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mercredi 18 octobre 2017

La mort d'Hervé Prudon

Hervé Prudon est mort et ça ne lui va pas. Ça ne me plaît pas davantage mais, mon avis, tout le monde s'en moque - demandez à Jean-Patrick Manchette, romancier noir de sa génération bien plus tôt en allé...
Je l'avais lu bien avant d'écrire des articles ici ou là. Quand j'ai écrit des articles, j'ai continué à le lire. Il en reste ceci, que je dresse devant vous pour qu'on se souvienne de la sincérité parfois brutale de l'écrivain qu'il était.

Hervé Prudon est surtout connu comme auteur de polars, parmi lesquels Tarzan malade fait figure de référence. Il a aussi écrit d’autres livres qui, pour certains, donnent de lui une autre image. La femme du chercheur d’or, qui vient de paraître, n’a par exemple rien d’un polar. L’auteur, piètre Tarzan mais quand même malade, s’y met en scène dans une quête plus ou moins journalistique (plutôt moins que plus) des derniers orpailleurs de France.
Disons-le tout net, puisqu’il ne s’en cache pas, l’or en soi ne l’intéresse guère et le choix de ce sujet ne s’est imposé à lui que pour des raisons très privées : « J’ai épousé la fille d’un chercheur d’or, dont le livre paru il y a vingt ans a relancé l’orpaillage en France. Jean-Claude Le Faucheur est mort depuis. » La curiosité de Prudon ne s’est pas éteinte : « Je me suis demandé s’il restait des chercheurs d’or en France. Si j’avais épousé la fille d’un druide, j’aurais cherché des druides. »
Sans enthousiasme excessif, comme pour remplir un devoir familial, le voici donc paresseusement en route vers le Gard où il doit retrouver Janine, la deuxième femme de son beau-père. Après quelques détours autant géographiques qu’intérieurs, il arrive à pied-d’œuvre pour découvrir les motivations des chercheurs d’or. Ceux-ci ne rêvent plus guère de vivre grâce au produit de leurs tamisages. Une technique sophistiquée, et plus industrielle que l’image traditionnelle des pieds dans l’eau, de filtrage de sable avec des tapis, donne une meilleure récolte que dans les rivières. Encore n’est-ce pas vraiment suffisant pour constituer des revenus confortables. Les paillettes d’or sont donc recyclées en bijoux fantaisie, voire redistribuées dans les endroits où se tiennent des stages d’orpailleurs. Car, le mythe de l’or étant une des choses les mieux partagées au monde, le produit de sa quête est moins rentable que l’organisation du rêve…
Cette découverte, et quelques autres, procureraient sans doute bien des désillusions à un auteur qui serait parti la foi chevillée au corps. Hervé Prudon, lui, s’en moque. Il se contente de nous livrer, en chapitres brefs, les fruits de son voyage, de noter que tout le monde, ou presque, est bouddhiste ou a l’air de l’être, roule ses cigarettes, picole sec, vit dans un monde à côté du monde, sans y accorder d’importance. Sauf Janine, la gagnante, celle qui a gardé les pieds sur terre et reste peut-être le dernier vrai chercheur d’or, mais si peu dans les rivières…
Et puis, Prudon parle de lui autant que des autres, insuffle à son écriture une ironie vivifiante, et on partage avec un vif plaisir l’histoire de son enquête sans objet véritable.

J’ai 3 ans et pas toi (1999), Ouarzazate et mourir (réédition, 1999)
Hervé Prudon est d’abord connu comme auteur de roman noir, l’actualité éditoriale, nous y reviendrons, nous le rappelle d’ailleurs. Mais sa production la plus abondante reste, au jour d’aujourd’hui, celle de livres signés par d’autres. « Plusieurs occasions ont fait le larron, et j’ai été nègre, il y a une dizaine d’années, dans le genre autobiographique, parfois pour des personnes qui n’avaient rien à dire ni écrire », reconnaît-il dans sa préface. Alors, pour une fois, il fait le nègre pour une noble cause : écrire les Mémoires de Juliette, trois ans et qui n’en a pas, de mémoire.
Le livre est un curieux monologue à deux voix. Comme dans tous les souvenirs écrits par un nègre qui respecte son travail, il est écrit à la première personne. Mais, dans un habile jeu entre celle qui est censée parler et celui qui rédige sans que l’aide la première, il y a parfois des moments de révolte chez le personnage. Quand le nègre a tendance à tomber dans le jeu de mots, un de ses péchés mignons, par exemple. Et Papa, quelquefois, est saoul, ou il est triste… Allez comprendre cela, vous ! Forcément, quand on part du postulat : je ne me souviens de rien, alors je vais vite tout raconter avant d’oublier, comment voulez-vous que cela ne tourne pas à la fantaisie ?
J’ai 3 ans et pas toi. Na ! a-t-on envie d’ajouter, parce que le livre est plein de pieds de nez, d’histoires d’enfant pour lesquelles Hervé Prudon a sans doute dû puiser dans son antémémoire, et beaucoup observer. Il y a même des choses très graves, aux yeux d’un enfant de trois ans – trente-six mois plus neuf, pour être précis. Heureusement Léopold, le grand frère, est là pour remettre les choses en place, Léopold dit c’est pas grave alors c’est pas grave. D’ailleurs, c’est pas gravé dans la mémoire. C’est pire, petite Juliette : c’est écrit dans ton autobiographie non autorisée…
Est-ce pour le contraste ? On réédite Ouarzazate et mourir, soit le Poulpe en version Prudon. Le héros croit perdre Cheryl, sa coiffeuse bien-aimée, et manque en perdre la tête, jusqu’à devenir cynique et tourner presque tueur. Il voit Ouarzazate, mais ne meurt pas, bien sûr. Prudon ne pouvait pas faire ça aux auteurs qui avaient encore leurs aventures du Poulpe à écrire. Le personnage est terriblement désenchanté. Ailleurs, il n’est pas toujours joyeux-joyeux. Ici, il est franchement sinistre. Cela lui va bien, lui donne une certaine élégance à la Mamounia de Marrakech. Mais, rien à faire, il ne digère pas la mort de son vieil ami Tchang qui était devenu clochard et qu’on a retrouvé dans une chambre d’hôtel où il s’était envoyé en l’air, avec deux filles d’abord puis avec un revolver…
Il supporte encore moins sans doute ce qu’est devenu Leo, le troisième de la bande. C’était dans une autre vie, semble-t-il. Le Poulpe doit en posséder davantage qu’un chat. Celle-ci n’est pas la moins intéressante.

