mardi 20 décembre 2016

La robinsonnade d’Isabelle Autissier

A force de lire Isabelle Autissier, en particulier ses romans, on risque d’oublier qu’elle a d’abord été connue pour ses exploits de navigatrice. Première femme à avoir bouclé un tour du monde à la voile en solitaire est pourtant un titre que personne ne lui enlèvera.
Son caractère de battante est présent dans Soudain, seuls, qui vient de reparaître au format de poche. Louise et Ludovic sont partis sur leur bateau pour une année sabbatique d’aventures maritimes. L’expérience est exaltante, jusqu’au moment où elle tourne court sur une petite île des Cinquantièmes Sud dans l’océan Atlantique. Le temps d’une excursion sur des terres en principe interdites au tourisme puisqu’il s’agit d’une aire protégée, l’orage éclate et le bateau disparaît. Les données changent : il s’agit de survivre, comme Robinson.
A quel âge avez-vous lu Robinson Crusoé ?
Oh ! je devais être petite fille, à douze ou treize ans. Je suis de cette génération où les enfants lisaient beaucoup. J’aimais bien les aventures, tous les romans de Jules Verne, aussi. D’ailleurs, le personnage de Louise raconte à un moment que, petite, elle rêvait de se trouver dans les situations les plus incongrues. Il y a un peu de moi là-dedans. Après, j’ai lu pas mal d’histoires de naufragés, des témoignages. Mais je n’ai pas relu tout ça avant de me mettre à écrire.
Au moment d’écrire une robinsonnade, vous êtes-vous demandée en quoi la vôtre serait différente de celles qui la précédaient ?
Je me suis posé la question, parce qu’il s’agit d’un genre littéraire qui a ses lettres de noblesse. Après, je n’ai pas vraiment cherché à me positionner par rapport aux autres. Ça m’intéressait que ce soit un couple, que ce soit dans une île extrêmement difficile pour des humains abandonnés, voilà ce que je voulais écrire.
Il s’agissait de placer ce couple, qui vient d’un milieu urbain et sécurisé, face à un dépouillement total et imprévu ?
Oui, je suis vraiment partie de cette idée-là : nous qui vivons dans des sociétés où la nature, souvent apprivoisée, c’est le loisir, que devenons-nous quand on perd toute sécurité, toute possibilité de communication ? On n’a plus les codes. On oublie très vite : Louise, face à une radio un peu ancienne, ne sait pas comment ça marche. Elle est sur Facebook mais elle a perdu la connaissance de choses qu’on savait faire avant et qu’on ne sait plus faire.
Au point de départ, leur envie de changer d’univers pendant un an est une belle idée…
On en connaît pas mal, des gens comme ça, mais il y en a beaucoup qui disent qu’ils vont le faire et qui ne le font pas. Ils ont conscience d’avoir une vie formatée, artificielle, et aimeraient retrouver, avec la nature, une expérience de vérité. Vérité de soi-même et de ce qui se passe réellement sur la planète. Ils sont animés de tout ça, et ils le sont sincèrement. Mais ils restent persuadés que l’homme est au-dessus de la nature, qu’il la maîtrise sous tous ses aspects. Et puis, à un moment donné, sur leur île, ils se retrouvent à égalité. Leur vie ne vaut pas plus que celle d’un albatros ou d’un mammifère marin. Ils mangent des bêtes, ils risquent de se faire manger par d’autres, c’est très basique. Intellectuellement et moralement, ils ne sont absolument pas prêts à ça.
Quand vous avez commencé à écrire ce livre, saviez-vous si Louise et Ludovic allaient mourir ou vivre ?
Je ne savais pas du tout où j’allais. Après, ça se construit au fur et à mesure. On vit avec son livre, on en rêve, on y pense tout le temps et les personnages prennent une certaine épaisseur. Au bout de 50 ou 60 pages, je savais que c’était elle qui allait survivre, parce que je lui voyais cette espèce d’obstination que l’on retrouve chez les gens qui résistent dans des situations terribles. Ce ne sont pas les plus forts, ni les plus intelligents, ni les plus gentils, ce sont ceux qui ont une sorte de ténacité de la vie que Louise a plus que Ludovic.
C’est instinctif ?
Oui, c’est l’odeur qui la décide à partir quand elle trouve qu’il sent la mort…

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