mardi 6 novembre 2012

Prix Médicis étranger : Avraham B. Yehoshua

La dernière sélection du prix Médicis étranger était prestigieuse. Outre le nom de Margaux Fragoso (la seule inconnue avant cette rentrée, puisqu'il s'agissait de son premier livre), on y trouvait ceux d'Antonio Lobo Antunes, Salman Rushdie, Ferdinand von Schirach, Juan Gabriel Vasquez et Avraham B. Yehoshua. Le dernier cité l'emporte, pour Rétrospective - un roman que vous connaissez déjà un peu si vous avez lu l'entretien que j'ai proposé avec son auteur.
Mon petit doigt, ce matin, ne m'avait pas menti: Rétrospective avait été ma deuxième lecture de rentrée (après le roman de Patrick Deville), pour cause de rendez-vous téléphonique avec l'écrivain.

La littérature venue d’Israël supporte très bien l’exportation, et il n’est guère d’année sans qu’elle nous donne une œuvre importante. Dans cette rentrée, le roman d’Avraham B. Yehoshua abandonne le territoire national. En apparence du moins, car c’est pour mieux revenir, par la bande, à des questions qui le concernent directement et dont l’écrivain abordait quelques-unes dans l'entretien déjà signalé. Rétrospective est l’histoire d’un cinéaste à la carrière bien remplie, plutôt satisfait de lui-même. Il se trouve soudainement replacé face à ses contradictions à l’occasion d’un hommage qui lui est rendu à Compostelle, ville très catholique où les symboles religieux se rencontrent à chaque coin de rue. Sinon que cette religion n’est pas la sienne.
Yaïr Mozes prend cette rétrospective comme il se doit, avec une fierté discrète : je le vaux bien, mais je vais la jouer modeste, se dit-il à peu près. Ruth, son actrice fétiche – elle ignore encore qu’elle ne jouera pas dans son prochain film – l’accompagne. Mais la rétrospective est un piège monté par Trigano, le scénariste de ses débuts, celui qui l’a embarqué dans le cinéma parce qu’il ne se sentait pas l’âme d’un réalisateur et avait trouvé en Mozes l’homme idéal pour concrétiser ses idées hardies. Si hardies d’ailleurs qu’elles ont fini par provoquer la rupture entre les deux hommes, Ruth ayant été, en refusant de tourner une scène, le catalyseur d’un désaccord fondamental qui les séparait depuis le début.
Cette scène, Mozes la trouve reproduite sur un tableau qui décore sa chambre d’hôtel. Coïncidence ? Pas vraiment, dans un roman construit sur la trame d’une machination complexe et destinée à rendre le cinéaste un peu meilleur qu’il ne l’était. A rendre justice au talent de Trigano, aussi : les seuls films de la rétrospective datent de l’époque où le scénariste travaillait encore avec Mozes. Et celui-ci aurait, au fond, préféré les oublier. Si on lui avait demandé son avis, il aurait plutôt programmé des films récents, dont l’absence d’audace est telle que certains critiques les trouvent quand même audacieux…

Quand il apprend que tout le monde, parmi les organisateurs, connaît Trigano, passé par là pour restaurer des œuvres que lui-même pensait perdues à jamais, Mozes mesure le piège dans lequel il est tombé, et devine qu’une confrontation avec son ancien compagnon de route sera nécessaire. Elle donnera lieu à une des plus belles scènes du roman, une des plus âpres aussi, car la mise en commun de vérités contradictoires ne se fait pas sans difficultés. Et Trigano est, plus que jamais, un homme de certitudes auxquelles les autres doivent se plier s’ils veulent trouver grâce à ses yeux.
J'ajoute que le prix Médicis essai va à David Van Reybrouck, pour Congo (Actes Sud), que je n'ai pas lu.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire