vendredi 30 novembre 2012

Canon, fugue et contrepoint pour René Belletto


Luis Archer est né le 6 juin 1966. Il est mort à la même date, comprend-il quarante-deux ans plus tard. Les premières lignes du roman de René Belletto posent cette affirmation, douteuse malgré le cadre enchanteur où le personnage principal la formule. C’est jour de marché à Saint-Maur, il fait beau ce 6 juin 2008, Clara rayonne d’une absolue beauté. Tout semble évident. Même l’affirmation initiale ? Presque : il faudra quand même 460 pages pour nous y faire croire.
Hors la loi est bâti sur des coïncidences dont la multiplication suscite les questions, induit quelques réponses et trouble en profondeur. Revient ainsi, de loin en loin, un quatrain inscrit dans la mémoire de Luis Archer qui n’en connaît pas l’origine : « Amours rêvés de ma jeunesse / Se sont enfuis avec le temps / Mais que jamais ne disparaisse / Le souvenir que je t’attends. » Curieusement – c’est loin d’être la seule chose curieuse ici – les mêmes vers sont calligraphiés dans un cahier qui appartenait à la mère de Clara.
Clara et Luis ont d’autres points communs. Ils sont tous deux pianistes, elle beaucoup plus douée que lui, qui fut enseignant et s’est reconverti dans la transcription de morceaux écrits pour d’autres instruments. Quand, pour la première fois, dans des circonstances tragiques, Luis entrera dans la maison vide de Clara, il verra, ouverte sur le piano, une partition dont il est l’auteur. A ce moment, deux semaines avant la scène d’ouverture du roman, ils ne se connaissent pas encore. Mais ils sont, l’un et l’autre, embarqués dans des histoires invraisemblables qui les conduisent l’un vers l’autre, en suivant leur destin.
Un destin très capricieux, sur le chemin duquel le romancier pose des bombes à fragmentation d’une redoutable efficacité. Luis Archer, qui fait la plupart du temps office de narrateur, tente bien de les désamorcer, mais il ne parvient, en les annonçant, qu’à faire frémir le lecteur dans l’attente des explosions – si l’effet est complexe, il n’en est que plus efficace.
René Belletto, par l’intermédiaire de son personnage principal, ne cesse de jeter un coup d’œil en avant, un autre en arrière, dans un jeu subtil auquel on se laisse prendre avec plaisir. Plus il feint d’organiser le récit, plus il en transgresse la chronologie, afin de mieux faire entendre les échos. Canon, fugue et contrepoint sont les formes empruntées par l’écrivain à la musique pour mieux déstabiliser le lecteur. Celui-ci mérite d’être averti : vers la moitié du livre se produit un événement encore plus incroyable que tous ceux qui l’ont précédé, et devant lequel il est légitime de hausser un sourcil. Pas beaucoup plus, car on n’en  aura pas le temps. Les voies suivies par Hors la loi ne sont pas de celles qui s’acceptent ou se refusent. Elles sont imposées par le pouvoir supérieur d’un manipulateur capable de tout. Même de nous faire croire à l’affirmation du début.

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