mercredi 28 novembre 2012

Dany Laferrière joue sur l'identité


Demandez un nouveau livre à Dany Laferrière, comme il raconte que le fait l’éditeur de son personnage, il vous invente un titre comme un magicien sort un lapin d’un chapeau. Cela aurait pu être : « Le plus rapide titreur d’Amérique », pour reprendre un mot de Kurt Vonnegut Jr., probablement hors contexte puisqu’il l’était toujours. C’est sur cette idée que commence Jesuis un écrivain japonais – une idée de titre, donc.
Après cela, il reste à écrire. Pour trouver le ton, le narrateur, double imaginaire de l’écrivain, accompagne Bashô sur La route étroite vers les districts du nord. Il le lit dans le métro, dans des bars, un peu partout. Il cherche à rencontrer une Japonaise, aussi. Il suit l’idée sans savoir où elle va le mener. Sur des chemins de traverse, à coup sûr. Dany Laferrière (ou son personnage) cultive l’art de la digression à la manière dont d’autres soignent leurs bonsaïs. Avec autant de précision. Rien n’arrive par hasard. C’est donc un Coréen qui lui signale la présence à Montréal d’une chanteuse japonaise, Midori. Dans les toilettes du café Sarajevo, où se donnent des spectacles en forme de happenings, il y a une photo de Midori. La piste se concrétise. Autour de Midori gravitent un groupe de jeunes femmes et un photographe ambigu. Beau matériau pour un romancier.
Celui-ci se complaît dans l’exploration d’un univers qu’il ne connaissait pas, mais sans l’utiliser vraiment. Le livre n’avance pas. En revanche, on en parle jusqu’au Japon. Un employé de l’ambassade du Japon, qui a entendu évoquer le projet, s’en est emparé pour construire un véritable feuilleton devenu immédiatement populaire. « C’est bien d’écrire un livre, mais c’est parfois mieux de ne pas l’écrire. Je suis célèbre au Japon pour un livre que je n’ai pas écrit. »
Un roman en creux, donc. Un formidable roman en creux. Dany Laferrière utilise tout ce que néglige son personnage pour lui bâtir une fiction à sa mesure, dans un monde réel plutôt hostile. La célébrité n’a pas que des bons côtés : quand une horde de touristes japonais commence à faire la queue devant son appartement, il n’a d’autre solution que de s’enfuir et de se nourrir à la soupe populaire – jusqu’au moment où il rencontre un ami d’enfance dont la femme est, on vous le donne en mille, japonaise (pour moitié).
A la base, il y a un malentendu : on a pris pour argent comptant ce qui était quasiment une boutade. Au maximum, un titre sans contenu. Le narrateur n’a jamais voulu être un écrivain japonais. D’ailleurs, explique-t-il, « Je n’écris jamais sur autre chose que sur moi-même. » (On croirait entendre Laferrière.)
Le jeu des illusions est brillant, en tout cas. Et révélateur d’une dictature sous laquelle nous vivons. Celle de la surface, des apparences.


Le désir de briser les clichés, de changer d’origine, est-il à la base de ce roman ?
Bien sûr, mais ce n’est pas assez pour faire un livre. C’est surtout un vieux rêve d’enfant que de vouloir être quelqu’un d’autre, le plus éloigné de ce qu’on est.
Je me sens d’abord un lecteur. Je souris en me rappelant mes premières lectures. Je lisais, à l’époque, uniquement pour sortir de moi-même, de mon ordinaire grisaille (j’ai eu une adolescence pluvieuse et fiévreuse). Je plongeais en grelottant dans le roman. Et j’écris aujourd’hui pour effacer de mon écran les notions de race, d’origine, de classe, de genre même. Le livre est un espace de liberté. Un pays rêvé où l’écrivain et le lecteur se rencontrent. Joli coin, n’est-ce pas ?
Vous parlez longuement des titres de livres. Préexistent-ils chez vous à l’écriture, en général et dans ce cas particulier ?
Je vous réponds en deux temps. D’abord non.
L’écrivain se sert de sa vie pour inventer sa fiction. Plus c’est proche, moins c’est vrai. Il reste le mystère de la cuisine. On jette dans une chaudière d’eau bouillante quelques légumes, des épices, un morceau de viande, et le goût final est différent de celui de chacun des aliments. L’idéal serait de ne pas pouvoir distinguer le goût singulier des légumes, et même de ne pas chercher à le faire.
Puis, oui.
Pourquoi ? Parce que depuis une trentaine d’années, j’ai remarqué qu’on prête beaucoup attention à ce qui se passe dans la cuisine. Comment cela se passe ? Pour ma part, j’ai toujours trouvé le titre d’abord. Parfois des années avant même le sujet du livre. Le titre attend calmement son livre. Et c’est pour cette raison que j’ai eu envie d’écrire un livre sur ce thème.
Le « je » est-il un jeu entre fiction et réalité ?
La première fois que j’ai écrit une histoire, j’avais treize ans, et cela racontait un peu ma vie d’alors. Et l’histoire était centrée sur ma sœur. Je ne suis pas devenu un journaliste corrompu qui vendait sa plume au plus offrant. J’avais plutôt compris l’importance de la fiction sur la vie des gens. Et depuis, je n’ai vu aucune différence entre la fiction et la réalité. Tout ce qui traverse mon champ de vision devient de la fiction. Vous me demandez la part du vrai dans ma fiction ? Je ne sais plus. Je me sens tissé de tant d’histoires que je me demande si mon destin n’est pas d’être un roman plutôt qu’un écrivain.
Est-ce le roman d’un roman qui n’existe pas ?
C’est pour dire que tout existe, surtout quand on prend la peine de le dire en 265 pages. Je voulais faire un pied de nez au sujet un peu surestimé à mon avis. Mais ça aussi c’est un sujet. Et l’un des plus forts puisque le vide est au cœur de notre existence. La vie est aussi faite de fantaisie. Et s’il me prenait l’envie d’être un écrivain belge ?

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