vendredi 17 août 2018

«La tristesse des femmes en mousseline», de Jean-Daniel Baltassat

Le 20 février 1945, Paul Valéry n’a plus que cinq mois, jour pour jour, à vivre. Mais, cet après-midi-là, alors qu’il est plongé dans « la contemplation de l’aquarelle de Berthe Morisot et des feuillets noircis d’une fine écriture », le téléphone sonne et Mathilde est là, à haleter des mots qui se déversent sous le coup d’une indignation étouffante : les camps d’extermination nazis, des « cercles de l’enfer existent bel et bien », les Soviétiques ont pris des photos, « c’est pire que tout. On ne peut pas l’imaginer. Un être humain ne peut pas imaginer ça ! » Valéry interrompt Mathilde : « L’horreur, dit-il de son ton le plus sec, l’horreur n’est pas une variété d’actes issus de l’imagination. Le mal non plus. » Il répond avec ses facultés de raisonnement à une émotion qui serre le cœur. C’est pour le moins maladroit…
Ainsi s’ouvre La tristesse des femmes en mousseline, de Jean-Daniel Baltassat, sans préciser qui est cette Mathilde dont Valéry connaît tous les charmes : « Les tendons brûlants de la nuque, il les a eus sous ses doigts, la chair tendre à déchirer de ses cuisses, il l’a eue sous ses lèvres, le dur de ses fesses et de son ventre, l’impatience de ses reins, il les a endurés, ravi dans le doré de son sexe ». Les amateurs de biographies le regretteront, mais ils n’ont qu’à aller voir ailleurs. Car, ici, peu importe l’identité de cette femme (pas si difficile à trouver, d’ailleurs). Le sentiment de perte, compensé par la permanence de l’art, domine l’envie de connaître les détails. Un monde présent s’en va, et Valéry avec lui. Un monde passé reste, et la fameuse aquarelle de Berthe Morisot avec lui.
Sur la faille temporelle et psychique, l’impression de déchirement s’en prend à la raison et toute la question est de savoir si celle-ci réussira à se maintenir au premier plan sans négliger les sens et les émotions. « Au moins me reste-t-il le ciel et la terre, les poussettes et la tristesse des femmes en robe de mousseline. »

Citation
Les Japonais font danser leurs pinceaux sur les puits, ils n’y descendent jamais, pourtant nous en voyons bien le fond.

JEAN-DANIEL BALTASSAT
Calmann-Lévy, 250 p., 19,50 €, ebook, 13,99 €


P.-S. Mauvaise nouvelle: l'entretien de rentrée que j'évoquais l'autre jour, et qui devait paraître aujourd'hui dans Le Soir a été reporté pour cause de mauvaise nouvelle (la mort d'Aretha Franklin).


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