dimanche 30 septembre 2018

14-18, Albert Londres : «C’est bien elle, c’est bien la grande danse.»




Le Boche plie, le Boche recule
Ce que disent les prisonniers

(De l’envoyé spécial du Petit Journal.)
Front britannique, 28 septembre.
C’est bien elle, c’est bien la grande danse. C’est maintenant de Verdun en Belgique qu’elle a lieu. C’est à ne plus savoir où courir. Foch vient d’empoisonner l’existence de deux sortes de gens : les Allemands et nous pauvres correspondants de guerre. Où voulez-vous que nous allions pour accomplir notre tâche ? Vous êtes dans le bois Bourlon à suivre la marche sur Cambrai quand un officier vous crie : « Malheureux, qu’est-ce que vous faites là ? C’est dans le nord qu’il faut être, Plumer, le vieux Plumer vient d’attaquer. » On n’a pas le temps de se garer d’une marmite qu’il ajoute : « Et les Belges aussi viennent d’attaquer ce matin ! » Comme hier, les Allemands s’attendaient au coup. C’est ce qui donne tant d’importance aux avances alliées. Elles ne doivent leurs succès à rien d’autre qu’à la force. Si l’ennemi recule ce n’est pas qu’il est surpris, c’est qu’il est le plus faible. Fini le temps où pour nous prouver à nous-mêmes que notre ennemi était malade nous ergotions sur des statistiques, des déclarations ou des impressions. Aujourd’hui c’est la preuve par les armes que nous en avons ; le Boche se débat, le Boche plie, le Boche étouffe. Pour la première fois nous venons de l’étreindre à pleins bras. Notre étreinte est tombée à point, c’était juste au moment où il se sentait la poitrine la plus faible. Il a encore ses deux poumons mais pour combien de temps ?
Troublant rapprochement : au moment où les Serbes prennent l’offensive et revoient leurs maisons, voilà les Belges qui se déclenchent. Sœurs dans le malheur, les deux nations ligotées recouvrent l’espérance presque le même jour. Pour la Serbie, le soleil a lui, pour la Belgique, le canon tonne et ses enfants se sont relevés. Ces nouvelles nous arrivaient au bois Bourlon en même temps que des prisonniers allemands.
J’en ai vu des prisonniers depuis quatre ans, ils m’en ont fait des déclarations, mais jamais aussi saisissantes que celles de tout à l’heure. Les voici :
— Eh bien, ça ne va pas trop bien pour vous, leur dis-je.
Ils me regardèrent d’abord et ne répondirent rien.
Je repris :
— Vous savez que vous êtes attaqués de Verdun à la Belgique.
Ils ne le savaient pas.
Je repris alors :
— Qu’est-ce que vous en dites ?
L’un d’eux, un Saxon, un sous-officier parlant vivement et faisant un geste vers les lignes allemandes, se mit subitement à dire :
— Ils ne tiennent plus là derrière. Ils n’ont plus de réserves.
— Vous n’avez plus de réserves, qu’est-ce qui te fait dire ça ?
— C’est que je l’ai vu.
— Et votre classe 20 ?
— Notre classe 20, on en rencontre déjà dans toutes les unités, de tous les côtés.
— Même de celui-là, lui dis-je, en lui montrant un petit tas de cadavres allemands pas loin de nous.
— Oui, fit-il. Nous en avons déjà beaucoup de morts.
Et soudain s’animant, il me cria :
— Et puis, vous le savez mieux que moi, l’infanterie ne peut rien faire, ne peut même pas tenir si elle n’est soutenue par l’artillerie. Or notre artillerie ne nous soutient plus, elle n’a plus de réserve.
Et il disait cela d’un ton tragique.
Il y avait aussi un prisonnier autrichien.
— D’où es-tu ? lui dis-je.
— De Budapest.
— Oh ! Alors, je vais t’apprendre une nouvelle qui va t’intéresser, toi qui es Hongrois : la Bulgarie demande la paix.
Le Hongrois sourit. C’était trop gros, il ne voulut pas le croire.
Le Petit Journal, 29 septembre 1918.



