Didier Decoin sait ce que
veut dire raconter une histoire. Il l’a fait plus de vingt fois. Romancier
classique dans la forme, il aime entraîner les lecteurs à sa suite dans la
découverte de personnages aux destins singuliers, qu’ils s’inspirent ou non de
la réalité. Jamais très loin, quoi qu’il en soit, de la vraisemblance. En
particulier dans son nouvel ouvrage, La pendue de Londres, où il suit pendant une dizaine d’années les trajectoires
convergentes d’Albert Pierrepoint, bourreau britannique, et de Ruth Ellis, qui
ne l’aurait jamais rencontré si elle n’avait été condamnée à mort pour le
meurtre de son amant et exécutée, à 28 ans, le 13 juillet 1955. Les faits sont
authentiques. Du roman, il valait la peine de parler avec Didier Decoin.
Comment avez-vous rencontré l’histoire de Ruth
Ellis ?
Je la connais depuis que j’ai dix ans. J’étais un
petit garçon, il y avait cette fille si belle qu’on avait tuée… Dans France-Soir,
tout était raconté. J’avais été profondément touché. Depuis longtemps, cette
histoire me trottait dans la tête mais je ne savais pas par quel bout la
prendre. Et puis, je suis tombé sur les mémoires de Pierrepoint, le bourreau.
Du coup, le livre pouvait exister : il avait une épaisseur, il avait deux
voix.
Encore fallait-il resituer le contexte.
Je ne savais rien de Londres à cette époque. La
ville était beaucoup plus crépusculaire qu’on ne l’imagine, elle avait souffert
de la guerre beaucoup plus que Paris. Des quartiers entiers étaient par terre
suite aux bombardements, il y avait des terrains vagues, la lumière n’était pas
rétablie partout. Je cherchais malgré tout un ton qui ne soit pas lugubre et
qui soit aussi vivant que possible. Le livre n’a pas été facile à écrire mais,
à partir du moment où j’avais tous les ingrédients, la recette était facile à
faire.
Les deux personnages n’avaient, a priori, rien
pour se rencontrer.
Non, mais leur rencontre était inéluctable. Ruth
ne le savait pas mais elle avait rencontré la mort et la mort l’attendait au
bout de son chemin. Je trouve cette femme formidable. Pendant 28 ans, les
hommes s’obstinent à lui mettre la tête sous l’eau et, à chaque fois, elle la
relève, elle s’ébroue, elle repart au combat. Elle est une victime, elle n’est
pas vaincue. J’aime bien les gens comme ça, qui ne se laissent pas étouffer.
Ruth est le stéréotype de l’aventurière,
non ?
L’aventurière en chambre, en tout cas. Il ne faut
pas se dorer la pilule : Ruth est une prostituée de luxe. Sa véritable
ambition, c’est d’arriver à élever ses gosses et d’avoir un gentil mari qui s’occupe
d’elle. Elle le cherche toute sa vie, elle croit parfois l’avoir trouvé. Est-ce
que c’est elle qui attire le genre d’hommes qui entrent dans sa vie ?
Elle n’a rien fait pour avoir son père sur le
dos !
Non, elle n’a rien fait pour. Mais elle est née sous
une mauvaise étoile.
Sur l’autre face du roman, en alternance, nous
avons donc Albert Pierrepoint. Peut-on dire que c’est essentiellement un homme…
correct ?
Tout à fait. Il est attendrissant, il est très
bien élevé, il est courtois. Il fait attention aux autres, il ne veut pas que
sa femme, sa petite marchande de bonbons, sache qu’il est bourreau. Et il est
formidable envers ses « clients ». La peine de mort est un de mes
combats et j’ai regardé comment étaient les autres bourreaux dans le monde. Ce
ne sont pas les êtres les plus brillants qu’on puisse rencontrer. Ils ne sont
pas très humanistes…
Contrairement à beaucoup de ses collègues,
Pierrepoint se pose des questions sur la peine de mort…
Il est
devenu abolitionniste convaincu à la fin de sa vie, en se disant qu’il n’y
avait aucune exemplarité dans la peine de mort. Ca n’empêche personne de
basculer dans le mal. Et puis, je crois qu’il avait pris conscience, après son
435e pendu, que c’était quelque chose de révulsant. Je ne raconte
pas dans le livre ce qui se passe dans la pièce en dessous, après la pendaison.
Ce n’est pas très gai quand on se dit : c’est moi qui ai fait ça.