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vendredi 5 octobre 2018

Serge Joncour, Prix Landerneau des lecteurs

Hier soir, comme c'était annoncé, a été attribué le Prix Landerneau des lecteurs, émanation des Espaces culturels Leclerc. C'est Serge Joncour, retenu aussi dans la plus récente sélection du Prix Jean Giono, qui l'obtient pour Chien-Loup (Flammarion), une des belles réussites de cette rentrée littéraire.
Le décor, dans le Lot, et même dans une partie ténébreuse, peu accessible du Lot, est splendide. Fascinant et effrayant à la fois.
Fascinant pour Lise, qui compte bien rencontrer dans la maison isolée qu'elle a trouvée le calme dont elle a besoin, loin du monde et des ondes néfastes qui envahissent le réseau de communications au milieu duquel on se trouve, qu'on le veuille ou non, dans les villes.
Franck est beaucoup moins convaincu: trois semaines sans Internet, et si ça se trouve il n'y aura ni bouilloire ni grille-pain, dans une maison dont il se demande bien quels avantages elle propose (ceux que voit Lise, pardi, selon d'autres valeurs), en tout cas pas la piscine, absente elle aussi, l'idée est insupportable - et son travail, alors? Il y est enchaîné à tel point qu'il ne se rend même plus compte.
Bon, Franck aime Lise, il est prêt à quelques concessions et les voilà donc en route, par un chemin pentu, vers le havre de paix, pourvu qu'à une distance raisonnable, quitte à égratigner la peinture de la voiture de location sur l'étroite voie d'accès, se trouve un point wifi.
Le décor a à peine changé depuis cent ans. C'était l'époque de la Grande Guerre, un Allemand peu désireux de faire la guerre, et qui voyageait avec ses animaux domptés, phénomènes de cirque, était resté dans les collines, apprivoisant leur sauvagerie comme il avait apprivoisé celle de bêtes peu faites a priori pour l'état domestique.
Un siècle a passé et le passé a laissé des traces. Une présence effrayante, celle d'un chien-loup, renvoie à l'Allemand et à ses créatures, les cages dans lesquelles il avait enfermé celles-ci sont toujours là, au milieu de nulle part, sans utilité désormais.
Bien qu'un autre usage puisse être envisagé, comme Franck le prévoit au départ d'une idée floue qui se précise, et qui ne promet rien de bon. Certes, "l'homme n'est pas le seul animal à être bestial" mais il est capable de battre quelques records sur l'échelle de la cruauté: "Quand la nourriture vient à manquer, l’homme devient plus sauvage que les bêtes. Les lions ne s’entretuent pas pour une proie, tandis que les hommes le feraient."
Le lecteur n'est pas au spectacle d'un cirque, il est au spectacle de la bêtise humaine. Il en vaut bien un autre quand le romancier est capable de le mettre brillamment en scène, et Serge Joncour l'est à coup sûr.

jeudi 12 juillet 2018

Le feuilleton de la rentrée littéraire 6. Prix du Roman Fnac, qui n'y est pas?

Plus d'un roman sur vingt parmi les 567 annoncés à la rentrée littéraire: c'est la sélection très étendue communiquée hier par la Fnac pour son 17e Prix du Roman qui sera attribué le 14 septembre après l'annonce d'une shortlist - pardon, le syndrome Booker Prize a encore frappé, une sélection de finalistes - le 27 août.
Il est vrai que le jury est constitué par 800 lecteurs et lectrices, à parts égales libraires et adhérents de la chaîne de magasins culturels. Bien sûr, on ne sait pas (si, certains savent, mais pas moi) comment s'établit la sélection entre ces multiples retours des lectures commencées, explique le communiqué, mi-mai. De quoi, peut-être, effectuer une traversée complète de la production à venir? Si c'est le cas, bravo.
Un peu de tout pour construire cette longue liste, y compris des traductions (dix, si j'ai bien compté). Et la parité des genres? Une majorité de femmes, dix-huit. Pour quatorze hommes. Et non, il n'est pas tenu compte de l'orientation sexuelle des unes et des autres.
Donc, voici ce beau monde.

