dancing?
Rabut, porteur, dans les premières pages, de la caméra (aussi imaginaire que subjective) dont je parlais plus haut, et qui ne comprend pas mieux que les autres ce qui se passe quand les événements se précipitent. Rabut, porteur aussi de cauchemars partagés avec Bernard et d’autres. Rabut, qui voudrait «savoir pourquoi on fait des photos et pourquoi elles nous font croire que nous n’avons pas mal au ventre et que nous dormons bien».
Entre les deux hommes déchirés par une haine confuse, Laurent Mauvignier dessine des souvenirs communs. Et des lignes de fuite qui se brisent sur des cadavres, sur des trahisons, sur des malentendus. Des hommes ne parle que de cela: des hommes. Leurs ambitions déçues, leurs erreurs tragiques, leur insondable bêtise. Notre insondable bêtise.

Quant au prix France Culture/Télérama, il sera remis demain soir, pendant l'inauguration du Salon du Livre, à Élisabeth Filhol pour son premier roman, La centrale.
Il y a cinquante ans, l'écrivain belge Jos Vandeloo publiait son premier roman, Het gevaar, traduit en français quatre ans plus tard par Maddy Buysse (Le danger). Les risques liés au nucléaire civil n'étaient pas, à l'époque, familiers aux lecteurs de fiction. Et il faudrait relire cet ouvrage à la lumière du premier roman d'Elisabeth Filhol. En partie pour se rassurer.
Dans Le danger, Alfred Benting, Harry Dupont et Martin Molenaar, qui ont été irradiés, sont des cas originaux que la médecine examine pour apprendre. Dans La centrale, le narrateur est suivi au fil de ses missions, la dose de radiations est évaluée en permanence et, une fois le quota franchi, le travail s'arrête jusqu'à la fin de l'année. Les risques d'accident physique sont connus et, autant que possible, limités. Le chômage, en revanche, est un horizon plat bien présent à l'esprit.
Travailleur DATR, soit directement affecté aux travaux sous rayonnement, le personnage principal n'est pas à l'abri d'un incident. Il se produit lors de sa mission à Chinon et hypothèque la suite…
Elisabeth Filhol semble ne pas pouvoir être prise en défaut sur ses informations. Le réalisme est tel, en tout cas, qu'il impose les images et le mode de fonctionnement d'une centrale nucléaire avec ceux qui y sont employés. A dire vrai, il ne s'agit pas que de réalisme: la beauté des descriptions aide à s'imprégner du lieu. Le monologue intérieur du narrateur est porté par une voix sereine, souveraine, que le lecteur n'a aucune envie de contrarier.
Explorer un monde inconnu du commun des mortels, nous y mener à travers l'intimité d'un homme dont c'est (à peu près) le seul univers, voilà le projet d'une romancière qui s'aventure hors des sentiers battus. En ouvrant des portes généralement scellées. On en sort contaminé, mais c'est sans risque.

lundi 22 mars 2010

Zapculture France, variété et inquiétude

Au rendez-vous du lundi, une belle brochette d'artistes, tous français: deux chanteuses, deux écrivains, un "inventeur", un film (assez moyen le film). Et un supplément, dont je vous reparle tout à l'heure, après le Zapculture "normal" que vous trouverez en téléchargement en suivant le lien du casque audio.

On commence en musique avec Enzo Enzo, qui a sorti son nouveau disque, Têtue, à la fin du mois dernier, et qui était invitée au Rendez-vous de France Culture. Présentation du disque par son éditeur:
Cinq ans après «Paroli», et après deux disques pour enfants, «Chansons d’une maman» et «Clap!», voici donc un nouvel album qui parle de la vie, de la vie vraie. Enzo Enzo chante la confiance qui renaît quand une histoire s’achève, les éblouissements de l’amour béat, la liberté qui surgit quand les enfants sont enfin partis voler de leurs propres ailes, l’envie de vivre sans les illusions des spiritualités en toc ou de la chirurgie esthétique… Sujets profonds, parfois rudes, mais toujours éclairés de la même lueur de félicité et de courage – «La vie contraint à être heureuse», dit-elle avec un grand sourire. Son disque ressemble à ce sourire: généreux, intime, réaliste, poétique, vaillant, délicat. (00'25"-01'32")

Première page littéraire, ensuite, avec un écrivain peu connu du grand public mais dont le travail marque son époque - la nôtre. Pierre Guyotat publie Arrière-fond et s'explique dans Tout arrive (France Culture) sur la manière dont il écrit:
Pierre Guyotat n’a pas écrit à la table. Pour «Arrière-fond», il lui fallait la voix, éjection de mots, érection de la phrase, assis sur son lit, sur un fauteuil, concentré, le regard plongé à l’intérieur, tourné vers ses 15 ans. Une femme prend note... «Je suis pour une lecture d’action. Je ne suis pas dans la contemplation. Je n’aime pas beaucoup la poésie.» Ainsi, Pierre Guyotat murmure ses phrases au présent et bat le pied, la jambe pour garder la mesure. «Le rythme, j’écris avec du rythme». Le rythme de la main touchant son sexe, le rythme des bordels, le rythme du plaisir, de la chair.
A ces corps sexués s’en confrontent d’autres: entassés, transportés, morts dans les camps. Analogie blasphématoire qui trouble le lecteur tout autant que Pierre Guyotat. (01'32"-03'44")

Avec Jean-Marie Gourio, autre invité de Tout arrive la semaine dernière, on n'est pas très loin de la littérature, même si c'est au théâtre que se jouent actuellement les Nouvelles brèves de comptoir (mises en scène par Jean-Michel Ribes). Vous en avez probablement entendu parler: Gourio tend l'oreille et fait sa récolte. Ce qui donne environ:
«S’il nous reste qu’une heure à vivre, ma femme elle range et moi je picole».
Des phrases qui fusent sans prévenir. Ça jaillit, comme ça, à l’étourdie. Librement. Et ça rebondit de plus belle... À moins que ça s’arrête. Paf. Tout net. Bouche bée, dans une grimace. Ces brèves de comptoir que Jean-Marie Gourio, expert en la matière, et Jean-Michel Ribes, expert en théâtre, donnent à voir et à entendre, relèvent à leur façon du patrimoine de l’humanité. Recueillis avec soin et composés au petit point en un tout étonnamment homogène, ces traits d’esprit ondulés fascinent jusqu’au fou rire. C’est que, souvent involontaires, surgies du gosier innocent de piliers de bistrot invétérés, ces brèves dans leur candide assurance révèlent aussi un fond d’incertitude. Il doute de tout celui qui doute de rien. Fermement convaincu que «ce qui ne va pas dans la société, c’est les gens». La preuve: «Ils ont dit qu’il allait pleuvoir et ils l’ont fait.» Aucun rapport? Pas grave. On se jette un Ricard «a capella». Jamais dupe, au fond: «C’est bien pour la France que les Américains ils aient un président antillais.» Qui dira le contraire? (03'44-05'56")

Le DVD de la semaine n'est pas un chef-d'œuvre. Réalisé par James Huth, avec Jean Dujardin, Sylvie Testud, Michaël Youn, Alexandra Lamy et Daniel Prevost (entre autres), Lucky Luke est un divertissement qui se veut spectaculaire, et l'est parfois, mais sur un scénario dont toutes les ficelles sautent aux yeux - quand elles ne lâchent pas.
Le train ne siffle pas trois fois, bien qu'il y ait des rails sur la prairie. Las Vegas se plante au milieu du désert. Jessie James, Billy the Kid et Calamity Jane sont au rendez-vous (il ne manque que les Dalton). La féminité reste une question quasi insoluble, forcément, pour un poor lonesome cow-boy qui prend son bain avec ses bottes. Et le seul personnage raisonnable du casting est Jolly Jumper. Oui, le cheval...
Si vous regardez ça négligemment un soir de grande fatigue et souriez deux ou trois fois pendant le film, je ne vous en voudrai pas...
En attendant, je vous sers un bout du son de la bande annonce. (05'56"-07'39")

Je vous ai parlé il y a peu de Catherine Cusset et de son Brillant avenir, le roman pour lequel elle a reçu le prix Goncourt des Lycéens. Dans Laissez-vous tenter (RTL), où les livres de poche sont présents chaque semaine, elle s'explique brièvement sur ce livre. (07'39"-08'17")

Pour terminer, ou presque, Françoise Hardy sort un nouvel album cette semaine, La pluie sans parapluie. France Inter permettait, pendant le week-end, de l'écouter en avant-première. Je partage avec vous le début de la première plage, et les informations sur le disque (que j'aime bien).
Quatre ans après les duos de Parenthèses, Françoise Hardy sort La Pluie sans parapluie, un album radieux, voire ouvertement pop sur plusieurs titres, à commencer par le single Noir sur blanc. Un goût retrouvé pour les tempos enlevés guide aussi Les Pas ou encore le très swingin’ sixties Je ne vous aime pas, que Françoise Hardy dédie à Danièle Darrieux et à cette réplique endolorie qu’elle prononçait dans Madame de…
La génèse de l'album: Pendant que Françoise Hardy écrivait , Alain Lubrano, son complice depuis quinze ans, mit la main à travers MySpace sur une artiste allemande: Fouxi. Il fit écouter à Françoise une chanson de la jeune femme, curieusement chantée en français et s'intitulant La Pluie sans parapluie. Cette chanson, remaniée avec l'accord de l'auteur, deviendra le fleuron de ce nouvel album, au point de donner son nom à l'album.
A l'occasion de cet album, Françoise Hardy a travaillé pour la première fois avec La Grande Sophie (qui signe les paroles et musiques de Mister), Arthur H (Les mots s’envolent), Jean-Louis Murat (le temps de Memory divine aux teintes country-blues), ou encore Calogero (le single Noir sur blanc). (08'17"-10'17")

Ce n'est pas fini pour aujourd'hui, puisque je vous ai promis un supplément. Un assez long extrait d'Esprit critique (France Inter), presque six minutes pour faire le point sur la présence de la culture française à l'étranger, à travers des institutions en pleine restructuration pour l'instant. Un deuxième casque pour vous conduire vers cette séquence présentée ainsi:
L'influence d'un pays dans le monde, on la mesure par son économie, son armée, mais aussi par sa culture, sa langue, ses artistes présents à l'étranger: cette diplomatie culturelle, Bernard Kouchner entend la réformer pour la rendre plus forte, mais cette réforme du ministre des affaires étangères déplaît...
Je réserve mes commentaires à mon autre blog, le sujet ayant une certaine importance à Madagascar.

vendredi 19 mars 2010

Henning Mankell et sa colère africaine

Dans une brève postface au Cerveau de Kennedy, Henning Mankell explique qu’il a été poussé à écrire par la colère. Avec en lui le souvenir du visage d’un jeune Africain mourant du sida, à la frontière entre la Zambie et l’Angola. Sa colère, il l’a inoculée toute entière à Henrik, un jeune Suédois que sa mère retrouve mort dans son appartement. Louise est brisée. Même si son fils semble s’être suicidé avec des somnifères, elle refuse d’y croire et elle se lance à la recherche de ce qui a pu le tuer.
Louise découvre d’abord, blessée et stupéfaite, la face cachée de son fils. Au fond, elle ne connaissait qu’une partie de lui. Elle ne savait rien de son amie Nazrin, rien de son appartement à Barcelone, rien des voyages qui l’avaient notamment mené au Mozambique – le deuxième pays de Henning Mankell. Henrik avait compartimenté sa vie avec le même soin maniaque qu’il protégeait les données dans son ordinateur. Personne n’avait de lui une vue d’ensemble, pas même son père avec lequel il était resté en contact malgré les distances. Pas même Lucinda, qu’il a connue à Maputo – et à laquelle, sans le savoir, il a transmis le sida.
Henrik est un mystère que Louise veut percer pour comprendre ce qu’il avait appris et qui l’a mis en danger de mort. Archéologue, elle a l’habitude d’assembler des tessons de poteries pour retrouver leur forme originelle. Mais cette poterie-ci est plus complexe que le résultat de ses fouilles en Grèce. Elle est faite de chair et de sang, de vie et de mort.
De longs détours entraînent Louise vers l’Australie, l’Espagne, le Mozambique… Les pièces du puzzle sont éparses. Une des clefs de l’énigme est Le cerveau de Kennedy, dans la disparition duquel Henrik voyait le symbole de tout ce qu’il est possible de cacher. Il a cherché la vérité dans l’obscurité et, malheureusement pour lui, il l’a trouvée dans le cadre de recherches médicales qui ont tout oublié du respect de la vie. Une réflexion, qui revient deux fois dans le roman, résume avec précision l’écart qui sépare les pays riches de l’Afrique: «nous savons tout de la façon de mourir des Africains, et presque rien de leur façon de vivre». Elle est, d’une certaine manière, au point de départ d’un malentendu qui dérape et autorise l’amoralité de certaines sociétés pharmaceutiques. John le Carré en avait aussi fait un sujet de roman dans La constance du jardinier. Henning Mankell, sur un thème proche, donne le portrait d’une mère courage dont l’amour et la volonté de savoir resteront dans les mémoires.

lundi 15 mars 2010

Zapculture : Jean Ferrat et les vivants

J'aimerais que ça ne devienne pas une habitude. Ça ne m'amuse pas trop, d'ouvrir Zapculture (téléchargeable en suivant le lien sur l'image) avec la voix d'un disparu. Je me voyais pourtant mal ne pas rendre un bref hommage à Jean Ferrat, mort samedi. Ce qui vous permet d'écouter (de réécouter, je suppose) le début de La montagne, un de ses plus grands succès, sinon son plus grand (0'25"-1'53").

Takeshi Kitano, lui, est bien vivant. Et très présent dans l'actualité puisque trois événements le portent, ces jours-ci, à l'avant de la scène - ce qui ne doit pas le déranger outre mesure, puisqu'il est aussi, entre autres choses, acteur et animateur de télévision. Son nouveau film, Achille et la tortue, vient de sortir. Dernier volet d'une trilogie consacrée à l'art - et en particulier à l'artiste qu'il est - avec un clin d'œil à Zénon sur le paradoxe duquel repose la structure du film. Il expose ses peintures jusqu'au 12 septembre à la Fondation Cartier, sous le titre: Gosse de peintre. Et une rétrospective de son œuvre cinématographique se tient jusqu'au 21 juin au Centre Pompidou. L'émission Tout arrive (France Culture) l'a interviewé (1'53"-4'27").

Dans la même émission (et le même jour, d'ailleurs, c'était jeudi), Dee Dee Bridgewater était de passage pour présenter son nouvel album, Eleanora Fagan (1917-1959): To Billie With Love From Dee Dee. La plus francophile des chanteuses de jazz, comme on l'appelle souvent, parle donc en français de Billie Holiday à qui elle rend hommage dans ce disque. Elle avait découvert sa voix et sa musique en 1986 - l'année de son installation à Paris - en jouant son rôle dans Lady Day. Comme elle le raconte ici, elle n'avait pas été conquise d'emblée (4'27"-6'36").

C'est dans Laissez-vous tenter (RTL) que j'ai "repiqué" un bout d'entretien avec un auteur de polars best-seller depuis des années (6'36"-7'18"). Chaque fois qu'un roman de Harlan Coben est traduit, il grimpe très vite dans les listes de meilleures ventes. C'est pareil quand un titre est réédité au format de poche. Il vient de publier une nouvelle aventure de son héros récurrent, Myron Bolitar, un ancien sportif devenu agent qui a aussi travaillé pour le FBI. Sans laisser d'adresse est le neuvième volume de ses aventures.
"De Paris à New York en passant par Londres et la Nouvelle-Angleterre, entre services secrets, réseaux terroristes et scientifiques corrompus, une machination infernale orchestrée par un Harlan Coben au sommet de son art. Ancien sportif reconverti dans les relations publiques, Myron tombe des nues quand il reçoit l'appel de Terese, dont il est sans nouvelles depuis sept ans. "Rejoins-moi. Fais vite..." À peine arrivé à Paris, le cauchemar commence... Qui en veut à la vie de Terese? Quels secrets lui a-t-elle cachés? Pourquoi le Mossad, Interpol et la CIA les traquent-ils sans relâche? Enlèvements, meurtres, menace islamiste, manipulations génétiques, complots internationaux... Un suspense au coeur d'une actualité brûlante, par le maître de vos nuits blanches."

J'aime beaucoup Thomas Gunzig. Ses livres. Le bonhomme. Les chroniques qu'il tient dans le journal où je travaille moi aussi. J'ai donc été très heureux de l'entendre l'autre jour dans Mauvais genre (France Culture), dont je vous propose la présentation (l'émission peut encore s'écouter sur le site, comme c'est le cas de presque toutes celles dont je reprends des extraits):
"Rencontre, ce soir, dans Mauvais Genres, avec l'écrivain bruxellois Thomas Gunzig, et ce à l'occasion de publications récentes parues aux éditions Au diable vauvert: Assortiment pour une vie meilleure, recueil de nouvelles, de monologues et de textes dramatiques maniant avec une verve experte humour noir et critique incendiaire de la vie familiale, sociale et politique; 10.000 litres d'horreur pure, hommage au cinéma fantastique et horrifique contemporain."
Mais, dans le passage que j'ai choisi, il parle d'un métier que nous avons pratiqué tous les deux (bien que pas en même temps, ni dans le même établissement): librairie. Une leçon de modestie pour un écrivain (7'18"-7'57").

Enfin, grâce à Laissez-vous tenter, anticipons un peu le mois d'avril, au début duquel sortira un nouveau disque d'Alain Souchon. Enregistré en public lors de sa dernière tournée, il affirme très simplement dans son titre: Est chanteur. (Au cas où nous ne le saurions pas...)
Depuis trente-cinq ans qu'il nous en...chante, on éprouve toujours le même plaisir à le retrouver. Le voici donc (7'57"-9'32").