Aux Editions de la Bibliothèque malgache, la collection Bibliothèque 1914-1918, qui accueillera le moment venu les articles d'Albert Londres sur la Grande Guerre, rassemble des textes de cette période. 21 titres sont parus, dont voici les couvertures des plus récents:

Dans la même collection

Jean Giraudoux
Lectures pour une ombre
Edith Wharton
Voyages au front de Dunkerque à Belfort
Georges Ohnet
Journal d’un bourgeois de Paris pendant la guerre de 1914. Intégrale
ou tous les fascicules (de 1 à 17) en autant de volumes
Isabelle Rimbaud
Dans les remous de la bataille

samedi 29 septembre 2018

14-18, Albert Londres : «Il ne fait pas que veiller, il s’inquiète, il se renseigne»




Face à Cambrai

(De l’envoyé spécial du Petit Journal.)
Front britannique, 27 septembre.
Temps clair ; 9 heures du matin. À droite du bois de Bourlon, trois clochers et un beffroi, mais trois clochers et un beffroi qui se voient très bien. C’est Cambrai. C’est la première fois que, de cette crête, si clairement, nous apercevons la ville. S’il y avait du soleil, ses tuiles luiraient à nos yeux. C’est l’attente heureuse du beau jour qui se reflète sur ses toits.
Car, chez les Britanniques aussi, le feu vient de prendre. En vingt-quatre heures, le voilà allumé de Verdun à Cambrai. C’est un de nos grands morceaux de danse que, pour nos ennemis, nous venons d’entamer. Tous les trois, Américains, Anglais, Français, nous nous sommes donné la main et, en avant la musique ! Comme ce qui se passe ailleurs ressemble au morceau qui se joue ce matin sur la route Bapaume-Cambrai, le concert est bien, vous pouvez m’en croire.
C’est que les opérations que nous entreprenons sont difficiles. Cette fois, c’est contre l’Allemagne arrêtée et en garde que nous nous lançons. C’est l’offensive de face, en plein dans la figure. Faire chanceler à cette heure l’ennemi, c’est le vaincre deux fois.
Il y a deux mois, il était en rase campagne, il avançait à découvert, si confiant dans son orgueil borné qu’il ne s’imaginait pas qu’il nous restait encore un poing. Il le reçoit dans l’estomac, il suffoque, il retraite. Il retraite dans de si grandes proportions pour aller s’asseoir dans un endroit où il a laissé un fauteuil qu’il croit indéracinable. Il s’y assoit ; nous attaquons ce fauteuil : nous voulons dire la ligne Hindenburg.
Nous l’entamons, mais il se raccroche. Depuis plusieurs semaines, son fauteuil n’a plus que trois pieds ; c’est dans cette position qu’Écossais et Canadiens sont partis ce matin le secouer à la gorge. Le condamné s’attendait à ce réveil ; désormais fixé sur son sort, il ne dort plus, il veille. Il ne fait pas que veiller, il s’inquiète, il se renseigne, il cherche ce qu’il pourrait inventer, ce qui pourrait prolonger ses jours, car il ne s’abandonne pas, il a du cran. Il veillait donc et si bien que, dix minutes avant le départ des Britanniques, il déclenchait un tir de barrage.

Dans le goulot de la bouteille

On eût dit que c’était lui qui allait attaquer. Non. Se souvenant de la tactique Gouraud, il retournait contre nous cette tactique. C’est sur les lignes qui barrent la route Bapaume-Cambrai qu’il s’acharnait le plus. Sa rage passée, il s’arrêta pour regarder. Les Écossais aussi avaient passé. Devant Cambrai, la ligne de défense des Allemands est le canal du Nord, il fallait le franchir sur toute sa longueur, mais surtout entre Inchy et notre route, la route Bapaume-Cambrai. Ça n’allait pas être commode. Le chef d’état-major de Byng nous le disait hier : « C’est le passage dans le cou d’une bouteille, messieurs ! » Nous n’avions pour tout débouché, que la tête de pont d’Havrincourt. Souvenez-vous aujourd’hui de l’affaire d’Havrincourt et comprenez, par cet exemple, pourquoi, dans des périodes calmes, on s’acharne sur des points qui n’ont que de pauvres petits noms indifférents à tout le monde. Les Boches le savaient bien aussi. Deux divisions, deux de leurs bonnes, nous attendaient à la sortie. Les Écossais s’engagèrent dans le goulot. « C’était étroit, nous disait l’un de ces boys qui s’en revenait blessé, qui était sergent dans le militaire et joueur de football dans le civil ; c’était étroit comme le trou de mon nez ! » Arrivés au bord du canal, ils y précipitèrent un tank qui leur servirait de pont. Ainsi passèrent-ils. Mais ce n’était pas tout. Le canal passé, là-haut, au-dessus, fleurissait le bois de Bourlon. Il fallait enlever le bois de Bourlon. Cela eut lieu entre 9 heures et 10 heures du matin. Je vais vous conter cela.