  • Meryem Alaoui. La vérité sort de la bouche du cheval (Gallimard)
  • Marco Balzano. Je reste ici (Philippe Rey)
  • Emmanuelle Bayamack-Tam. Arcadie (P.O.L.)
  • Inès Bayard. Le malheur du bas (Albin Michel)
  • John Boyne. Les fureurs invisibles du cœur (Lattès)
  • Estelle-Sarah Bulle. Là où les chiens aboient par la queue (Liana Levi)
  • Emilie De Turckheim. Le prince à la petite tasse (Calmann-Lévy)
  • Hernan Diaz. Au loin (Delcourt)
  • Adeline Dieudonné. La vraie vie (L'Iconoclaste)
  • David Diop. Frère d'âme (Seuil)
  • Sophie Divry. Trois fois la fin du monde (Noir sur blanc)
  • Carole Fives. Tenir jusqu'à l'aube (Gallimard)
  • Eric Fottorino. Dix-sept ans (Gallimard)
  • Emilie Frèche. Vivre ensemble (Stock)
  • Abubakar Adam Ibrahim. La saison des fleurs de flamme (L'Observatoire)
  • Michael Imperioli. Wild Side (Autrement)
  • Serge Joncour. Chien-loup (Flammarion)
  • Luke Kennard. La transition (Anne Carrière)
  • Mick Kitson. Manuel de survie à l'usage des jeunes filles (Mélailié)
  • Shih-Li Kow. La somme de nos folies (Zulma)
  • Pascal Manoukian. Le paradoxe d'Anderson (Seuil)
  • Valérie Manteau. Le sillon (Tripode)
  • Fatima Farheen Mirza. Cette maison est la tienne (Calmann-Lévy)
  • Emmanuelle Pirotte. Loup e les hommes (Cherche midi)
  • Emmanuelle Richard. Désintégration (L'Olivier)
  • Marie-Sabine Roger. Les bracassées (Le Rouergue)
  • Boualem Sansal. Les train d'Erlingen ou La métamorphose de Dieu (Gallimard)
  • Abnousse Shalmani. Les exilés meurent aussi d'amour (Grasset)
  • Fanny Taillandier. Par les écrans du monde (Seuil)
  • Tiffany Tavernier. Roissy (Sabine Wespieser)
  • Lyonel Trouillot. Ne m'appelle pas capitaine (Actes Sud)
  • David Trueba. Bientôt viendront les jours sans toi (Flammarion)

mardi 8 novembre 2016

Le Prix Interallié à Serge Joncour

Les jurys ne traînent pas, cette année, en général. Comme tant d'autres prix depuis deux semaines, l'Interallié a été attribué dès le premier tour, à Serge Joncour pour Repose-toi sur moi, avec six voix contre trois à Eric Vuillard (mon favori) et deux à Gaël Faye.
Serge Joncour est un écrivain dont l'oeuvre, déjà abondante, avait été plusieurs fois signalée par des prix moins établis. Il a reçu le Prix Jean-Freustié en 1999, le Prix France Télévisions en 2003, le Prix de l'Humour noir en 2005, le Prix littéraires des Hebdos en Région en 2013, le Prix des Deux Magots en 2015. Il fallait bien qu'il trouve sa place dans un palmarès comme celui de l'Interallié. C'est donc fait.
Tout sépare Aurore, styliste dont le mari brasse des millions de dollars, et Ludovic, spécialisé dans le recouvrement de dettes, ancien agriculteur. Tout les rapproche, malgré leur situation dans l’immeuble où ils habitent tous deux, elle côté chic, lui côté modeste. Elle est dans les embrouilles d’une société qui va peut-être lui échapper, il est dans la débrouille devant des situations inextricables. Et ils s’aiment, tant pis pour eux.

mercredi 19 août 2015

Serge Joncour bat la campagne en «Écrivain national»