Bonne écoute, et à la semaine prochaine si tout va bien.

vendredi 12 mars 2010

Le Goncourt des Lycéens 2008 en poche

Le prix Goncourt des Lycéens 2008 est paru en poche. Un brillant avenir, de Catherine Cusset, est un excellent roman, à découvrir absolument.
Elena a changé de prénom. Le sien lui rappelait trop douloureusement celui de l’épouse de Ceausescu et les conditions de vie qu’elle avait connu sous la dictature roumaine. Elle s’appelle maintenant Helen, elle est américaine. Le rêve s’est accompli, non sans mal. Et avec quelques zones grises.
La géographie européenne a joué un rôle capital dans la première partie de sa vie. Enfant, en 1941, elle vivait, croit-elle se souvenir, à la campagne avant de s’installer en ville avec sa grand-mère, chez son oncle et sa tante. Son pays, la Bessarabie, était l’enjeu d’un conflit local noyé dans la guerre mondiale, entre l’URSS et la Roumanie. La fuite vers la Roumanie, la patrie correspondant à leur langue et à leur culture, devenait nécessaire. Ainsi que, pour simplifier les choses dans la société, une adoption par l’oncle et la tante qui la fait changer de nom de famille en provoquant chez la petite fille une crise d’identité: «Elle ne voulait pas dire qu’on venait de l’adopter, qu’elle n’avait pas de parents, qu’elle n’était personne.»
En 1958, elle a vingt-deux ans, elle rencontre Jacob dont elle tombe amoureuse. Il est juif et c’est un drame. Une partie de la famille de Jacob se trouve en Israël et les parents d’Elena sont convaincus qu’il voudra les rejoindre un jour, pour le malheur de leur fille…
Pour respecter la manière dont Catherine Cusset bouleverse la chronologie, sautant sans cesse à travers les époques de 1941 à 2006, il faut placer ici l’écho de ce refus parental, retrouvé une trentaine d’années après, quand Helen utilise le même raisonnement pour tenter d’éloigner Marie de son fils Alex: vous êtes française, votre famille est là-bas, un jour, vous voudrez y vivre et vous rendrez mon fils malheureux… Une génération plus tôt, l’histoire complexe de cette famille avait déjà proposé une situation comparable.
Catherine Cusset, si elle rompt avec la linéarité du récit, trouve une autre logique dans des rapprochements à travers les époques. Et, de toute manière, la fluidité de son écriture, la force des séquences présentes dans chaque chapitre, permettent au lecteur de ne jamais perdre le fil.
Ce fil abandonne la Roumanie pour Israël en 1974, puisque Elena et Jacob se sont mariés et qu’ils ont l’intention d’émigrer vers les Etats-Unis après ce détour. Le projet semble devoir échouer, puis il rebondit en passant par l’Italie. En 1975, la destination finale est enfin atteinte.
Jacob et Helen vieillissent, surtout le premier. Les ennuis de santé se multiplient, Alzheimer menace, la vie devient de plus en plus difficile. En 2003 – c’est le premier chapitre du roman –, alors que Helen est fatiguée de voir Jacob renoncer au moindre effort, celui-ci lâche prise définitivement. Une page se tourne, une de plus dans une existence soumise à bien des souffrances.
En 2006, Helen s’est réconciliée avec Marie. Son fils ne l’oublie pas. Sa petite-fille Camille l’enchante. Chaque malheur semble être contrebalancé par un bonheur. Et cette femme épanouie quitte le roman sur la pointe des pieds en allumant une cigarette.
Catherine Cusset a fait d’elle un personnage complet. Fille, amante, épouse et mère, finalement veuve (ce sont les titres des quatre parties du livre), Helen possède une vitalité peu commune. Elle traverse l’espace et le temps avec force, surtout quand elle trouve devant elle une opposition qui renforce sa volonté: ses parents qui ne veulent pas la voir épouser Jacob, le régime Ceausescu, les difficultés pour émigrer, Marie, la faiblesse de Jacob… Si elle est parfois ébranlée, elle relève toujours la tête et continue à aller de l’avant.
Son obstination la rend certes parfois presque désagréable. On a du mal à accepter, par exemple, sa haine envers sa future belle-fille. Mais elle est tout cela à la fois, Helen, et voilà pourquoi, si humaine, elle nous semble si proche.

jeudi 11 mars 2010

Histoire de ma vie en ligne (pas la mienne, celle de Casanova)

L'acquisition a fait grand bruit il y a quelques semaines: la Bibliothèque nationale de France a acheté des manuscrits de Casanova, dont les 3700 pages des Mémoires, rédigées en français et révisées de 1789 à 1798. Il existe, semble-t-il, un seul exemplaire de ce manuscrit intitulé Histoire de ma vie.
L'achat, comme il se doit, s'agissant de l'œuvre d'un aventurier séducteur, comporte des pans mystérieux.
Un rendez-vous a été organisé en 2007 par l'intermédiaire de l'ambassadeur d'Allemagne dans la zone de fret de l'aéroport de Zurich, où Bruno Racine découvre une dizaine de boîtes contenant les manuscrits.
On se croirait dans un roman d'espionnage...
Le temps de rassembler les fonds - deux ans, quand même, avec la participation d'une entreprise financière qui a demandé à rester anonyme (le roman d'espionnage continue) -, l'affaire s'est conclue et, le 18 février dernier, Frédéric Mitterrand signait l'acte de vente.
De la BNF à Gallica, il n'y avait plus qu'un pas... franchi à toute vitesse puisque les deux premiers chapitres du manuscrit sont maintenant disponibles sur le site. Je connais des amateurs qui bavent déjà...
Voici les liens vers le chapitre I et le chapitre II de ce document.
Et la première page vous est offerte ci-dessous.


lundi 8 mars 2010

Foire du Livre : Alice Déon, PDG de La Table ronde

Fondée en 1944, par Roland Laudenbach, La Table ronde est une maison d'édition qui semble se porter plutôt bien et appartient à Gallimard. Alice Déon en est devenue PDG quand Denis Tillinac s'est retiré, fin 2007. Elle connaît bien le catalogue, puisqu'elle était auparavant directrice littéraire. Et, la semaine dernière, elle a, comme d'autres, fait le déplacement de Bruxelles.

