jeudi 8 novembre 2012

Tierno Monénembo, prix du roman métis

Le prix du roman métis fait partie de cette masse de récompenses littéraires dont je ne sais toujours exactement que penser. Mais, quand un bon livre est couronné, comme c'est le cas avec Le terroriste noir, je ne vais pas faire la fine bouche.

Les tirailleurs sénégalais, qui n’étaient pas tous sénégalais, ne sont peut-être pas entrés assez dans l’Histoire, pour paraphraser un président français. Ce n’est pas faute d’avoir payé de leur chair et de leur sang. En revanche, les historiens européens les ont longtemps considérés comme quantité négligeable – la chair à canon sur les premières lignes des combats. Une étape a été franchie quand leurs mérites collectifs ont été reconnus. Tierno Monénembo ne s’en contente pas. Il cite Léopold Sédar Senghor : « On fleurit les tombes, on réchauffe le Soldat inconnu, / Vous, mes frères obscurs, personne ne vous nomme. » Il redonne vie à l’un d’eux et, précisément, le nomme : Addi Bâ. Il retrace son parcours en partant de ce qu’on sait vraiment de lui. Car l’homme a existé avant de devenir personnage de roman.
Un beau roman, d’ailleurs, construit sur des fondations réelles avec des détails, des regards, des percées vers un imaginaire susceptible de mieux éclairer le destin d’Addi Bâ. Quand il arrive à Romaincourt, « personne n’avait jamais vu de nègre ». Nègre : vous avez bien lu. L’écrivain, guinéen comme son héros, ne choisit pas le mot au hasard. Ce mot chargé de connotations racistes que l’on n’ose plus utiliser. Mais qui, à l’époque, appartenait au langage courant. Et s’apparentait à une description de la couleur de peau plutôt qu’à un rejet de l’autre. « On l’appelait “le nègre”, quand il n’était pas là, et simplement “monsieur” quand on se trouvait en face de lui. C’était commode, c’était pratique, et cela nous arrangeait tous. Cela ne semblait pas le gêner. Un nègre parmi nous : on ne prenait même pas la peine de s’en étonner. »
Nous sommes en 1940. Addi Bâ a été fait prisonnier, s’est enfui et s’est caché dans les bois où il a été découvert et aidé par des habitants du village. Sans quoi il serait mort de faim ou de froid. Il s’intègre à la population et séduit des femmes malgré une présence discrète en raison des dangers qu’elle fait courir à lui-même et aux autres. Germaine, adolescente, le rencontre dans le même mouvement de fascination qui la poussera, plus tard, à le raconter : elle est la narratrice. Bien placée pour situer l’arrivée de cet homme dans les relations parfois complexes, voire conflictuelles, entre les familles villageoises, elle dit ce qu’elle savait alors et le complète de ce qu’elle a appris plus tard.
Addi Bâ entre en effet dans la Résistance, devient pour les Allemands Le terroriste noir du titre. Chef de guerre un peu malgré lui, il dirige des hommes qui n’acceptent pas tous son commandement. Il s’impose à force de conviction et de compétence. Et s’imposera davantage encore quand, dénoncé, il sera repris, condamné à mort, exécuté…Lilian Thuram avait déjà fait le portrait d’Addi Bâ dans Mes étoiles noires (Philippe Rey, 2010). Le roman de Tierno Monénembo, en recréant non seulement l’homme mais aussi la vie du village et celle d’un groupe de résistants, va plus loin. Il ne s’agit pas que de mémoire. Il s’agit aussi de retrouver une voix, une présence. Le moyen d’y parvenir s’appelle littérature. Elle se glisse dans un récit sinueux. Germaine clôt son récit par l’exécution. Mais, entretemps, elle a remonté le temps sans trop s’occuper de l’organiser, expliquant par exemple quand elle le juge bon comment Addi Bâ est arrivé en France, bien avant la guerre, ce qu’il y a fait et quels liens il gardait avec sa Guinée natale. Les éléments se mettent en place selon une logique affective plutôt que selon la chronologie. Et nous y adhérons.

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