Serge Joncour n’inaugure pas une stèle à sa propre gloire, même si le personnage central de L’écrivain national se prénomme Serge. Il est donc écrivain. National, il ne l’est en revanche que dans le discours du maire qui accueille l’auteur en résidence dans sa ville de Donzières. Le qualificatif lui vient, dans sa bouche en cœur de beau parleur, comme par accident, comme une fleur de plus dans une commune déjà labellisée Village fleuri de France et promise à un grand avenir grâce à la combustion de biomasse. Car on ne se paie pas que de mots à Donzières. Même, les mots ne sont là que pour faire joli. L’essentiel, c’est l’initiative locale, le progrès, l’emploi, etc., etc.
Un écrivain, national ou non, c’est décoratif, et tant mieux si, dans son prochain livre, il évoque les charmes de son séjour en bordure de forêt. Sinon que Serge se demande un peu ce qu’il fait là. Au programme de ces quelques semaines, des ateliers d’écriture, un feuilleton à écrire pour le journal du coin, une rencontre à la librairie de Michel et Marie, et beaucoup de temps à ne rien faire – l’essentiel pour un écrivain toujours occupé à préparer sa prochaine œuvre.
Et la vraie vie, dans tout ça ? Elle lui tombe dessus comme une aventure, quand il découvre qu’un homme a disparu sans laisser de traces et qu’on soupçonne Aurélik et Dora, deux marginaux vivant dans la forêt, de l’avoir tué. L’histoire de la combustion de biomasse tant vantée par le maire semble avoir suscité quelques réticences du côté de défenseurs de la nature et Dora possède un charme sauvage auquel Serge n’est pas indifférent.
Il y a, dans L’écrivain national, assez d’ingrédients pour donner naissance à un polar, à une romance ou à une réflexion sur l’écriture. Le livre n’est rien de tout cela. Ou tout cela à la fois et en même temps autre chose : la sensation des jours qui passent, dans un contexte peu propice à la maîtrise de soi-même puisque l’auteur en résidence est pris en charge et dirigé un peu trop à son goût, devient le moteur, avec des ratés qui ont leur charme, d’un récit débraillé. Mais ce débraillé-là a beaucoup de tenue.

mardi 27 janvier 2015

Le Prix des Deux Magots à Serge Joncour

Il restait deux ouvrages dans la dernière sélection du prix des Deux Magots 2015: Le météorologue, d'Olivier Rolin, qui ne l'a pas reçu; c'est donc l'autre, L'écrivain national, de Serge Joncour, qui a été couronné et succède à Etienne de Montety.
Serge Joncour n’inaugure pas une stèle à sa propre gloire, même si le personnage central de son nouveau roman, L’écrivain national, se prénomme Serge. Il est donc écrivain. National, il ne l’est en revanche que dans le discours du maire qui accueille l’auteur en résidence dans sa ville de Donzières. Le qualificatif lui vient, dans sa bouche en cœur de beau parleur, comme par accident, comme une fleur de plus dans une commune déjà labellisée Village fleuri de France et promise à un grand avenir grâce à la combustion de biomasse. Car on ne se paie pas que de mots à Donzières. Même, les mots ne sont là que pour faire joli. L’essentiel, c’est l’initiative locale, le progrès, l’emploi, etc., etc.
Un écrivain, national ou non, c’est décoratif, et tant mieux si, dans son prochain livre, il évoque les charmes de son séjour en bordure de forêt. Sinon que Serge se demande un peu ce qu’il fait là. Au programme de ces quelques semaines, des ateliers d’écriture, un feuilleton à écrire pour le journal du coin, une rencontre à la librairie de Michel et Marie, et beaucoup de temps à ne rien faire – l’essentiel pour un écrivain toujours occupé à préparer sa prochaine œuvre.
Et la vraie vie, dans tout ça ? Elle lui tombe dessus comme une aventure, quand il découvre qu’un homme a disparu sans laisser de traces et qu’on soupçonne Aurélik et Dora, deux marginaux vivant dans la forêt, de l’avoir tué. L’histoire de la combustion de biomasse tant vantée par le maire semble avoir suscité quelques réticences du côté de défenseurs de la nature et Dora possède un charme sauvage auquel Serge n’est pas indifférent.
Il y a, dans L’écrivain national, assez d’ingrédients pour donner naissance à un polar, à une romance ou à une réflexion sur l’écriture. Le livre n’est rien de tout cela. Ou tout cela à la fois et en même temps autre chose : la sensation des jours qui passent, dans un contexte peu propice à la maîtrise de soi-même puisque l’auteur en résidence est pris en charge et dirigé un peu trop à son goût, devient le moteur, avec des ratés qui ont leur charme, d’un récit débraillé. Mais ce débraillé-là a beaucoup de tenue.

