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samedi 7 avril 2012

Une semaine ordinaire de lectures (parfois) extraordinaires

Il y a les livres que tout le monde lit en même temps. Enfin, quand je dis "tout le monde", je me comprends: je fais allusion aux livres sur lesquels les journaux publient des articles en même temps. Comme le Journal de Thoreau, dont il était question hier (c'était plutôt son traducteur qui en parlait, d'ailleurs - et, pour le reste, l'article est ici). Ou le nouveau roman de Jean-Christophe Rufin, Le grand Cœur, devant lequel je n'éprouve qu'un enthousiasme modéré. Je m'en suis expliqué dans Le Soir. Des aspects formidables, d'autres moins, dans ces cinq cents pages...
Dans la même catégorie, du point de vue de l'empressement avec lequel la presse s'empare de certains sujets, Le studio de l'inutilité, de Simon Leys, est aussi un sujet d'actualité. Et si ce livre pouvait toucher autant de lecteurs que celui de Rufin, cela me réjouirait. Superbement écrit, d'une belle pertinence qui fournit des armes à ceux qui récusent le culte de la rentabilité, il est aussi, malgré son titre, d'une grande utilité. Par ailleurs, bien que constitué d'articles et de conférences, il démontre à quel point Simon Leys se trouve sur une trajectoire toujours cohérente. Bref, cette lecture a été un grand moment de ma semaine. D'autant qu'elle se conclut par une sorte de bon usage de l'Université dans lequel je me retrouve complètement. (Bien qu'ayant peu fréquenté les salles de cours.)
Autre grand moment pour moi, la découverte de Patrick Lapeyre avec La vie est brève et le désir sans fin, réédité en poche. En fait, j'avais déjà lu et aimé, il y a quelques années, L'homme-sœur, aussi à l'occasion d'une réédition. Mais, cette fois-ci, c'est un véritable choc, grâce à la magie d'une écriture qui m'a littéralement transporté hors de moi, dans un monde purement littéraire qui m'a semblé avoir été inventé pour moi seul, tant je me suis senti bien dans ces pages. Des jaillissements d'images, des bribes de pensée, des élans contrariés, et tout cela par le biais de la langue. Les mots ne sont donc pas si usés qu'on le dit ni que semblent le croire des écrivains moins attachés à créer leur propre langage. Voici un roman indispensable, je pèse mes mots, avec lequel on a envie de suivre "trois ou quatre fillettes à vélo qui filent à grands coups de pédales vers la puberté."
Toutes les lectures ne provoquent pas de tels séismes - y résisterait-on, d'ailleurs? J'ai quand même été bouleversé par la noirceur de Féroces, où Robert Goolrick met ses blessures à nu. L'expérience est redoutable.
Moins redoutable, mais beaucoup plus agréable que je ne m'y attendais, Les témoins de la mariée, de Didier van Cauwelaert, est un roman habile, et même un peu mieux que cela. L'humour est fin, les situations inattendues, c'est un bon moment de distraction.
Un peu comme, dans un registre plus inventif, sur le ton d'un conte pour adultes, Métamorphose en bord de ciel, de Mathias Malzieu - accompagné de sa bande son que j'écoutais presque en même temps, Bird'N'Roll, de Dionysos.
Je n'ai pas été très impressionné, en revanche, par En attendant Robert Capa, de Susana Fortes, peut-être parce que j'ai eu un peu de mal à y entrer (pas le bon moment? allez savoir). Il y a de belles choses sur la photographie, la guerre d'Espagne et sur la vie, pourtant, dans ce livre. Mais, bon...
Je termine cette revue rapide de mes lectures de la semaine avec deux excellents romans aux qualités très différentes. Les fantômes du Delta, d'Aurélien Molas, est une grande fresque dans laquelle le delta du Niger est le cadre d'une chasse sans merci à la découverte médicale. Et La dernière nuit de l'émir, d'Abdelkader Djemaï, retrace la vie d'Abd el-Kader qui mena la vie dure aux Français jusqu'en 1847, en une évocation passionnante et sensible.

vendredi 6 avril 2012

Pour publier le "Journal" de Thoreau en français, il fallait un traducteur

Henry David Thoreau est à l'honneur cette semaine, dans L'Express, dans Libération et dans Le Soir, où je publie aujourd'hui un ensemble d'articles consacrés au Journal de l'écrivain américain dont le premier volume vient de paraître. J'ai choisi, entre autres approches de cette œuvre, de donner la parole au traducteur, Thierry Gillybœuf - "l’homme invisible que se doit d’être tout traducteur qui se respecte", ainsi qu'il me le dit dans un des messages que nous avons échangés. Notre dialogue électronique étant trop long pour l'espace qui lui était réservé, j'en donne ici l'intégralité.

