vendredi 7 août 2020

Roberto Bolaño dans le texte (bien que traduit)

Quelque chose va se produire dans les prochains jours. Je te tiendrai au courant.

Ça va être une histoire de terreur. Ça va être une histoire policière, un récit de série noire, et d’effroi. Mais ça n’en aura pas l’air.

Il n’y a pas de règles. (« Dites à cet idiot d’Arnold Bennet que toutes les règles de construction ne restent valides que pour les romans qui sont des copies d’autres romans. »)

Il ne faut pas s’étonner que la chambre de l’auteur soit couverte d’affiches allusives. Nu, il tourne en rond au milieu en contemplant les murs effrités, sur lesquels on voit des signes, des dessins nerveux, des phrases hors contexte. Il ne faut pas s’étonner que l’auteur se promène nu au milieu de sa chambre. Les affiches effacées s’ouvrent comme les mots qu’il rassemble dans sa tête.

Écrire de la poésie n’a pas de sens, les vieux parlent d’une nouvelle guerre et parfois le rêve récurrent revient. Dans tout poème il manque un personnage qui guette le lecteur. La violence est comme la poésie, elle ne se corrige pas. Tu ne peux pas changer la trajectoire d’un couteau ni l’image d’un soir qui tombe à jamais imparfait.

Celle qui cligne des frontières s’appelle Destin mais moi je l’appelle Petite fille Folle. Celle qui court très vite sur les lignes de ma main s’appelle Destruction mais moi je l’appelle Petite fille Silencieuse. Le paradis, par moments, apparaît dans la conception générale du kaléidoscope. Le kaléidoscope se meut avec la sérénité et l’ennui des jours. Pour elle, finalement, il n’y a pas eu d’enfer. Elle a juste évité de vivre ici. Les solutions simples guident nos actes. L’éducation sentimentale n’a qu’une devise : ne pas souffrir. Ce qui s’écarte peut être appelé désert, rocher à apparence humaine, le penseur tectonique.

Mieux vaut apprendre à lire qu’apprendre à mourir. Lire c’est apprendre à mourir, mais c’est aussi apprendre à être heureux, à être courageux. Philip K. Dick est mort et nous n’avons plus besoin que du strict minimum. On ne finit jamais de lire, même si les livres s’achèvent, de la même manière qu’on ne finit jamais de vivre, même si la mort est un fait certain.

Le poème qui est le fidèle reflet de ce que l’on veut exprimer est presque une chimère. La poésie entre dans le rêve comme un plongeur mort dans l’œil de Dieu. Il importe peu aux vrais poètes qu’on les observe quand ils écrivent Quand ils font parler les oiseaux des tropiques dans leurs journaux ou leurs épîtres, allongés à l’ombre d’un saule attendant que passe une camionnette sur la route. Les vrais poètes ont l’air de figurants de vieux films. Tout est possible. Ça, tout poète devrait le savoir.

Un poète latino-américain qui lorsque vient la nuit se jette sur sa paillasse et fait Un rêve merveilleux qui traverse pays et années Un rêve merveilleux qui traverse maladies et absences. Son Chili son arc-en-ciel immobile comme poumon de temps verbaux obscurs. Le Chili est un couloir long et étroit Sans issue apparente.

Les nouvelles disent que Sophie Podolski kaputt en Belgique. Une fille qui écrivait des dragons totalement pourrie dans une niche funéraire de Bruxelles… Une fille belge qui écrivait comme une étoile… « Elle aurait vingt-sept ans aujourd’hui, comme moi »…

C’est à cela que tout se réduit : mendier et avoir de la mémoire. Et marcher sous les éclairs dans une rue aux maisons vides. Le crépuscule arrive avec des nuages noirs, il flotte un ghetto appelé Bénarès, des centaines de gériatres descendent des fleurs. Dans la nuit les désespérés se reconnaissent et s’étreignent. Le mystère commence à la fin apparente de tous les chemins. La passion est géométrie qui tombe dans l’abîme, observée du fond de l’abîme.