mercredi 8 octobre 2014

Renaudot : 17 - 9 + 1 = 9

Je ne sais pas si les jurés du Prix Renaudot se sont écharpés pour établir leur deuxième sélection, mais celle-ci est arrivée bien tard hier, et je la découvre ce matin, avec son lot de petites et de grandes surprises.
Deux grandes, au moins: la disparition d'Eric Reinhardt, qui était donné comme favori partout (mais peut-être le Goncourt lui est-il déjà promis?), et celle de Frederika Amalia Finkelstein, dont Le Clézio avait fait un éloge appuyé.
Les autres auteurs écartés de la deuxième liste? Christophe Donner, Dominique Fabre, Dalibor Frioux, Marie-Hélène Lafon et Laurent Mauvignier. Tandis que l'excellent Serge Joncour fait son entrée avec L'écrivain national et que trois des neuf romans retenus sont parus avant la rentrée - ceux de Kamel Daoud, de Pierre-Yves Leprince et de Jean-Jacques Moura.
Amélie Nothomb est toujours là, David Foenkinos aussi, je continue à m'inquiéter...
Notons aussi que quatre de ces neuf romans appartiennent aussi à la deuxième sélection du Goncourt, que je vous donnais hier.
  • Kamel Daoud. Meursault, contre-enquête (Actes Sud)
  • Clara Dupont-Monod. Le Roi disait que j'étais le diable (Grasset)
  • David Foenkinos. Charlotte (Gallimard)
  • Serge Joncour. L’écrivain national (Flammarion)
  • Pierre-Yves Leprince. Les Enquêtes de Monsieur Proust (Gallimard)
  • Gilles Martin-Chauffier. La Femme qui dit non (Grasset)
  • Jean-Jacques Moura. La Musique des illusions (Albin Michel)
  • Amélie Nothomb. Pétronille (Albin Michel)
  • Lydie Salvayre. Pas pleurer (Seuil)

Par ailleurs, la liste des ouvrages retenus pour le Renaudot essai a été elle aussi comprimée, d'un tiers. Bénédicte Martin et Mona Ozouf ont quitté le peloton - deux femmes, et il n'en reste plus.
  • Christian Authier. De chez nous (Stock)
  • Gilles Perrault. Dictionnaire amoureux de la Résistance (Plon)
  • Jean-Claude Perrier. Comme des barbares en Inde (Fayard)
  • Paul Veyne. Et dans l'éternité je ne m'ennuierai pas (Albin Michel)


Pour vous rafraîchir la mémoire et suivre toutes les sélections, c'est toujours ici.

vendredi 8 août 2014

Vers la rentrée (10) avec Serge Joncour

Serge Joncour est souvent là où on ne l'attend pas. Quoique... Écrivain en résidence, s'agissant d'un auteur qui a publié une dizaine de livres, quoi de plus normal? Sinon que le narrateur sans nom (mais avec un prénom, Serge, et il a écrit Vu, comme Serge Joncour), rebaptisé L'écrivain national par le maire de la petite ville où il séjourne pour quelques semaines, est happé par un fait divers. Ou plutôt par la périphérie de ce fait divers. Ou plus exactement par une femme qui y apparaît...

L'écrivain national, selon son éditeur

Le jour où il commence sa carrière  d’écrivain  à Donzières, une petite ville du centre de la France, Serge découvre dans la gazette locale qu’un certain Commodore, vieux maraîcher à la retraite que tous disent richissime, a disparu sans laisser de traces. On soupçonne deux jeunes «néoruraux», Aurélik et Dora, de l’avoir tué. Mais, dans ce fait divers, ce qui fascine le plus l’écrivain, c’est une photo: celle de Dora dans le journal. Dès lors, sous le regard de plus en plus suspicieux des habitants de la ville, cet «écrivain national», comme l’appelle fièrement monsieur le Maire, va enquêter à sa manière, celle d’un auteur qui recueille les confidences  et  échafaude  des romans, dans l’espoir de se rapprocher de la magnétique Dora.
Dans une atmosphère très chabrolienne, Serge Joncour déroule une histoire à haute tension et les quelques semaines de tranquillité que promettait ce séjour d’écriture se muent, lentement mais sûrement, en une inquiétante plongée dans nos peurs contemporaines.

L'auteur, Serge Joncour

Serge Joncour est l'auteur de dix livres, parmi lesquels  UV (Le Dilettante, Prix France Télévisions 2003), L'Idole, Combien de fois je t'aimeL'homme qui ne savait pas dire non  et  L'Amour sans le faire (Flammarion, 2005, 2008, 2010 et 2012). Ses romans sont traduits en quinze langues. Il collabore à l'émission «Des Papous dans la tête» sur France Culture.

