Dans la chasse aux premiers romans, sport traditionnel qui se pratique à l'ouverture de la rentrée littéraire, j'épingle L'extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea, de Romain Puértolas. Une petite bombe bourré d'humour, dont je parlais la semaine dernière avec lui - trois heures et demie avant que, comme il me l'écrivait le lendemain matin, "ma petite fille sortait du ventre de sa maman pour découvrir notre monde"... Un événement digne de ceux qui sont racontés sur un rythme irrésistible dans son livre.
Une partie de cet entretien est paru dans un article du Soir, publié samedi. Mais en voici l'intégralité, rien que pour vous...
Les premiers romans sont souvent
autobiographiques. Le vôtre aussi ?
Ce serait difficile qu’il soit autobiographique –
vous avez lu le livre. J’aurais bien aimé. J’ai vécu une aventure avec Ajatashatru,
mais pas dans une armoire. Si le livre était autobiographique, je pense que je
serais quelque part entre l’embouchure du Nil et Israël, dans le coffre d’une
voiture ou enfermé dans une soute de bateau, mais ce n’est pas le cas : je
vis à Paris.
Avez-vous eu la tentation d’écrire quelque chose
de plus proche de vous ?
En fait, c’est le premier livre publié mais j’ai
écrit beaucoup de choses avant. Il y a toujours un peu de moi dans ce que
j’écris mais dans des situations et des histoires assez rocambolesques. J’aime
beaucoup la surprise qui, dans une aventure, survient en une seconde, dans
notre vie à nous, bien ancrée, avec nos portables et tout ça. J’aime bien
qu’une personne se trouve d’un seul coup propulsée dans une autre dimension.
Dans son cas, dans de multiples dimensions…
Oui, mais toujours en restant proche de la
réalité. En fait, si vous regardez l’histoire du fakir, ce n’est pas de la
science-fiction, en soi. C’est très rocambolesque mais ça pourrait exister.
D’ailleurs, j’ai appris il n’y a pas très longtemps que Ikea, en 2009, avait
sorti un modèle de lit à clous. J’étais cloué, parce que j’avais imaginé ça
dans ma folie et ma folie était au-dessous de la réalité.
Ajatashatru est un fakir qui mystifie les gens.
Comme un romancier ?
Effectivement, mystifier quelqu’un c’est le
tromper en abusant de sa crédulité. C’est ce que fait Ajatashatru au début du
livre, c’est un arnaqueur professionnel qui utilise des trucs en faisant croire
à ses pouvoirs surnaturels. Et le roman, c’est exactement comme dans la
magie : vous avez une espèce de contrat tacite entre le magicien et le
spectateur qui fait que celui-ci va se laisser faire pour que le magicien ou
l’écrivain l’emmène dans son imaginaire, dans l’impossible. Pour moi, le rôle
de l’écrivain est de sortir le lecteur de son quotidien. Vous avez des
écrivains qui veulent rester dans la réalité, moi je suis partisan de faire
voyager le lecteur.
En fait, vous parlez aussi de choses réelles, vous
parlez d’immigration, de sans-papiers, d’inégalités, etc. A ces moments-là, le
sérieux passe un peu avant l’humour…
Dans ce roman, les situations sont humoristiques,
le style fait référence à des choses de la vie moderne, actuelle, qui sont
assez marrantes, ce ne sont pas des références très culturelles. Et j’aime
contrebalancer ça avec des choses plus graves, plus tristes, comme la vie en
fait. La vie est faite de joies et de pleurs. Il y a donc à la fois de l’humour
et du drame, sinon cela aurait été un livre de blagues et ce n’était pas le but
recherché.
Les manuscrits précédents dont vous parliez,
aviez-vous essayé de les faire publier ?
Oui, j’avais envoyé des manuscrits. Mais celui-ci,
je ne l’ai envoyé qu’à une seule maison d’édition, au Dilettante.
Et donc pas aux Editions du Grabuge ?
Les Editions du Grabuge, je les ai inventées et je
pourrais peut-être les concrétiser dans l’avenir en les créant…
L’avez-vous fait passer par une célèbre
actrice ?
Pas par une actrice, par une factrice ! J’ai
envoyé le manuscrit par la poste, tout simplement. Je n’ai pas la chance de
connaître Sophie Marceau ou Sophie Morceaux, qui a un beau rôle dans le livre.
