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dimanche 3 mai 2015

Axel Kahn et la France rurale, en marchant

Du nord-est, de l’enclave française de Givet enfoncée comme un coin en Belgique, au sud-ouest, à la frontière espagnole, Axel Kahn a marché plus de mille six cents kilomètres en un peu moins de trois mois.
Le généticien est aussi un personnage public, son frère Jean-François est un journaliste flamboyant, il ne peut voyager en randonneur anonyme alors qu’il aime tant marcher seul. Sauf dans les moments où la beauté des paysages l’exalte et qu’il éprouve le désir de partager. Il le fait avec nous dans Pensées en chemin, ce n’est pas si mal. Au lieu de s’en plaindre, il met sa relative célébrité à profit pour donner des conférences et rencontrer, dans bien des étapes, les notables de l’endroit. Car, s’il a pris la route avec l’envie première de satisfaire un désir personnel, il avait aussi l’intention de sonder le cœur et les reins d’une France rurale entrée, comme il le dit, en « sécession » : « J’appelle ainsi la rupture d’une partie de la population avec la vie politique ordinaire, l’apparente rationalité de son discours et de ceux qui le tiennent. »
Ses réflexions sur l’état de son pays, de l’Europe et du monde ne sont pas sans intérêt. Elles ne constituent cependant pas la meilleure part d’un livre qui vaut surtout par son approche, pas à pas, d’un chemin qui emprunte parfois celui de Compostelle. Du moins pour l’itinéraire, pas pour la quête spirituelle. Axel Kahn a perdu la foi quand il avait quinze ans. Il n’a rien oublié, en revanche, des odeurs de ses premières années passées à la campagne et les retrouve avec une émotion suscitée aussi par la rencontre, rare, avec l’usage d’outils autrefois répandus et aujourd’hui le plus souvent enfermés dans des musées.
Promeneur encore plus que randonneur, même si la dépense physique est réelle – les côtes et les descentes, la pluie, le vent, la chaleur ajoutent à la distance –, Axel Kahn, qui tenait quotidiennement son journal de marche sur un blog, ne craint pas les détours pour visiter tel ou tel lieu, à l’écart de sa route. Celle-ci est belle.

lundi 2 mars 2015

Marcher (2)

On croit, à cause du titre qu’on va entrer dans le mouvement des pas qui ont fait d’Éric Fottorino Le marcheur de Fès (Folio). Et puis, non. Si la ville se visite à pied, le passé qu’y cherche l’auteur est plus important que le geste. Le lendemain, ou le surlendemain, on ouvre un autre livre, peut-être par association d’idée avec le précédent – il y est aussi question d’un fils et de son père. Là, on croise Péguy avec « ce côté fantassin de vouloir tout vérifier par la marche. » Le père, loin des préoccupations de son fils à propos de la pensée du poète et, en revanche, se reconnaissant « dans la figure du peregrinus, de l’homme qui marche. » Je ne dois pas oublier de préciser que je trouve cela dans Un jour, de Michel Crépu (Gallimard).

Sans surprise, en revanche, Chantal Deltenre et Daniel De Bruycker ont fait une petite place à « L’art de se promener » dans les miscellanées de Voyage (Nevicata). Le titre de cette entrée est aussi celui d’un livre publié par Karl Gottlob Schelle en 1802 : « Bien au-delà du simple mouvement physique, la promenade s’y déploie comme un exercice esthétique. Par le jeu du corps, elle met en branle les mécanismes de l’esprit, menant à une expérience intellectuelle, mais sans fatigue ni contrainte. »

