Nous avons fait, pour le dernier supplément littéraire du Soir, une grande razzia dans les premiers romans parus en janvier. Mais pas seulement. Voici, pour une semaine bien pleine, un programme de lectures où chaque jour peut être marqué par un roman. Seul le premier de cette liste n'est pas un premier roman. (Vous me suivez?)
Hugo Hamilton, Comme personne
Qui suis-je? Gregor Liedmann s'est toujours posé la question. Non sans raison. Son premier souvenir remonte à la fin de la Seconde Guerre mondiale. «Il fait nuit, tout est noir, il est assis entre deux personnes dans la cabine d'un camion. Il y a une femme à sa droite, et à sa gauche un gros homme qui conduit. La femme doit être sa mère, et le gros homme son grand-père Emil.» Nous savons déjà qu'il ne s'agit ni de sa mère ni de son grand-père. Dans un premier chapitre hallucinant, Hugo Hamilton a raconté le bombardement de Berlin dans lequel Gregor a disparu, soufflé par deux tonnes d'acier. Et comment Emil, près de Nuremberg, a mis dans les bras de sa fille, qui pleurait la mort de son enfant, un petit garçon de trois ans qui avait perdu ses parents. Pour remplacer Gregor, pour diminuer le chagrin, pour donner à Maria une raison de vivre. Emil a fait promettre à sa fille de garder secrète la substitution, de n'en parler à personne, pas même à son mari, alors au front.
Elisabeth Filhol, La centrale
Il y a cinquante ans, l'écrivain belge Jos Vandeloo publiait son premier roman, Het gevaar, traduit en français quatre ans plus tard par Maddy Buysse (Le danger). Les risques liés au nucléaire civil n'étaient pas, à l'époque, familiers aux lecteurs de fiction. Et il faudrait relire cet ouvrage à la lumière du premier roman d'Elisabeth Filhol, La centrale. En partie pour se rassurer.
Elsa Fottorino, Mes petites morts
Anna s'installe à Cork, en Irlande. Marek aussi. Elle a laissé à Paris une sœur, Sarah, installée dans sa vie de couple. Il a entendu à Prague un diagnostic qui ne lui promet pas une santé florissante. Mais ils sont jeunes et beaux. Il ne leur manque que de sentir le sable chaud. Et d'oser, surtout, quitter la réserve qui les tient à distance l'un de l'autre. Sans cette distance, Otto ne se serait pas imposé à Anna. Anna n'aurait pas nourri des soupçons sur la nature de la relation entre Marek et Natasha.
Nell Freudenberger, Le dissident chinois
Sous les apparences, Nell Freudenberger débusque de multiples mensonges. Le point de départ est pourtant simple : un artiste dissident chinois, envoyé aux Etats-Unis dans le cadre d'échanges culturels, est hébergé dans une famille aisée de Los Angeles et enseigne dans un lycée de filles. En même temps, il prépare deux expositions, l'une avec ses œuvres anciennes, l'autre à partir du travail effectué pendant son séjour aux Etats-Unis. La confrontation des cultures et les regards différents sur l'art offraient une matière riche à la romancière, qui ne se prive pas de les exploiter.
Rich Hall, Otis Lee Crenshaw contre la société
Le père d'Otis Lee Crenshaw s'appelle Jack Daniels. Quand son fils, tout petit, pleurait parce qu'il avait mal aux dents, Jack Daniels se massait les gencives avec du… Jack Daniel's et se rendormait tranquillement. Ce n'est pas une blague. Pas plus, du moins, que l'ensemble d'un roman déjanté, ponctué de procès absurdes, d'initiatives déplorables et de mariages désastreux avec des femmes qui s'appellent toutes Brenda. Par hasard plutôt que par nécessité.
David Vann, Sukkwan Island
Roy a treize ans quand Jim, son père, lui propose de passer avec lui une année sur une petite île de l'Alaska. Le but avoué consiste à vivre comme des pionniers dans une cabane en bois. Les provisions ne seront pas suffisantes, il faudra les reconstituer au fur et à mesure. Chasser, pêcher, fumer la viande et le poisson, faire face à la voracité des ours, rassembler assez de bois pour traverser l'hiver. Jim s'est imaginé que Roy prendrait cela comme une grande aventure, avec enthousiasme. L'enthousiasme n'est pas au rendez-vous. Roy a pressenti des motivations moins excitantes. Jim a lâché son travail de dentiste après avoir échoué dans d'autres entreprises, est sur le point de divorcer pour la deuxième fois et ne sait plus où il en est. Il espère donc probablement que ce séjour au cœur d'une nature peu accueillante l'endurcira assez pour lui donner les forces de repartir ensuite sur des bases plus solides. Et qu'il lui permettra de se rapprocher d'un fils dont il connaît, au fond, peu de choses.