Que représente une manifestation comme la Foire du Livre de Bruxelles pour un éditeur parisien?

La Belgique étant un pays francophone où nos livres sont diffusés, la Foire du Livre de Bruxelles est un rendez-vous tout aussi significatif que le Salon du Livre de Paris et permet des rencontres entre lecteurs, éditeurs et auteurs.

Votre maison est fidèle à quelques écrivains belges contemporains, je pense en particulier à Jean-Claude Pirotte ou à William Cliff. Leur origine joue-t-elle un rôle dans le choix que vous faites de suivre leur travail?

Non, en aucun cas. Nous ne les considérons pas comme des écrivains belges mais comme des écrivains tout court. Il en était de même pour Pol Vandromme dont la Table Ronde a publié une dizaine d’ouvrages.

Quel intérêt particulier avez-vous à développer de front deux noms de maison d’édition, ce qui vous conduit à différencier les traductions de la littérature écrite en français?

Quai Voltaire n’est en fait plus une maison d’édition, le nom n’est plus qu’une “marque” rachetée en 1996 par la Table Ronde qui a choisi de baptiser ainsi sa collection de littérature étrangère. C’est donc aujourd’hui un nom de collection, au même titre que “du Monde entier” chez Gallimard, ou “Pavillons” chez Laffont.


Cette note de blog clôt la série consacrée à la Foire du Livre de Bruxelles - plus d'une vingtaine d'interventions, ce qui m'a presque donné l'impression d'y être!

Foire du Livre : Stéphane Lambert à Prague

Stéphane Lambert ne sera à la Foire du Livre de Bruxelles que par la bande: il est invité aujourd'hui à l'émission Culture Club sur la Première (RTBF). Son éditeur a comme politique de ne pas être représenté à ce genre d'événement. Cela lui convient: "je ne fais jamais de dédicaces", dit-il, "parce que je considère que c'est un non-sens, et source d'inutile frustration, lorsqu'on n'est pas une star du marché (ce que je ne serai jamais, étant donné le type de littérature à laquelle je me voue). Pour tout te dire, je suis assez catastrophé de voir jusqu'où peuvent aller certains auteurs pour faire parler d'eux. Je reste obstinément, et sans doute naïvement, ancré dans le seul travail d'écriture, et je privilégie les vraies rencontres."
Ceci étant posé, parlons avec lui de son dernier livre, un roman, Les couleurs de la nuit, très ancré à Prague où Stéphane Lambert a enseigné.

Il m'a semblé, en lisant Les couleurs de la nuit, y percevoir une forte présence de l'élément liquide. En avais-tu conscience en l'écrivant?

L'eau est présente dans quasiment tous mes textes depuis mes débuts. A la fois comme un élément de vie et comme un moteur de mort. C'est d'ailleurs, il me semble, l'un des motifs de mon écriture, de tenter d'explorer l'ambivalence des choses, les forces contradictoires dans lesquelles nous baignons en permanence, et dont la société contemporaine, dans sa lubie du "bonheur", tente de gommer le versant sombre. Voilà aussi pourquoi j'ai voulu faire ce parallèle avec le 14e siècle dans mon roman. Malgré l'illusion du progrès, nous vivons exactement dans la même précarité, sauf que nous ne voulons plus le savoir.

La ville de Prague, où tu as vécu, ressemble-t-elle à celle dont la littérature a nourri notre imaginaire? Ou, pour le dire autrement: l'as-tu reconnue en t'y trouvant?

Lorsque je parle de l'aspect anxiogène de la ville de Prague, beaucoup de gens qui y sont allés me disent ne pas l'avoir perçu. Ils n'y ont généralement passé que quelques jours dans un contexte qui les a maintenus hors de la réalité de la ville, et de son rythme interne. C'est tout autre chose d'y passer plusieurs mois et d'y voir peu à peu disparaître la lumière, particulièrement pour quelqu'un comme moi qui suis assez solitaire. Alors on se retrouve effectivement dans la même atmosphère étrange que celles des romans qui y ont été écrits. Surtout si on se met à les lire sur place. Pour le reste, je ne reconnais absolument pas Prague dans la plupart des livres qui en donnent une vision strictement colorée, qui ne jouent que sur sa face brillante, son côté "ville musée" aseptisé. C'est une vision totalement biaisée, partielle, touristique, de la ville.

L'irruption brutale d'une réalité dont la presse a rendu compte, à la fin du roman, était-elle une manière de lui trouver une conclusion, si on peut parler de conclusion?

C'est plutôt un questionnement. Comment l'imaginaire peut résister à l'irruption, l'intrusion permanente de la surinformation dans nos vies? Je ne crois plus au roman de facture classique, tel que beaucoup aujourd'hui en écrivent encore. C'est un total leurre. J'ai l'impression lorsque je lis la littérature contemporaine d'une immense régression, on dirait que le 20e siècle n'a pas existé. Il y aurait beaucoup à dire sur ce qui explique ce phénomène (nombre d'auteurs contemporains ne sont pas de vrais lecteurs; volonté de toucher le plus grand nombre; essor des ateliers d'écriture...). Quand je vois l'art à côté, il y a un tel décalage : certains artistes ont cent ans d'avance sur la littérature. C'est-à-dire qu'il me semble que l'écriture elle-même doit trouver une nouvelle forme non pour répondre, mais pour rendre compte de la transformation actuelle du monde, de l'impossibilité d'une narration proprette épargnée par ce chaos.

Zapculture : la France a-t-elle peur?

Au moment où je rédige ceci, la cérémonie des Oscars n'est pas terminée, peut-être vous donnerai-je quelques nouvelles tout à l'heure...
Mais l'actualité culturelle n'est pas en pause pendant cette soirée chic, et voici quelques échos glanés pendant la semaine. Vous les entendrez en chargeant le fichier mp3 vers lequel vous conduit le casque d'écoute...

