mardi 6 novembre 2012

Une page du prix Médicis essai

Comme je le disais il y a un instant, je n'ai pas lu Congo: Une histoire, de David Van Reybrouck. Mais j'en entends parler depuis son incroyable succès en Belgique néerlandophone, et sa réplique depuis qu'il est traduit de l'autre côté de la frontière linguistique. Puisque ce livre me tente, je vais peut-être vous tenter aussi, avec les premiers paragraphes.

C’est l’océan, bien sûr, mais manifestement il n’est plus le même, sa couleur a changé. Les vagues, larges et basses, continuent d’onduler gentiment, on ne voit encore que l’océan, mais le bleu se tache peu à peu de jaune. Cela ne donne pas du vert, contrairement au souvenir que nous a laissé la théorie des couleurs, mais un résultat trouble. L’azur éclatant a disparu. Les rides turquoise sous le soleil de midi se sont effacées. Le cobalt insondable d’où surgissait le soleil, l’outremer du crépuscule, le gris de plomb de la nuit : terminé.
A partir de maintenant, tout n’est que soupe.
Une soupe jaunâtre, ocre, rouille. On est encore à des centaines de milles marins de la côte, mais on le sait déjà : ici commence la terre. Le fleuve Congo se jette dans l’océan Atlantique avec une telle force qu’il change la couleur de l’eau sur des centaines de kilomètres.
Autrefois, le voyageur qui se rendait pour la première fois au Congo en paquebot se croyait presque arrivé à la vue de cette altération. Mais l’équipage et les habitués de la colonie faisaient vite comprendre au nouveau venu qu’il avait encore devant lui deux jours complets de navigation, deux jours au cours desquels il verrait l’eau brunir, se salir toujours plus. Debout contre le bastingage à l’arrière du bateau, il remarquait le contraste de plus en plus frappant avec l’eau bleue de l’océan que l’hélice continuait de faire remonter des profondeurs. Au bout d’un certain temps, de grosses touffes d’herbe dérivaient au fil de l’eau, des mottes, des îlots que le fleuve avait recrachés et qui à présent, perdus dans l’océan, ballottaient au gré des flots. A travers le hublot de sa cabine, il distinguait des formes lugubres dans l’eau, "des morceaux de bois et des arbres déracinés, arrachés depuis longtemps à la sombre forêt vierge, car les troncs noirs avaient perdu leurs feuilles, et les moignons dépouillés de grosses branches tournoyaient parfois à la surface avant de replonger".

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