Affichage des articles dont le libellé est Robin Cook. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Robin Cook. Afficher tous les articles

dimanche 26 juillet 2015

70 ans de Série noire 1980-1984

Un nouvel auteur français appelé à un bel avenir signe un roman noir: Didier Daeninckx. Et, au sujet de l'avenir, celui du roman de Marc Behm, Mortelle randonnée, qui trouve sa place dans cette huitième tranche de notre plongée dans la Série noire, n'est pas mal non plus, grâce au cinéma.

Pierre Siniac, L'unijambiste de la cote 284 (n° 1773, 1980)
— Ils étaient cinq dans la guimbarde… Quand je dis la guimbarde… C’était un bon camion, aménagé exprès pour ces messieurs… Couvertures… paniers de victuailles… C’est tout juste si on ne leur avait pas remis des bouillottes et une chaufferette pour leurs pieds, à cause des courants d’air… C’était aussitôt après la première vague de l’offensive Nivelle. Moi, vous comprenez, j’en revenais… Je n’étais à Paris que depuis six jours… Là-bas, à Craonne, au Chemin des Dames, j’avais vu des tas de pauvres types se faire trouer la peau… Des morts et des morts ! On avait tout de suite su que c’était pire qu’à Verdun… Parce que, cette fois, ça mènerait où ? C’est d’ailleurs là que mes deux frangins se sont fait bouziller. Un à la mi-avril, le deuxième onze jours après ! C’est vous dire que j’étais pas chaud pour retourner là-haut. Faut vous préciser que j’avais été détaché exceptionnellement à Paris. Un général – je vous dirai pas son nom – devait quitter son P.C. sur le front et se rendre à Paris. Pour quelle raison ? Je l’ai jamais su. Mais c’était important. Bref, voilà que la veille du départ du général, son chauffeur se fait bêtement buter par un éclat de shrapnell, juste devant Berry-au-Bac… « Fallioux, vous conduirez le général à Paris », me dit mon pitaine, comme ça, brusquement. Il savait que j’étais chauffeur de maître dans le civil… Et faut dire qu’ils n’avaient personne d’autre sous la main, rapport à l’hécatombe toute récente qui avait décimé presque complètement le régiment. Me voilà donc parti au volant d’une voiture, le général derrière avec deux cantines pleines de paperasses. Pour moi, vous pensez, c’était l’aubaine la plus inattendue et la plus belle ! Je pris la route de Soissons, direction l’arrière, et en voyant les pauvres gars qui montaient au front, dans le sens inverse, j’avais le cœur serré, je vous le dis. On entendait tonner le canon, et je compris que Nivelle allait remettre ça. Comme si y avait pas eu assez de sang !

Marc Behm, Mortelle randonnée (n° 1811, 1981)
Le bureau de l’Œil se trouvait dans un coin, près de la fenêtre. L’unique tiroir contenait son nécessaire de couture, son rasoir, ses stylos et ses crayons, son .45, deux chargeurs, un recueil de mots croisés en édition de poche, son passeport, un tube de colle, une minuscule bouteille-échantillon de whisky et une photo de sa fille.
La fenêtre donnait sur un parc de stationnement, deux étages plus bas. Il y avait onze autres bureaux dans la pièce. Il était neuf heures et demie.
Il était occupé à recoudre un bouton sur sa veste, tout en observant le parc de stationnement où un vieux mec en salopette dévalisait une Toyota jaune. Ce salaud, qui semblait avoir des clés ouvrant toutes les portières, avait déjà visité une Monza V8, une DS Citroën et une Mustang 11. Il était en train de sortir une cartouche de cigarettes de la Toyota jaune dont il referma la portière à clé. De la rue, personne ne pouvait le voir car il se tenait à quatre pattes. Il s’approcha d’une Jaguar XJ6C.
L’Œil remit son nécessaire de couture dans le tiroir, enfila sa veste, décrocha le combiné et appela le sous-sol. Quelques minutes plus tard, trois costauds de l’équipe de sécurité coinçaient le vieux voleur. Ils lui confisquèrent son butin et ses clés, lui jetèrent un seau d’eau à la figure et le virèrent du parc de stationnement.