Pierre Simenon, Au nom du sang versé
S'appeler Pierre Simenon, être le fils de Georges et publier son premier roman exige un certain culot, ou une bonne dose d'inconscience. A moins de voir dans Au nom du sang versé le fruit d'une leçon donnée par celui qui apparaît à la fin d'une liste de personnes remerciées: «Et toi, mon dad, qui m'a transmis ta curiosité de tout vivre et de tout tenter, et, surtout, qui a été le meilleur père dont j'aurais pu rêver.» Tout tenter, donc, même le roman…
Hugo Hamilton, Comme personne
Qui suis-je? Gregor Liedmann s'est toujours posé la question. Non sans raison. Son premier souvenir remonte à la fin de la Seconde Guerre mondiale. «Il fait nuit, tout est noir, il est assis entre deux personnes dans la cabine d'un camion. Il y a une femme à sa droite, et à sa gauche un gros homme qui conduit. La femme doit être sa mère, et le gros homme son grand-père Emil.» Nous savons déjà qu'il ne s'agit ni de sa mère ni de son grand-père. Dans un premier chapitre hallucinant, Hugo Hamilton a raconté le bombardement de Berlin dans lequel Gregor a disparu, soufflé par deux tonnes d'acier. Et comment Emil, près de Nuremberg, a mis dans les bras de sa fille, qui pleurait la mort de son enfant, un petit garçon de trois ans qui avait perdu ses parents. Pour remplacer Gregor, pour diminuer le chagrin, pour donner à Maria une raison de vivre. Emil a fait promettre à sa fille de garder secrète la substitution, de n'en parler à personne, pas même à son mari, alors au front.
Elisabeth Filhol, La centrale
Il y a cinquante ans, l'écrivain belge Jos Vandeloo publiait son premier roman, Het gevaar, traduit en français quatre ans plus tard par Maddy Buysse (Le danger). Les risques liés au nucléaire civil n'étaient pas, à l'époque, familiers aux lecteurs de fiction. Et il faudrait relire cet ouvrage à la lumière du premier roman d'Elisabeth Filhol, La centrale. En partie pour se rassurer.
Elsa Fottorino, Mes petites morts
Anna s'installe à Cork, en Irlande. Marek aussi. Elle a laissé à Paris une sœur, Sarah, installée dans sa vie de couple. Il a entendu à Prague un diagnostic qui ne lui promet pas une santé florissante. Mais ils sont jeunes et beaux. Il ne leur manque que de sentir le sable chaud. Et d'oser, surtout, quitter la réserve qui les tient à distance l'un de l'autre. Sans cette distance, Otto ne se serait pas imposé à Anna. Anna n'aurait pas nourri des soupçons sur la nature de la relation entre Marek et Natasha.
Nell Freudenberger, Le dissident chinois
Sous les apparences, Nell Freudenberger débusque de multiples mensonges. Le point de départ est pourtant simple : un artiste dissident chinois, envoyé aux Etats-Unis dans le cadre d'échanges culturels, est hébergé dans une famille aisée de Los Angeles et enseigne dans un lycée de filles. En même temps, il prépare deux expositions, l'une avec ses œuvres anciennes, l'autre à partir du travail effectué pendant son séjour aux Etats-Unis. La confrontation des cultures et les regards différents sur l'art offraient une matière riche à la romancière, qui ne se prive pas de les exploiter.
Rich Hall, Otis Lee Crenshaw contre la société
Le père d'Otis Lee Crenshaw s'appelle Jack Daniels. Quand son fils, tout petit, pleurait parce qu'il avait mal aux dents, Jack Daniels se massait les gencives avec du… Jack Daniel's et se rendormait tranquillement. Ce n'est pas une blague. Pas plus, du moins, que l'ensemble d'un roman déjanté, ponctué de procès absurdes, d'initiatives déplorables et de mariages désastreux avec des femmes qui s'appellent toutes Brenda. Par hasard plutôt que par nécessité.
David Vann, Sukkwan Island
Roy a treize ans quand Jim, son père, lui propose de passer avec lui une année sur une petite île de l'Alaska. Le but avoué consiste à vivre comme des pionniers dans une cabane en bois. Les provisions ne seront pas suffisantes, il faudra les reconstituer au fur et à mesure. Chasser, pêcher, fumer la viande et le poisson, faire face à la voracité des ours, rassembler assez de bois pour traverser l'hiver. Jim s'est imaginé que Roy prendrait cela comme une grande aventure, avec enthousiasme. L'enthousiasme n'est pas au rendez-vous. Roy a pressenti des motivations moins excitantes. Jim a lâché son travail de dentiste après avoir échoué dans d'autres entreprises, est sur le point de divorcer pour la deuxième fois et ne sait plus où il en est. Il espère donc probablement que ce séjour au cœur d'une nature peu accueillante l'endurcira assez pour lui donner les forces de repartir ensuite sur des bases plus solides. Et qu'il lui permettra de se rapprocher d'un fils dont il connaît, au fond, peu de choses.
Pierre Simenon, Au nom du sang versé
S'appeler Pierre Simenon, être le fils de Georges et publier son premier roman exige un certain culot, ou une bonne dose d'inconscience. A moins de voir dans Au nom du sang versé le fruit d'une leçon donnée par celui qui apparaît à la fin d'une liste de personnes remerciées: «Et toi, mon dad, qui m'a transmis ta curiosité de tout vivre et de tout tenter, et, surtout, qui a été le meilleur père dont j'aurais pu rêver.» Tout tenter, donc, même le roman…