C'est vrai, j'avais édicté mes règles, et j'ai quelques difficultés à m'y tenir. Le temps qui manque, toujours... Mais on peut être infidèle à la ligne qu'on s'est fixée tout en gardant une certaine continuité. Voici donc la conversation téléphonique que j'ai eue il y a quelques jours avec l'écrivain britannique James Scudamore, prolongée au-delà des quatre questions qui avaient été, jusqu'ici, ma limite.
Vous publiez, dans cette rentrée littéraire, Fils d’Heliopólis. En même temps que 700 autres romans. Cette abondance ne vous effraie-t-elle pas?
Un peu. D’autant que je ne connaissais pas ce phénomène. Tant de romans en quelques semaines… Mais j’ai eu du succès en Grande-Bretagne, et j’ai confiance. De toute manière, je suis content d’être à Paris. J’ai fait mes études en français et en espagnol, j’aime beaucoup la littérature française et francophone.
Quel a été le point de départ de votre roman? Une idée, une phrase, une image, que sais-je...?
Cela a été le personnage de Ludo, un jeune homme en colère, écartelé entre deux mondes très différents. Au point de départ, je n’avais pas l’intention de situer le roman au Brésil. Mon premier roman se passe en Equateur, et je ne voulais pas retrouver l’Amérique du Sud avec le deuxième. Mais j’ai vécu quatre années au Brésil, de huit à douze ans, et mon imagination était meublée par toutes ces images. Ce Ludo, donc, qui n’aimait pas son travail, a trouvé sa place au Brésil. J’avais lu un article, dans le Washington Post, où l’on disait que São Paulo était la ville où il y avait la plus grande concentration d’hélicoptères privés au monde…
On a parfois l’impression que votre roman décrit la ville telle qu’elle pourrait être dans quelques années, plutôt que le présent. Qu’en est-il?
Quand je l’écrivais, j’avais dans la tête un monde à la Ballard. Cela correspondait bien à mon imagination. Après la première version, je suis retournée à São Paulo pour vérifier, et j’ai vu qu’il y avait des hélicoptères partout. Maintenant que le roman est paru au Brésil, les journalistes m’ont dit que j’aurais pu aller encore plus loin. Les commodités privées sont bien plus énormes que ce que j’avais imaginé.
Avez-vous été, dans votre travail, influencé par d'autres écrivains? Ou par d'autres artistes?
Mon premier roman a été très influencé par Le Grand Meaulnes, mais je ne m’en suis rendu compte qu’après. Pour celui-ci, il y a Ballard, dont j’ai déjà parlé, mais aussi Nabokov, toujours présent quand un personnage raconte l’histoire, et Don DeLillo, pour sa perception de la cité.
Votre biographie est très nomade: le Brésil, le Japon, l’Angleterre…
Mon père voyageait beaucoup pour son travail dans l’industrie chimique. Je suis né en Angleterre mais, ensuite, nous avons beaucoup bougé, en effet.
Est-ce à dire que vos livres vont nous entraîner encore ailleurs?
Je ne sais pas. Actuellement, j’écris quelque chose qui est très lié à l’Angleterre, qui se passe entre Londres et la campagne. Je m’intéresse aux histoires de fantômes, non pour en raconter, mais pour utiliser les conventions littéraires de cette tradition.
Tous les titres des chapitres sont un élément de nourriture. Est-ce pour marquer le lien entre Ludo et sa mère, qui passe notamment par la cuisine, ou aussi pour une autre raison?
Il y a ce lien, bien sûr. Mais il y a aussi un rapport entre la nourriture et les privilèges, entre la nourriture et l’amour. Quand on n’a pas beaucoup d’argent, on a toujours faim et on pense sans cesse au prochain repas. Pour Ludo, la nourriture de sa mère, qui sort de sa condition grâce à ses qualités de cuisinière, est aussi une façon d’échapper à la favela. Et puis, il y aussi des rapports entre la nourriture et les souvenirs. Beaucoup de ceux-ci, en particulier pour moi qui ai vécu dans des pays différents, sont liés à ce que je mangeais. A ce titre, la cuisine est une table des matières de la mémoire.
Dans un pays où l’écart entre les riches et les pauvres est considérable, la charité est-elle forcément une industrie? Et une industrie rentable?
Il y a cette suspicion dans le roman: la générosité est une utilisée comme un moyen de prendre le pouvoir, de contrôler les autres. C’est cela que je voulais explorer.
Difficile de situer un roman au Brésil sans parler de telenovela. Y avez-vous pensé?
Oui, parce qu’il y a de grands revers de fortune, comme dans une telenovela. Je ne voulais bien entendu pas écrire une telenovela mais la manière de raconter une histoire en Amérique du Sud est liée à ce phénomène, et il a naturellement sa place ici.