Banquise (réédition, 2009)
Hervé Prudon à ses débuts, avec son troisième roman publié en 1980. Un implacable rouleau de malheur qui compresse tout sur son passage dans la banlieue de Sainte-Mouise-sur-Dèche. Une écriture qui tourbillonne, virevolte, se brise, comme une danse désespérée. Des personnages au bord d’eux-mêmes, prêt à s’expulser de leur vie. Ou à en expulser d’autres, si besoin. Banquise est un festival de noirceur emballé sur un rythme délirant. Jean-Patrick Manchette avait aimé. Nous aussi.

dimanche 1 octobre 2017

Philippe Rahmy, force et fragilité

Je n'aurai pas eu le temps de commencer Monarques, le nouveau roman de Philippe Rahmy, avant d'apprendre sa mort il y a quelques minutes, par un tweet de Laurent Nunez. On le savait malade - de cette saloperie appelée "maladie de verre", toujours prêt à se briser, mais aussi toujours prêt à écrire, à propos de cela et du reste. Il existe toujours l'espoir fou que les mots soient plus forts que la maladie. Ça ne marche jamais, hélas! J'ouvre avec vous Monarques, j'en partage les premières lignes, je me souviens de ce que j'avais écrit, trop brièvement, à propos de Béton armé et d'Allegra...
Vient le jour où l’enfance prend fin. Cela fait longtemps qu’Herschel Grynszpan m’accompagne. Le projet d’écrire son histoire est né à la mort de mon père.
Béton armé (2013)
Shanghai, un monde en soi. Le voyageur, en résidence d’écrivain, s’y baigne au-delà des limites de son corps fragile. La ville impose ses propres règles. Philippe Rahmy les transmet en poète, utilisant une langue qui fait appel à tous les sens. L’écriture vibre en profondeur, épouse les mouvements de la surface et laisse deviner bien des choses non dites. C’est beau comme une œuvre d’art d’où la cruauté ne serait pas absente et qui, donc, blesse parfois. Mais toujours à bon escient.

Allegra (2016)
Tout devrait bien se passer à Londres pour Abel, jeune trader maître des algorithmes, amoureux de sa femme Lizzie et de leur fille Allegra. Mais, peu avant les Jeux olympiques, ça coince. Lizzie se ferme, des failles apparaissent dans le boulot d’Abel, les menaces se resserrent. Au prétexte de ses origines algériennes, son bienfaiteur le lance dans une autre direction. Extension du domaine du terrorisme, aurait pu dire Houellebecq.

mercredi 28 décembre 2016

Michel Déon, disparu à 97 ans

La période est décidément faste pour les nécrologues. On s'en désole, bien sûr, et de compter quelques écrivains dans l'embouteillage de cortèges funèbres qui traverse le monde artistique ces dernières semaines. Michel Déon, né en 1919, écrivain depuis 1944, a produit le genre d'oeuvre qu'on n'embrasse pas en 2000 signes (c'est pourtant ce que je viens de faire, les pages papier d'un quotidien n'étant pas extensibles à l'infini - mais je suis certain qu'ils vont y arriver au Figaro, on vérifiera cela demain matin.
J'ai le vague souvenir d'une agréable rencontre avec Michel Déon, à une époque où les articles n'étaient cependant pas archivés électroniquement. Et aussi d'avoir, avant 1995, écrit d'autres choses sur lui - en particulier à propos d'Un taxi mauve lors d'un voyage en Irlande. Tout cela est perdu, ou au moins ne m'est plus accessible. Ce n'est peut-être pas si grave, après tout. Il reste ceci, que je vous confie. Ne les égarez pas.



Même ceux qui le connaissent peu savent combien la Grèce lui est familière, et qu’il est installé en Irlande. On sait moins, sans doute, qu’il a beaucoup voyagé – ou plutôt, comme il le précise lui-même : « je crois m’être beaucoup promené en flâneur sur cette terre et dans les livres d’écrivains que j’aimais. »
Un ouvrage qu’il intitule Je me suis beaucoup promené… rassemble des textes jusqu’à présent éparpillés dans différents lieux de publication, comme des revues, ou même oubliés dans un tiroir. Certains remontent aux années cinquante, d’autres sont beaucoup plus frais. Tous ont en commun de nous faire voyager en sa compagnie, ou en compagnie de ces écrivains qu’il aime. Tant il est vrai qu’il vaut parfois mieux rêver sur des textes anciens que de se trouver embarqué dans un tourisme de masse auquel les lieux ne peuvent de toute manière plus offrir des décors aujourd’hui détruits. Le mot « voyage » ne recouvre plus l’idée d’un beau privilège et s’avère de plus en plus décourageant, se lamente Michel Déon. Se déplacer en avion ressemble surtout à une corvée : « Ce qui était encore un plaisir il y a vingt ou trente ans est devenu une torture raffinée, aussi raffinée que le parcours d’une autoroute un dimanche soir de retour à Paris. »
Ah ! Parlez-nous d’un temps où, sur la brève durée d’un parcours aérien entre Dresde et Francfort, on pouvait faire la rencontre magique d’une blonde toujours en retard, toujours remarquée. Ou racontez-nous encore les pérégrinations d’Ulysse, voire Flaubert en Égypte, ou Chateaubriand en Grèce… Si cela ne suffit pas, passons quelques nuits affolantes en Espagne, parcourons quelques centaines de kilomètres en automobile (on n’ose pas dire : « en voiture »), rêvons sur les hasards qui font se recouper les chemins…
C’est tout cela qu’offre généreusement Michel Déon, poussant vers le Portugal, traversant l’Italie, se posant quand même plus longuement en Grèce et en Irlande – il ne songe pas à renier ses amours, et s’explique même sur son choix irlandais : « Et maintenant, si vous me demandez ce que je suis allé faire en Irlande, je vous répondrai que je n’en sais rien au juste, et que, de toute façon, il faut bien vivre quelque part. Au fond, il s’agissait peut-être d’une envie, mûrie depuis longtemps, un obscur besoin de pluie, de vent, de prairies vertes, l’attrait que peuvent exercer une terre mouillée, de vastes paysages, la présence de l’Océan et le bruit sourd, continu de la houle se brisant sur les falaises de Moher. L’Europe s’achève ici, plus loin c’est l’aventure. »

Le flâneur de Londres (1996)


