mercredi 31 août 2011

Les hypermarchés culturels ouvrent la saison des prix littéraires

Plus rapides que les jurys traditionnels, libraires et lecteurs de deux grandes enseignes ont déjà fait leur choix dans la rentrée.
Virgin Megastore, associé au magazine Lire, a frappé le premier hier en couronnant le romancier écossais John Burnside pour (sauf erreur) son cinquième ouvrage traduit en français, Scintillation.
À défaut de donner un avis personnel sur ce roman, pas encore lu bien qu'il soit dans mon programme de lecture, je vous en confie les premières lignes.
Là où je suis à présent, j’entends encore les mouettes. Tout le reste s’estompe, comme le font les rêves dès qu’on s’éveille et qu’on cherche à se les rappeler, mais les mouettes sont encore là, plus sauvages et braillardes que jamais. Elles tournent et virent par milliers, appelant et criaillant d’un bout à l’autre de la presqu’île, tellement stridentes et ininterrompues que je n’entends que ça: ça, et un dernier murmure de vagues et de galets, un grondement local, insistant, derrière les cris de ces oiseaux fantômes dont je remarquais à peine la présence dans la vie qui fut la mienne avant que je franchisse le Glister. C’est tout ce qu’il reste de cette ancienne vie: des oiseaux, par nuées jacassantes, écumant la presqu’île; des vagues grises, froides, se déroulant sur la grève. Rien d’autre. Aucun autre son, et rien à voir hormis l’ample et pure lumière dans laquelle je m’avance de mon plein gré, sans relâche, au terme d’une histoire que déjà je commence à oublier.
Aujourd'hui, dans la foulée, on connaîtra le prix du roman Fnac. Un indice? Il s'agit d'un livre que j'ai commencé à lire il y a quelques jours et dont les habitués de ce blog ont donc déjà entendu parler. Plus de détails dans l'après-midi ou demain matin...

mardi 30 août 2011

Didier Daeninckx entre l'Afrique et l'Allemagne

Il s’appelle Ulrich, vit avec sa mère à Ruhrort, près de Duisbourg, et ne comprend pas, mais alors pas du tout, pourquoi les animaux domestiques des Juifs, décrétés perdus pour l’espèce, sont raflés puis tués par l’armée allemande. Prélude à d’autres rafles et à d’autres exterminations.
Il ne comprend pas davantage pourquoi il est tout à coup interdit de piscine. Ni pourquoi sa peau noire l’exclut d’une société où la pureté de la race est érigée en idéal absolu. Sa mère lui explique alors son amour pour un soldat africain de l’armée française qui a occupé la région en 1921. Et pourquoi il s’appelle aussi Galadio.
D’une situation qui rend la vie impossible au jeune garçon, Didier Daeninckx tire un bref roman sur la quête des origines. Les événements conduisent Galadio en Afrique, avant le retour après la guerre en Allemagne, pour découvrir l’étendue du désastre.
L’écrivain souffre des blessures de son personnage.
Nous aussi.