Les premières lignes

Ce séjour promettait d’être calme. C’était même l’idée de départ, prendre du recul, faire un pas de côté hors du quotidien. En acceptant l’invitation je ne courais aucun risque, la sinécure s’annonçait même idéale, un mois dans une région forestière et reculée, un mois dans une ville perdue avec juste ce qu’il faut de monde pour ne pas craindre d’être seul, tout en étant royalement retiré, ça semblait rêvé. En plus, on était au début de l’automne, ça promettait de belles balades au fil des chemins creux, des fins d’après-midi à parcourir la forêt, des heures à se perdre dans des panoramas aux couleurs incendiées, pour en revenir le sang neuf et la tête gorgée d’idées neuves, ce serait parfait.

mardi 9 octobre 2012

Serge Joncour, la guerre d'Irak et les promoteurs

Les personnages de Serge Joncour se regardent vivre à distance. Et ne se comprennent pas toujours. Celui de Que la paix soit avec vous a du temps pour le faire : il est désœuvré.
Il se consacre donc à guetter les mouvements de l’immeuble où il habite, en particulier dans l’appartement voisin. Il n’y a personne depuis longtemps, mais le locataire, déporté pendant la guerre, est censé pouvoir revenir à n’importe quel moment. Les traces de la violence passée sont encore inscrites dans les esprits, et jusque dans le lieu : « Habiter un appartement à la suite de quelqu’un ce n’est pas anodin, c’est pactiser dans une histoire commune, pactiser par l’endroit, c’est à un certain moment avoir fait le même choix. »
Le choix d’affronter la guerre, par exemple. Au moment où se passe le roman, c’est la guerre d’Irak qui se prépare. En même temps que, localement, la guerre des promoteurs désireux de réhabiliter un immeuble vieillot aux loyers trop faibles. (Malgré cela, le narrateur ne l’a pas payé depuis six mois.)
Est-ce une véritable résistance qui s’organise ? Le « héros » se rend à une manifestation contre la guerre en Irak, mais sans motivation personnelle : il représente une voisine qui ne peut pas se déplacer. Les quelques locataires d’un bâtiment qui se révèle très peu peuplé s’accordent sur une attitude passive susceptible, espèrent-ils bien à tort, de décourager les promoteurs.
Tout s’imbrique, entre passé et présent, sur plusieurs fronts d’un combat qui n’en est pas un. Et qui, de toute manière, est perdu d’avance. Un lourd sentiment de désenchantement plane dans un roman qui préserve néanmoins sa légèreté grâce à une ironie très fine présente à chaque coin de phrase. Frappé du talent dont Serge Joncour est pétri.

vendredi 24 août 2012

Quelques premières phrases de la rentrée littéraire

Il faut réussir les dernières phrases d’un roman, comme le montre une récente réédition américaine de L’adieu aux armes, un roman pour lequel Ernest Hemingway avait écrit 47 fins différentes. Mais, jusqu’à nouvel ordre, c’est par le début qu’un lecteur aborde l’ouvrage qu’il vient d’ouvrir. « Aujourd’hui, maman est morte », écrit sobrement Albert Camus en ouverture de L’étranger. Marcel Proust est à peine moins sobre dans Du côté de chez Swann, premier volume d’A la recherche du temps perdu : « Longtemps, je me suis couché de bonne heure. » On notera au passage la similarité entre ces deux célèbres incipit. Bien sûr, comme dans les pages suivantes, le roman est un genre qui autorise toutes les libertés, dans cette rentrée comme dans le passé. Petit inventaire, hors prologues et autres épigraphes.
Côté simplicité, Olivier Adam (Les lisières, Flammarion) : « Je me suis garé sur le trottoir d’en face. » Ou Olivier Bouillère (Poivre, P.O.L.) : « Ici tout est tranquille. » Claro (Tous les diamants du ciel, Actes Sud) : « C’est tout autre chose. » Leonardo Oyola (Chamané, Asphalte) : « Ils ne commencent jamais. » Fabrice Humbert (Avant la chute, Le Passage) : « Ils avaient travaillé dur. » Toni Morrison (Home, Christian Bourgois) : « Ils se sont dressés comme des hommes. » Florence Noiville (L’attachement, Stock) : « Combien suis-je ? » Maria Pourchet (Avancer, Gallimard) : « Un vigile, et encore. » Pascal Quignard (Les désarçonnés, Grasset) : « Il vomissait du sang. » Nathalie Rheims (Laisser les cendres s’envoler, Léo Scheer) : « J’ai perdu ma mère. » Nick Tosches (Réserve ta dernière danse pour Satan, Allia) : « C’était une grande époque, on l’aura compris. » Andrés Caicedo (Que viva la Musica !, Belfond) : « Je suis blonde. » Tristan Garcia (Les cordelettes de Browser, Denoël) : « Lorsqu’il sortit de la douche, rien n’avait changé. » Sebastian Barry (Du côté de Canaan, Joëlle Losfeld) : « Bill n’est plus. »
Certains en disent trop et pas assez, pour attiser la curiosité, comme Jakuta Alikazovic (La blonde et le bunker, L’Olivier) : « Dans les publications, assez rares, qui en font mention, la collection Castiglioni est souvent décrite comme éphémère. » Metin Arditi (Prince d’orchestre, Actes Sud) fait une promesse : « Ce serait un triomphe. » Joël Glaziou (Ce fut une messe… en forme de corrida, Luce Wilquin), une autre : « Sûr, ce jour-là serait un grand jour pour Jesús. » Autre type de promesse, ou plutôt de bonne résolution, pour Jean Mattern (Simon Weber, Sabine Wespieser) : « Il me reste à acquérir le sens de l’humour. »
Sylvia Avallone (Le lynx, Liana Levi) semble nouer déjà quelques fils : « Ils se rencontrèrent pour la première fois dans un restoroute, en pleine nuit. » Tahar Ben Jelloun (Le bonheur conjugal, Gallimard) pose des personnages, dont l’un au sens propre : « Les deux hommes solides qui l’avaient porté puis déposé dans un fauteuil face à la mer étaient essoufflés. » Aurélia Bonnal (The queen is dead, Buchet-Chastel) aussi, avec un air de mystère : « Ils m’ont tapé dans le dos. » Véronique Olmi (Nous étions faits pour être heureux, Albin Michel) : « Il est là, en face de moi, place des Abbesses. »
Julie Otsuka (Certaines n’avaient jamais vu la mer, Phébus) : « Sur le bateau nous étions presque toutes vierges. »
L’effet d’annonce est utilisé par Serge Joncour (L’amour sans le faire, Flammarion) : « Il voulait les prévenir avant de descendre. » Ou par Amélie Nothomb (Barbe bleue, Albin Michel) : « Quand Saturnine arriva au lieu du rendez-vous, elle s'étonna qu'il y ait tant de monde. » Et encore par
Laurent Gaudé (Pour seul cortège, Actes Sud) : « Au premier spasme, personne ne remarque rien et ceux qui l’entourent rient encore. »
Surprise chez Ron Rash (Le monde à l’endroit, Seuil) : « Travis tomba sur les pieds de marijuana en pêchant dans Caney Creek. »
Mystère pour Sylvie Taussig (Dans les plis sinueux des vieilles capitales, Galaade) : « Cela a commencé pendant la nuit : ce furent les premiers éléments, et personne ne l’a remarqué. » Et François Vallejo (Métamorphoses, Viviane Hamy) : « Ma première réaction : non, impossible, mon demi-frère n’est pas comme ça. »
Un peu aussi chez Stéphane Zagdanski (Chaos brûlant, Seuil) : « Je sais, je ne paye pas de mine, assis en tailleur sur le sol de ma cellule. »
Menaçant pour Isabelle Pestre (La rencontre, Belfond) : « Le vélo ne tient pas sa droite. »
Inquiétant chez Darin Strauss (La moitié d’une vie, Rivages) : « Il y a la moitié de ma vie, j’ai tué une fille. »
Voyez Jean-Yves Jouannais (L’usage des ruines, Verticales) : « Il fallait qu’un jour le secret cessât. »
Jean-Michel Guenassia (La vie rêvée d’Ernesto G., Albin Michel) tire des fils qui viennent de loin : « Chez les Kaplan de Prague, on était médecin de père en fils depuis une dizaine de générations. »
Tout est parfois dans la parole. Directe chez l’Italien Nicolo Ammaniti (Moi et toi, Laffont) : « – Café ? » Chez François Cusset (A l’abri du déclin du monde, P.O.L.) : « – Tous à la Madeleine ! » Chez Benoît Damon (Trois visites à Charenton, Champ Vallon) : « Bonjour, Monsieur l’artiste !… » Chez Joël Egloff (Libellules, Buchet-Chastel) : « Est-ce que t’en es sûr qu’on va revivre ? » Nicolas d’Estienne d’Orves (Les fidélités successives, Albin Michel) : « – C'est votre premier voyage à Malderney ? » Pierre Jourde (Le maréchal absolu, Gallimard) : « Allons, parle, Manfred-Célestin, vieille pacotille, dis quelque chose, n'importe quoi, tu es plus disert d'habitude. » Le narrateur de Linda Lê (Lame de fond, Bourgois) est tout de contraire : « Je n’ai jamais été bavard de mon vivant. » Catherine Mavrikakis (Les derniers jours de Smokey Nelson, Sabine Wespieser) : « Mais vas-tu avancer, putain de Chinois !!! » Nicolas Rey (L’amour est déclaré, Au diable vauvert) : « Salope, j’ai fait. »
Description de la parole chez Julien Capron (Trois fois le loyer, Flammarion) : « Elle parle d’elle. » Et son inverse chez Michael Ondaatje (La table des autres, L’Olivier) : « Elle se taisait. »
Claude Arnaud (Brèves saisons au paradis, Grasset) propose un lieu précis, sans qu’il soit besoin de nommer la ville : « Tu longes en silence la Seine, à l’abri d’une haie de peupliers, en vue du pont Royal. » Lorenzo Cecchi (Nature morte aux papillons, Castor astral) : « De la gare du Midi je prends le 36 pour me rendre à l’université. »
Serge Bramly (Orchidée fixe, Lattès) ne le situe pas immédiatement : « Il venait de Marseille, il allait en Amérique. » Il y a du mouvement aussi chez Fabienne Juhel (Les oubliés de la lande, Rouergue) : « Le voyageur arriva épuisé aux portes du village. »
Lionel Duroy (L’hiver des hommes, Julliard) oui, mais pour mieux égarer : « Jovo se perd dans les faubourgs de Belgrade. »
Lilian Auzias (Riefenstahl, Léo Scheer) précise un moment : « Une nuit d’été étouffante. » François Bott (Avez-vous l’adresse du paradis ?, Cherche midi) : « 7 novembre 2010. » Viola Di Grado (70 % acrylique 30 % laine, Seuil) : « Un jour, on était encore en décembre. » Gérard Mordillat (Ce que savait Jennie, Calmann-Lévy : « C’était un dimanche de juillet de l’an 2000. »
Il s’agit aussi de donner le ton d’une langue que l’on découvre d’emblée singulière chez Andréas Becker (L’Effrayable, La Différence) : « Dans les temps j’ai eu-t-été une petite fille, une toute petite fillasse. »
Certains font un peu de philosophie pratique à l’usage du quotidien. Jacques Braunstein (Loin du centre, NiL) : « J’arrive à l’âge où chaque jour je m’invente un nouveau regret. » Maryse Condé (La vie sans fards, Lattès) s’interroge : « Pourquoi faut-il que toute tentative de se raconter aboutisse à un fatras de demi-vérités ? » Alessandro Piperno (Inséparables, Liana Levi) semble conclure en ouverture : « Se fréquenter soi-même avec assiduité suffit pour comprendre que si les autres nous ressemblent, alors il ne faut pas leur faire confiance. » Anne Lenner (Ca va trop vite, Le Dilettante) : « Soi-disant, pour faire un bon livre, il faudrait être prêt à y laisser sa peau. » Chloé Schmitt (Les affreux, Albin Michel) : « L'accident, on l'attend toujours de derrière, d’autre chose, on se méfie jamais trop de soi-même. » Enrique Vila-Matas (Air de Dylan, Christian Bourgois) : « Certains entrent dans le théâtre de la vie très tard, mais quand ils le font, c’est apparemment sans brides et ils vont directement jusqu’au bout de la pièce. » Sur le ton de l’évidence, Florian Zeller (La jouissance, Gallimard) : « L’histoire commence là où toutes les histoires devraient finir : dans un lit. »
C'est un geste pour Manu Causse (L’eau des rêves, Luce Wilquin) : « Campé sur ses jambes, penché en avant, l’homme lance sa faux. » Et pour Caroline De Mulder (Nous les bêtes traquées, Champ Vallon) : « Il s’est mis à jeter de plus belle. » Pour José-Luis Peixoto (Livro, Grasset) : « La mère posa le livre entre les mains de son fils. » Pour Françoise Pirart (Sans nul espoir de vous revoir, Luce Wilquin) : « Il ouvrit la fenêtre et huma l’air frais d’avril. » Olivier Truc (Le dernier Lapon, Métailié) : « Aslak trébucha. » Patrick Deville (Peste & Choléra, Seuil) : « La vieille main tavelée au pouce fendu écarte un voilage de pongé. »