Des écrivains français qui, aujourd’hui, ont une certaine importance dans le paysage littéraire, Michel Déon est sans doute un de ceux qui connaissent le mieux Londres, succédant ainsi à Paul Morand. On pourrait peut-être mettre en compétition avec lui un Pierre-Jean Rémy, ou d’autres auteurs moins populaires, mais certainement pas un Patrick Modiano bien qu’il entraîne lui aussi ses lecteurs à Londres dans son nouveau roman, Du plus loin que l’oubli. Michel Déon a passé beaucoup de temps à Londres, entre deux séjours en Grèce ou en Irlande – où il est installé depuis longtemps.
Le flâneur de Londres, qu’il vient de publier, est une agréable balade dans des rues colorées où le changement se marque par-dessus la permanence, comme si la capitale britannique résistait à toutes les invasions, à toutes les révolutions culturelles, gardant les traces de celles-ci sans se modifier en profondeur.
Michel Déon contredit souvent la question/réponse qu’il a placée dans les premières pages de son livre : « Londres est-il encore dans Londres ? Oui pour certains, non pour d’autres qui, comme moi, gardent le souvenir d’une ville enfermée dans ses traditions, jalouse de sa personnalité. » Et on pourrait, pour résumer cette flânerie, lui donner un titre de chapitre à la Jules Verne : Où il apparaît que tout en subissant les assauts du temps, Londres résiste comme une vieille dame respectable.
Mais Michel Déon, tout en reconnaissant implicitement, dans le même temps qu’il la nie, la continuité dans le changement, grogne contre tout ce qu’il ne reconnaît plus. Il n’est pas l’homme des bouleversements – on le savait –, bien qu’il accueille avec sympathie le cosmopolitisme effréné d’une ville capable de tout digérer – tout et son contraire. Des populations venues des horizons les plus lointains et les plus divers trouvent ainsi place dans un cadre qui paraît apte à accueillir les excentricités les plus folles en leur rendant un statut simplement banal.
La promenade de Michel Déon n’est pas seulement géographique. Certes, il arpente les rues de Londres, il pousse les portes des clubs les plus sélects, il vérifie la vétusté des chambres de certains grands hôtels, il fait son shopping dans les boutiques les plus réputées. Mais il découpe aussi, dans les endroits qu’il traverse, les couches successives que l’Histoire a déposées, comme des strates dont la structure reproduit fidèlement les convulsions des siècles passés. C’est à travers elles qu’il lit et retrouve la signification d’événements dont les conséquences marquent encore le présent – pour son plus grand bonheur, et pour notre édification.
Il est plus sombre quand il se projette dans l’avenir, quand il envisage l’évolution future du Londres qu’il aime : « La seule inquiétude – elle est de taille – vient de ce que cette ville, à juste titre si orgueilleuse de son passé, semble mal lutter contre le malaise économique et social, contre la clochardisation des chômeurs. Le spectacle qui déchire le voyageur à Calcutta ou au Caire, les mendiants, les hommes hâves et en guenilles, est maintenant monnaie courante à Londres, à cela près que le climat incite ces malheureux à se protéger dans des emballages en carton. Deux mondes coexistent : l’un n’ayant rien perdu de sa superbe ; l’autre au bord du désespoir. »
Est-ce le dépit qui, chez lui, provoque la distraction ? Il date du 1er novembre la floraison des affiches qui lancent : « Le beaujolais nouveau est arrivé ! » Et, parlant de la disparition des domestiques, il fait référence au film Les vestiges du jour en oubliant de préciser qu’il était tiré d’un admirable roman de Kazuo Ishiguro. S’il y avait pensé, cela lui aurait permis de mesurer aussi combien le cosmopolitisme, dans la foulée d’un empire britannique décomposé, avait investi la littérature, avec des effets aussi surprenants que réconfortants.



Au moment où Michel Déon publie son nouveau roman (La cour des grands, chez Gallimard), on a le plaisir de retrouver au format de poche deux autres fictions antérieures. C’est en effet toujours avec le même bonheur que ce narrateur brillant propose ses inventions où un brin de folie secoue l’apparent carcan d’une langue très classique.
Un déjeuner de soleil (1981) joue avec une fiction qui nourrit la fiction, avec un personnage d’écrivain – Stanislas Beren – qui est loin d’être une créature purement intellectuelle mais dont la personnalité et la vie sont ancrées dans un réel et un imaginaire savamment confondus. Michel Déon maîtrise l’illusion, et nous fait croire à tout.
Le jeune homme vert (1975) est peut-être mieux connu parce qu’il appartient à la grande période de succès de Michel Déon – il paraissait après Les poneys sauvages et Un taxi mauve. C’est un roman picaresque inspiré par la manière de faire de John Fielding, romancier anglais du XVIIIe siècle. Il plonge un jeune homme dans une grande aventure européenne de 1919 à la veille de la Seconde Guerre mondiale.



Les élans du cœur, Michel Déon connaît. Et en particulier ceux qui font naître l’émoi pour la première fois chez un jeune homme à qui la vie paraît tout promettre. L’âge de l’écrivain ne fait rien à l’affaire : La cour des grands est un roman sur ce registre. Encore, mais on ne le regrette pas un instant. D’autant que, quand même, l’auteur a assez vécu pour avoir les moyens de mettre ses histoires d’amour (celles qu’il invente, au moins) en perspective, dans un regard porté, des années après, sur ce qui est arrivé. « De cette chose impalpable, peut-être inexistante qu’est le passé, que gardons-nous ? A peine quelques mots dont nous ne savons plus s’ils ont été réellement prononcés ou si c’est nous qui les inventons dans le naïf désir de nous justifier, de croire que nous avons vraiment existé tel jour, telle heure cruciale dont le souvenir nous poursuit. »
Revenons en arrière, au début chronologique d’une histoire qui commence comme un rêve. En automne 1955, le jeune Arthur embarque à Cherbourg sur le Queen Mary pour poursuivre des études de droit des affaires aux Etats-Unis. Par la grâce d’un homme qui s’est penché sur son cas – par quel hasard ? –, il a obtenu une bourse qui lui autorise cette aventure. Mais l’aventure commence sur le paquebot, dans un no man’s land qui dure six jours. Les personnages principaux sont rassemblés là et se rencontrent pour la première fois : Arthur Morgan, donc, vingt-deux ans ; un trio étrange de jeunes gens composé de Getulio et de sa sœur Augusta, Brésiliens, et d’Elizabeth, Américaine née dans une famille d’émigrés irlandais ; Concannon, professeur dans l’université où Arthur suivra ses cours, brillant mais alcoolique ; et Allan Dwight Porter, conseiller spécial du président Eisenhower, le bienfaiteur à qui Arthur doit sa bourse.
Augusta et Elizabeth sont séduisantes, Arthur tombe sous leur charme sans effort, mais aussi sans être capable de faire un choix entre les deux. Elles semblent jouer devant lui une parade amoureuse qui ne les engage à rien, tandis que le jeune homme, pour sa part, se trouve pris dans un engrenage plus dangereux. Si détaché qu’il veuille être, il y laisse des morceaux de lui-même, son cœur ne résistant pas complètement aux propositions non dites qui lui sont faites.
Il ne s’agit donc pas seulement, pour Arthur, de quitter provisoirement un pays le temps d’en découvrir un autre. Il s’agit aussi de passer à l’âge adulte dans sa vie sentimentale, même si ce n’est pas facile. Et il s’agira, un peu plus tard, d’entrer dans la vie professionnelle par le biais d’un stage, toujours grâce à Allan Dwight Porter qui porte au jeune homme une confiance reposant sur une intuition. Celle-ci ne l’a pas trompé : Arthur se montrera digne des espoirs placés en lui.
Mais ses aventures le troublent sans cesse, partagé qu’il est entre Elizabeth et Augusta. Elles se donnent et se refusent, se font complices et concurrentes, changeant d’attitude à son égard en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire.
Tout cela, à la fin des années cinquante, se déroule dans un monde où tout semble permis, les pires outrances comme les projets les plus fous. Getulio, en particulier, incarne avec son tempérament de joueur et de flambeur une certaine idée de l’Amérique à laquelle Arthur devra bien, d’une manière ou d’une autre, s’habituer. Un soupçon de cynisme cohabite donc avec, malgré tout, de la fraîcheur d’âme. Et que l’un n’empêche pas l’autre ne devrait pas nous surprendre puisque Michel Déon est de ceux qui ouvrent, dans les personnalités, des abîmes effrayants.
D’abîme, il en est encore question lorsque, tout à la fin du roman, Elizabeth cite à Arthur cette phrase de Stendhal : « L’amour est une fleur délicieuse, mais il faut avoir le courage d’aller la cueillir sur les bords d’un précipice. »
La cour des grands – investie par Arthur presque malgré lui – n’est pas le meilleur roman de Michel Déon. Il n’empêche : bien d’autres écrivains pourraient se contenter d’avoir donné, avec une telle sûreté de trait, de pareils moments de romanesque pur.

