mercredi 7 novembre 2018

Prix Goncourt : Nicolas Mathieu

Six voix pour Nicolas Mathieu au quatrième tour, quatre pour Paul Greveillac, c'est donc Leurs enfants après eux, son deuxième roman, publié chez Actes Sud, qui est le Goncourt 2018.
Heillange, avec les souvenirs d’une industrie sidérurgique, est une petite ville en forme d’impasse, de laquelle la nouvelle génération ne pense qu’à se tirer, ce qui restera généralement à l’état de rêve inaccessible. Anthony, qu’on suit avec quelques autres pendant quatre étés, de 1992 à 1998, une année sur deux, a quatorze ans et ne sait pas trop ce qu’il veut, à part trouver des filles. Pour le reste, l’horizon est si bouché, ses parents si cons – se dit-il – que même l’envie d’aller voir ailleurs ne le titille que de loin en loin. Quand il s’y croira arrivé, grâce à l’armée, un pépin physique le ramènera au bercail…
Les jeunes picolent pas mal, fument, draguent en apprenant les attitudes et les gestes au fur et à mesure. Leurs aînés forment souvent des couples déchirés dans lesquels chacun a oublié ce qu’il reproche à l’autre. Les vieilles rancœurs sont aussi rouillées que les aciéries à l’arrêt mais elles sont dans le paysage et il semble que rien ne puisse les en extirper. Même pas les rares projets culturels construits davantage sur des mots que sur des initiatives concrètes. Seule exception, le 14 juillet,  son inévitable feu d’artifice, la beuverie qui l’accompagne au bord d’un lac, le bal où l’on se piétine les uns les autres.
Il arrive qu’on se cogne, demandez à Hacine. Il s’est vu lui aussi ailleurs, au bled de ses origines familiales, et riche du même coup grâce à un trafic qui a mal tourné quand il a cru que l’argent malhonnête pouvait fructifier honnêtement. Revenu donc la queue basse, caïd déchu avec pour seul adversaire à sa taille, taille réduite des bastons locaux, Anthony. Un peu par hasard, d’ailleurs, et parce que le père d’Anthony, ivrogne violent, y a mis du sien.
En 1998, l’équipe de France se dirige vers le titre mondial, le foot booste les ventes de téléviseurs et unit les habitants du pays quelle que soit leur couleur de peau ou leur origine. Un beau leurre. Un leurre quand même. A l’image d’un roman dans lequel sont vite coupées les ailes de celles et ceux qui tentent de prendre leur envol – seule Steph, peut-être, garde une chance, on a envie de le croire autant qu’elle.
Avant Leurs enfants après eux, Nicolas Mathieu avait publié un seul roman, Aux animaux la guerre, étiqueté (à juste titre) noir dans une collection dédiée au genre. Il était déjà dans l’Est de la France, auprès de déclassés après la fermeture d’une usine. Le décor de son deuxième livre n’est pas très différent. Il retrouve en même temps, avec de sérieuses variations, la tension propre à une littérature qui fut longtemps jugée peu digne d’intérêt intellectuel – et qui a si bien contaminé la littérature « blanche ».

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