Guillaume Musso est un grand lecteur, personne ne le
soupçonne du contraire. Il semble pourtant avoir besoin de le prouver sans
cesse en multipliant les citations de haut vol : Umberto Eco, Shakespeare,
Dany Laferrière, Margaret Atwood, John Steinbeck, etc. A la fin de son nouveau
roman au format de poche, La vie secrète des écrivains,
il fournit les références des 23 citations éparpillées dans le livre et la
complète d’autres auteurs évoqués par leurs œuvres. Cette manière de faire est
chez lui une habitude. Le goût du partage, aime-t-il à dire…
Pour une fois, concédons-lui cela, elle se justifie :
le récit tourne autour de la vie secrète d’un
écrivain et les références littéraires lui sont naturelles. Même si Nathan
Fawles a renoncé à l’écriture après son troisième roman, paru presque vingt ans
avant le moment où nous le retrouvons reclus sur l’île Beaumont, lieu fictif
près de Porquerolles. Même si, l’exaspération naissant aisément chez lui,
Nathan Fawles peut aussi se fendre d’un « Ta
gueule ! » bien senti ou de coups de fusil qui en disent plus
long qu’une phrase péremptoire quand on essaie d’envahir son territoire.
Une œuvre courte mais qui fascine encore, un prix Pulitzer,
des entretiens donnés durant sa vie publique, puis le silence. Nathan Fawles
est un mystère, quoi qu’en dise son agent : « Il n’y a pas de secret à percer. Nathan est simplement passé à
autre chose. » Le croira qui veut. Pas nous, en tout cas, à envisager
les trois cent et quelques pages qu’il reste à lire après cette affirmation. Et
moins encore deux autres protagonistes qui cherchent à savoir ce qui se cache
derrière les apparences.
Raphaël Bataille écrit mais son premier manuscrit, La timidité des cimes, est refusé par
tous les éditeurs à qui il l’a envoyé. Lecteur, il appartient au large public
passionné par les romans de Nathan Fawles et envisage de s’approcher de lui, au
mépris de tout ce qu’il a entendu dire de sa sauvagerie. Devenu l’assistant du
seul libraire de l’île Beaumont, il prend quelques risques pour pénétrer dans
la propriété de l’écrivain. Les coups de fusil seront pour lui, avant que
Nathan Fawles se dise qu’il aura peut-être besoin de cet intrépide jeune homme.
Mathilde Monney, journaliste suisse et séduisante,
entreprend plus crânement l’approche. Que veut-elle ? Trouver matière à un
papier retentissant ? Ou son initiative repose-t-elle sur des motivations
plus personnelles ? C’est une des choses qu’il faudra découvrir, tâche que
Nathan Fawles délègue en partie à Raphaël Bataille.
Au moment où le triangle se forme, l’ombre de la partie
immergée de l’iceberg apparaît – là où se trouvent les secrets de l’écrivain,
s’il y en a comme nous le pressentons. Le cadavre d’une femme assassinée est
retrouvé sur l’île. Il n’y a pas de hasard dans un roman de Guillaume
Musso : elle appartient, par la marge, au passé de Nathan Fawles. A partir
de là, il ne reste plus qu’à tirer sur le fil du mensonge pour que tout vienne,
comme dirait Philippe de Villiers.
Si la construction est d’une imparable logique, ne lui
demandons quand même pas d’être vraisemblable. Il est difficile de croire au
faisceau de coïncidences qui finiront par lever le voile sur ce que tout le
monde ignorait. La mécanique est trop bien huilée, on la regarde fonctionner
avec une certaine admiration pour l’architecte qui l’a imaginée – mais sans la
moindre émotion.
Par ailleurs, ce n’est pas
parce qu’un écrivain vend ses romans par palettes qu’il doit se croire dispensé
d’une relecture attentive. Personne n’a pourtant, chez son éditeur, jugé bon de
lui faire remarquer une phrase comme celle-ci : « Les derniers rayons de soleil patinaient le cuir de ses bottes à
talons en cuir moutarde. » Ni l’incongruité qui consiste à reprendre
la bouteille de saint-julien pour remplir le verre de Mathilde alors que le vin
a été carafé au préalable…