A la fin, tout s’arrange: grâce à Sarah, le narrateur plonge dans la littérature belge qui, comme on sait, a le pouvoir de remettre les idées en place. Fessologue, rebaptisé «Léon Morin prêtre» par sa nouvelle amie franco-belge, lit non seulement Béatrix Beck mais aussi Maeterlinck, Henri Michaux, Dominique Rolin et Amélie Nothomb – tout en continuant à préférer Georges Simenon, qu’il connaissait déjà.
Fessologue n’est pas son vrai nom, bien entendu. Mais au Jip’s, le bar afro-cubain où il boit ses Pelforth, tout le monde l’appelle ainsi parce qu’il a, sur la face B des filles, des idées très arrêtées, des interprétations toutes personnelles: «Je suis maintenant convaincu que comme pour les cravates on peut lire la psychologie d’un être humain par la façon dont il remue son arrière-train.» La théorie vaut ce qu’elle vaut, elle est en tout cas illustrée par de nombreux exemples…
Le plus beau de ceux-ci, et qui a accru l’obsession du narrateur, est sans aucun doute illustré par celui de Couleur d’origine, équipée d’un «derrière à vitesses automatiques» peu banal. Elle a par ailleurs la peau très noire et un père avocat installé à Nancy avec son épouse en attendant de prendre le pouvoir au Congo, mais Couleur d’origine ne s’entend pas trop avec lui. Elle a aussi un cousin musicien, L’Hybride, par qui naissent les problèmes.
Au fond, les choses se présentaient plutôt bien: Fessologue et Couleur d’origine se sont installés ensemble et ont eu une jolie petite fille qui affiche une parfaite ressemblance avec son père… du moins, par les orteils. Pour le reste, c’est moins visible. Et L’Hybride s’incruste. La débâcle prévisible a été annoncée dès le prologue: «Quatre mois se sont écoulés depuis que ma compagne s’est enfuie avec notre fille et l’Hybride». La messe est dite, ou presque.
Désemparé – le mot est faible –, Fessologue s’accroche à son envie d’écrire un livre qui s’appellera, bien sûr, Black Bazar. Un livre dans lequel il n’y aura pas de mouton blanc. Pas de vieil homme qui va à la pêche avec un petit garçon. Pas de vieux qui lit des romans d’amour. Pas de jeune Japonaise mythomane. Pas d’ivrogne cherchant un tireur de vin de palme au pays des morts. Pas de grand amour au temps du choléra. Pas de peintre qui tue une femme rencontrée dans une exposition. Pas d’enfant avec un tambour, qui refuserait de grandir.
Mais alors, quoi? «J’écris comme je vis, je passe du coq à l’âne et de l’âne au coq».
Voici donc la vie ordinaire d’un Congolais arrivé en France quinze ans plus tôt, qui se débat avec ses peines de cœur et les grandes idées de ses interlocuteurs. Voici une succession de scènes hautes en couleurs, dans lesquelles s’échangent des certitudes sur l’Afrique et sur la colonisation, sur les femmes et la littérature, toutes certitudes reçues par Fessologue avec un brin de scepticisme.
C’est sûr, il préfère la compagnie de Louis-Philippe, un écrivain haïtien dont il a fait la connaissance dans une librairie, lors d’une séance de signature. Chez Louis-Philippe, le rhum est bon, quoique puissant, et la conversation prend des chemins inattendus – comme Black Bazar qui serpente entre les grandes questions que se posent les hommes, et auxquelles ils répondent trop vite.
Fessologue a sa dignité congolaise: il est un adepte de la Sape, de la fringue chic. Weston, Church, Versace, Smalto, Cerruti sont ses amis. Jusqu’au jour où il n’en aura plus besoin, quand la valeur de l’apparence diminuera. C’est au moment où son roman se termine, après des journées entières passées à frapper sur sa machine, dans son appartement ou dans un parc. C’est au moment aussi où Sarah lui demande si sa couleur est aussi une couleur d’origine – elle est blanche.
Alain Mabanckou reprend un peu le fonctionnement de Verre cassé, son précédent roman. Il invente des propos qu’il aurait pu écouter. Il reconstitue des tranches de vie à partir de quelques détails. Il multiplie les clins d’œil littéraires qui sont autant d’hommages aux écrivains qu’il admire. Mais ce personnage-ci, au contraire de Verre cassé, n’a pas encore tout vécu. L’écriture s’en ressent, entre l’audace et la retenue, comme si le romancier avait éprouvé quelques difficultés à trouver la voix de Fessologue. Et pour cause: pendant Black Bazar, cette voix est en pleine mue.