Madame Rose (réédition 2000)


Madame Rose est une vieille dame indigne du meilleur cru. Elle a tout vécu, connu le grand monde, joyeusement éparpillé sa vie avant de se retrouver, malade et handicapée, à raconter ses souvenirs au jeune cousin Gaston. Des souvenirs dont elle possède plusieurs versions, et que peut-être elle invente au fur et à mesure, au moins en partie. Entre son serviteur indien, son chauffeur voyou et son affriolante dame de compagnie canadienne, Madame Rose donne des coups de pied moraux  - au physique, elle n’en est plus capable – dans les convenances. Et Michel Déon s’amuse, comme il nous amuse, à égrener ces hauts faits d’une vie amoureuse très pleine.
En contrepoint, Gaston se cherche, croit trouver une femme, mais elles sont trois et son père, ministre, connaît très bien l’une d’elles. Un siècle de dévergondage, sur quoi est-ce que cela débouche ? Sur un roman comme celui-ci…

La chambre de ton père (réédition 2005)

La mémoire des lieux est à la fois puissante et pleine de trous. Edouard garde l’étonnant souvenir d’un appartement que la famille a quitté quand il avait… un an ! Et d’autres images constituent le puzzle incomplet d’une enfance déroulée à petite vitesse. S’y ajoutent des personnages hauts en couleurs, parmi lesquels les parents ne sont pas les moins spectaculaires. Une éducation s’écrit ainsi, constituée de règles et de transgressions, de secrets partagés, de rêves inaboutis. On exagérerait en disant que Michel Déon est ici à son meilleur. Son écriture possède néanmoins, comme toujours, un charme fou qui agit avec efficacité. Et fait traverser ces pages comme si on retrouvait dans le personnage un vieil ami longtemps perdu de vue.

Cavalier, passe ton chemin (réédition 2007)

L’Irlande de Michel Déon est pleine de fantômes. Des fantômes très vivants. Leur stature est celle de personnages romanesques, sur une terre propice à la confusion entre la réalité et la fiction. « Un voyageur du XVIIIe siècle s’émerveillait déjà de l’art avec lequel les Irlandais se moquent de la réalité. » Comme ils ont, en outre, le « don du bagout » pour imposer leur point de vue, ils émerveillent l’écrivain. Nous aussi. Chaque rencontre est une découverte. Et leur succession, un défilé d’instants magiques. Grâce, bien entendu, au sens aigu du trait vif dont Michel Déon a fait un peu sa marque de fabrique. Son livre a un atout supplémentaire : contrairement au pays, il ne mouille pas.

Tout l’amour du monde (réédition 2011)

Dans les années 50, Michel Déon voyage, se regarde voyager et se raconte. Il court un peu trop vite et doit forcer le trait pour chercher un peu d’originalité, qu’il ne trouve pas souvent. Dans la succession de clichés alignés par un jeune homme amoureux de la vie encore plus que des femmes, quelques pages, ici et là, émergent. Mais on est trop loin du meilleur de l’écrivain pour éprouver autre chose que de la déception.

jeudi 14 juillet 2016

En rayon et en roue libre, Antoine Blondin au Ventoux

On ne pouvait pas ne pas le ressortir du rayon, d'autant que plusieurs rééditions récentes ont remis Antoine Blondin en selle. 
Jusqu'en haut du Ventoux?
Pas tout à fait, cet après-midi, pour les coureurs du Tour de France, puisque le vent amputera l'ascension de quelques kilomètres. Les maillots aux couleurs diverses ne s'en plaindront pas, sauf peut-être un râleur, autre manière de dire mauvais perdant.
La légende du sport cycliste s'enrichira, ou non, d'une nouvelle page aujourd'hui. Et on reviendra encore, chaque année, à cette autre légende qu'est Antoine Blondin dont un article recueilli dans Sur le Tour de France évoque - il n'était pas possible de le contourner - le mont Ventoux.
Parmi les terrains de haute compétition proposés à l’effort cycliste, le Ventoux, comme d’ailleurs le puy de Dôme, est de ceux dont l’action se traduit non seulement par une incidence mécanique, mais par la puissance obsessionnelle de leurs envoûtements. Peu de souvenirs heureux s’attachent à ce chaudron de sorcière (en relief) qu’on n’aborde pas de gaieté de cœur. Nous y avons vu des coureurs raisonnables confiner à la folie sous l’effet de la chaleur et des stimulants, certains redescendre les lacets alors qu’ils croyaient les gravir, d’autres brandir leur gonfleur au-dessus de nos têtes en nous traitant d’assassins.
Ce jour-là, Tom Simpson était mort...

dimanche 19 octobre 2014

Vacances mouvementées à Cancun

Maximilien, 41 ans, est à Cancun. Seul, alors que Virginie aurait dû l’accompagner. Elle l’aurait fait s’il n’avait pas couché avec une strip-teaseuse lors d’un déplacement au Festival de Limoges où il a reçu le prix Léo-Malet du meilleur scénario de téléfilm policier. Vacant plus encore qu’en vacances, Maximilien rencontre Pom, une ex par ailleurs ex-amie de Virginie. Elle n’est pas seule, son mari l’accompagne. Mais il est resté dans sa chambre pour lire ses emails et ne les rejoindra que plus tard pour aller manger, après qu’ils ont déjà bu quelques verres et que Maximilien a été engagé comme traducteur par un Américain. L’ivresse aidant, l’occasion faisant le larron, Pom et Maximilien se retrouvent dans les toilettes pour un petit coup vite fait, histoire de ranimer des souvenirs.
Alcool, sexe, exotisme, sur quelle pente Patrick Besson nous entraîne-t-il dans Puta madre, servi par son habituelle écriture décontractée et son art de faire surgir les situations incongrues comme si elles appartenaient naturellement à sa vie quotidienne ? Mais nous n’en sommes qu’au début et les vrais ennuis vont commencer, sur un rythme soutenu qui entraîne Maximilien – le prénom, celui d’un empereur, n’est pas facile à porter au Mexique – dans d’improbables aventures. Il ne comprend pas grand-chose à ce qui lui arrive, sinon qu’il est manipulé et se laisse faire. Tout cela va trop loin, bien sûr, mais on y va comme on boit trop de tequila, et tant pis pour ce qui arrivera.
En guise de conclusion, cette affirmation qui est, en réalité une énigme – ou une clé : « Les criminels sont des poètes, car les poètes sont des criminels. Où Maximilien avait-il lu cette phrase ? Chez un écrivain mexicain. Ou espagnol. Peut-être pendant la partie de l’année où il avait vécu à Barcelone : 1991. »

vendredi 15 août 2014

Vers la rentrée (16) avec Bruno Deniel-Laurent

Voici un premier roman qui ne mérite pas le sort réservé à des ouvrages sur lesquels Bruno Deniel-Laurent a réalisé un film documentaire: On achève bien les livres, où les livres ne dansent pas, était consacré au pilon - une tuerie, au sens propre et au sens figuré. Dušan, le personnage principal, est aussi celui qui donne son titre au livre: L'idiot du Palais. Le Palais est l'enclave parisienne d'un émirat pétrolier. L'idiot est un agent de sécurité qui a abdiqué toute liberté et qui se rebiffe.

L'idiot du Palais, selon son éditeur

On l’appelle le Palais. C’est une prison dorée des beaux quartiers de Paris. Originaire de Serbie, Dušan vient d’y être recruté comme agent de sécurité. Au service de la Princesse, il passe son temps à attendre, simple figurant d’une farce où se mélangent le protocole et les caprices. 
Lorsque le Prince débarque sans préavis des États-Unis, Dušan endosse un nouveau rôle. Le «docteur» Élias, âme damnée des lieux, lui confie la mission délicate de pourvoir aux fantasmes du Prince. C’est ainsi qu’il recrute Khadija sur les boulevards extérieurs. Il ne sait pas qu’en la ramenant au Palais il va signer sa propre perte. Et retrouver le goût de la liberté.

L'auteur, Bruno Deniel-Laurent

Né en Mayenne angevine en 1972, Bruno Deniel-Laurent vit à Angers. Rédacteur en chef de feu la revue Cancer! Collaborateur de Schnock et de La Revue des Deux Mondes, il est l'auteur d'un essai littéraire sur sa province natale, L'Anjou en toutes lettres (Siloë, 2011) et de Éloge des phénomènes (Max Milo, 2014). Par ailleurs, il a co-réalisé Cham, un film documentaire sur le génocide des musulmans du Cambodge et réalisé On achève bien les livres, consacré au pilon.

Les premières lignes

La Princesse sortit à cinq heures.
L’opérateur du Palais diffusa la nouvelle et des arrière-cuisines aux avant-postes, ce fut une même indicible pensée: «Bon débarras».
Dušan sortit un stylo de sa veste sombre et ajouta sur la main courante du poste de sécurité une ligne supplémentaire: 17h03 sortie A2 + madame rachel + major othman.
Bâti dans les premières années du XXe siècle, le Palais est à mi-chemin de la synagogue Émile Uhlmann et du square Monfreid. Engoncé entre deux façades haussmanniennes, il impose aux passants sa bedaine de béton blanc vaguement ronde et faussement grandiose, un Taj Mahal sans forme, substance ni destination, inscrit dans un réseau de résidences princières étalées entre les États-Unis, l’Europe et l’émirat d’Oukbahr. Sept plans superposés, depuis la piscine en marbre noir du sous-sol jusqu’à la suite labyrinthique du cinquième étage réservée à la Princesse; des jardins tirés au cordeau; trois ou quatre mille mètres carrés de salons, de suites et de corridors noyés sous une même débauche de toc, de stuc, de tentures adipeuses; des ascenseurs empestant la friture et le safran, pourris par le parfum des gouvernantes et les fumigations d’encens.

samedi 2 août 2014

14-18, une anthologie chronologique (1)

La mobilisation générale est décrétée en France le 1er août, en même temps qu'en Allemagne. Pierre Loti percevait depuis une semaine des bruits de guerre avec l'Allemagne. Le changement d'atmosphère est brutal après les premiers moments du retour à Rochefort où il est arrivé dans la nuit du 17 au 18 juillet : il avait reçu avec joie, glaces et champagne les aspirants de la Marine avant d'accueillir le commandant de leur école, sa famille et les officiers.
Samedi 1er août. – La guerre !... Depuis deux semaines, on vivait dans l’angoisse de son attente, avec l’espoir quand même. Et maintenant ce cauchemar des nuits est devenu la réalité. Et ce sera une guerre d’extermination, la plus atroce qu’on ait jamais vue.
Temps accablant d’orage, sous un ciel noir. Samuel rentre le soir du Bertranet pour rallier son régiment.
À 9 heures, une grande retraite en musique parcourt les rues, toutes les troupes, tous les matelots, tous les réservistes, toute la foule. Tout cela défile interminablement sous le ciel chaud et noir, et la pluie d’orage. Nous allons, Samuel et moi, le voir passer. On chante La Marseillaise, on danse, on jette les chapeaux en l’air, on crie : à Berlin ! La joie et l’enthousiasme vont au délire.
Dimanche 2. – Grand calme et silence dans la maison ; il ne semble pas que ce soit possible, ce qui nous attend demain.
[…]
Après dîner, nous allons une dernière fois fumer une cigarette à la fenêtre de mon cabinet de travail, – et on se dit que ce sera peut-être la dernière fois de la vie...
Pierre Loti, Soldats bleus : Journal intime 1914-1918. La Table Ronde, 1998, nouvelle édition 2014
La nouvelle survient parfois à des moments incongrus. Ce jour-là, Célestin Louise, policier parisien, était en planque dans le septième arrondissement depuis six heures du matin pour arrêter Octave Chapoutel, un cambrioleur. Le devoir accompli, non sans mal, il ne lui reste qu'à emmener son prisonnier au Dépôt. Mais le cocher du fiacre qu'il a hélé boulevard Raspail a, lui, eu le temps d'être renseigné. Dans ces circonstances, l'arrestation d'un malfaiteur devient anecdotique.
— Vive la France ! lança le cocher en s’arrêtant devant ce drôle de couple que formaient le jeune policier et son prisonnier.
Célestin le regarda en fronçant les sourcils.
— Qu’est-ce qu’elle a de spécial, la France, aujourd’hui ?
— Vous n’avez pas lu les journaux du matin, monsieur ? La mobilisation générale a été décrétée.
Disant cela, le cocher attrapa un journal calé derrière le dossier de son siège et le lança à Célestin. Celui-ci poussa La Guimauve à l’intérieur du fiacre et grimpa près de lui.
— Au Dépôt !
Tout en surveillant du coin de l’œil le cambrioleur qui s’était affalé sur son siège, Célestin parcourut la une du « Petit Parisien » : l’Allemagne a lancé un ultimatum à la France et à la Russie, les sommant de ne pas mobiliser.
— Les cons ! murmura Célestin.
Par la fenêtre, le policier aperçut des colleurs d’affiches apposant sur les murs d’un bâtiment officiel le fameux décret de mobilisation générale qui, parfois, était écrit à la main. Le gouvernement avait choisi la guerre. Avait-il seulement eu le choix ?
Thierry Bourcy, La cote 512. Nouveau Monde, 2005
Dans la campagne dont il est question ici, la nouvelle arrive le lendemain. L'ordre est affiché sur le panneau de la mairie, à côté des tarifs de la balance municipale. La nouvelle tombe mal, mais à quel moment serait-elle bien tombée ? Il reste à dresser les meules de paille, puis il faudra s'occuper des betteraves sans oublier, jour après jour, de soigner les bêtes. Si les hommes partent à la guerre, les femmes devront tout prendre en charge, aux champs comme aux étables.
Le tocsin cueille Gabriel dans la cour de la métairie. Le temps est splendide en ce premier dimanche d’août 1914. La campagne est immobile, écrasée de soleil, semblable à une bête étalée de tout son long, économe de ses gestes, figée sous la canicule. La récolte de blé est rentrée, Gabriel en éprouve de la gaîté ; aussi la cloche le prend-elle au dépourvu. Le moment de stupeur passé, il se met à courir, ses sabots sonnent sur la terre battue, desséchée et dure comme pierre. Il n’a pas franchi la barrière rarement close qu’Alexandrine surgit à ses côtés d’il ne sait où, les traits brouillés par les rumeurs des derniers jours.
Pour l’attendre Gabriel ne court plus, et ils hâtent le pas en direction de l’église et du tambour du garde champêtre qui retentit à son tour. C’est donc que tout ça est grave. Devant l’école communale qui abrite la mairie, la population du village au complet, générations confondues, est rassemblée. Soit deux douzaines d’âmes.