Le bois Bourlon enlevé par les Écossais

Le bois de Bourlon, comme je vous l’ai expliqué, est ce bois qui, lorsque vous êtes sur la route de Bapaume-Cambrai, est à gauche des trois clochers et du beffroi de cette dernière. Il a la forme d’un œuf, autrement dit, il est ovale. S’il reste encore des feuilles à ses arbres, ce n’est pas à moi qu’il faut le demander : c’était aux Allemands jusqu’à hier ; c’est aux Écossais aujourd’hui. Il n’a pas un aspect sauvage, le traître ! Il a même l’air d’un gentil petit bois, où l’on aimerait à aller s’asseoir pour couronner une promenade de fiançailles. Or, le canal franchi, les Écossais en abordèrent les pentes ; on les voyait comme des chats se rapprocher de ses premières racines ; ils grimpaient ; puis à un moment, on ne les vit plus ; avaient-ils disparu sous l’ombre des branches ? Ils s’étaient, plus simplement, couchés parce que des mitrailleuses chantaient sous les futaies.
Alors, si jamais bois prit quelque chose, c’est le bois Bourlon.
Subitement, toute la vallée qui, jusqu’ici, le regardait silencieusement, se mit à scintiller d’éclairs qui allaient se résoudre en mille fumées de la cime aux troncs des arbres. On l’étouffa. Quarante minutes de cette médication suffirent probablement, car on vit les petits Écossais reprendre leur marche, atteindre le bois, s’y perdre ; puis, à dix heures – une heure après – toutes les fumées derrière le bois s’élevaient en chœur. Bourlon était enlevé.
Le Petit Journal, 28 septembre 1918.


Aux Editions de la Bibliothèque malgache, la collection Bibliothèque 1914-1918, qui accueillera le moment venu les articles d'Albert Londres sur la Grande Guerre, rassemble des textes de cette période. 21 titres sont parus, dont voici les couvertures des plus récents:

Dans la même collection

Jean Giraudoux
Lectures pour une ombre
Edith Wharton
Voyages au front de Dunkerque à Belfort
Georges Ohnet
Journal d’un bourgeois de Paris pendant la guerre de 1914. Intégrale
ou tous les fascicules (de 1 à 17) en autant de volumes
Isabelle Rimbaud
Dans les remous de la bataille

vendredi 28 septembre 2018

Prix littéraires, le point après les premières sélections

Ils sont venus, ils sont tous là - pas les romans de la rentrée, dont beaucoup sont en train de s'effacer, mais les jurés des prix littéraires qui ont rendu leur copie afin d'établir les premières sélections.
Ne parlons que des romans français, les romans étrangers et les essais tardent un peu, c'est toujours le cas, à rassembler les dernières forces éparpillées sur 50 titres si l'on tient compte des six prix les mieux installés dans le temps: Académie française, Femina, Médicis, Goncourt, Renaudot et Interallié. 74 ouvrages si on y ajoute les sélections de quatre prix plus jeunes mais appartenant déjà à la tradition: Flore, Décembre, Jean Giono, Wepler/Fondation La Poste. A raison de 8 à 17 titres, selon les appétits des différents jurys, cela commence à faire du monde. Où une hiérarchie s'installe, au moins dans les chiffres - quant à la qualité, c'est bien entendu une autre affaire.