J’espère qu’elle sera contente. On lui a envoyé un roman, bien sûr, mais je
n’ai pas eu d’échos pour l’instant.
Il faut espérer qu’elle ne va pas vous faire un
procès.
J’espère, oui. Ce serait dommage…
Entre l’envoi du manuscrit au Dilettante et la
publication, comment les choses se sont-elles passées ?
En fait, je l’ai envoyé en septembre de l’année
dernière. J’ai reçu, à peu près un mois après, une lettre de l’éditeur,
Dominique Gaultier, expliquant que mon manuscrit sortait du lot et qu’il
voulait me rencontrer. On a pris rendez-vous, on s’est vu, il m’a dit qu’il
avait aimé le manuscrit, qu’il y avait deux ou trois petites choses à
approfondir, notamment le côté migrants. Au départ, je n’avais pas trop insisté
dessus. Il faut savoir que je travaille à la police des frontières et je
pensais que ce n’était pas trop intéressant. Il m’a dit que si et j’ai un peu
approfondi cet aspect-là, celui du clandestin. Je lui ai donné ma dernière
mouture deux semaines après, il a dit que c’était bon. J’ai signé le contrat en
décembre, pour une sortie à la rentrée littéraire – la semaine prochaine. C’est
très long : il y a presque un an que j’attends ça, qu’on travaille sur la
couverture la mise en page, les relectures des correcteurs. Je ne vous cache
pas que j’attends mercredi prochain avec impatience !
Le titre est-il de vous ou de l’éditeur ?
C’est le mien.
Aviez-vous noué des contacts dans l’édition après
vos premiers envois de manuscrits ?
Non, pas du tout. Je ne connais personne dans
l’édition. J’ai ma profession et j’écris vraiment pour le plaisir. C’est un
besoin, j’écris comme je respire. Ce livre-là a été écrit en deux mois, dans
les transports en commun. Je l’ai écrit sur mon portable et sur des post-it, à
l’aller et au retour de mon travail, une heure de RER chaque fois. Il a été
écrit aussi dans des avions et dans beaucoup de transports. Je prends beaucoup
l’avion, j’ai travaillé dans un aéroport et j’adore le monde des aéroports, du
voyage. Le taxi aussi, d’ailleurs, et c’est pourquoi ça se passe, au début,
dans un taxi. J’ai l’impression que, quand vous êtes dans un taxi, tout peut
arriver, c’est déjà une aventure…
Quelle serait la meilleure chose qui pourrait
arriver, dans vos rêves les plus fous, à ce premier roman ?
En fait, c’est exactement ce qui est en train de
m’arriver en ce moment. Le livre connaît déjà un grand succès à l’étranger,il
va être traduit dans beaucoup de langues – alors qu’il n’est même pas sorti en
France ! Apparemment, il a touché des pays comme Taïwan, la Corée,
l’Albanie, les Etats-Unis, le Canada, l’Australie… On a été pris par ce qu’on
peut appeler la fakirmania. Les gens ont été fakirisés. Je n’imaginais pas du
tout ça en écrivant ce livre, surtout pas l’accueil qu’il allait recevoir.
J’espère qu’il va y avoir un grand accueil français, bien que nul ne soit
prophète en son pays. Ce qui m’arrive là, c’est un conte de fées, plus que ce
qui arrive à Ajatashatru.
Le pire n’est plus possible, maintenant ?
Le pire n’est plus possible, à moins de me
réveiller, peut-être…
Ce qui se produit avec votre roman pour les
traductions ressemble à ce qui s’est passé avec celui de Joël Dicker l’an
dernier…
On est peut-être sur les traces. En plus, dans
certains pays, c’est le même traducteur. Il devrait sortir dans plusieurs
langues l’année prochaine et en 2015 dans les pays anglo-saxons.
Vous disiez écrire comme vous respirez. Cela veut
dire que ce premier roman sera suivi d’autres ?
Oui. Mon éditeur a déjà le prochain livre et il a
adoré. On ne va pas parler du deuxième, puisque le premier n’est pas encore
paru, mais le premier est là.
Vous en avez le titre ?
Oui, mais je ne vous le dirai pas. Et ça ne parle
pas d’immigration illégale. C’est quelque chose d’humoristique, de très léger,
avec, sous-jacent, un sujet plus grave.