Didier Desbrugères, Limon. Gaïa, 2014

samedi 24 mai 2014

Jean-Claude Pirotte a laissé «cet encombrant fardeau d'os d'humeur et de chair»

Bien sûr, je savais qu'il n'allait pas bien. Même ses livres, en particulier le dernier, Brouillard, le laissaient entendre. Mais je fréquentais son oeuvre depuis si longtemps que je m'attendais à recevoir encore pendant des années une de ces enveloppes contenant un autre ouvrage de Jean-Claude Pirotte et portant sa signature: une aquarelle, qui permettait de savoir, avant même d'ouvrir, de qui venait l'envoi.
Donc, voilà, dans le combat entre le cancer et Jean-Claude Pirotte, qui était né en 1939, c'est le cancer qui a gagné. Salaud de cancer.
Je ne me sens pas le cœur de retracer, ce soir, sa vie et sa carrière. Voici, simplement, les trois derniers articles que j'ai écrits sur lui, ou plutôt sur ses publications les plus récentes. Vous trouverez de précédentes notes de blog (l'une d'elle recoupant partiellement celle-ci) en suivant ce lien.

Ajoie (2012)

Poète migrateur plutôt que voyageur, Jean-Claude Pirotte se pose là où l’appelle le souffle du vers. Cette fois, saint Fromont l’a requis sur le plateau de l’Ajoie, dans le Jura suisse. Ne cherchez pas Fromont dans le calendrier : il n’existe que dans la tradition populaire et dans un livre de Pierre-Olivier Walzer, pas dans la liste officielle de l’Eglise. Voilà qui plaît à un écrivain peu soucieux de respecter les normes et dont le pas marque les territoires successifs. Ceux-ci ont néanmoins tous en commun d’être traversés par une poésie d’apparence familière dans laquelle l’ironie douce fait merveille quand il fait rimer, par exemple, « milan » et « mille ans », bien que ce soit davantage : « mais il fallait une rime / et rimer n’est pas un crime / ça fait partie du décor ».

Le décor, vivant et scruté par un œil attentif, habite les pages. Les époques se superposent avec le passage des peuples qui, au fil du temps, se sont succédé au pays de l’Ajoie. Dont Jean-Claude Pirotte précise rapidement, afin que le doute ne soit pas permis, que le nom n’est pas construit avec un alpha privatif (ce qui signifierait « absence de joie ») mais qu’il est « l’Ajoie comme la joie ». Teintée parfois, cependant, d’une réflexion sur l’âge, entre mélancolie et soulagement : « l’heure vient d’échanger contre un corps volatil / cet encombrant fardeau d’os d’humeur et de chair ».

Vaine pâture (2013)

Les poèmes de Jean-Claude Pirotte suivent le fil des jours. Ils se disent le résultat de ce qui reste d’une année et qui « tient en ces pages griffonnées ». Le titre trouve sa signification dans un Projet de code rural de 1868, cité en fin de volume : « Les vaines pâtures sont les grands chemins, les prés après la fauchaison, les guérets ou terres en friche, et généralement tous les héritages où il n’y a ni semence ni fruit, et qui, par la loi ou l’usage du pays, ne sont pas en défends. » Même sans tout comprendre de ce langage administratif, on voit comment les mots de l’écrivain s’octroient des espaces de liberté où seule la beauté des images est la règle.
Avec, quand même, les balises, à moins qu’il s’agisse au contraire des encouragements à aller plus loin, grâce à des auteurs appartenant depuis longtemps à la galaxie dans laquelle Jean-Claude Pirotte trace sa route. Prudent, il écrit, sans citer de noms : « je citerai parmi mes contemporains si proches / un tel un tel autre et puis lui / et lui aussi j’en oublie j’en oublie ». Mais les noms sont dans les marges d’une page « avec » André Frénaud, T.S. Eliot, ou André Dhôtel, dans une citation d’Henri Thomas, d’Armen Lubin, de Pierre Morhange… Pirotte lit encore plus qu’il n’écrit, et ses lectures éveillent sans cesse des échos d’une œuvre à une autre, courant en surface d’un territoire qu’ils irriguent aussi en profondeur.
Poète des villes et des champs, Jean-Claude Pirotte dessine au ciel les vols de corbeaux autant que sur terre les chemins des campagnols, aperçoit la rencontre fugitive d’un merle et d’une pomme, voit les toits blanchir ou bleuir, retrouve en tout une âme d’enfant qui connaît l’art de vieillir. Il y a de la pensée magique dans Vaine pâture, mais elle se tient à hauteur d’homme, avec les doutes qui l’accompagnent : « si je suis un poète / (ce qui n’est pas démontré) »
Vent et poussière, paroles qui ne font que passer mais déposent, en petits tas, des suppléments de vie que seul connaît le poème.

Brouillard (2013)

Truquer les livres, écrit Jean-Claude Pirotte dans les premières lignes de Brouillard, ce n’est pas difficile : « il suffit d’antidater, de postdater, de ne pas dater, de n’inscrire que ce que l’on veut, de brouiller les chiffres, de dénaturer le réel. » Cela va d’ailleurs de soi : « Le seul fait d’écrire dénature, on ne le sait que trop. » Nous sommes prévenus, pas question de prendre au pied de la lettre les carnets d’autrefois retrouvés et aujourd’hui commentés, prolongés, pour leur donner un semblant de cohérence. Un semblant seulement. La maladie gagne, et il n’est plus temps de jouer à être autre chose qu’un poète qui, en prose, tisse de légères toiles d’araignées sensibles au moindre souffle d’air. A l’animal qui réalise ces miracles d’équilibre, le narrateur rend un hommage appuyé : il sait combien le patient travail de l’écrivain ressemble à celui de l’araignée, et tant mieux si le résultat en possède quelques qualités.
Pour le dire simplement, il en possède beaucoup, de ces qualités. La moindre n’est pas de se fixer sur les supports les plus improbables – des carnets, ou ce qu’il en reste, car beaucoup ont été détruits lors d’épisodes qui sont rapportés – et de bâtir néanmoins ce récit qui traverse l’air comme une évidence. Il y a la trame principale et les détails qui la renforcent. Un étrange mariage, assez en accord avec une existence toute de révolte et dans les marges, pourrait être la structure du roman, avec des zones d’ombre creusées, pour échapper aux lourds secrets de famille, à proximité de la pègre et des pans de lumière apportés par le sourire d’une petite fille.
L’ancrage est aussi géographique et les lecteurs de Jean-Claude Pirotte retrouveront des lieux qui leur sont familiers à partir desquels l’écrivain fait le grand écart : la Hollande (en vélo) et la Bourgogne (dans les verres). D’une vie qu’il dit « dérisoire » mais aussi « tout simplement belle », le narrateur retrouve les vestiges et leur donne une forme à travers la fiction. De nombreux fantômes habitent cette fiction peuplée d’ombres, à commencer par l’ombre de celui qui l’écrit, posée sur d’autres textes familiers qui constituent eux aussi une géographie intime plus vraie peut-être que la vie elle-même : un viatique formé d’une constellation littéraire que Pirotte et le narrateur qui est son double ne cessent d’arpenter.
Jean-Claude Pirotte est un aquarelliste dont les traits de couleur ne cachent jamais tout à fait ceux qui ont déjà été posés par-dessous. La lumière et la transparence créent un léger effet de flou à travers lequel le réel ne cesse d’apparaître et de disparaître – ce mot, hors une citation d’Evariste de Parny qui en prolonge l’écho, est le dernier du livre.