Selon que l'on tient compte de six sélections ou de dix, les résultats varient. Sauf pour le livre le plus souvent cité, cinq fois (seulement par les jurys établis de longue date): Frère d'âme, de David Diop (Seuil). Différents commentaires s'efforcent de le faire passer pour un premier roman, je me demande d'ailleurs pourquoi (quel intérêt?) puisque David Diop avait publié, en 2012, 1889, l'Attraction universelle. Il y était question d'un groupe de Sénégalais venus à Paris pour l'Exposition universelle et incités à devenir les attractions d'un cirque bordelais. Publié à L'Harmattan, l'ouvrage était, forcément, passé presque inaperçu - cet éditeur publie trop, avec trop peu de discernement. Mais ce n'est pas une raison pour dire que ce premier roman n'existe pas, comme s'il avait été vulgairement autoédité chez Amazon, par exemple...

Cité quatre fois par les jurys traditionnels, Le lambeau, de Philippe Lançon (Gallimard) fait figure de favori pour tous les prix (mais il n'en aura probablement qu'un) qui ont retenu ce livre paru en avril: Femina, Médicis, Renaudot et Interallié. Il est le seul dans ce cas, d'autres auteurs ne se hissent à son niveau (du nombre de sélections) qu'avec l'apport des autres jurys. Emmanuelle Bayamack-Tam (Arcadie, chez P.O.L.), Michaël Ferrier (François, portrait d'un absent, chez Gallimard), Stéphane Hoffmann (Les belles ambitieuses, chez Albin Michel) et Thomas B. Reverdy (L'hiver du mécontentement, chez Flammarion). Que du bon, ceci dit - mais je n'ai pas lu Les belles ambitieuses.

Trois fois nommés, Ça raconte Sarah, de Pauline Delabroy-Allard (Minuit), Federica Ber, de Mark Greene (Grasset), Maîtres et esclaves, de Paul Greveillac (Gallimard), L'ère des suspects, de Gilles Martin-Chauffier (Grasset) et Leurs enfants après eux, de Nicolas Mathieu (Actes Sud), complètent le petit peloton de tête qui ira rétrécissant au fil des semaines - et dès la semaine prochaine, où s'annoncent en rafale les deuxièmes sélections des prix Jean Giono, Goncourt, Médicis et Femina. Je suivrai cela pour vous, à très vite.

jeudi 27 septembre 2018

L'Académie française a fait sa sélection

La première, en tout cas, pour son Grand Prix du roman, la seconde sera annoncée le 11 octobre et le lauréat, deux semaines plus tard. On leur fourguerait bien des romans autoédités chez Amazon, histoire de voir si la pudeur qui consiste à ne pas donner les noms des éditeurs dans les communiqués de presse correspond vraiment à quelque chose. Je pense que non, mais ça n'engage que moi.
Et voici donc les huit titres retenus pour l'instant.
  • Metin Arditi. Carnaval noir (Grasset)
  • Sophie Daull. Au grand lavoir (Philippe Rey)
  • Agnès Desarthe. La chance de leur vie (L'Olivier)
  • Stéphane Hoffmann. Les belles ambitieuses (Albin Michel)
  • Alain Mabanckou. Les cigognes sont immortelles (Seuil)
  • Gilles Martin-Chauffier. L'ère des suspects (Grasset)
  • Camille Pascal. L'été des quatre rois (Plon)
  • Thomas B. Reverdy. L'hiver du mécontentement (Flammarion)

mercredi 26 septembre 2018

14-18, Albert Londres : «J’avais l’intention de leur offrir un verre de whisky.»