C’est drôle ; dans la pièce, en plus du reflet qui absorbe tout (et de là le trou immaculé), il y a des voix d’enfants, des questions qui semblent venir de très loin. Cette enfant ne dort plus : son insomnie est un oiseau blanc qui douloureusement s’écrase contre les fenêtres.

Errer des jours et des jours. La douce compagnie des tables voisines dans le café. Une femme désirée, partager un regard, une phrase ou une mélodie. Se donner de l’importance devant un miroir. Un poète mineur disparaît pendant qu’il attend un visa pour le Nouveau Monde. Un poète mineur disparaît sans laisser de traces alors qu’il désespère échoué dans une ville quelconque de la Méditerranée française. Il n’y a pas d’enquête. Il n’y a pas de cadavre.

La Rambla est déserte, seuls quelques vieux assis sur les bancs lisent le journal. À l’autre bout les silhouettes de deux policiers commencent leur parcours. La ville de la sagesse. La ville du bon sens. C’est comme ça que ses habitants appellent Barcelone. À Masnuy-Saint-Jean, ils voient des vaches. Des arbres. Des champs en jachère. Un hangar en tôle. Des maisons de trois étages.

Padilla avait cinq ans à la mort de sa mère, et douze à celle de son frère aîné. À treize ans, il décida de devenir artiste. Il pensa d’abord que son affaire était le théâtre et le cinéma. Puis il lut Rimbaud et Leopoldo María Panero et voulut être poète en plus d’acteur. La vie, d’après Padilla, même s’il s’ennuyait souverainement à corriger des romans plus faux qu’un billet de trois mille pesetas, était toujours aussi étrange et pleine d’offrandes mystérieuses.

La disparition d’Arcimboldi était-elle liée aux écrivains barbares ? Il ne le savait pas mais il continuerait à enquêter.

Une semaine plus tard, López Azcárate s’est pendu à un arbre et la nouvelle a couru dans la faculté comme un animal rapide et terrifié.

Cela faisait cinq ans que Malone avait abandonné cette zone sombre où habitent les légendes et maintenant, en réalité, il n’intéressait plus grand monde, même si les fans n’avaient pas oublié son nom.

De chaque côté, on traîne des divorces, de nouvelles maladies, des frustrations. Quand un homme dit qu’il a le temps il est fichu (et alors ça n’a plus d’importance qu’il ait ou non du temps) et on peut faire ce qu’on veut de lui. Nous sommes tous impliqués dans cet enfer…

La garce conduisait à toute vitesse. On avait eu beaucoup de chance et ce n’était pas nécessaire d’aller aussi vite. La police guettait les mouvements des braqueurs du Banco Hispano Americano et ne savait peut-être encore rien de l’assassinat de la vieille. La dernière cachette se trouvait au plafond…

Cette histoire est très simple mais elle aurait pu être très compliquée. Et aussi : c’est une histoire inachevée, parce que ce genre d’histoires n’a pas de fin. Il fait nuit à Paris et un journaliste nord-américain est en train de dormir. Dieu lui a mis bien profond au diable. C’était ça, la culture de notre époque : Morrison et les autres cardiaques. Et Joyce. C’était difficile de penser à deux histoires plus opposées. La merde et la science-fiction.

La littérature, comprise de cette manière extraordinaire, outre que c’était stupide ou tendrement ignorant, si on la considère de façon compatissante, était le fait de n’assumer aucun rôle. Et on ne peut pas vivre comme ça.

Nostradamus Bolaño est arrivé à Mexico comme le Christ d’Ensor à Bruxelles. Ah, soleil, comme tu me manques a dit Roberto Bolaño. Roberto Bolaño se promenait avec une gringa très tranquille, vous parliez d’une liaison quand le soleil disparut comme une mofette.

Tout ce qui précède se déroula peut-être ainsi. Peut-être pas.

 

Tout ce qui précède… est un montage de fragments extraits des deux premiers volumes des Œuvres complètes de Roberto Bolaño, traduites par Robert Amutio et Jean-Marie Saint-Lu.

Un article plus classique (et un peu plus bref) paraît ce samedi 8 août dans Le Soir.

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