lundi 29 août 2011

Percy Kemp vers l'Apocalypse

Aux Européens qui s’imaginent, avec un frisson de peur mâtinée d’excitation, avoir connu l'an dernier l’Apocalypse après l’éruption du volcan Eyjafjöll en Islande, il faut conseiller d’urgence la lecture (ou la relecture) de La route, le roman de Cormac McCarthy. Des survivants y sont plongés dans un monde d’après-catastrophe. Une vraie, celle-là. Dans Le Mercredi des Cendres, le dernier thriller de Percy Kemp, Agaïev conseille le livre à Zandie. Une préparation à ce qui se met en place…
Mais Percy Kemp ne précipite pas les choses. Avant d’en arriver là, il a usé abondamment de dialectique et de rhétorique. Il a mis face à face, pendant neuf mois, Zandie et Agaïev, le premier étant prisonnier du second. Il a élaboré avec patience et précision les mécanismes de pensée qui fonctionnent dans le Monastère, où Charlie, relégué à l’étude des Ouïgours, ne parvient plus à jouer l’électron libre sur le terrain – l’Américain a fait trop de dégâts à Paris, sans résultat. Il a posé le Vieux de la Montagne en ennemi du Bien, régnant sur une Confrérie éparpillée dans le monde et parfois déchirée entre ses chefs locaux. Si le Vieux de la Montagne est un double de Ben Laden, il est aisé de décoder les noms des autres partenaires.
Percy Kemp a transformé le monde réel en un jeu mortel où la pensée joue le premier rôle et où les actions qui en découlent sont des coups inscrits dans une logique à long terme menant au terme de la partie: échec et mat. Sans qu’il soit possible pour autant de désigner un vainqueur, à moins qu’il s’appelle Pyrrhus.
Le temps du bon et du méchant est passé depuis longtemps. La vérité est relative, elle se forge dans notre regard. «On ne voit que ce que l’on veut bien voir», affirme l’Abbé (qui dirige le Monastère). Ajoutant: «Tout va si vite de nos jours que nous ne percevons plus avec nos sens, mais avec notre mémoire.» Le meurtre d’un homme à Bagdad est évidemment un acte terroriste, celui d’un autre à Marseille est tout aussi évidemment un règlement de comptes. Mais l’évidence est mensongère, comme Le Mercredi des Cendres ne cesse de le démontrer, imbriquant un raisonnement dans un autre, renversant les données comme on le fait d’un sablier qui a marqué une période, et qui recommence – avec d’autres enjeux.
Les hommes et leurs aspirations sont au cœur du système, ou plutôt des systèmes contradictoires qui s’affrontent en se rejoignant de temps à autre de manière inattendue. Ce qui permet au romancier d’imaginer une intrigue au-delà des clichés les plus ancrés dans nos pauvres raisonnements figés. Percy Kemp fait peur. Il avait prévenu en dédiant son livre «à tous ces émules de Kim qui, aujourd’hui encore, se trompent de combat et d’ennemi.» Ce qu’il décrit est une dynamique plutôt qu’une situation. Alliances et trahisons se répondent en participant d’une seule et même ambition: remettre de l’ordre sur une planète qui bascule doucement vers la folie. Serait-ce pour répondre par une autre folie…
Oubliez tout ce que vous avez appris du fragile équilibre géopolitique qui fait vibrer l’actualité. Ouvrez ce livre, au risque de ne jamais vous en remettre. Vous y êtes: non pas dans une autre vérité, mais dans le doute nécessaire.

samedi 27 août 2011

L'actualité littéraire (25) - Jusqu'au cou dans la rentrée littéraire

Plus personne, à moins de se désintéresser complètement de la vie du livre (et alors, je vous le demande, que faites-vous ici?), ne peut l'ignorer: la rentrée bat son plein, les chroniqueurs littéraires ont des poches sous les yeux, les libraires ont les bras rompus de mettre en place tant de nouveautés, les jurés soupèsent les mérites de tel ou tel roman qu'ils envisagent peut-être, ou à coup sûr, d'intégrer à leurs premières sélections.
La Fnac a, en tout cas, fait connaître le choix restreint à sept ouvrages parmi lesquels se trouvera son lauréat de l'année, annoncé le 31, dès mercredi donc. Il s'agit de:
Je n'ai lu encore que les romans de David Foenkinos et David Vann dans cette liste (celui de Delphine de Vigan est en cours).
Du premier, je serais prêt à reprendre exactement les mots d’Éric Chevillard dans Le Monde daté d'hier. Ce qu'il appelle Littérature pavillonnaire n'est de toute évidence pas sa tasse de thé. Ni la mienne. Retenez quand même que, pour l'instant, Les souvenirs est souvent cité comme favori du Goncourt. (S'il le remportait, cela me désolerait.)
Désolations, en revanche, est un roman puissant, noir, habité par des rêves impossibles qui conduisent au désespoir et à la catastrophe. Tout à fait digne du roman avec lequel on avait découvert David Vann l'an dernier, Sukkwan Island, dont je vous parlais pas plus tard que jeudi.

Si une brève présentation de la rentrée littéraire vous intéresse, je vous renvoie à l'article que j'ai publié hier dans Le Soir, Très étrangère, la rentrée 2011.
Et, pour suivre l'évolution des sélections des principaux prix littéraires, je vous renvoie au document Prix littéraires 2011, que je viens de créer et qui sera mis à jours au fur et à mesure qu'arrivent les informations.