Ils étaient six Écossais

(De l’envoyé spécial du Petit Journal.)
Front britannique, 21 septembre.
Ils étaient six, dont un caporal, ainsi qu’il convient. Ils étaient à Mœuvres quand les Allemands reprirent Mœuvres. En vertu du principe que l’on n’est jamais si bien qu’où l’on se trouve, ils y restèrent. Pendant quarante-huit heures l’ennemi conserva le village. On ne s’était pas plus aperçu de la disparition des six que d’une nouvelle feuille qui viendrait de tomber dans le bois de Bourlon.
La guerre n’a rien à voir avec le tourisme. Des bourgs qui n’auraient pas retenu une seconde, en temps de paix, fascinent aujourd’hui. C’est à qui les possédera ; il en est ainsi de Mœuvres à cause de Cambrai. Les Britanniques s’en étant emparés, les Allemands le voulurent. Ils le reprirent. Les Allemands l’ayant repris, les Britanniques n’en dormirent plus : ils le leur arrachèrent. Mais à peine étaient-ils dans le village qu’ils aperçurent en plein milieu six des leurs en train de tirer. Quand on entre le premier dans une conquête et qu’on en est parfaitement certain, puisqu’on mène l’attaque, on n’aime pas, arrivant au but, trouver six gaillards y campant déjà.
— Allô ! crièrent les Écossais aux six gaillards d’Écosse comme eux, d’où sortez-vous ?
Les gaillards montrèrent à leurs pieds un certain réduit qu’ils avaient aménagé et firent signe que c’était de là.
— Oh ! dirent les Écossais, alors c’est bien.
C’était, en effet, très bien. Ces six phénomènes-là, non seulement étaient demeurés chez les Allemands, mais en avaient tué à toute occasion. Leur tableau était là, étalé devant eux, les jambes en l’air. Ils ont été rejoints après deux jours de résistance, mais ils n’étaient pas à bout.
— Oh ! vous êtes venus vite, dirent-ils.
J’ai battu aujourd’hui tout le secteur de Quéant pour les trouver. Il m’aurait plu de voir la figure qu’ils avaient, ces six Ecossais-là. J’avais l’intention de leur demander leurs noms et de leur offrir un verre de whisky. À l’heure qu’il est, je les cherche encore. Pour ce qui est de ma première intention, ils s’en consoleront, pour ce qui est de ma seconde, ce sera plus dur.
Le Petit Journal, 22 septembre 1918.


Aux Editions de la Bibliothèque malgache, la collection Bibliothèque 1914-1918, qui accueillera le moment venu les articles d'Albert Londres sur la Grande Guerre, rassemble des textes de cette période. 21 titres sont parus, dont voici les couvertures des plus récents:

Dans la même collection

Jean Giraudoux
Lectures pour une ombre
Edith Wharton
Voyages au front de Dunkerque à Belfort
Georges Ohnet
Journal d’un bourgeois de Paris pendant la guerre de 1914. Intégrale
ou tous les fascicules (de 1 à 17) en autant de volumes
Isabelle Rimbaud
Dans les remous de la bataille

mardi 25 septembre 2018

La non-sélection du Prix Virilo

Joyeux drilles poilus (sans avoir fait la Grande Guerre) et joyeuses garnementes poilues aussi (non plus, forcément, même pas comme infirmières) ajoutant toujours quelque chose à, déjà, la pétaudière des prix littéraires, les membres du jury du Prix Virilo m'ont déjà coincé une fois cette année avec leur Prix Virilo des Maternelles (& Crèches) - attribué, ce n'est pas très important, à Emmanuelle Pirotte, ce qui avait tout lieu de me réjouir, pour Loup et les hommes (Le Cherche midi). Le communiqué précisait que le jury allait maintenant lire le livre, je m'étais ému de cette pratique étrange (à mes yeux). Il m'a été rétorqué, quoique aimablement, que j'avais mal interprété le règlement. Celui-ci consulté, j'ai dû convenir qu'ils avaient raison - tout seuls, mais rien de grave, il vaut mieux ça qu'avoir tort avec tout le monde...
Un communiqué m'arrive (pas seulement à moi, rassurez-vous, les liens que j'ai avec un jury où je ne connais personne ne sont pas à ce point privilégiés), nouvelle facétie qui consiste à donner une liste de dix titres qui ne seront pas sélectionnés fin octobre, quand un choix plus sérieux (enfin, je dis ça, je ne dis rien) sera fait. M'esbaudissant à la lecture de ces rejets motivés, je les partage avec vous, tels qu'ils ont été fournis. Esbaudissez-vous pareillement, je vous le souhaite.

