Du palmarès des prix littéraires 2015, Alice
Zeniter, souvent citée, chaque fois recalée, avait failli être totalement absente.
Le Renaudot des Lycéens avait, au dernier moment, rattrapé Juste avant l’oubli. L’idée était bonne, suivons-la une nouvelle fois à l'occasion de la réédition du roman au format de poche.
Car voici un roman, le quatrième si on compte celui de ses
débuts à seize ans, composé avec autant de soin qu’une thèse de doctorat et
autant de jubilation qu’une histoire d’amour noir. L’intelligence et la finesse
forment un heureux mélange dans lequel saveurs et influences sont
harmonieusement réparties, dans une palette qui va d’Agatha Christie à Laurent
Binet. Les amateurs de tous les genres sont assurés de rencontrer ici un angle
sous lequel ils trouveront du plaisir.
Il est question de Galwin Donnell, un écrivain mort dans
l’île des Hébrides où il s’était retiré. Son corps n’a jamais été retrouvé, son
dernier manuscrit n’est pas terminé. Ce qui n’empêche pas l’auteur d’être
devenu un mythe, à moins que cela ait participé à l’édification du mythe. Les
chercheurs du monde entier se sont penchés sur son œuvre et continuent à le
faire, en particulier quand ils se retrouvent, tous les trois ans, à Mirhalay,
sur les lieux où Donnell a passé ses dernières années. La compétition
universitaire bat alors son plein, c’est à qui aura détecté, entre les lignes
de l’œuvre, l’allusion la plus ténue à quelque thème encore inexploré. Les
combats intellectuels se doublent, lors des promenades ou des repas, de flirts
comme il en naît dans les circonstances propices de rassemblements hors du
contexte habituel.
Rien n’est moins habituel en effet que ces colloques
consacrés à un mort et à un personnage de fiction (Adrian Dickson Carr, le
héros des romans de Donnell), dans un lieu qui se définit entre deux
affirmations : « les gens de
Mirhalay n’existent pas pour le reste du monde », ou : « le reste du monde n’existe pas pour
les gens de Mirhalay. » Le huis clos est parfait, l’île étant peu et
mal reliée à ce reste du monde.
Pourtant, cette fois, les spécialistes de Donnell ne sont
pas tout à fait entre eux. Franck, qui déteste son prénom, qui n’est pas très
fier de son travail d’infirmier, s’est invité dans la réunion privée. Il a une
très bonne raison d’être là : sa compagne, Emilie, est une jeune émule des
grands spécialistes de Donnell, elle prépare une thèse sur l’écrivain. Et, déjà
un peu jaloux du sujet de thèse, bien que, rappelons-le, il soit mort, Franck
se demande s’il ne trouvera pas, dans le prestige universitaire des invités aux
colloques, d’autres occasions de nourrir des craintes sur l’attachement
d’Emilie à sa modeste personne…
Ajoutons, entre autres données, la présence, à Mirhalay,
d’un gardien très éloigné des préoccupations des visiteurs, et dont le rôle
suscite un certain trouble. Un décor escarpé propre à exciter l’imaginaire. Un
lieu habité par un fantôme. Tout ce qui n’est pas dit, aussi, et qu’on devine
entre les lignes, entre les mots et les gestes. Alice Zeniter maîtrise les
éléments de son récit comme si elle dirigeait un orchestre où les solistes les
plus remuants se plient à sa volonté. Et, ensemble, jouent une œuvre dont la
mélodie et les moments forts resteront gravés dans la mémoire.
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