Jay Cronley, La java des loquedus (n° 1861, 1982)
Grimm ne se sentait pas dans la peau d’un clown mais il donna quand même un ballon au gosse.
— C’est une ampoule électrique, sur ton nez ? demanda le môme.
— Fous le camp, dit Grimm.
— C’est pas comme ça que les clowns parlent.
— Tu veux le ballon, oui ou non ?
— T’es le plus méchant clown que j’aie jamais vu.
— Écoute, môme. Tu me fais suer.
Le costume était chaud et le maquillage sentait la térébenthine, il aurait été plus facile de marcher avec des raquettes de tennis aux pieds qu’avec ces longs souliers, mais un plan est un plan.
Une des choses sur lesquelles Grimm n’avait pas compté, c’était le nombre d’enfants avides qui le suivaient sur le trottoir. On ne peut pas penser à tout. Les enfants ne pourraient pas le suivre dans la banque, ça c’était sûr.
— Hé, monsieur le clown, mets-toi debout sur un doigt !
Grimm prit une poignée de monnaie dans une de ses poches et la jeta dans l’herbe devant la banque ; la question des enfants était réglée : ils se précipitèrent sur l’argent.
Il entra dans la banque, exactement comme ça avait été tracé sur le papier.
On ne vole pas simplement une banque. Si on essaye, sans plan bien conçu, on se fait cribler de balles. À moins d’être électrocuté d’abord. Dans une banque moderne, il y a des fils reliés à des plantes et des caméras derrière les pendules.
Le plan, c’est ce qui distingue le professionnel de l’amateur.

Didier Daeninckx, Meurtres pour mémoire (n° 1945, 1983)
La pluie se mit à tomber vers quatre heures. Saïd Milache s’approcha du bac d’essence afin de faire disparaître l’encre bleue qui maculait ses mains. Le receveur, un jeune rouquin qui avait déjà son ordre de mobilisation en poche, le remplaçait à la marge de l’Heidelberg.
Raymond, le conducteur de la machine, s’était contenté de ralentir la vitesse d’impression et il revenait maintenant à la cadence initiale. Les affiches s’empilaient régulièrement sur la palette, rythmées par le bruit sec que faisaient les pinces en s’ouvrant. De temps à autre Raymond saisissait une feuille, la pliait, vérifiait le repérage puis il glissait son pouce sur les aplats pour s’assurer de la qualité de l’encrage.
Saïd Milache l’observa un moment et se décida à lui demander l’une des affiches de contrôle. Il s’habilla rapidement et sortit de l’atelier. Le gardien faisait les cent pas devant la grille. Saïd lui tendit l’autorisation d’absence obtenue le matin en prétextant la maladie d’un proche. Trois motifs en moins de dix jours ! Il était temps que cela se termine.
Le gardien prit le papier et le mit dans sa poche.
— Eh bien Saïd, on dirait que tu les fabriques ! Si ça continue tu n’auras même plus besoin de venir jusqu’ici, tu enverras tes bons de sortie par la poste !
Il se contraignit à sourire. Les relations avec ses compagnons de travail restaient amicales tant qu’il s’efforçait de fermer son esprit à leurs incessantes remarques.

Robin Cook, Les mois d'avril sont meurtriers (n° 1967, 1984)
1
Je frappai à la porte d’un appartement au deuxième étage d’une maison lugubre, parmi les quelque deux cents d’une rue lugubre, Catford Street.
Au bout d’un moment j’entendis des pas de l’autre côté de la porte.
— McGruder ?
— Qui c’est ? répondit une voix d’homme. Qui me demande ?
— Moi, fis-je. Ouvre. Police.
2
Plus tard, j’appris ceci. À sept heures et demie, par une soirée froide et ensoleillée d’avril 1983, le 13, Billy McGruder s’approcha d’un passant à Hammersmith.
— Excusez, m’sieur. Vous connaissez un pub qui s’appelle le « Saut de Trois Mètres » ?
— Le « Saut » ? Bien sûr. Vous traversez Broadway, là, vous remontez King Street, vous tournez à gauche à Ravenscourt Road dans Tofton Avenue et c’est sur la droite. Dix minutes à pied. Vous ne pouvez pas le rater. Une espèce de grande caserne.
— Merci.