vendredi 26 août 2011

Jean-Christophe Rufin : nids de terroristes au Sahara

Ambassadeur de France à Dakar, encore en poste à la sortie de Katiba, son dernier roman, Jean-Christophe Rufin a été marqué par une rencontre. Fin 2007, il a accueilli et écouté le survivant d’une famille française qui avait été massacrée dans le sud de la Mauritanie. «Par ce contact direct, le phénomène terroriste devenait pour moi une réalité concrète et presque intime», écrit-il dans une postface. Celle-ci lui sert aussi de défense anticipée avant l’éventuel rappel du devoir de réserve auquel il est tenu: «Les événements que je raconte ne se déroulent pas dans le pays où j’ai été en poste et ne sont pas tirés de mon expérience. Ils ne constituent en rien un témoignage et je n’ai utilisé, pour les décrire, aucune des informations confidentielles auxquelles mes responsabilités me donnent accès.» Dont acte. Bien que le lecteur s’en moque.
Toujours est-il que Katiba commence par le massacre de quatre touristes italiens sur une route mauritanienne. L’opération terroriste avait été montée pour prendre des otages et en tirer une bonne rançon. Impréparation, inexpérience des exécutants: l’échec est total. Dans la katiba – camp de combattants islamistes – dont il est le chef, Abou Moussa annonce une grande décision: malgré l’interdiction d’Abdelmalek, chef suprême de l’organisation, il va se remettre en contact avec Kader, jugé plus efficace. Mais suspect de faire passer le commerce avant la foi…
C’est le début d’un thriller très efficace, qui remet en scène l’agence de renseignements Providence imaginée par l’auteur dans son précédent roman, Le parfum d’Adam. En des temps où l’élection d’Obama inquiète les partisans de la lutte contre «l’axe du mal» désigné par son prédécesseur, une officine privée possède une liberté d’action dont l’administration américaine est dépourvue.
Voici donc, au cœur du Sahara, dans un vaste territoire où les frontières sont immatérielles et où règnent des bandes armées, une guerre nouvelle. Avec les moyens les plus sophistiqués de la technologie moderne, Providence surveille et agit. Ses hommes sont partout. Mais c’est une femme étrangère à l’agence qui trouble le jeu: Jasmine, au service du protocole du Quai d’Orsay depuis cinq mois, est sur l’échiquier géopolitique une pièce mal définie. Jeune veuve d’un consul avec qui elle a vécu deux ans à Nouadhibou, en Mauritanie, elle a fait en Afrique plusieurs voyages qui la désignent comme «mule», transporteuse de drogue. Si elle y retourne aujourd’hui sous couvert de mission pour une ONG, c’est probablement qu’elle cache quelque intention moins avouable…
Le roman est un kaléidoscope qui jongle avec la géographie, les alliances, les trahisons. Sa complexité s’accroît au fur et à mesure qu’on en découvre les ramifications. Les forces engagées dans la manœuvre seront toujours plus importantes qu’on le pensait. Et le but final, plus obscur qu’il était possible de l’imaginer.
Jean-Christophe Rufin jongle avec tout cela sans rater un mouvement. S’il est, comme il semble le démontrer ici, un grand lecteur de John Le Carré, il a parfaitement assimilé la leçon. Elle consiste, entre autres choses, à ne jamais lâcher son lecteur en cours de route, quitte à lui faire prendre parfois, le long de cette route, des vessies pour des lanternes. Cela n’éclaire pas beaucoup, juste assez pour pousser jusqu’au point de lumière suivant, puis au suivant, etc., jusqu’au bout. Qu’on atteint avec soulagement et regret. Le soulagement, vous verrez pourquoi. Le regret, parce que la dernière page a été tournée.