  • Christine Angot, Le tournant de la vie (Flammarion): ha ha ha!
  • Jérémy Fel, Helena (Rivages): Jérémy epic Fel
  • David Foenkinos, Vers la beauté (Gallimard): vers le pilon, aussi
  • Patrice Franceschi, Dernières nouvelles du futur (Grasset): a inventé la SF auto-satisfaite
  • Emilie Frèche, Vivre ensemble (Stock): popotins mondains
  • Matthias Jambon-Puillet, Objet trouvé (Anne Carrière): récusé par un juré vegan
  • Nadine Ribault, Carnets de la mer d'Okhotsk (Le mot et le reste): pour les fans de poteries Jômon
  • Vanessa Schneider, Tu t'appelais Maria Schneider (Grasset): malgré de belles fiches Wikipédia
  • Jean Teulé, Entrez dans la danse (Juillard): Teulé, quoi
  • Elena Ferrante - Hors compétition, pour l’ensemble de son œuvre: mais arrêtez, franchement

Prix littéraires, tout est en place - ou presque

J'attendais la première sélection du Prix Interallié un peu plus tôt - mais les jurés (dans leur cas, pas question d'écrire les juré.e.s) sont un peu fâchés avec le calendrier et, en tout cas, ne sont pas les maîtres des horloges. Ainsi, la décision finale sera prise, d'après Livres Hebdo, dans la semaine du 12 novembre. Un modèle de précision! Et dans quel restaurant?
Dix titres pour l'instant, peut-être moins, peut-être d'autres, les 10 et 24 octobre, je note volontiers les dates mais je ne m'affolerai pas (et vous non plus, j'espère) si rien ne vient ces jours-là.
  • Laurence Cossé. Nuit sur la neige (Gallimard)
  • David Diop. Frère d’âme (Seuil)
  • Paul Greveillac. Maîtres et esclaves (Gallimard)
  • Stéphane Hoffmann. Les belles ambitieuses (Albin Michel)
  • Olivia de Lamberterie. Avec toutes mes sympathies (Stock)
  • Philippe Lançon. Le lambeau (Gallimard)
  • Alexandre Najjar. Harry et Franz (Plon)
  • Camille Pascal. L’été des quatre rois (Plon)
  • Thomas B. Reverdy. L’hiver du mécontentement (Flammarion)
  • Boualem Sansal. Le train d’Erlingen (Gallimard)

Il ne manque plus que la sélection du Grand Prix du roman de l'Académie française (ce sera jeudi) pour être au complet. Mais, dès la semaine prochaine, soyons prêts: les deuxièmes sélections vont faire mal...
Un certain nombre de prix, appelons-les mineurs, ont été attribués ces derniers jours. Je les ai suivis d'un œil tandis que l'autre (et tous mes doigts) étaient occupés à configurer un nouvel ordinateur et à y rapatrier les fichiers qui se trouvaient dans le précédent - il a bien mérité une semi-retraite...
Je signale donc qu'Adeline Dieudonné a engrangé une troisième récompense, le Prix Filigranes, pour son premier roman, La vraie vie.
David Diop a reçu le Prix Patrimoines-BPE pour Frères d'âme, sélectionné dans d'autres listes encore (on fera le point en fin de semaine, quand l'Académie française sera rentrée de ses longs congés). Je vous en ai parlé en détail il y a plus d'un mois.
Et Boris Bergmann est le lauréat du Prix littéraire de la Vocation pour Nage libre, paru au début de l'année.
Issa, prénom hérité du Mali, ne trouve pas sa place dans son quartier de Paris, le 19e arrondissement. Seul le bac aurait pu lui donner un espoir, mais il vient de le rater. Comme Elie, son seul ami. Juif, fuyant son beau-père, fuyant tout, Elie n’est lui-même qu’à la piscine. Il y entraîne Issa, qui n’aime pas ça. Mais cela change tout, et l’écriture nerveuse donne le rythme d’une transfiguration. Sans certitude absolue, ceci dit.

lundi 24 septembre 2018

14-18, Albert Londres : «Ils ont réagi comme des diables»




Brillante journée les Boys !