lundi 4 novembre 2013

Le prix Renaudot à Yann Moix

Désolé, ce n'est pas par moi que vous saurez ce qu'il faut penser du Prix Renaudot de cette année. Je n'ai pas lu Naissance, de Yann Moix. Moins à cause du nombre de pages de ce roman monstrueux que du temps qu'il fallait y consacrer - et de tous les autres livres qui attendaient...
Six voix l'ont élu au premier tour.
On se contentera donc, pour une fois (et en attendant sa réédition au format de poche, moment où certainement je m'y remettrai), de la présentation de l'éditeur:
Ce roman est si particulier, si original, si multiple, qu’il sera préférable de le présenter pédagogiquement, et point par point… 1/ Ce roman s’intitule donc Naissance et il est gros, voire «hénaurme». Il est gros, et non pas gras. L’auteur précise: «ce livre est gros comme une femme enceinte de neuf mois». 2/ Ce roman raconte comment son narrateur est venu au monde: il naît, déjà circoncis, dans une famille qui ne veut pas de lui. Ses parents lui font recoudre un prépuce - mais le mal est fait : ce personnage sera, en permanence, un bouc-émissaire. 3/ Roman d’initiation, Naissance raconte comment un enfant devient peu à peu, à l’insu de sa famille, un écrivain. Rejeté par sa famille, il sera influencé en ce sens par un personnage incroyable, un certain Marc-Astolphe Oh, hurluberlu hilarant et collectionneurs de… collections. 4/ Ce roman contient et prolonge tous les précédents livres de Yann Moix: Jubilations vers le ciel pour l’enfance; Les cimetières sont des champs de fleur pour la folie; Anissa Corto pour les sentiments; Podium pour la province et la vie française des années 1970; Partouz pour la mystique et pour Charles Péguy; Panthéon pour l’enfance maltraitée; Mort et vie d’Edith Stein pour ses pages sur le judaïsme et le christianisme. Naissance est le roman de tous les romans de Yann Moix. 5/ Naissance est aussi un hommage absolu à la littérature. Il contient des chapitres sur Stendhal, Faulkner, Gide, Georges Bataille. Il insiste également, et ceci est en rapport avec cela, sur la mort de Charles Péguy et celle de Brian Jones. 6/ Ce livre évoque aussi les milieux de l’édition dans les années 1970. Ledit Marc-Astolphe Oh, auteur d’un Que sais-je? sur la photocopie et la reprogravure, est désireux de se faire éditer chez Grasset. Il passe par Franz-André Burguet, venu écrire l’un de ses romans à Orléans, et qu’il harcèle pour que ce dernier lui présente Jean-Claude Fasquelle (autre personnage du roman). 7/ On l’aura compris : ce roman est fou, désopilant, grave, métaphysique, étincelant, loufoque, rabelaisien. Naissance sera… l’heureux événement de la rentrée !
Je n'ai pas lu davantage (pas de chance, j'avais lu les deux autres sélectionnés) le dernier livre de Gabriel Matzneff, Séraphin, c'est la fin!, Prix Renaudot essai avec sept voix. Voici comment l'auteur le présente lui-même:
La liberté n'est jamais acquise, elle est une perpétuelle reconquête. Quand je vois l'imbécile "nouvel ordre mondial" prôné par les pharisiens glabres d'outre-Atlantique et les excités barbus d'Arabie (qui, les uns et les autres, prétendent régenter nos moeurs, nous dicter ce que nous devons penser, croire, écrire, manger, fumer, aimer) étendre son ombre sur la planète, j'ai l'impression d'avoir labouré la mer, écrit et agi en vain. 

Pourtant, je m'opiniâtre. Qu'il s'agisse de la résistance au décervelage opéré par les media, de la résistance à l'omniprésente vulgarité des mufles, de la résistance aux prurigineux anathèmes des quakeresses de gauche et des psychiatres de droite, Séraphin, c'est la fin !, où sont assemblées des pages écrites de 1964 à 2012, témoigne que je demeure fidèle aux passions qui ont empli ma vie d'homme et inspiré mon travail d'écrivain; que, jusqu'au bout, je persiste dans mon être.
Enfin, pour compléter ce jour de guigne, il faudra aussi passer par l'éditeur pour présenter le Prix Renaudot poche, Le Pérégrin émerveillé, de Jean-Louis Gouraud:
Le 1er mai 1990, Jean-Louis Gouraud quitte la région parisienne avec deux chevaux et entame un voyage qui va l'amener jusqu'à Moscou après avoir parcouru 3 333 kilomètres en soixante-quinze jours. Arrivé à destination le 14 juillet, il est le premier Occidental autorisé à entrer à cheval en Union soviétique. En vingt ans, Gouraud a souvent refait le voyage, revu ceux qui l'avaient accueilli lors de son premier parcours et surtout pris la mesure de changements majeurs: l'Allemagne est aujourd'hui réunifiée, la Pologne intégrée à l'Union européenne, et l'URSS a été remplacée par des républiques qui ne croient plus au communisme... Mais, au-delà du politique, qu'est-ce qui a vraiment changé? C'est l'une des questions auxquelles se confronte l'auteur qui, aidé de ses nombreuses notes, déploie un voyage insolite, où la multiplicité des paysages égale la densité des rencontres, et livre, en même temps qu'une réflexion sur le temps et l'espace, le portrait d'un empire où en chaque homme sommeille un cosaque. Les voyages de Jean-Louis Gouraud l'ont amené à découvrir un texte étrange du célèbre et sulfureux Raspoutine, qui fut lui aussi un pérégrin. Il en est donné ici la première traduction en français.

lundi 8 mars 2010

Foire du Livre : Alice Déon, PDG de La Table ronde

Fondée en 1944, par Roland Laudenbach, La Table ronde est une maison d'édition qui semble se porter plutôt bien et appartient à Gallimard. Alice Déon en est devenue PDG quand Denis Tillinac s'est retiré, fin 2007. Elle connaît bien le catalogue, puisqu'elle était auparavant directrice littéraire. Et, la semaine dernière, elle a, comme d'autres, fait le déplacement de Bruxelles.

