Au cœur des champs de pétrole texans, tout le monde roule en
pick-up. Et s’inquiète d’une éventuelle baisse du prix de l’or noir qui ferait
chuter les revenus. Personne n’imagine, à Thalia, que les choses pourraient
être différentes. Sauf Duane Moore, 62 ans, propriétaire d’une petite compagnie
pétrolière : un matin, pris de vertige devant l’ennui dans lequel il
baigne depuis des décennies, devant l’absurdité d’un monde à l’élaboration
duquel il a contribué, gare son pick-up, planque les clés et décide de ne plus
se déplacer qu’à pied. Une absurdité pour toute la communauté, à commencer par
son épouse Karla pour qui un changement aussi radical ne peut avoir qu’une
signification : Duane a décidé de divorcer et c’est sa manière de le lui
annoncer. Ou alors, puisqu’il nie, il est en pleine dépression.
Si le désir de marcher est le premier signe du changement
intervenu chez Duane, il en est d’autres. Il se réfugie dans une cabane située
à une dizaine de kilomètres de chez lui, où il mène une existence d’ascète, renonçant
au confort et limitant ses besoins aux plus élémentaires. Il abandonne la
gestion de sa société et la confie à son fils qui sort à peine d’une cure de
désintoxication, avec l’espoir que de nouvelles responsabilités l’aident à ne
pas retomber dans la drogue mais sans se soucier d’un possible échec.
Il n’a cherché à imiter personne, sa culture est d’ailleurs
très lacunaire, mais il est intrigué quand Jody, qui tient une boutique, le
compare à un célèbre écrivain : « tu
t’es mis à te comporter comme Thoreau. Partir à pied de chez toi, nettoyer le
lit de la rivière, ce genre de chose. » Chez Duane, la lectrice a toujours
été Karla et il se souvient d’avoir vu un ou deux livres de Thoreau à la
maison. Il finit par en acheter un et s’y retrouve : « une grande partie de son travail avait été dénuée de sens, la
plupart de ses efforts avaient été vains et la majorité de ce qu’il possédait
était inutile. Il avait l’impression d’être précisément l’homme que Thoreau
décrivait, aliéné par son travail. »
Un autre genre de lecture l’attend quand il se décide à
consulter une psychothérapeute. Un peu parce qu’elle est la fille de Jody, un peu
pour répondre au désir de Karla qui croit toujours dans sa dépression, beaucoup
parce qu’il tombe amoureux d’elle. Mais elle est gay et, afin d’établir une
certaine distance avec son patient, elle interrompt la thérapie avec une
consigne : les séances reprendront quand il aura fini de lire A la recherche du temps perdu, de Marcel
Proust. L’obstacle semble insurmontable : les trois gros volumes au format
de poche le narguent et il n’y comprend rien. Sinon, de temps en temps, par un
écho qui le renvoie à sa propre vie.
Larry McMurtry, Prix Pulitzer en 1986 pour son roman Lonesome Dove, a aussi été récompensé
d’un Oscar pour le scénario de Brokeback
Mountain, écrit avec Diana Ossana. Duane Moore est un de ses personnages
récurrents, d’abord mis en scène dans La
dernière séance et Texasville, retrouvé ces jours-ci dans Duane est amoureux. Mais il n’est pas besoin de les avoir lus pour apprécier, dans Duane est dépressif, cet homme en
rupture avec la société.
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