(De l’envoyé spécial du Petit Journal.)
Front britannique, 19 septembre.
Il ne suffit pas de remporter des succès, il faut en plus qu’ils soient de conséquence. De crainte que les Britanniques ne jugent pas le leur d’hier à sa juste importance, les Allemands eux-mêmes ont tenu à le leur signaler. Ils ont réagi comme des diables qui se verraient sur le point d’être jetés à la porte des enfers. Leurs enfers en l’occasion étaient la ligne Hindenburg.
Si nos amis des grandes îles ont fait effort pour les repousser sur ces défenses c’est qu’ils y avaient probablement intérêt en vue de projets futurs. Et ce que redoutaient les Allemands c’était moins de regagner ces retranchements que justement d’être attaqués plus tard et bousculés. Leur ligne Hindenburg dans l’esprit du peuple et du soldat allemands demeure leur sauvegarde. C’est comme une frontière pour eux, la frontière de leur victoire, quand même ! Le commandement ennemi le prouve bien dans ses ordres du jour à ses troupes. Pour tout ce qui est de notre côté de la ligne Hindenburg, il dit : « Jusqu’à nos positions désignées d’avance tenons le plus possible par nos arrière-gardes l’ennemi en échec. » Tragiquement le ton change dès qu’il s’agit de l’autre côté de la ligne. Les ordres du jour portent alors : « Pour la défense de nos foyers, de notre patrie, etc. »
Puisque c’est à partir de cette ligne qu’ils les sentent menacés, assurons-les qu’ils ne tremblent pas en vain.

Cinq contre-attaques, cinq échecs

Hier, à la fin du jour, pour éviter ce qui leur est arrivé et dont vous saisissez le sens, ils ont cinq fois contre-attaqué.
Première attaque : ils reprennent le bois Gauche. On le leur reprend.
Deuxième attaque : ils se jettent en force dans le secteur Villers-Guislain. On les rejette.
Troisième attaque : celle-ci désespérée. Elle est faite avec une division toute fraîche, la 6e, arrivant des Flandres ; ils la lancent au sud d’Havrincourt. Ils ont quarante batteries concentrées sur ce secteur. Ils déclanchent un tir de barrage des grands jours. Ils y vont violemment. Ils y laissent quantité de morts. Repoussés.
Quatrième attaque : ils la lâchent au nord d’Havrincourt, entre le chemin de fer Bapaume-Cambrai et le canal du Nord. Ils réussissent, ils prennent pied. On les déloge.
Cinquième attaque : cette cinquième au nord de Mœuvres. On les en chasse.
Ils sont vaincus ; mais que l’Allemagne ne leur en veuille pas à ces Allemands de la Somme, ils ont fait ce qu’ils ont pu.

Les Australiens repartent en avant

Pendant ce temps, les Australiens qui avaient atteint leur objectif ne se trouvaient pas fatigués. Comme en plus il faisait clair de lune et qu’en vérité on n’entreprend pas le voyage d’Australie pour s’arrêter sur le simple prétexte qu’on a l’ordre de s’arrêter, à onze heures du soir, les Australiens repartaient. Ils attaquaient à l’ouest de Bellenglise et de Bellicourt les avant-postes de la ligne Hindenburg. Ils les ont enlevés.
Plus de dix mille prisonniers. Brillante journée, les Boys !
Le Petit Journal, 20 septembre 1918.


Aux Editions de la Bibliothèque malgache, la collection Bibliothèque 1914-1918, qui accueillera le moment venu les articles d'Albert Londres sur la Grande Guerre, rassemble des textes de cette période. 21 titres sont parus, dont voici les couvertures des plus récents:

Dans la même collection

Jean Giraudoux
Lectures pour une ombre
Edith Wharton
Voyages au front de Dunkerque à Belfort
Georges Ohnet
Journal d’un bourgeois de Paris pendant la guerre de 1914. Intégrale
ou tous les fascicules (de 1 à 17) en autant de volumes
Isabelle Rimbaud
Dans les remous de la bataille

dimanche 23 septembre 2018

14-18, Albert Londres : «L’empereur Guillaume a autant de raisons d’être de mauvaise humeur.»




L’avance des Britanniques les rapproche de la ligne Hindenburg

(De l’envoyé spécial du Petit Journal.)
Front britannique, 18 septembre.
Si l’Allemagne possédait deux oreilles, ce qui n’est pas probable, n’ayant rien entendu à ses propres affaires, je crois qu’elle ne les aurait jamais eues plus rouges qu’en cet heureux été. On les lui frotte de tous les côtés ; quand l’un s’arrête, l’autre reprend. Jusqu’à Salonique qui s’en mêle. Mais ne nous échappons pas sur les rives de la Cerna et demeurons dans notre secteur, c’est-à-dire chez les Britanniques.

