Un éclair de feu, bref, incompréhensible, a marqué Louise et
Luc pour la vie. Ils l’ont aperçu entre deux pierres d’une muraille, ils
voudront comprendre. Les rayures fauves d’un tigre conduisent leur destin, leur
fournissant au passage quelque chose de la sauvagerie de l’animal, de son
appétit de vivre, peut-être même de sa férocité.
Patrick Grainville ouvre son nouveau roman sur une image
fugitive mais elle marque personnages et lecteurs comme au fer rouge. Comme le
symbole, aussi, de ce qui va suivre, et où on retrouve chez l’écrivain le
plaisir du surgissement bestial de la nature, y compris la nature humaine.
Louise et Luc, jeunes amants, sont armés, pour leur défense, de ce qu’ils
savent de leurs parents où la légitimité des couples est ébranlée par les lois
du désir – le père de Louise, qui surprend les adolescents de quatorze ans dans
la frénésie de leur étreinte, a lui-même été vu par ceux-ci avec la mère de
Luc.
Les sens exacerbés resplendissent comme resplendit le corps
d’Hélène, fille de la gardienne du domaine où rôde le tigre et dont le
propriétaire, « le vieux Paul », cultive son goût des chairs
opulentes. Hélène, la jeune fille dont Louise et Luc ne savent pas encore s’ils
la trouvent moche ou belle, a quelque chose d’Hélène Fourment, épouse et modèle
de Rubens. Les deux Hélène se confondent de plus en plus dans un imaginaire
enrichi de comparaisons.
Les rapports intimes entre l’œuvre romanesque de Patrick
Grainville et la peinture fournissent à l’auteur de solides points d’appui à
partir desquels se déploie avec verve un univers où l’intensité est la règle.
Hokusai, dans Le baiser de la pieuvre,
George Catlin, dans Bison, pour citer
deux exemples récents, avaient emporté les personnages au-delà d’eux-mêmes.
Rubens, dont on apprendra en cours de lecture qu’il a peint des tigres, n’est
pas placé à l’avant-plan de la même manière. Mais sa présence est une clé pour
nous, comme pour Louise et Luc.
Les emportements de leurs découvertes se transformeront,
bien entendu, avec l’âge, en même temps qu’ils s’ouvriront à d’autres relations
et à des cultures nouvelles. Les lettres d’Asie que Louise envoie à ses amis
sont des merveilles, malgré la fragilité qu’elles traduisent. Mais toute vie
est fragile, même celle d’un tigre nommé Nabucco dont on se souviendra
longtemps.
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