jeudi 25 août 2011

Père et fils face à face : "Sukkwan Island", de David Vann

Roy a treize ans quand Jim, son père, lui propose de passer avec lui une année sur une petite île de l’Alaska. Le but avoué consiste à vivre comme des pionniers dans une cabane en bois. Les provisions ne seront pas suffisantes, il faudra les reconstituer au fur et à mesure. Chasser, pêcher, fumer la viande et le poisson, faire face à la voracité des ours, rassembler assez de bois pour traverser l’hiver. Jim s’est imaginé que Roy prendrait cela comme une grande aventure, avec enthousiasme. L’enthousiasme n’est pas au rendez-vous. Roy a pressenti des motivations moins excitantes. Jim a lâché son travail de dentiste après avoir échoué dans d’autres entreprises, est sur le point de divorcer pour la deuxième fois et ne sait plus où il en est. Il espère donc probablement que ce séjour au cœur d’une nature peu accueillante l’endurcira assez pour lui donner les forces de repartir ensuite sur des bases plus solides. Et qu’il lui permettra de se rapprocher d’un fils dont il connaît, au fond, peu de choses.
Le premier roman de David Vann est divisé en deux parties que sépare un événement irréversible. La seconde est loin de correspondre aux espoirs placés dans la première. Celle-ci, déjà, n’avait pas été une villégiature agréable. Pas plus que Roy, Jim n’est préparé à affronter les difficultés qu’ils rencontrent. Il s’aperçoit très vite de tout ce qui leur manque. Il n’a pas pensé à tout. A-t-il d’ailleurs vraiment pensé? Il n’en donne l’impression que pour se rassurer lui-même. Et cela ne suffit pas à rassurer Roy. Quand il entend sangloter son père le soir, il se demande dans quelle galère il s’est embarqué et s’il ne ferait pas mieux de quitter l’endroit au plus vite.
En raison de la politique éditoriale suivie par la maison française qui publie la traduction de ce texte, il est tentant de s’attarder sur la présence de la nature dans Sukkwan Island. Sa place est importante, bien sûr. Presque complètement isolés du monde «civilisé», le père et le fils ont à réapprendre des gestes que les progrès techniques ont fait oublier. Et à redécouvrir, par conséquent, comment se comporter dans un milieu que l’homme n’a pas encore complètement domestiqué. Ce sur quoi semble reposer le projet.
Mais d’autres intentions jouent aussi leur rôle. Si bien que la relation entre le fils et le père, envisagée surtout par le premier des deux, prend le dessus sur le thème attendu. David Vann, qui dédie ce livre à son propre père, a placé ses personnages dans un espace où la complicité et la confrontation ont toute liberté pour s’exprimer. Parfois, Roy déteste son père au point de souhaiter le voir mourir. Il se sent contraint d’être plus fort que lui, de compenser ses faiblesses. D’où le drame qui surgit au milieu du roman, et qui fait naître une terrible angoisse.

mardi 23 août 2011

Elif Shafak : les effets pervers d'une révélation

Elif Shafak élargit son champ romanesque. Dans l’ordre où nous sont arrivées les traductions françaises, elle s’est d’abord ancrée en Turquie avec La bâtarde d’Istanbul et Bonbon Palace – sa plus belle réussite à ce jour. Lait noir abordait la question de la maternité sur un mode à la fois humoristique et grave, quelque part entre «chick lit» et Laurence Pernoud, à l’ombre de grandes écrivaines.
Avec Soufi, mon amour, elle lorgne du côté de Paulo Coelho. On peut espérer qu’Elif Shafak est moins contaminée par la révélation d’un chemin personnel que son héroïne, Ella Rubinstein. Celle-ci ne semblait pas avoir le profil idéal pour tomber dans des pièges aussi visibles que les quarante règles à découvrir, en même temps qu’elle, à travers le roman. Ella a sacrifié une vie professionnelle prometteuse à sa famille – qui l’a comblée. Mais les enfants sont grands, le mari moins fidèle que le chien. Pour le dire vite, elle s’ennuie un peu et pense trouver un travail à sa mesure comme lectrice dans une maison d’édition. Pas de chance: le premier manuscrit sur lequel on lui demande un rapport va changer sa vie. Il met en scène la relation entre un derviche et un poète au XIIIe siècle. Il contient des phrases définitives comme: «Les mots qui sortent de nos bouches ne disparaissent pas, ils sont éternellement engrangés dans l’espace infini, et ils nous reviendront en temps voulu.» C’est extrait d’une des quarante règles. Pardon: des quarante Règles, puisque la majuscule s’impose.
A dire vrai, on aurait dû comprendre dès le début que le livre était mal embarqué. Peut-être Elif Shafak en a-t-elle eu le pressentiment, puisqu’elle le dédouble en un roman dans le roman et transfère la fascination d’Ella pour le manuscrit vers son auteur. Qui, tant mieux pour elle et tant pis pour nous, ressemble à ce qu’il écrit. Accident de parcours ou nouvelle orientation?

