dimanche 29 décembre 2019

Et Nabokov, alors ?

Le name dropping fait rage dans les innombrables interventions qui fustigent, sur les réseaux sociaux, Gabriel Matzneff depuis que Le consentement, de Vanessa Springora, est devenu le déclencheur d’une indignation collective – et le révélateur de quelques voix divergentes.
Coïncidence, Sue Lyon vient de mourir, jeudi, à 73 ans. Elle n’avait plus rien, et depuis longtemps, de la nymphette que sa moue boudeuse rendait parfaite en Lolita, dans l’adaptation du roman de Vladimir Nabokov par Stanley Kubrick en 1962.
Parfois, le nom de Nabokov survient au détour d’un commentaire autour (et, en l’occurrence, comme je vais essayer de le montrer, plutôt loin à côté) de Matzneff. Dans Lolita, le roman, Humbert Humbert (le narrateur qui fait une longue confession) a 37 ans au moment où il rencontre Lolita, 12 ans et demi. Au passage, on note que le film de Kubrick ajoute quatre ans à la jeune fille, l’âge de Sue Lyon au moment de la sortie du film.
Le parallèle avec Matzneff est tentant – surtout si on n’a pas lu ou vu Lolita. Ce n’est pas le cas, évidemment, de Vanessa Springora, bien placée pour juger du degré de perversion auquel se situe le roman de Nabokov, « que j’ai lu et relu après ma rencontre avec G. », écrit-elle dans Le consentement.
Et Nabokov, alors ? Vanessa Springora est très claire :
J’entends souvent dire, par ces temps de prétendu « retour au puritanisme », qu’un ouvrage comme celui de Nabokov, publié aujourd’hui, se heurterait nécessairement à la censure. Pourtant, il me semble que Lolita est tout sauf une apologie de la pédophilie. C’est au contraire la condamnation la plus forte, la plus efficace qu’on ait pu lire sur le sujet.
Elle ne s’interdit pas de poser la question d’éventuels penchants du romancier pour les nymphettes, d’autant que, rappelle-t-elle, il avait déjà abordé le sujet dans L’enchanteur. Mais au fond, « je n’en sais rien », répond-elle. Et son analyse place Nabokov aussi loin que possible de Matzneff :
Pourtant, malgré toute la perversité inconsciente de Lolita, malgré ses jeux de séduction et ses minauderies de starlette, jamais Nabokov n’essaie de faire passer Humbert Humbert pour un bienfaiteur, et encore moins pour un type bien. Le récit qu’il fait de la passion de son personnage pour les nymphettes, passion irrépressible et maladive qui le torture tout au long de son existence, est au contraire d’une lucidité implacable.
S’il était possible de ne pas tout mélanger et de garder cette lucidité devant le brouhaha du scandale, tout le monde s’en porterait mieux. Oui, c’est peut-être beaucoup demander…

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