Que représente une manifestation comme la Foire du Livre de Bruxelles pour un éditeur parisien?

La Belgique étant un pays francophone où nos livres sont diffusés, la Foire du Livre de Bruxelles est un rendez-vous tout aussi significatif que le Salon du Livre de Paris et permet des rencontres entre lecteurs, éditeurs et auteurs.

Votre maison est fidèle à quelques écrivains belges contemporains, je pense en particulier à Jean-Claude Pirotte ou à William Cliff. Leur origine joue-t-elle un rôle dans le choix que vous faites de suivre leur travail?

Non, en aucun cas. Nous ne les considérons pas comme des écrivains belges mais comme des écrivains tout court. Il en était de même pour Pol Vandromme dont la Table Ronde a publié une dizaine d’ouvrages.

Quel intérêt particulier avez-vous à développer de front deux noms de maison d’édition, ce qui vous conduit à différencier les traductions de la littérature écrite en français?

Quai Voltaire n’est en fait plus une maison d’édition, le nom n’est plus qu’une “marque” rachetée en 1996 par la Table Ronde qui a choisi de baptiser ainsi sa collection de littérature étrangère. C’est donc aujourd’hui un nom de collection, au même titre que “du Monde entier” chez Gallimard, ou “Pavillons” chez Laffont.


Cette note de blog clôt la série consacrée à la Foire du Livre de Bruxelles - plus d'une vingtaine d'interventions, ce qui m'a presque donné l'impression d'y être!

mardi 26 mai 2009

Avec vue sur la rentrée littéraire (9) - La Table Ronde

La promenade anticipée se poursuit, et pour un bon moment encore, avec quatre romans au programme de La Table Ronde.

Julie Jézéquel, Retour à la ligne (27 août)

Clara Tallane, scénariste de télévision reconnue et appréciée, est bannie du milieu audiovisuel après avoir retourné un bureau sur les genoux d’une conseillère de programmes. Ce crime de lèse-majesté lui vaut une longue traversée du désert. Pour continuer à assumer confortablement l’éducation de son fils de quinze ans qu’elle élève seule, elle décide de proposer, par le biais d’Internet, ses services de nègre. Son premier client, directeur d’une fabrique d’outillage industriel, lui demande de lui inventer une vie. Pourquoi ? Pour qui ? Et surtout, de quelle vie peut bien rêver cet homme froid et taciturne, à mille lieues des fantasmes de Clara ?

Née en 1964 à Boulogne-Billancourt, Julie Jézéquel est comédienne et scénariste. Elle a joué dans une cinquantaine de films et téléfilms. Elle est l’auteur de douze scénarios pour la télévision. Elle vit actuellement en Dordogne avec son mari et ses trois enfants. Retour à la ligne est son premier roman.

Carol Ann Lee, La rafale des tambours (27 août)

Le 11 novembre 1920, le corps du Soldat Inconnu est mis en terre à l’abbaye de Westminster à Londres. Parmi ceux qui assistent à la cérémonie – qualifiée par le Times de «plus grande effusion de larmes que l’Angleterre ait jamais connue» – figure Alex Dyer. Il a dû désigner, parmi des corps trouvés sur les principaux champs de bataille, celui qui incarnerait les millions d’hommes morts sur le front pour leur patrie. Mais ce n’est pas le hasard qui lui a dicté son choix. Et ce Soldat Inconnu, lui seul sait qui il est.
The Winter of the World retrace l’histoire de trois personnes emprisonnées dans le cauchemar du conflit et de ses interminables conséquences: le journaliste Alex Dyer, son ami d’enfance Ted Eden, et Clare Eden, que Ted a épousée lors d’une permission juste après l’avoir rencontrée. Alex aime Ted comme son frère, mais Clare lui inspire une passion à laquelle ni lui, ni elle ne vont résister.
Ce premier roman est une évocation subtile et prenante des ravages que causent la guerre, l’amour et le remords.

Carol Ann Lee est née en 1969 en Angleterre, dans le Yorkshire. Diplômée en architecture et en histoire de l’art, elle vit à présent à Amsterdam. Elle est l’auteur de Anne Frank, les secrets d’une vie (Laffont, 1999) et de Otto, père d’Anne Frank (Ramsay, 2006) tous deux traduits en quatorze langues. Elle a aussi publié trois livres pour enfants.
Traduit par Jean Esch (Collection Quai Voltaire)

Lucien Suel, La patience de Mauricette (3 septembre)

«J’ai écrit beaucoup de pages, mais je n’arrive pas à suivre. Je sais trop de choses. Je ferme comme un robinet devant mes yeux.Trop de choses qui me font peur. Je dois raccommoder mes nerfs. La Lys me suit après Haverskerque Armentières à travers Comines pour aller dans la mer. L’eau revient dans les nuages. Mon petit Émile tombe dans la pluie. Ici c’est ma peine. Je l’accomplis.»

Mauricette Beaussart, 75 ans, a disparu de l’hôpital où l’on soigne sa santé mentale. Son ami Christophe Moreel entreprend de la retrouver. Au fil de sa quête, le passé et le présent de Mauricette s’entrecroisent, tissant peu à peu le portrait d’une femme riche de ses grandes souffrances et de ses petits bonheurs.

Lucien Suel est né en 1948 dans les Flandres artésiennes où il vit toujours. Éditeur de la revue The Starscrewer, consacrée à la poésie de la Beat Generation, puis du magazine «dada punk» La Moue de Veau, il anime aujourd’hui le blog Silo et la Station Underground d’Émerveillement Littéraire. Il est l’auteur de nombreux ouvrages de poésie.
Publié à La Table Ronde en novembre 2008, son premier roman, Mort d’un jardinier, a été salué par la critique.

Alison Goodman, Eon, le douzième dragon (3 septembre)

Depuis des années, Eon, douze ans, s’entraîne au maniement de l’épée et étudie l’astrologie pour devenir Œil du Dragon: son vœu le plus cher est de devenir l’apprenti d’un des douze Dragons qui gouvernent l’énergie présente en toute chose.
Mais Eon possède un terrible secret: en réalité, il s’appelle Eona. Cette fille de seize ans a résolu d’apparaître sous les traits d’un garçon parce que la Magie du Dragon est strictement interdite au sexe feminin. Si l’on découvre sa véritable identité, elle mourra.
Voici que le secret d’Eon est sur le point d’être percé à jour. Dès lors, elle et ses alliés encourent de graves dangers. C’est le début d’un combat sans merci pour le trône impérial. Eon est condamnée à trouver l’énergie et la force de combattre ceux qui veulent s’emparer de ses pouvoirs…et de sa vie.

Née en 1966 à Melbourne, en Australie, Alison Goodman s’est vu décerner en 1999 une bourse d’écriture par l’université de Melbourne. Son premier roman, Singing the Dogstar Blues (1998) a reçu de nombreux prix en Australie et a été traduit dans plusieurs pays. Elle a ensuite publié en 2002 un roman policier, Killing the Rabbit, dont l’édition américaine est parue en juillet 2007. Sorti en Australie en 2008, Eon, le douzième dragon a déjà été vendu dans treize pays.
(Traduit de l’anglais par Philippe Giraudon)