vendredi 19 août 2011

Le ciel étouffant de Catherine Mavrikakis

Sous Le ciel de Bay City, mauve et toxique, Amy Duchesnay a passé une adolescence brouillonne, «hantée par une histoire que je n’ai pas tout à fait vécue», dit-elle. Sa mère et sa tante ont, au contraire de nombreux autres membres de leur famille, survécu à l’Holocauste. Les fumées d’Auschwitz sont pour Amy une encombrante réalité qui occulte la lumière. Et interdit tout espoir. La jeune fille ne peut prétendre qu’à rejoindre tous ces morts, emportant avec elle la maison et ses occupants dans un brasier libérateur. «Il faut incendier le ciel. Mets donc le feu à tout cela», lui a glissé, comme un ultime conseil, un vieil homme censé être le fantôme d’un grand-père disparu…
Le livre de Catherine Mavrikakis, son premier à paraître en France (les autres ont été publiés au Québec), ouvre un univers étouffant. L’air y manque en effet souvent, tant les obsessions d’Amy se gravent en nous sous la forme de blessures personnelles. Mais une sombre beauté habite pourtant ce désespoir à travers lequel résonnent des thèmes puissants, en particulier la culpabilité des survivants.
Survivante, Aly le sera au terme des quelques jours de juillet 1979 dont, beaucoup plus tard, elle retrace le déroulement. Le 4, date de l’Independance Day, est aussi le jour de ses dix-huit ans. Elle n’a pas attendu ce moment pour découvrir les possibilités offertes par le sexe. Elle ne s’interdit rien depuis longtemps. Mais «les centaines d’orgasmes dans des décapotables» ont le plus souvent été pour elle des occasions de regarder le ciel, et elle ne s’est jamais oubliée dans une extase qui lui reste inaccessible. Baignée par la musique d’Alice Cooper, elle est coupée du rêve américain qui lui paraît mièvre au regard de ce qui l’habite. Et si son anniversaire revêt cette année-là une importance particulière, c’est en raison de l’acte qu’elle a décidé de poser dans la nuit.
On ne saura jamais ce qui s’est exactement passé, même si la version d’Amy, à laquelle elle veut croire, est précise. Quelques éléments fantastiques tiennent le roman à petite distance d’un pur réalisme. Son héroïne, quant à elle, n’est parfois pas très loin de la folie. Elle s’accroche au ciel bien plus qu’à la terre. Elle continue à lancer dans sa direction les avions qu’elle pilote, comme pour zébrer la surface menaçante de traces provisoires et combattre les émanations asphyxiantes des fours crématoires.

jeudi 18 août 2011

Premier coup de coeur de la rentrée, Jonathan Franzen

Il en a déjà été beaucoup question un peu partout, Freedom ayant été annoncé comme un des événements de la rentrée littéraire. Ce qui n'est pas une preuve de qualité. Mais, dans ce cas, le livre est digne de l'attente (un an depuis l'édition américaine, ce n'est pas trop, finalement, pour cet épais pavé).
Neuf ans après Les corrections, Jonathan Franzen a tissé une nouvelle toile serrée, dont il y a beaucoup à dire - et bien davantage que ce que j'ai pu écrire ce matin dans Le Soir à travers deux articles.
Le premier, Franzen, populaire et exigeant, est surtout consacré à l'auteur, à sa carrière et à l'évolution de ses choix esthétiques. Évolution qui explique, en partie au moins, son succès.
Le second, «Freedom», des mensonges à tous les étages, s'attache plus particulièrement au roman. C'est là qu'il aurait fallu développer davantage le travail de l'écrivain sur ses personnages, les caractéristiques de ceux-ci, leur parcours dans le temps et la structure d'ensemble.
Du moins s'agit-il d'une première approche, qu'il faudra compléter par la vôtre au fil d'une lecture longue et enthousiasmante.

C'est la rentrée, pour les poches aussi

Depuis hier, les nouveautés de la rentrée littéraire doivent commencer à envahir les étals des libraires. Jonathan Franzen, Éric Reinhardt, Sorj Chalandon ou David Foenkinos sont sur les rangs, ainsi que 650 autres qui arrivent en même temps ou s'apprêtent à les rejoindre. Il y a de belles choses, et de moins belles, dans cette marée. Qui ne me détournera pas d'une actualité à plus petit format mais au moins aussi importante pour de nombreux lecteurs. Ils ont pris patience, ils sont récompensés: les livres qu'ils voulaient lire sortent maintenant en poche. On commence tout de suite.

