lundi 2 décembre 2019

L’Espagne rêvée de Pierre Assouline

Un cocido, voilà comment Javier Cercas définissait Retour à Séfarad, le livre que Pierre Assouline était en train d’écrire : un pot-au-feu littéraire, pour le dire plus vite que le romancier. Il y croise la documentation et la fiction, y mêle des poèmes, des portraits, de l’enquête… Son maître ? Cervantès et l’inépuisable Don Quichotte. L’occasion de touiller dans les plats de l’Histoire ? L’appel d’un roi, Felipe VI, en 2015, aux fils de Séfarad : rentrez au pays et retrouvez la nationalité espagnole perdue lors de l’expulsion en 1492. Cinq siècles de mémoire, des souvenirs antérieurs à la naissance.
La décision de l’écrivain, descendant de ces Juifs exclus, est inébranlable : il va demander, et forcément obtenir, la nationalité espagnole. Oui, mais ce n’est pas si simple. L’administration, même de bonne volonté, reste un labyrinthe dont certains passages étroits se traversent avec lenteur. Qu’importe ! Un obstacle sert à rebondir et le livre se nourrit de ces péripéties chaque fois qu’il en cherche l’origine lointaine.
« Pas de ligne droite en histoire dès lors que l’on s’installe dans la longue durée. Ce n’est que tours, détours et retours », écrit Assouline dans un ouvrage dont la couverture (originale) porte la mention : « roman ». Et qui, dans les dernières pages, détaille une copieuse bibliographie après quelques remerciements personnels. Le goût des archives a encore frappé : devant des listes de noms, l’auteur est capable de rêver jusqu’à fournir à chacun une trajectoire individuelle. Sa manière d’être « l’ambassadeur des morts auprès des vivants ».
Cependant, fidèle à la méthode de Maigret – l’imprégnation –, il dit aussi : « Il faut quitter les bibliothèques sous peine d’y mourir engloutis. » Il part donc en Espagne, selon un programme en partie fixé mais surtout très libre, il rencontre des gens, il parle, il écoute, regarde. Il se retrouve dans des régions dépeuplées, fouille les cicatrices de la guerre civile. Il écrit son Espagne, c’est-à-dire Séfarad, un pays peut-être imaginaire.
Et, s’il ne devient pas espagnol, à quel roi pourrait-il s’adresser pour obtenir une autre nationalité ? A celui des Belges, peut-être, « pour sévices rendus à leurs gloires nationales Simenon et Hergé (j’ai calé pour Brel et Magritte, ils l’ont échappé belle). »

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire