Chez Albin Michel, on s'attèle depuis le début de l'année à sortir Pierre Benoit de l'ombre où il se trouvait. Une biographie - j'y viens tout de suite -, des rééditions et maintenant un prix littéraire qui portera le nom de l'écrivain né en 1886 et mort en 1962. Le prix Pierre Benoit du roman romanesque sera donc attribué pour la première fois à une œuvre inédite qui convoque les thèmes du voyage et de l'aventure, à l'instar des romans de Pierre Benoit. Les manuscrits doivent être adressés avant le 31 décembre aux Éditions Albin Michel (22 rue Huyghens, 75014 Paris) avec la mention "Prix Pierre Benoit du roman romanesque". L'heureux élu bénéficiera, pour son ouvrage, d'une campagne publicitaire d'un montant de 15.000 euros.
Mais pourquoi Pierre Benoit? J'en avais parlé il y a quelques mois avec Gérard de Cortanze, son biographe...
Gérard de Cortanze,
romancier prolifique, sait aussi ce qu’est une biographie. Il en a consacré
plusieurs, sous diverses formes, à Paul Auster, Ernest Hemingway ou J.M.G. Le
Clézio. Il dirige la collection « Folio biographies » chez Gallimard.
Et il a publié en mars Pierre Benoit, le
romancier paradoxal, livre épais et passionnant à propos d’un écrivain que
le monde littéraire avait à peu près perdu de vue malgré ses 42 romans publiés
de 1918 à 1961 presque tous chez le même éditeur et vendus à des millions
d’exemplaires. Au point d’avoir été, avec Kœnigsmark,
le premier auteur publié au Livre de poche, en 1953. L’éclipse et, ces
jours-ci, l’embellie correspondant au 50e anniversaire de sa mort,
posent bien des questions auxquelles Gérard de Cortanze est le mieux placé pour
répondre.
Pourquoi vous être intéressé à Pierre
Benoit ?
Les Éditions Albin Michel souhaitaient remettre
cet écrivain au goût du jour à l’occasion de l’anniversaire de sa mort. Il a eu
un lien très particulier avec la maison d’édition et il était d’ailleurs le
parrain de Francis Esménard, l’actuel directeur, qui est à l’origine du projet.
Ce qui m’a permis de travailler à partir d’archives inédites. Il y a quarante
ou cinquante cartons que j’ai ouverts les uns après les autres en y découvrant
toute une vie rassemblée.
Rien de tout cela n’avait jamais été
exploité ?
Très peu. Il faut quand même mentionner
l’existence d’une secte – j’appelle cela une secte, avec tendresse et amitié –,
les Amis de Pierre Benoit. Ils publient tous les ans un petit recueil dans
lequel ils étudient inlassablement son œuvre. Mais ils n’avaient pas accès à
tous ces documents. Je crois que cette biographie révèle beaucoup de choses. Au
fond, beaucoup de gens ont lu Pierre Benoit, beaucoup d’écrivains y font
référence mais il était quand même un peu oublié. Je crois que les vrais
écrivains ne meurent jamais.
A vos yeux, il est un écrivain assez important
pour justifier le vaste travail que vous lui consacrez ?
Ah ! oui ! Quand on parle de quelqu’un,
c’est qu’on s’y retrouve un peu. Chez Pierre Benoit, il y a plusieurs choses.
Sous des apparences de dilettante, c’était un travailleur acharné, qui publiait
un roman par an. J’aime bien les écrivains qui écrivent. Et puis, il envoyait
ses lecteurs au bout du monde, chacun de ses romans est un univers différent.
Assez vite, il se met à voyager. Son enfance en Tunisie et en Algérie avait été
très importante, il y avait appris comment trois grandes religions pouvaient
vivre en harmonie. Sa tolérance, présente dans bien des livres, où il n’y a pas
une ligne d’antisémitisme, est exemplaire.
Pourtant, après la Seconde Guerre mondiale, il
devient une cible de l’épuration. Pourquoi ?
D’abord, il y a la jalousie. Il est connu,
reconnu, fêté, glorieux. Il ne pouvait pas faire un pas sans que la presse
s’empare de ses moindres faits et gestes, il avait une ribambelle d’amantes
toutes plus belles les unes que les autres. Dans mon livre, je reprends point
par point les pièces du dossier de la collaboration. Il était de droite, ce qui
n’en fait pas un nazi. Ses amitiés allemandes vont vers des gens, vers une
culture. Je cite Gerhard Heller, qui dirigeait la propagande allemande à Paris.
Il a rencontré plusieurs fois Pierre Benoit et jamais il ne l’a entendu dire la
moindre chose positive au sujet de la collaboration et des nazis. Mais on avait
décidé de le ranger de ce côté, et il en a beaucoup souffert. N’oublions pas
qu’il a fait de la prison et qu’il l’a toujours ressenti comme une profonde
injustice.
Il aimait être là où les choses se passaient, et
cela n’a pas toujours joué en sa faveur…
On lui a reproché d’avoir interviewé Mussolini.
Hemingway aussi a interviewé Mussolini. Il faisait son boulot de journaliste.
C’est le paradoxe de Pierre Benoit. D’une part, il est en dehors du monde, il
est dans l’écriture, avec ses copains, et en même temps il a un intérêt profond
pour son époque. Donc il interviewe aussi Goebbels ou Salazar, entre beaucoup
d’autres qui font l’histoire. Et il en ramène des choses intéressantes pour ses
romans.
Une biographie réussie, qu’est-ce que c’est ?
C’est
une biographie qui donne envie de lire l’auteur dont on parle, quand il s’agit
d’un écrivain. Il ne s’agit évidemment pas de remplacer l’œuvre par la
biographie. Celle-ci doit conduire vers l’œuvre. Quand on sort d’une biographie
de Gene Kelly, on a envie d’aller voir ses films. Ou de Mozart, d’écouter sa
musique. Van Gogh, de regarder ses toiles. En même temps, je ne conçois pas
l’œuvre sans la biographie. Si on ne sait pas que le père de Pierre Benoit
était militaire, qu’il a vécu vingt ans en Algérie et en Tunisie, changeant
sans cesse de lieu, on ne comprend pas bien pourquoi sa vie a été orientée vers
les voyages.