John Maxwell Coetzee est mort. Non, pas vraiment. Seulement dans son dernier livre traduit en français. Poursuivant l’autobiographie inaugurée avec Scènes de la vie d’un jeune garçon et Vers l’âge d’homme, il rompt avec le récit personnel. Et confie les années 1972-1975, celles de sa naissance comme écrivain, à un universitaire imaginaire qui prépare un livre sur lui. L’universitaire en question n’a jamais rencontré le prix Nobel de littérature 2003 mais il interroge des personnes qui l’ont connu, surtout des femmes, pour se faire une idée de la personne qu’il était.
Quelques données biographiques traversent les entretiens. Pour ce qu’on en sait, elles correspondent à peu près à la réalité. En 1972, Coetzee vient de rentrer des Etats-Unis pour s’installer au Cap. Il a la trentaine, il enseigne et il publie Terres de crépuscule en 1974. Il écrit Au cœur de ce pays. Le reste est fourni, en dehors de fragments de ses carnets, par des témoignages. Ce n’est pas rien, le reste: quel homme il était, comment il se comportait dans la vie courante, sa position sur l’apartheid…
Julia, Margot, Adriana, Martin et Sophie disent-ils la vérité? Leur vérité, probablement, et encore. Certaines femmes en retiennent une partie intime. Mais l’authenticité d’une autobiographie est-elle plus grande? En insinuant cette question tout au long du roman, Coetzee joue avec le genre, met en doute sa validité et proclame la force de la fiction en l’appliquant à lui-même. Le filtre est double. Et l’image qu’on perçoit à travers n’est pas particulièrement flatteuse.
Julia a été sa maîtresse. Elle semble encore se demander pourquoi. Il n’était pas le type d’homme qui inspire le désir. Trop peu de présence, une retenue constante. Au lit, pas terrible. Elle le décrit comme solitaire, refoulé. Devenue psychologue après son émigration au Canada, elle explique pas mal de choses, sur elle-même comme sur lui. Surtout sur elle: dans leur histoire, il a été un personnage secondaire, celui qui se laissait mener dans une relation provisoire.
Margot, sa cousine, ne corrige pas vraiment le portrait. John était vraiment trop Coetzee, dit-elle, ce qui n’est pas un compliment dans sa bouche. Pourtant, elle aimait parler avec lui, et même le mauvais souvenir d’une panne de voiture qui les a obligés à y dormir laisse en elle des traces plutôt douces, quoique teintées encore, si longtemps après, de l’agacement éprouvé devant sa maladresse et son imprévoyance.
Chez Adriana, l’agacement devient une véritable irritation. Elle a eu l’impression que Coetzee flirtait avec sa fille cadette, trop jeune pour cela, pendant les cours d’anglais qu’il lui faisait. Puis qu’il reportait son faible pouvoir de séduction vers la mère, au point de s’inscrire à son cours de danse. Mais il bougeait comme une marionnette. Un corps sans âme…
Si Martin, qui était son ami, est plus retenu et s’interroge surtout sur la validité de la méthode choisie par le biographe, Sophie enfonce le clou. A l’université où il enseignait en même temps qu’elle, ses cours n’avaient pas plus d’âme que son corps. Et, politiquement, il était ailleurs plutôt que quelque part.
Une énigme, au fond, ce Coetzee. Un type pas trop sympathique, débordant parfois d’une sentimentalité intérieure qu’il exprimait avec difficulté dans les relations avec les femmes. Les lettres qu’il envoyait à Adriana assommaient celle-ci, mais il continuait. Un petit homme sans envergure, au sens moral. Avec, peut-être, probablement, un talent d’écrivain. Mais un petit homme peut-il être un grand écrivain?
C’est peut-être la principale question posée par ce livre. Il faut rappeler que c’est Coetzee qui la pose à son propre sujet. Avec la joie féroce de l’imposteur: Je vous ai bien eus! Si bien qu’on en est à l’admirer davantage encore. L’été de la vie est un grand roman. Il grandit celui qui s’y abaisse.

vendredi 12 août 2011

Rentrée littéraire - 1 semaine

Nous y sommes presque. La semaine prochaine, c'est le retour du Monde des Livres en même temps que la première vague de nouveautés dans les librairies. Je continue à défricher et les choix sont difficiles. Aujourd'hui, je vais abandonner provisoirement Le système Victoria, d’Éric Reinhardt (Stock, 17 août), 527 pages, pour commencer Freedom, de Jonathan Franzen (L'Olivier, 18 août), 720 pages...
Et, non, je ne me plains pas. Au contraire: avoir la chance de découvrir une partie de la rentrée littéraire avant l'heure est un plaisir (et doit le rester).
Voici donc la récolte des derniers jours.

