La rumeur n’avait pas tort, qui traçait une voie royale à Hervé Le Tellier vers le Goncourt avec L’anomalie, son dernier roman. Ou vers tout autre prix littéraire qui lui aurait plu, car il était présent dans la plupart des premières sélections. Le point de départ de l’ouvrage est piquant, le traitement ne l’est pas moins, il y a lieu de se réjouir de la possibilité d’une excellente lecture, pour les lauriers c’est fait. Victor Miesel, l’écrivain qui est un des personnages – et qui écrit L’anomalie – a vu un précédent livre, Des échecs qui ont raté, retenu « dans les premières listes du Médicis, du Goncourt et du Renaudot, pour disparaître quinze jours plus tard des deuxièmes sélections ». C’est lui qui a consolé son éditrice, Clémence Balmer…
Comme tous les passagers et les membres d’équipage du vol
AF006 Paris-New York, Victor Miesel a traversé la lessiveuse d’un gigantesque
front nuageux, le 10 mars 2021. Le commandant Markle a mené son Boeing 787 à
bon (aéro)port. Tout le monde a été secoué, les vitres blindées sont étoilées
des impacts de grêlons mais, au final, tout le monde s’en tire bien.
Sinon que, trois mois plus tard, la même scène se reproduit presque à l’identique : même vol, même équipage, mêmes passagers, traversée de l’orage et, au moment de la reprise de contact avec le sol, l’avion est dérouté vers un autre aéroport. A peine au sol, l’appareil et ses occupants sont pris en charge par l’armée. Enquêtes, interrogatoires… Les personnes qui avaient atterri en mars ont, depuis, continué à vivre leur vie (à un suicide près), celles qui arrivent aux Etats-Unis en juin, les mêmes, ont un trou de trois mois dans leur existence. C’est bien une anomalie, une situation imprévue.
Elle mérite de battre le rappel des chercheurs qui ont
élaboré, après le 11 septembre 2001, les scénarios envisageant les moindres dysfonctionnements
possibles du trafic aérien. Résultat : tout est maintenant sous contrôle
et les meilleures décisions à prendre sont détaillées, pour chaque cas, dans un
copieux mémorandum. Qui pourtant ne satisfait pas encore le Pentagone :
« Et si nous sommes confrontés à un cas n’obéissant à aucune situation
étudiée ? » Va pour un protocole 42 que Tina et Adrian ajoutent à
leurs travaux, avec une seule recommandation : faire appel aux scientifiques
qui ont planché sur le sujet, bien qu’ils avaient envisagé leur réponse à
l’improbable comme une blague de potaches.
Tout le roman a aussi l’air d’une blague, mais d’une blague
dont l’auteur, comme le pouvoir devant le dédoublement du vol 006, prend les
conséquences très au sérieux. Quelques aventures individuelles sont détaillées,
elles ne manquent pas de sel. A commencer par ce que devient Blake, le tueur
professionnel d’un premier chapitre qui nous avait lancé sur la fausse piste
d’un polar…
Sur une idée de roman fantastique, Hervé Le Tellier a
construit un roman qui se coule dans le réalisme de situations inédites, avec
des pointes d’humour et une gravité engendrée par une remise en question de la
condition humaine.
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