Après l'indicatif (00'00"-00'25"), je vous propose quinze secondes d'un étrange bégaiement. Elles sont extraites d'un célèbre journal télévisé ouvert, le 18 février 1976, par ces mots que Roger Gicquel martela plusieurs fois: "La France a peur." Roger Gicquel vient de mourir (Patrick Topaloff aussi, me dit-on), cette affirmation assez stupide reste dans certaines mémoires. J'ai, bien entendu, pour en renforcer l'effet, coupé tout ce qui dépassait dans les trois premières minutes de ce journal.

Samedi soir, c'étaient les Victoires de la musique. Pour le palmarès complet, je vous renvoie à votre site d'informations préféré. Vous n'ignorez probablement pas que Benjamin Biolay a été un des grands vainqueurs de ce palmarès et que son dernier album, La superbe, a été élu le meilleur de l'année. Ce n'est donc plus, forcément, une nouveauté. Mais cela fait toujours du bien d'en écouter quelques notes, enregistrées en public samedi et introduites par Michel Drucker (00'43"-02'36").

Vous avez remarqué aussi, surtout si vous fréquentez ce blog, que la Foire du Livre de Bruxelles battait son plein. Ce sera encore le cas aujourd'hui, avant de fermer ses portes. J'ai d'ailleurs encore deux invités à vous proposer tout à l'heure. Mais je reviens, avec le journal télévisé de la RTBF vendredi soir, sur la performance de Nicolas Ancion. 24 heures d'écriture résumées en deux minutes (02'36"-04'47") pour l'écriture d'Une très petite surface que ce lien vous permet de télécharger et de lire.

Parmi les nombreux invités passés par Bruxelles à l'occasion de cette Foire, je retiens quelques mots de Dany Laferrière, l'écrivain canadien d'origine haïtienne qui se trouvait à Port-au-Prince au moment du tremblement de terre de janvier. Il parle de son dernier livre dans Le monde est un village (RTBF) et plus particulièrement, dans l'extrait choisi pour vous (04'47"-06'50"), du thème de l'exil. Vous vous en souvenez peut-être, L'énigme du retour, magnifique roman écrit en grande partie sous forme de poème, a reçu le prix Médicis en novembre...

Patrick Modiano n'était pas à la Foire du Livre. Il a quand même donné pas mal d'interviews à la sortie de son nouveau roman, L'horizon. Notamment pour l'émission de RTL, Laissez-vous tenter. Je le retrouve tel que je l'ai rencontré par deux fois pour deux longs entretiens, la première fois pour Le Soir, la seconde pour le Magazine littéraire. J'en ai malheureusement égaré les textes, et je le regrette vivement. Mais j'ai le souvenir très précis de ses hésitations, de sa quête toujours difficile du mot juste, de sa grande taille qui semble le gêner, de sa timidité, de sa gentillesse. Écoutez-le, vous ne le regretterez pas (06'50"-08'10").

La semaine dernière, le 2 mars précisément, il y avait dix-neuf ans que Serge Gainsbourg était mort. TV5 a eu la bonne idée de proposer une émission spéciale où des chanteurs appartenant à la génération actuelle reprenaient certaines de ses chansons.
Pour finir en beauté, voici le début de La javanaise, version Emilie Simon (08'10"-10'05").

Vous voyez? Au fond, la France n'a pas peur. Même si Jacques Audiard n'a pas reçu l'Oscar du meilleur film étranger. (On attend toujours le verdict pour le meilleur film et le meilleur réalisateur, dont je continue d'espérer qu'elle sera une réalisatrice, ce serait justice pour la journée de la femme - non, pas pour la journée de la femme, simplement parce que Démineurs est mon choix, loin devant Avatar.)

dimanche 7 mars 2010

Foire du Livre : l'anthologie d'Alain Mabanckou

L'actualité d'Alain Mabanckou tient en deux livres parus le mois dernier: la réédition de Black bazar, dont je vous ai parlé il y a quelques jours, et sur lequel je ne reviendrai donc pas; et une nouvelle Anthologie: six poètes d'Afrique francophone que je n'ai pas encore vue. La venue de l'écrivain à la Foire du Livre de Bruxelles m'a fourni l'occasion de lui poser quelques questions sur cet ouvrage.

Il est impossible de ne pas faire le rapprochement entre ton anthologie et celle de Senghor, parue il y a 62 ans. Ce livre a-t-il été conçu par rapport à l'Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française?

En réalité je n'ai pas du tout pensé à cette Anthologie qui jetait les bases littéraires de la négritude. Les textes rassemblés chez Senghor étaient destinés à montrer la richesse de la création littéraire (poétique) du monde "négro-africain". Moi j'ai souhaité tout simplement salué le génie d'auteurs ayant marqué la poésie d'expression française dans l'espace francophone d'Afrique noire. Il n'y a aucune intention militante, je privilégie le pouvoir du texte et de l'émotion. C'est pour cela que Senghor est retenu d'ailleurs dans mon Anthologie.

Six poètes pour un continent, n'est-ce pas un peu court?

C'est le principe de cette collection - en général c'est 5 poètes -, j'ai donc été ferme pour que Points-Seuil accepte un sixième poète. Sans doute parce que je n'aime pas les nombres impairs! Et puis il fallait choisir les plus grands poètes. Je crois que ceux qui sont retenus ne font pas grincer les dents puisqu'ils sont considérés désormais comme des classiques et sont étudiés dans les écoles primaires et les lycées: Senghor, Rabemananjara, Birago Diop, Bernard Dadié, Tchicay U Tam'si et Tati-Loutard.

Y a-t-il, en Afrique, ou venues d'Afrique, des nouvelles voix que tu aimerais aussi faire entendre?

Dans mon introduction à cette Anthologie j'ai esquissé quelques pistes pour l'avenir. Le paysage poétique francophone d'Afrique noire est aujourd'hui dominé par les poètes de talent comme Gabriel Okoundji, Tanella Boni, Véronique Tadjo ou encore Léopold Congo-Mbemba. On peut déplorer certaines œuvres qui sont sans originalité et encore crispées par un asservissement de la conscience. Ces auteurs écrivent des vers, ce sont des "versificateurs", pas des poètes. Ils sont comme des perroquets qui répètent les maladresses de la poésie française. Leur "poésie" est plus de l'ordre du oui-dire, de la capitulation, de la littérature à quatre pattes et de l'écho alors que nous attendons la tourmente jaillie de la vie de l'auteur. C'est cette impression désagréable que me donne la lecture des textes de l'auteur tchadien Nimrod, hélas!