Rentrée: "Le passager", de Jean-Christophe Grangé, démarre lentement (défaut habituel) puis accroche très bien http://goo.gl/YYorG

Rentrée: sur fond de croisades, la réclusion d'une femme habitée par Dieu, "Du Domaine des Murmures", de Carole Martinez http://goo.gl/WK3bw

Rentrée: "Du temps qu'on existait", de Marien Defalvard, un premier roman étourdissant http://goo.gl/TxpH7

Rentrée: "Karen et moi", de Nathalie Skowronek, c'est la vie de Karen Blixen comme un miroir http://goo.gl/faUEx

Rentrée: L'épopée ambiguë de "Limonov", c'est compliqué, dit souvent Emmanuel Carrère http://goo.gl/Sjngx

Rentrée: "Les mamiwatas", joli détournement, par Marc Trillard, de l'action culturelle française à l'étranger http://goo.gl/eO44d

Rentrée: retour à Madagascar pour Michel Rio, "Le Vazaha sans terre", après une longue navigation http://goo.gl/DnKGs

Rentrée: "Cheyenn", l'absent dont un film éclaire l'ombre dans le roman de François Emmanuel http://goo.gl/4B33Z

lundi 8 août 2011

Le même lecteur, en 1991

Poursuivons. A partir de 1990, je remonte le temps, année par année, pour grouper dans un deuxième volume les articles de 1991. Plusieurs écrivains, et non des moindres (Amin Maalouf ou Marguerite Duras, par exemple), me parlent de la Guerre du Golfe...
Mais les livres restent l'essentiel dans Le journal d'un lecteur 1991 plus copieux que l'année précédente, disponible sur commande en version papier (207 pages, format de poche, 11€ + frais de port) ou électronique (format PDF, 3,50€).
Pour l'introduire, j'ai écrit ce petit texte, que je vous confie.

Il me plaît que ce recueil d’articles et d’entretiens, en regroupant l’essentiel d’une année de lectures, s’ouvre et se ferme, grâce à l’alphabet, par deux auteurs qui travaillent la langue en poètes. Pierre Albert-Birot et Liliane Wouters, si différents qu’ils soient, ont en commun cette sorte de vertige qui contamine le lecteur. C’est là où est l’essentiel, me disait en substance Le Clézio, cette même année 1991, regrettant d’être tellement romancier et si peu poète…
En relisant la bonne soixantaine d’articles qui composent ce volume, je me suis aussi aperçu de la forte présence des voix d’écrivains. Ils sont assez nombreux, ceux qui se sont ouverts à mes questions ces douze mois-là. Il en est même de très connus, comme Philippe Djian, J.M.G. Le Clézio ou Marguerite Duras. Amin Maalouf était à deux ans du Goncourt (et à dix de l’Académie française). D’anciens lauréats du Goncourt suivaient des chemins différents: Didier Decoin dans la lumière, Pascal Lainé plus secrètement. Anne François avait publié un premier roman splendide et douloureux, qui serait suivi d’un seul autre – mais pourquoi ne pas rappeler le choc qu’avait été Nu-tête
La part faite ici à la littérature belge de langue française s’explique, je veux le croire, de deux manières. Ma propre nationalité, le fait de travailler pour un journal bruxellois (Le Soir) en est une. Mais l’autre n’est pas moins importante : Gaston Compère, Francis Dannemark, Jacqueline Harpman ou Jean-Claude Pirotte ont imposé (avant Amélie Nothomb, dont le premier roman ne paraîtrait que l’année suivante) des mondes aussi universels que celui d’Ismaïl Kadaré – pour reprendre l’exemple cité par Thierry Haumont.
Tout lecteur gourmand, une catégorie dans laquelle je me range volontiers, le sait: la littérature est une école de la diversité. Pas seulement quand un livre fait de cette diversité un de ces thèmes (Marie Ndiaye en 1991). Mais aussi parce que, de livre en livre, la perspective se modifie. Parce qu’une lecture en enrichit une autre d’échos circulant souterrainement entre les pages…
Ce choix n’est pas un palmarès. Il reprend des articles qui me semblent, aujourd’hui encore, pertinents. Il dessine un paysage qui doit beaucoup à la passion et un peu aussi au hasard. Pourquoi ouvrir tel livre plutôt que tel autre, à côté? Le plus souvent, je n’ai pas de réponse. Sinon après coup, quand le choc a été salutaire.

Le lecteur de ce journal, en 1990

Il y longtemps que je lis, vous devez vous en douter (50 ans?). Un peu moins longtemps que j'écris sur les livres (35 ans?). Et, pour retrouver les articles, il a fallu attendre qu'ils soient archivés sur Internet (depuis une vingtaine d'années).
Pour celles et ceux qui aiment jeter un coup d’œil dans le rétroviseur (on dit que c'est prudent), j'ouvre donc une collection de compilations avec Le journal d'un lecteur 1990, disponible sur commande en version papier (format poche, 136 pages, 10€ + frais de port) ou en version électronique (format PDF, 3,50€).
En voici la présentation.

