lundi 18 mai 2015

Chawki Amari deux millénaires après Apulée

Dans une ancienne pizzeria nichée au cœur des montagnes de Kabylie, Izouzen, le libraire qui en est devenu propriétaire, a gardé le four et a préparé un repas à Tissam, Mounir et Lyès, de passage dans la région pour des raisons complexes. La pizza avalée, Izouzen leur demande : « Vous connaissez L’âne d’or d’Apulée ? »
La question rappelle aux trois amis l’âne mort planqué dans le coffre de leur voiture et à cause duquel ils ont quitté Alger. La question les inquiète un peu, aussi : Izouzen doit connaître leur secret, mais comment sait-il ? La question, enfin, renvoie à « Afulay-Apulée de M’Daourouch, premier romancier du monde, premier auteur algérien » auquel Chawki Amari rend explicitement hommage avant le début de L’âne mort, son nouveau roman.
L’entreprise est donc fondée d’abord sur des échos littéraires. Izouzen fait une lecture très personnelle de la métamorphose survenue, dans L’âne d’or, à Lucius que son amante a transformé en âne : « Si tu te transformes en âne, c’est que tu l’étais déjà, sans le savoir. » Et des lignes vaguement parallèles permettent aux deux romans, à presque deux millénaires d’intervalle, de se rejoindre dans leur interprétation du monde.
Car Chawki Amari est aussi, dans son pays, un symbole de l’impertinence telle que peut la pratiquer, non sans difficultés parfois, un journaliste et dessinateur. Le réel n’est jamais très éloigné de ses textes les plus écrits, au meilleur sens du mot. L’âne, qui ici s’appelle Zembrek, possède une véritable biographie qui le lie à son propriétaire, Bernou. Bernou est commissaire et sa part d’humanité se manifeste surtout par l’intense affection qui le lie à Zembrek. Pour rien au monde il ne se séparerait de son âne, membre de la famille à part entière et même, au fond, un des premiers.
Par ailleurs, et en vertu de sa fonction, Bernou est un homme de pouvoir et d’argent, les deux éléments ayant depuis longtemps noué d’excellentes relations sans tenir compte de la légalité. C’est donc à lui qu’on fait appel, contre une juste rétribution, quand il s’agit de faciliter des opérations commerciales pas très claires. Exactement du genre qui excite, ces jours-là, le trio d’amis déjà évoqués plus haut, et à une altitude plus élevée, dans un tout autre décor.
Tissam, Mounir et Lyès, en attendant le commissaire sur sa pelouse du commissaire, jouent avec son âne. Jeu dangereux quand une piscine se trouve à proximité et qui conduit la petite bande à embarquer l’âne mort, avec l’espoir de cacher son cadavre le plus loin possible et d’échapper à la vengeance de Bernou, qu’on imagine terrible.
Chemin faisant, Apulée fait son apparition, la poésie se fraie un chemin dans les montagnes et le romancier emprunte les accents d’un conte contemporain, faisant de L’âne mort un roman à plusieurs niveaux de signification.

P.-S. Cet article était destiné à un autre support, avec lequel il est cependant trop difficile de travailler à distance pour que j'insiste...

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