Réédité à la Bibliothèque malgache
Paul de Kock. Ce nom vous dit-il encore quelque chose ? Pour retrouver cet auteur à succès du siècle avant-dernier, il faut le croiser par hasard dans les écrits de son temps, ou d’un temps qui ne l’avait pas encore oublié. A la fin de ses souvenirs de marcheur Au-delà des mers, Yves Gallot le cite. C’était en 1897, dans le Journal des Voyages, pour conclure une annexe consacrée à « L’art de marcher » : « « C’est fatigant de marcher à pied. Excepté ce petit désagrément, les voyages pédestres ont bien des charmes. Vous voyez tout à votre aise ; pas un joli site, pas un beau point de vue ne vous échappe, vous vous souvenez toujours, car les endroits où l’on a cueilli une plante, respiré une fleur, coupé une branche de feuillage, pris un peu de repos, ou fait un léger repas, ces endroits-là restent gravés dans votre mémoire. » Extrait, dit Gallot, d’un de ses meilleurs romans, Taquinet. En réalité, Taquinet le bossu, le personnage auquel Paul de Kock prête ces pensées au cours d’un vagabondage plutôt qu’un voyage, car il ne cesse de quitter la route depuis qu’il a quitté Munich : il a fait vingt lieues en huit jours.


Quelqu’un a cependant dû faire remarquer à Yves Gallot que son choix de citation n’était pas très sérieux. Dans le livre qu’il publiera l’année suivante, où il reprend en l’amplifiant la matière de cet article (ainsi que quelques extraits de l’entretien qu’il avait donné à un journaliste, en introduction à la série de ses souvenirs), il choisit des références plus prestigieuses : Victor Hugo et Jean-Jacques Rousseau. Marcher, oui, mais sans oublier une saine érudition…

mardi 24 février 2015

Marcher

Je ne sais ce qui frappe le plus dans cette histoire : l’homme de Detroit qui marche 33 kilomètres par jour pour aller à son travail et en revenir, ou les 160 000 dollars et des poussières qu’un étudiant a levés, comme on dit, pour simplifier la vie de James Robertson. Avec, je suppose, dans la tête des donateurs, le sentiment de faire une belle action. Ce qui n’est pas faux.

Walter Benjamin cité par Yannick Haenel en épigraphe des Renards pâles (Folio) : « Vaincre le capitalisme par la marche à pied. » Une phrase que l’écrivain – Yannick Haenel – se récitait « en souriant », début 2010, plus de trois ans avant la sortie d’un roman qui a donc longuement piétiné. Ce qui n’est pas un défaut.

Chômeur et marcheur, la rime n’est pas très riche mais elle a séduit Daniel Gachet, adjoint au maire de Luçon (France). Qui ne comprend pas pourquoi il faudrait renforcer les transports en commun en direction des bureaux de Pôle Emploi qui se trouvent en périphérie de la ville. « Les chômeurs n’ont qu’à marcher, ils n’ont que ça à faire », a-t-il dit, sans penser non plus au courage qui manque au retour après un entretien sans résultat.

Ligne 11. Dans la numérotation plutôt anarchique des lignes de transport en commun dans la capitale malgache, cette ligne n’existe pas. Pourtant, elle est, à elle seule, plus fréquentée que toutes les autres : une enquête estime à quatre sur dix le nombre de ménages qui l’empruntent, le succès global des taxis-be, comme on les appelle, étant un peu moindre. Mais alors, c’est quoi, cette ligne 11 ? La marche – la « marche à pied », précise le sondage pour qu’il n’y ait aucune confusion.


Antoine Boute, dans S’enfonçant,spéculer (Onlit Books), qu’il aurait pu intituler La possibilité d’un polar (gore), montre son personnage d’écrivain happé par une jeune femme qui l’entraîne à travers bois vers une mystérieuse demeure. Ils sont à pied, et cela dure. « La longueur de la marche les fait entrer, comme tous les marcheurs le savent, dans une transe légère. »

Marcher. Le geste est fascinant. Balzac, qui s'intéressait à tout, l'a observé de près. C'est la Théorie de la démarche, premier titre de la Bibliothèque marcheuse, collection sans frontières de la Bibliothèque malgache.