En 1990, je me suis fait voler une carte de crédit. Trop attentif à la discussion que j’avais avec San-Antonio, je ne surveillais pas ma veste. Cela m’a coûté un peu d’argent, mais j’avais fait une belle rencontre. (Avec Frédéric Dard, pas avec mon voleur!)
Que reste-t-il, outre cette anecdote, d’une année de lectures? Des émotions en pagaille, le souvenir de découvertes et de déceptions – encore celles-ci sont-elles généralement très vite oubliées.
Prenons donc cette année 1990: un Goncourt plein de promesses aujourd’hui tenues (Jean Rouaud), un Renaudot dans le doute sur la suite de son travail d’écrivain (Jean Colombier), un Femina au mitan d’une œuvre déjà très affirmée (Pierrette Fleutiaux).
Et bien d’autres ouvrages, signés des plus grands noms – Patrick Modiano, San-Antonio, Paul Auster, Kazuo Ishiguro. Ou d’inconnus, dont certains le sont restés: pour retrouver certains des livres qui m’ont touché cette année-là, il faut arpenter les marchés de l’occasion.
Modeste lecteur de fond, gros consommateur de littérature, je retiens 45 titres parus en 1990. Ils appartiennent à ma bibliothèque imaginaire (je ne conserve pas les livres). Les deux tiers ont été écrits en français, les autres viennent d’un peu partout: d’Europe de l’Est, du Nord, du Sud, des Amériques, d’Australie ou de la Réunion…
Le choix est éclectique: il faut de tout pour répondre à mes goûts. Moins best-sellerisée que ces dernières années, Katherine Pancol est déjà là. Au sommet d’une œuvre sur laquelle il ne s’éternisera pas, Hervé Guibert est encore vivant.
J’avais alors une chance qui, pour mon grand bonheur, dure encore aujourd’hui : j’écrivais déjà, depuis quelques années, dans Le Soir, quotidien bruxellois attentif au monde du livre et promoteur du principal prix littéraire belge (le prix Rossel). J’ai toujours eu l’impression d’y vivre ma passion de lecteur avec une heureuse liberté, d’y écrire les articles que je rêvais d’écrire. Et de rencontrer, grâce à tout cela, des écrivains devenus, pour quelques-uns, presque aussi familiers que leurs livres.
Ces articles, ces entretiens dans lesquels je puise pour faire, tardivement, le bilan d’une année, méritent-t-ils de survivre au papier journal qui les avait d’abord accueillis?
Franchement, je n’en sais rien. Du moins, à les relire, me suis-je plutôt amusé à retrouver des enthousiasmes nourris de plaisir. Si je pouvais, ne serait-ce qu’un peu, faire partager ce plaisir, le mien s’en trouverait augmenté.
Quant à prétendre qu’il s’agit là de la photographie d’une année littéraire, ne comptez pas sur moi. C’est plutôt le résultat d’un vagabondage permanent, d’une curiosité qui m’aide à vivre.
C’est peu et beaucoup à la fois.

mercredi 3 août 2011

Lectures de rentrée, troisième semaine

Je me suis penché sur d'autres activités, quelques jours de retard donc dans la publication de cette liste à peine commentée, deux semaines avant la présence physique des premiers livres de la rentrée littéraire dans les librairies.

Rentrée: "une intrigue policière qui tient du roman populaire", mais farcie de poésie, ""Place des savanes", de Pirotte http://goo.gl/5qaZB

Rentrée: "La légende des fils", de Laurent Seksik, issue lointaine entre père et mère http://goo.gl/tTkaW

Rentrée: et maintenant, attendre mars 2012 pour lire le Livre 3 de "1Q84", par Haruki Murakami http://goo.gl/vt11g

Rentrée: une jeune Européenne découvre Haïti dans "La belle amour humaine", de Lyonel Trouillot http://goo.gl/DXA3l

Rentrée: une belle gourmandise de mots dans "Les amants de Francfort", de Michel Quint http://goo.gl/owKhv

Rentrée: sa main dans ma gueule, annonce Beigbeder (j'ai lu "Premier bilan après l'apocalypse" sur écran). Même pas mal! http://goo.gl/glZf6

Rentrée: exploration, colonisation, révolution, les strates sur lesquelles se pose "Kampuchéa", de Patrick Deville http://goo.gl/ug2dl

Rentrée: une grande maison glaciale et un frère disparu dans "Un avenir", de Véronique Bizot http://goo.gl/3pE6h