Vous vous lancez, avec la traduction du Journal de Henry David Thoreau en quinze volumes, dans une entreprise de très grande envergure. Par choix personnel, s’il faut en croire vos précédentes traductions de cet écrivain?

Disons que cela s’est d’emblée imposé comme une évidence, non seulement à mon esprit, mais à celui des éditeurs, Thierry & Emmanuelle Boizet. Car pour se lancer dans un chantier aussi "hénaurme", il fallait la conjonction entre un traducteur et un éditeur aussi fou l’un que l’autre. J’aime l’idée, au lieu de retraduire certains textes, de "boucher les trous", autrement dit de donner à lire aux lecteurs francophones des textes auxquels ils n’ont jamais pu avoir accès. C’est un pur hasard qui m’aura amené vers Thoreau; je l’ai un peu lu dans ma jeunesse, sans jamais songer un seul instant que j’en viendrais à ainsi autant le traduire, le décortiquer. Mais ce Journal faisait figure d’œuvre mythique, et petit à petit, en amont de cette entreprise dans laquelle nous nous sommes lancés avec Finitude, sur un coup de tête enthousiaste il y a un an, l’idée de le traduire dans son intégralité a dû faire son cheminement dans mon esprit, presque à mon insu…

Ce Journal est-il à vos yeux son œuvre majeure?

C’est son œuvre majeure, parce qu’elle contient en germe tout ce que l’on a pu lire de lui jusqu’à présent, mais pas seulement. C’est une mine inépuisable, et un cas assez rare de journal qui n’a rien de l’activité diariste ordinaire. Thoreau n’y dit rien ou presque des événements extérieurs de sa vie, mais on peut suivre, en se passionnant, tous les méandres qu’emprunte sa pensée, en parfaite adéquation avec cette nature qu’il n’a cessé d’arpenter. C’est le genre d’ouvrage dont la lecture peut vous accompagner une vie durant, à l’instar des Essais de Montaigne. Ce qui frappe c’est l’extraordinaire maturité de Thoreau qui, il faut le rappeler, n’a que vingt ans quand il en commence la rédaction. On se laisse très vite happer par la fluidité de l’écriture et l’exceptionnelle liberté de ton et de pensée. Ce Journal appartient à la catégorie assez rare des livres dont la lecture est inépuisable.

Quelle est, aujourd’hui, l’image de Thoreau dans la littérature américaine? Celle d’un écrivain ou celle d’un penseur?

Je ne sais pas s’il faut absolument séparer les deux catégories. Thoreau est reconnu comme un écrivain à part entière. Son style est maîtrisé. Il fait cependant davantage figure de penseur, mais un penseur sans système de pensée, ce qui explique peut-être que l’on vienne tellement vers lui. C’est la figure du philosophe dans les bois, qui renoue avec la traduction philosophique antique, autrement dit, comme l’a dit Michel Onfray dans le remarquable essai qu’il lui a consacré, quelqu’un qui pense sa vie et qui vit sa pensée. Aux États-Unis, aujourd’hui, il fait figure non seulement de classique, mais aussi de penseur contemporain à bien des égards.

Est-il possible de dire brièvement pourquoi Thoreau vous touche personnellement?

Travaillant à sa biographie, qui paraîtra aux éditions Mille et Une Nuits, à l’automne prochain, plus je découvre l’homme qu’il a pu être, plus j’éprouve de "sympathie" pour lui. Car la figure humaine qui se dessine est aux antipodes de l’image d’Épinal dans laquelle l’a figé la postérité. Cela contribue à me le rendre plus touchant encore. Car loin d’être l’ermite que l’on voudrait voir en lui, c’était un homme libre – et libertaire – qui, plutôt que dans de pompeux discours, a dans ses actes fait montre d’une très grande cohérence. C’est un homme qui, tant par ses écrits que par sa vie – l’une ne prenant jamais en défaut les autres – nous renvoie à notre responsabilité individuelle et nous rappelle que la seule réforme qui vaille est la réforme de soi.

dimanche 11 mars 2012

Cette semaine, avoir l'oeil sur Russell Banks, Dominique Sylvain et Henry-David Thoreau

Rien de mieux que l'attente, surtout quand elle n'est pas trop longue. Ces trois ouvrages seront en librairie dans quelques jours. Présentés par les éditeurs, puisque je ne les ai pas encore lus...