Foire du Livre : Nadine Monfils et sa Coco givrée

J'ai eu la chance, il y a une trentaine d'années, de découvrir les premiers textes en prose de Nadine Monfils. Elle n'avait publié à ce moment, si mes souvenirs sont bons, que deux recueils de poèmes à compte d'auteur. Les nouvelles que j'avais reçues ont fourni un des premiers titres d'une maison d'édition dans laquelle je travaillais alors. Depuis, elle n'a plus arrêté, oscillant entre l'érotisme et le polar sans se soucier de genre, entrant au catalogue de la Série noire, créant un commissaire Léon qui allait vivre dix aventures dans autant de volumes et fournir le sujet de son premier film, trouvant depuis quelques années un nouvel éditeur chez qui elle vient de sortir son quatrième roman, Coco givrée. Un livre bien givré, en effet...

Depuis Laura Colombe, il y aura bientôt trente ans, quelle évolution perçois-tu dans ton imaginaire et dans ton écriture?

Je pense que Laura Colombe contenait l’imagination foisonnante de la femme-enfant que je suis restée et qui avait emmagasiné les mondes d’Alice au pays des merveilles qui aurait eu Barbe Bleue comme amant, et celui de la Comtesse de Ségur tombée amoureuse du marquis de Sade. Avec çà et là des moments de vécu parsemés de fantasmes. Disons que la vie et le temps m’ont mis un couteau dans la main. Pour me défendre, mais aussi pour continuer à couper des plaques de caramel. Avec mes Contes pour petites filles perverses, j’étais dans la poésie, le surréalisme et l’érotisme. Maintenant, j’ai gardé un peu de tout ça, avec quelques labyrinthes en plus. Ceux d’amener le lecteur dans une toile d’araignée, de le faire prisonnier de mon histoire. En quelque sorte de le prendre en otage du début à la fin. Pour moi ça relève à la fois du jeu et du plaisir de surprendre, de dérouter jusqu’au bout. Le goût des surprises. Mais aussi celui de tenter d’entrer dans la tête des tueurs parce que c’est la chose qui pour moi est la plus incompréhensible. Si je comprends le cheminement qui peut amener certains à tuer, je reste complètement perdue devant la violence. Donc, à travers l’écriture, je tente de survivre à ce mystère que sont les âmes gangrenées. D’où mon sens de la dérision, seule échappatoire pour moi. Mon écriture a forcément évolué vers plus de réalisme, mais toujours avec quelques racines bien ancrées dans mes premiers livres.

Coco givrée est, si je ne me trompe pas, le troisième roman que tu situes à Pandore. Est-ce parti pour une longue série?

Oui, Coco givrée est le troisième roman situé à Pandore. Je n’avais pas écrit le premier (Babylone Dream) avec l’intention de reprendre les personnages et cette ville mystérieuse dans d’autres livres. C’est venu comme ça. Disons qu’ils ne voulaient pas me lâcher... Mais là, pour moi c’est en principe fini. Je suis en train d’écrire un nouveau thriller où ils n’apparaissent pas. Je ferai peut-être un clin d’œil à la chienne Téquila qui a commencé à picoler dans Téquila frappée. Avec ma série du Commissaire Léon, le flic qui tricote, à un moment donné, j’ai voulu le tuer. Mais comme j’en avais fait un film (Madame Edouard) où Michel Blanc que j’aime beaucoup a incarné le personnage, j’ai eu peur qu’il lui arrive quelque chose. J’ai quand même grandi dans un village où la sorcellerie existait. Ça marque!

Où en est le projet de deuxième long métrage après Madame Edouard?

Mon projet de film tiré de Nickel Blues, également publié chez Belfond, est en montage financier. Vu la frilosité des producteurs français – et aussi des belges! -, j’ai monté ma propre boîte de production en Belgique (Chapeau Boule) et je travaille avec un producteur luxembourgeois, Pol Cruchten, qui croit à fond à ce projet et apporte une participation financière. J’aurais déjà pu le monter depuis longtemps car, comme pour Madame Edouard, j’ai un gros casting. Mais le sujet est tellement barré que les Français ont peur de s’engager même si j’ai eu le Prix des Lycéens de Bourgogne, ce qui devrait les rassurer car j’ai un gros public de jeunes lecteurs. Mais comme j’oscille entre C’est arrivé près de chez vous et Bernie... Si j’avais fait des concessions, c'est-à-dire si j’avais édulcoré mon histoire, elle serait déjà tournée. Mais je ne me suis pas battue jusqu’ici pour garder ma sacro-sainte liberté et baisser mon froc! Je préfère escalader une montagne et rester libre que de prendre le train avec des menottes.

samedi 6 mars 2010

Foire du Livre : Martin Page fait disparaître Paris

Pour en savoir davantage sur Martin Page, le plus simple est de visiter son site. On y lira quelques lignes de biographie: "Né en 1975, Martin Page passe sa jeunesse en banlieue sud de Paris. Son premier roman, Comment je suis devenu stupide, est publié en 2001. Suivront, au Dilettante, La Libellule de ses huit ans (2003), On s’habitue aux fins du monde (2005). Peut-être une histoire d’amour paraît en 2008 aux éditions de l’Olivier. Auteur d’un livre sur la pluie, il écrit également pour la jeunesse à l’Ecole des Loisirs (Conversation avec un gâteau au chocolat, Je suis un tremblement de terre…). Ses livres sont traduits dans une quinzaine de pays."
Il y a mieux encore: le lire. Une parfaite journée parfaite a été réédité récemment en poche. La disparition de Paris et sa renaissance en Afrique est paru en janvier. C'est sur ce livre et sur ses personnages que je l'ai interrogé. Une brève présentation du roman n'est pas inutile, d'abord.