Fessologue n’est pas son vrai nom, bien entendu. Mais au Jip’s, le bar afro-cubain où il boit ses Pelforth, tout le monde l’appelle ainsi parce qu’il a, sur la face B des filles, des idées très arrêtées, des interprétations toutes personnelles: «Je suis maintenant convaincu que comme pour les cravates on peut lire la psychologie d’un être humain par la façon dont il remue son arrière-train.» La théorie vaut ce qu’elle vaut, elle est en tout cas illustrée par de nombreux exemples…
Le plus beau de ceux-ci, et qui a accru l’obsession du narrateur, est sans aucun doute illustré par celui de Couleur d’origine, équipée d’un «derrière à vitesses automatiques» peu banal. Elle a par ailleurs la peau très noire et un père avocat installé à Nancy avec son épouse en attendant de prendre le pouvoir au Congo, mais Couleur d’origine ne s’entend pas trop avec lui. Elle a aussi un cousin musicien, L’Hybride, par qui naissent les problèmes.
Au fond, les choses se présentaient plutôt bien: Fessologue et Couleur d’origine se sont installés ensemble et ont eu une jolie petite fille qui affiche une parfaite ressemblance avec son père… du moins, par les orteils. Pour le reste, c’est moins visible. Et L’Hybride s’incruste. La débâcle prévisible a été annoncée dès le prologue: «Quatre mois se sont écoulés depuis que ma compagne s’est enfuie avec notre fille et l’Hybride». La messe est dite, ou presque.
Désemparé – le mot est faible –, Fessologue s’accroche à son envie d’écrire un livre qui s’appellera, bien sûr, Black Bazar. Un livre dans lequel il n’y aura pas de mouton blanc. Pas de vieil homme qui va à la pêche avec un petit garçon. Pas de vieux qui lit des romans d’amour. Pas de jeune Japonaise mythomane. Pas d’ivrogne cherchant un tireur de vin de palme au pays des morts. Pas de grand amour au temps du choléra. Pas de peintre qui tue une femme rencontrée dans une exposition. Pas d’enfant avec un tambour, qui refuserait de grandir.
Mais alors, quoi? «J’écris comme je vis, je passe du coq à l’âne et de l’âne au coq».
Voici donc la vie ordinaire d’un Congolais arrivé en France quinze ans plus tôt, qui se débat avec ses peines de cœur et les grandes idées de ses interlocuteurs. Voici une succession de scènes hautes en couleurs, dans lesquelles s’échangent des certitudes sur l’Afrique et sur la colonisation, sur les femmes et la littérature, toutes certitudes reçues par Fessologue avec un brin de scepticisme.
C’est sûr, il préfère la compagnie de Louis-Philippe, un écrivain haïtien dont il a fait la connaissance dans une librairie, lors d’une séance de signature. Chez Louis-Philippe, le rhum est bon, quoique puissant, et la conversation prend des chemins inattendus – comme Black Bazar qui serpente entre les grandes questions que se posent les hommes, et auxquelles ils répondent trop vite.
Fessologue a sa dignité congolaise: il est un adepte de la Sape, de la fringue chic. Weston, Church, Versace, Smalto, Cerruti sont ses amis. Jusqu’au jour où il n’en aura plus besoin, quand la valeur de l’apparence diminuera. C’est au moment où son roman se termine, après des journées entières passées à frapper sur sa machine, dans son appartement ou dans un parc. C’est au moment aussi où Sarah lui demande si sa couleur est aussi une couleur d’origine – elle est blanche.
Alain Mabanckou reprend un peu le fonctionnement de Verre cassé, son précédent roman. Il invente des propos qu’il aurait pu écouter. Il reconstitue des tranches de vie à partir de quelques détails. Il multiplie les clins d’œil littéraires qui sont autant d’hommages aux écrivains qu’il admire. Mais ce personnage-ci, au contraire de Verre cassé, n’a pas encore tout vécu. L’écriture s’en ressent, entre l’audace et la retenue, comme si le romancier avait éprouvé quelques difficultés à trouver la voix de Fessologue. Et pour cause: pendant Black Bazar, cette voix est en pleine mue.