mercredi 18 juin 2014

Robin Cook, arnaque à l'assurance

Tremblez, bonnes gens, les requins de la finance sont prêts à tout pour consolider leurs bénéfices. Même à contrecarrer, au prix de meurtres, les progrès de la recherche médicale quand celle-ci risque de transformer une idée géniale en affaire foireuse. L’idée géniale n’est pas très morale : il s’agit de racheter à vil prix des contrats quand un soudain besoin d’argent piège le signataire d’une assurance-vie. Puis d’encaisser de fortes sommes quand arrive la mort, statistiquement prévisible dans les cas de longues maladies. Imparable. Sinon que le Dr Rothman, déjà prix Nobel de médecine, se prépare à donner un grand coup de pied dans les statistiques. Il est sur le point de générer à la demande, à partir de cellules saines prélevées chez le malade, les organes défaillants. Ceux-ci ne présenteront aucun risque de rejet. La jeune Pia Grazdani, étudiante surdouée mais handicapée par ses difficultés à nouer des rapports normaux avec les autres, frétille à l’idée d’être associée à cette avancée majeure de la médecine.
Robin Cook fabrique des thrillers médicaux comme d’autres, des organes humains : avec une précision presque maniaque. L’enchaînement des faits suscités par des intérêts contradictoires pousse la logique du crime au-delà de ce que voulaient les deux principaux acteurs de l’arnaque à l’assurance-vie, surtout quand la mafia albanaise s’en mêle. Il arrive même qu’on tremble pour la vie de personnages auxquels on s’est attachés. Quant à l’argumentation scientifique, elle est d’autant moins contestable que le lecteur, en général, n’a pas les moyens de la contester. Robin Cook nous donne l’impression, en tout cas, de nous faire entrer dans les laboratoires de pointe les plus secrets. Il nous apprend au passage deux ou trois choses qui permettront de faire l’intéressant dans les dîners en ville, on peut l’en remercier. Ainsi que d’avoir passé quelques heures frémissantes sans lever les yeux d'Assurance vie, son dernier roman paru au format de poche en France.

dimanche 1 juillet 2012

Robin Cook met l'Assomption en question

James, l’archevêque de New York, est dans tous ses états. Shawn, un vieil ami, directeur du département de l’art du Moyen-Orient au Metropolitan Museum of Art de New-York, lui a adressé un colis embarrassant. Un ossuaire volé sous la tombe de saint Pierre à Rome, et qui contiendrait les restes de Marie. La mère du Christ invitée dans un roman en guest star, cela a de la gueule. Mais ces os, s’il est prouvé qu’il s’agit bien de ceux de Marie, sont pour le moins encombrants. Ils remettent en question l’infaillibilité du pape qui a décrété, par la voix de Pie XII, que Marie, vierge de tout péché, était montée au ciel. Corps et âme. Amen.
L’embrouille est majuscule. L’archevêque fait appel à Jack, autre membre du trio indissoluble qu’ils formaient à l’université. Comme Shawn, c’est un scientifique. Il pratique la médecine légale avec rigueur. Peut-être ses connaissances et son don inné de la diplomatie pourraient-ils ébranler les certitudes de l’hérétique dont le rêve est aussi poursuivi par sa femme, spécialiste de l’ADN.
Dans Intervention, Robin Cook puise une fois encore dans son fonds de commerce habituel. Mais le spécialiste du thriller médical va chercher ses sujets de plus en plus loin. Celui-ci est exhumé d’un passé figé par les croyances de la religion catholique et fait appel à une technologie de pointe. Le contraste entre l’obéissance aux dogmes et l’audace des chercheurs est saisissant. Et chacun des personnages est nourri de ses histoires personnelles qui compliquent encore un peu la situation tout en lui donnant une dimension humaine bienvenue. En lorgnant du côté des caves du Vatican, Robin Cook aborde les rives d’un ésotérisme à caractère sacré qui suscite un intérêt croissant depuis quelques années. Il a ajouté quelques ingrédients à ceux dont il avait l’habitude de se servir depuis des années. Sa cuisine n’est pas très fine mais elle est goûteuse et roborative. De quoi tenir quelques heures sans envie d’une autre lecture si on se laisse prendre à son piège.