«Par nombre de traits de caractère, de choix et de positions, je me place hors du cours normal des choses. Ce qui s’est produit lors de la semaine suivante procède donc d’une certaine logique.» Mathias, l’«homme de l’ombre» qui rédige depuis douze ans les discours du maire de Paris, doit rencontrer Fata Okoumi, une femme d’affaires africaine grièvement blessée par un policier auquel elle refusait de présenter ses papiers d’identité. Il s’est vu confier par le maire le soin d’apaiser la colère de la victime et d’imaginer le moyen de réparer l’offense. Mais est-ce vraiment le hasard ou une certaine logique qui conduit Mathias à s’attacher déraisonnablement à sa mission? Et à vouloir ardemment exaucer le dernier souhait de Fata Okoumi – quand ce souhait est de faire disparaître Paris?

Mathias, votre personnage principal, semble être un homme sans grandes ambitions, plutôt satisfait de son sort. Et peu soucieux, au moins dans un premier temps, d'influer sur les événements. Est-ce ainsi que vous le voyez?

Oui. Disons que c'est déjà une ambition que de résister à l'ambition. Ne pas obéir à l'incitation à gagner plus, à grimper dans l'échelle sociale demande une grande volonté et un certain acharnement. Mais chez Mathias cela sert aussi à justifier l'inaction dans sa vie personnelle. C'est là qu'il n'est plus vraiment honnête: s'il reste seul, s'il ne prend aucun risque en amour, c'est bien parce qu'il a peur de s'engager. Il s'invente de belles raisons à son inaction. Elles tiennent quand il s'agit de son travail, elles sont valides; elles ne tiennent pas quand il s'agit de sa vie sentimentale. Dans ce cas il se trompe lui-même.

Femme et africaine, Fata Okoumi est presque à l'opposé du cliché correspondant à la femme africaine. S'agit-il d'une volonté délibérée de votre part, ou le personnage s'est-il imposé avec ses caractéristiques?

Oui je voulais proposer un personnage hors des clichés et le plus polysémique possible. Fata Okoumi n'est pas un personnage auquel on s'attend, à tel point que personne n'est à l'aise avec elle. C'est cela qui m'intéressait.

Paris, la ville en général, voire toute organisation humaine, se définissent dans votre roman comme des corps évolutifs. Donc vivants? Et mortels?

Je crois qu'on le sait mais qu'on n'aime pas y penser: les villes et les civilisations sont mortelles. Mais si elles sont mortelles, elles laissent des traces, elles enfantent et inspirent. Il y a des fins et des destructions, mais ce n'est pas stérile: de nouvelles villes naissent, inspirées des villes anciennes. Je ne crois pas à la réincarnation des êtres humains, mais je crois en revanche que les idées et les rêves survivent et ensemencent ailleurs.

Foire du Livre : Claro, homme-orchestre

Dernière facétie de "MadMan Claro" sur Facebook (elle ne tardera pas à être remplacée par une nouvelle): il "va expliquer aux Belges comment on boit soixante bières dignement sans jamais se tromper dans ses déclinaisons."
Cet homme singulier ne se contente pas de lâcher ainsi, à intervalles irréguliers, des phrases bien senties. Il écrit des livres comme Madman Bovary ou, à paraître dans quelques jours, Mille milliards de milieux. Il en lit et en parle merveilleusement bien sur son blog, le Clavier Cannibale (extraits, désormais, à lire en bas de la colonne de droite). Il en traduit à un rythme affolant - je vous ai parlé ici, l'an dernier, du roman en vers de Vikhram Seth, Golden Gate. En février est sorti, traduit par lui, Etoile de Paris, de William T. Vollmann. En avril (je viens de recevoir le volume), ce seront les 700 et quelques pages de Oméga mineur, de Paul Verhaegen.
Avant de se rendre à la Foire du Livre de Bruxelles, il a quand même pris quelques jours de vacances, parfois même sans connexion Internet. Mais, la phrase de Facebook citée au début de cette note le prouve, il est donc maintenant en Belgique. L'occasion de lui poser trois questions.

Entre le blog où tu recommandes souvent des ouvrages et ta présence remarquée sur Facebook, les interventions sur Internet représentent-elles une nécessité ou un divertissement?

Multiplier les formes d'écriture - romans plus ou moins longs, formats moyens pour le blog, forme ultra-courte pour Facebook -, répond à un besoin d'écriture à plusieurs niveaux, selon des vitesses et des intensités différentes, avec un impact allant de l'aléatoire à l'immédiat. Ecrire est une nécessité mais les formes que prend l'écriture peuvent tendre vers le divertissement, au sens où il est agréable (et utile) d'emprunter des «détours», une forme de jogging textuel qui entretient le clavier avant ou pendant de plus amples marathons.

Ton travail de traducteur te place souvent face à des œuvres atypiques - et difficiles à traduire. Est-ce par goût du défi, parce que tu vas naturellement vers ce genre de littérature, parce que personne d'autre ne veut s'y coller, que sais-je...?

Ce qui est intéressant en traduction, c'est l'obstacle, la difficulté, ce moment (ce lieu) où l'on touche à la frontière de l'intraduisible. Il y a alors déséquilibre, on trébuche dans sa propre langue, il faut recréer les conditions de production du texte, inventer de nouveaux dispositifs, réapprendre à la langue à marcher. C'est une source d'excitation importante, qui préserve de l'ennui. Rien de pire qu'un long texte invertébré et flaccide! Mieux vaut une forêt obscure toute rutilante de dangereux crotales.

Ton écriture personnelle est-elle nourrie par la traduction, ou bien souffre-t-elle du temps que tu passes à t'occuper des autres?

Il se produit une sorte d'échanges d'intensités, comme s'il s'agissait de deux dynamos fonctionnant selon des régimes légèrement différents, l'une plus alimentée par l'extérieur, l'autre plus par l'intérieur. Les deux engins profitent alternativement de leurs courants. Le problème du temps consacré est évidemment problématique, mais il en va de même pour quiconque exerce un métier en plus de l'écriture. Écrire n'est jamais un problème de temps, il suffit de dormir moins, de ne pas regarder la télévision et de tirer le meilleur parti des siestes.