P.S. Ceci est la version longue d'un article paru hier dans Le Soir.

vendredi 21 août 2009

Serge Joncour n'a pas dit non à mes questions

Serge Joncour publie, avec L'homme qui ne savait pas dire non, un roman dont on parlera sans nul doute beaucoup dans cette rentrée.
Le sujet est dans le titre. Mais on sait qu'un livre n'est pas seulement un sujet. C'est surtout une manière de le traiter. Celle-ci est intelligente et troublante.
J'ai posé quelques questions à l'auteur, qui y a aimablement répondu.

Avez-vous envisagé Beaujour, votre personnage, comme un autre Bartleby? Bien que celui-ci ne dise pas «non» à proprement parler…

Oh que je serai confus dans cette réponse, car j’ai pensé à Bartleby, sans y penser, c’est la force de certains personnage imaginaires, de continuer à exister en nous, comme s’ils faisaient véritablement partie de ces êtres que l’on a, que j’ai réellement rencontrés, comme si j’étais lié par une expérience personnelle avec Bartleby, ou pourquoi pas Grégor Samsa, ou la Zazie de Queneau, mais bon, la dimension allégorique de Bartleby me parle, comme lui mon personnage est pour ainsi dire résumé par une formule de mots, un élément de langage qui détermine tout de leur existence, de leur essence.

Vouliez-vous profiter de l’occasion pour railler les sondages, ou bien l’idée est-elle venue en cours de route?

Je trouve ça fascinant l’utilisation qui est faite des sondages, comme s’il y avait là bien plus qu’un concentré de l’opinion publique, mais à proprement parler une élucidation. Je voulais m’amuser à créer ces séquences de dialogues irréels, dans lesquelles mon personnage en tant que sondeur ne peut absolument prononcer le mot Non, alors que pourtant, le Oui et le Non, sont la base même de son activité, ses deux instruments de travail, avec l’échappatoire toujours possible du Ne sait pas. Mais ces derniers temps la réalité dans ce domaine fait bien mieux moi, avec ces référendums dont les autorités politiques attendent précisément une réponse, le Oui en général, quitte à reposer dix fois la même question, quitte à refaire le même référendum, jusqu’à temps d’atteindre le Oui. C’est magnifique d’obstination. Alors tant qu’à faire, autant dire oui dès le premier coup! Quant à dire non, ça ouvrirait en général, tellement d’autres questions, que c’en devient vertigineux, et assez peu rassurant.

Un seul mot vous manque, et tout est dépeuplé… L’exercice qui consiste à le retrouver devient, par le biais d’un atelier d’écriture très singulier, comique. Mais c’est aussi l’occasion d’intégrer au roman des textes qui forment une fiction dans la fiction. Et on pourrait poursuivre sur les perspectives que semblent ouvrir les mécanismes mis en œuvre ici. Jusqu’à envisager une pratique oulipienne du langage, à la manière de La disparition de Perec. Mais avez-vous pensé à tout cela dans le roman, ou bien est-ce moins concerté de votre part?

Oui, j’y ai pensé, à tout ça, oh que oui, seulement, ça m’est apparu, pour ainsi dire après, une fois que j’avais écrit!

Et Serge Joncour me réécrivait, un peu plus tard, pour préciser:

Ce petit mot, juste pour ajouter qu'au-delà de tout prétexte d'écriture, de désir d'inventer, il y aussi des êtres qui sont réellement dans cette difficulté-là, à ne pas savoir dire non, que d'une certaine façon, à des degrés divers, ça nous est tous arrivé, en tout cas, cela m'arrive, pour de vrai, de ne pas savoir dire non, et une de mes envies qui m'ont amené à écrire cette histoire, c'était bien de pousser l'exercice à l'extrême. Autrement dit, je n'ai pas le sentiment d'avoir fait là une pure fiction, loin de là, ce n'est pas réellement autobiographique, mais ça l'est un peu, une autobiographie collective.