Trois minutes de bombardement

Ce matin, à 5 h. 20, les Britanniques viennent de leur offrir une nouvelle petite séance de gant de crin. Il ne faisait même pas encore jour. J’en donne pour preuve que les trois minutes de bombardement qu’on leur servit éclatèrent aux yeux comme un feu d’artifice et chacun sait que les feux d’artifice ne se tirent que la nuit. Le réveil ainsi sonné, nos amis, qui n’en sont pas à une prévenance près, allèrent les tirer par les pieds.
Ce ne fut pas une surprise. Plus rien maintenant ne peut leur être une surprise. Ils savent comme nous les points où nous devons les attaquer, et comme ce que nous devons faire, désormais nous le faisons. Ils sont renseignés merveilleusement sur ce qui leur pend au nez. Quoique entamée d’un esprit léger, c’était donc une lourde tâche que nous entreprenions.
Elle était lourde pour deux motifs : premièrement, parce qu’elle se heurterait à toute l’artillerie de la ligne Hindenburg ; deuxièmement, parce qu’elle serait sans auréole immédiate ; et elle serait ainsi, parce qu’aucune ville ne viendrait couronner sa fin de journée et parce qu’elle n’était qu’à objectifs limités et non « de percée ».

Objectifs limités, mais importants

Mais il est déjà assez qu’une tâche soit ingrate sans que, pour le coup, elle devienne insignifiante. Celle-ci était d’un aussi grand intérêt, parce qu’elle a forcé l’ennemi à se replier sans pouvoir utiliser nos vieilles lignes de défense. Car tout vient en son temps.
Je voudrais que le lecteur apprît à suivre la guerre, non avec ses désirs, mais avec les yeux des chefs et les jambes des soldats. Ne sautez pas ainsi, chers amis, et à tout bout de champ, sur les gros noms qui éclairent les cartes. Il n’est pas, pour les combattants comme pour vous, que l’espace d’un petit doigt entre le trait qu’ils occupent et le rond noir de la cité. Quand on partira pour prendre une autre section de la ligne Hindenburg, je vous le dirai…
L’armée qui opéra est la 4e armée, celle qui est en liaison avec les troupes françaises. Le but de cette bataille était de rejeter les Allemands, sur cette longueur-là, dans la ligne Hindenburg. Pour cela, nous devions faire une avance de 5 kilomètres. L’opération était montée en deux temps. Premier temps : gagner la ligne des hauteurs Le Verguier, Hargicourt, Ronssoy, Épéhy. Deuxième temps : comme ces hauteurs ne nous donnaient pas une vue continue sur la ligne Hindenburg, s’emparer, pour avoir cette vue, de l’ancienne ligne d’avant-poste britannique, de la ligne du 21 mars.
Ainsi fut-il fait.

Attaque réglée au chronomètre

La veille, au quartier de cette armée, sur le coup de six heures et demie, un général anglais nous avait expliqué l’affaire. Il l’avait fait si bien et avec tant de précisions que, ce matin, en regardant sur le terrain se dérouler l’action guerrière, je me rendis compte que, si j’avais été un de ces hommes paresseux ainsi qu’il en existe, j’aurais très bien pu demeurer dans mon lit et vous raconter la bataille comme si l’y avais assisté… À l’heure où le général avait dit que les troupes partiraient, elles partirent. La résistance qu’il avait prévue eut lieu. Où il avait prétendu qu’il serait à 8 heures et demie, il y était. Où il devait reconduire l’ennemi, il le reconduisit.
Ajoutons que les divisions qui attaquaient étaient toutes des divisions en ligne et que vraiment l’empereur Guillaume a autant de raisons d’être de mauvaise humeur.
Le Petit Journal, 19 septembre 1918.



Aux Editions de la Bibliothèque malgache, la collection Bibliothèque 1914-1918, qui accueillera le moment venu les articles d'Albert Londres sur la Grande Guerre, rassemble des textes de cette période. 21 titres sont parus, dont voici les couvertures des plus récents:

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