Quelques minutes après le Goncourt, tradition oblige, c’était donc au tour du Renaudot. Pour le roman, d’abord.
Les secrets perdus de Gabrielle, qui a eu plusieurs
existences, hantent le nouveau roman de Marie-Hélène Lafon, Histoire du fils. Ils sont les manques à
partir desquels se bâtissent des fictions approximatives, seul support à une
imagination qui tenterait de trouver une logique là où, peut-être, il n’y en a
guère. André, le fils de Gabrielle, vit ainsi, avec l’absence de père officiel,
et néanmoins la volonté, par brusque sursauts, de boucher les trous, d’aller
par exemple se poser devant l’immeuble parisien où Maître Lachalme a ses
bureaux, à deux pas de la prison de la Santé où se trouvent certains de ses
clients.
Mais André a attendu douze ans après son mariage avec
Juliette pour faire le voyage, dire : « cette année je le cherche je
le trouve je veux le voir on monte trois jours à Paris à Pâques tu viens avec
moi je n’y vais pas sans toi. » Sans une virgule et, on l’imagine, sans
reprendre son souffle – le souffle très présent dans chaque phrase du roman et
au rythme duquel percent les sentiments des uns et des autres, dans leur riche
diversité. Douze ans, c’était peut-être trop, il ne restera du voyage qu’une
photo d’André devant l’immeuble…
Et, avec des intervalles très longs, ainsi que le disent les
dates, 1962, 1984, 1998, c’est « une vie entière à flairer les traces du
père, de loin ou de près, à Paris ou dans le Lot », ainsi que le résume à
sa manière Antoine, le fils de Juliette et d’André.
Car plusieurs générations trouvent place dans un récit pourtant assez bref. Il suffit de lire le premier chapitre, daté du jeudi 25 avril 1908 (il y aura ensuite des avancées dans le temps et des retours en arrière), pour être emporté par les rapides d’histoires multiples. Armand et Paul ont bientôt cinq ans, le premier se lève, silencieux, attentif aux odeurs qui ont pour lui des couleurs précises, « son » Antoinette est dans la cuisine, il se jette sur elle après l’avoir observée un moment, le drame survient – « un cri déchiré qui réveille Paul. »
Comme ce qui suivra, c’est remarquable d’attention aux
détails, de justesse dans la manière dont le petit garçon utilise ses sens, d’équilibre,
précaire mais tenu, dans la phrase – on en revient au souffle, omniprésent.
Les lieux ont aussi leur importance, comme dans toute l’œuvre de Marie-Hélène Lafon qui, à son Cantal d’origine, ajoute le Lot, paysages où l’on vit et où l’on meurt, et où s’installent, dans les intervalles, les silences et les secrets des pères absents.
Et ensuite le Renaudot essai…
« Une vie parfaite, parfaitement close, enclose en elle-même. » Emily Dickinson la recluse, plus sorcière que magicienne, chez qui le pouvoir des mots transpose le monde extérieur. Dans un texte éclaté et éclatant, la voici telle qu’on l’imagine à la suite de Dominique Fortier. Celle-ci vibre à l’unisson des textes publiés, et aborde par la sensibilité les pans moins connus de celle qui écrivait des tombeaux « à la mémoire de l’invisible. »
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