Par l’auteur de Sous le règne de Bone, De beaux lendemains et de American Darling, le grand roman du nouveau désordre sexuel, à l’ère d’Internet et de la pornographie en ligne, à travers le personnage d’un jeune délinquant sexuel incarnant l’enfer d’une addiction aussi particulière que largement répandue et le supplice de l’exclusion qui peut la sanctionner. Sur la disparition du corps confisqué par le “virtuel” et sur ses nécessaires réémergences pathologiques, une réussite romanesque éblouissante portée par des personnages inoubliables.

Anna Chomsky, une plantureuse femme de lettres en mal d'inspiration, prend contact avec Louise Morvan pour lui demander de retrouver un ex-amant, dont elle a reconnu le visage dans l'un des personnages mineurs d'un jeu interactif devenu culte, Meurtres à Babylone. Guère enthousiaste, la détective pense pourtant aux factures impayées accumulées dans les tiroirs de son bureau du quai de la Gironde (face au dragon-toboggan de la Cité des sciences), et accepte l'affaire. Elle part ainsi sur les traces d'Axel Langeais, le très talentueux réalisateur de Meurtres à Babylone, et de Régine, sa sœur qu'il adore, une ravissante jeune fille, étrange, atteinte de mutisme, et fortement perturbée. Quand Louise arrive à Boulogne où est amarrée La Méduse, la péniche où habitent le frère et la soeur, c'est la police qui l'accueille. Le commissaire Clémenti et ses deux lieutenants, Marcellin N'Diop et Philippe Argenson, enquêtent en effet sur la mort de Victoria Yee, la chanteuse du groupe Noir Vertige, à la fois maîtresse d'Axel et amie de sa soeur. Tout laisse supposer qu'il s'agit d'un assassinat, notamment la mise en scène très élaborée et esthétisante du cadavre. Quant à Axel et Régine Langeais, ils ont disparus, emmenés dare-dare, selon leur voisine, Mme Menthe, par Klaus Baumann, l'amant d'Axel. Louise devenue entre-temps la maîtresse du commissaire Clémenti parviendra-t-elle à dénouer la toile d'araignée tissée par le cerveau diabolique d'un artiste de génie? L'affaire se résoudra à Berlin, celle d'après la chute du mur, au coeur des terrains vagues et des Kneipen (cafés) hantés par les marginaux de tout poil. Les acteurs de l'ex-Rote Armee Fraktion (L'Armée rouge) mouvement terroriste des années 70, se sont reconvertis dans les nouvelles technologies et le virtuel, et modèlent l'art de demain: le Victim-Art. 

Lorsque le 22 octobre 1837 Henry David Thoreau débute la rédaction d’un journal, il a vingt ans; il le tiendra jusqu’à sa mort en 1862. Ce Journal, par sa taille (près de 7000 pages) et par son contenu, constitue une œuvre littéraire absolument unique.
Tout à la fois manifeste philosophique, recueil poétique, précis naturaliste ou manuel d’ethnologie, il est avant tout un document passionnant sur la vie quotidienne et intellectuelle dans les États-Unis du XIXème siècle. On y trouve exposées, à travers son regard contemplatif sur le monde, toute la pensée de Thoreau et la matière brute de ses ouvrages, de Walden à la Désobéissance civile.
Œuvre majeure, ce Journal est souvent cité comme un des piliers de la culture américaine et comme le grand texte fondateur de l’écologie.
Sur les sept mille pages du Journal, à peine deux cents pages d’extraits avaient été traduites en français. Aujourd’hui, les éditions Finitude prévoient de publier cette œuvre dans sa totalité en quinze volumes.
(Le prochain volume, à paraître en 2013, couvrira les années 1841-1842)