mercredi 29 septembre 2010

Un mensuel électronique gratuit sur les nouveautés au format poche


Ah! les collections de poche! Je pourrais vous en parler pendant des jours. Comment j'ai découvert avec elles, grâce à leurs prix modérés, le bonheur de posséder des textes que j'aimais et qui ne m'étaient accessibles qu'en bibliothèque. Le plaisir que j'ai eu à travailler dans une librairie qui mettait son point d'honneur à proposer tous les ouvrages disponibles de toutes les collections de poche. La fierté d'appartenir, comme auteur et éditeur, à une maison spécialisée dans ce format. Pourquoi il me semblait essentiel, il y a plus de vingt ans, d'intégrer aux pages littéraires du Soir des articles sur les poches - la chronique a plusieurs fois changé de forme, mais elle y a toujours sa place aujourd'hui. Le passage au blog avec Les poches sous les yeux, pour Livres Hebdo, dont la matière a été depuis réintégrée ici...
Tout cela témoigne, me semble-t-il, de mon intérêt pour cette part de l'édition trop négligée par la presse - surtout au regard de ce qu'elle représente pour les lecteurs.
Aujourd'hui, j'ai décidé d'aller plus loin.
Je lance C'est dans la poche, un mensuel électronique gratuit consacré aux nouveautés parues en poche.
Le premier numéro est disponible. Après la couverture, que vous avez pu voir (et admirer, j'espère) ci-dessus, voici un aperçu réduit des 24 pages qui suivent.


Publiez sur Calaméo ou explorez la bibliothèque.

Pour charger et lire le magazine, deux adresses sont actives actuellement - il s'en ajoutera peut-être d'autres: chez Calaméo ou Scribd.
Bonne lecture. N'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez...

mardi 28 septembre 2010

J -1 : demain, c'est dans la poche !


Plus qu'une fois dormir, et vous pourrez découvrir ce... euh... cette... chose qui se cache encore derrière l'image.
Je peux déjà vous confier qu'il s'agira d'un premier rendez-vous, et que celui-ci sera mensuel.
A demain, donc.

lundi 27 septembre 2010

Une surprise à J -2


Je vous prépare quelque chose de totalement inédit. Avec l'espoir de vous faire plaisir et de vous fournir de la lecture en abondance.
Un peu plus de renseignements ici même demain - mais pas trop, sinon, ce ne sera plus une surprise!

dimanche 26 septembre 2010

Challenge Maigret (5) : Maigret et la vieille dame

Suite du challenge Maigret, le feuilleton dominical qui se prolongera encore pendant deux mois...

La colère du commissaire
Maigret et la vieille dame (1950)

Le commissaire Maigret n'aime pas qu'on se moque de lui. A la fin de Maigret et la vieille dame, le policier habituellement placide brise sur le sol une carafe de vieux calvados dont la principale protagoniste du roman se préparait à lui offrir un verre, comme cela avait déjà été le cas en d'autres occasions. Et réplique à Valentine - la vieille dame -, quand elle suggère qu'elle pourrait ne pas répondre aux questions: Cela ne changerait absolument rien, sauf que cela me déciderait peut-être à vous flanquer ma main sur la figure, comme j'en ai envie depuis un quart d'heure.
Pour en arriver là, il faut qu'il soit à bout de nerfs. Et dire que tout avait si bien commencé avec, vingt kilomètres avant Etretat, au moment de prendre le train qui y conduit, la vision d'une famille de Parisiens dont les enfants portaient des filets à crevettes! Car la mer, pour lui qui était né et avait passé son enfance loin dans les terres, c'était resté ça: des filets à crevettes, un train-jouet, des hommes en pantalon de flanelle, des parasols sur la plage, des marchands de coquillages et de souvenirs, des bistros où l'on boit du vin blanc en dégustant des huîtres et des pensions de famille qui ont toutes la même odeur, une odeur qu'on ne trouve nulle part ailleurs.
Le charme n'a pas opéré longtemps, et pour cause: Maigret n'est pas en vacances à Etretat, il vient enquêter sur un meurtre dont a été victime Rose, la bonne de Valentine. Un empoisonnement à l'arsenic par lequel la vieille dame croit avoir été visée, Rose étant morte par erreur. Valentine est venue elle-même à Paris pour rencontrer le commissaire, dans le même temps que son beau-fils, le député Charles Besson, s'adressait au ministre pour obtenir que Maigret se charge de l'affaire. Quand on est la vedette du Quai des Orfèvres, tout le monde croit que vous pouvez résoudre les affaires les plus troubles! D'ailleurs, Valentine collectionne les articles sur Maigret. C'est ce qu'elle dit, du moins, car elle ne remettra jamais la main sur l'album et personne ne l'a jamais vue lire un journal...
Bref, la présentation initiale de l'énigme était pour le moins simpliste. Et ses dessous révèlent des secrets de famille aussi peu ragoûtants que du linge sale. Qui, pour cette fois, se lavera en public - après la fin colérique du roman.

samedi 25 septembre 2010

Premiers romans, vastes questions

Je lis beaucoup de bêtises sur certains blogs (et, sur d'autres, beaucoup de choses intelligentes; par ailleurs je lis aussi des bêtises dans la presse - je suis bien mal placé pour m'en prendre aux blogs). Beaucoup d'entre elles sont provoquées par une totale méconnaissance du sujet abordé. Comme celui du premier roman, thème sur lequel se déversent des tombereaux de notes aigres, généralement écrites par celles et ceux qui tentent en vain, parfois depuis longtemps, de faire publier leur premier chef-d'œuvre (car il s'agit toujours d'un chef-d'œuvre, en tout cas ils le pensent, et aussi les amis qui l'ont lu, et la famille, et même d'autres blogueuses ou blogueurs, aigris eux aussi). Tout ça, c'est la faute aux copains et aux coquins qui règnent sur le milieu pourri de l'édition. Où, si vous n'avez pas de relations, ou si vous ne couchez pas, ou si vous n'habitez pas dans le 6ème arrondissement à Paris (mais qui habite encore là?), vous n'avez aucune chance de publier, donc de connaître le succès que mérite votre chef-d'œuvre, et de recevoir les prix littéraires qui vous reviennent, etc., etc.
(Note en passant: il s'agit parfois du quinzième chef-d'œuvre, les quatorze premiers ayant été refusés aussi.)
Un excellent article paru hier dans Le Soir (ce n'est pas moi qui l'ai écrit) me donne l'occasion d'une petite mise au point à propos de la difficulté qu'il y aurait à intégrer ce milieu à la réputation trouble.
Dans Comment on publie un premier roman, Lucie Cauwe s'entretient avec Martine Boutang, qui chez Grasset reçoit de dix à quinze manuscrits chaque jour. Ah! Et qu'en fait-elle, de ces manuscrits? Ben, elle les lit. Complètement? Non, bien sûr. Essayez, vous, de lire dix livres par jour. "Au moins cinq ou six pages de chacun", précise-t-elle.
J'entends d'ici le chœur des grincheux me dire, ou plutôt hurler: Vous voyez bien? Cinq ou six pages? C'est un scandâââle!
Non, ce n'est pas un scandale. Croyez-moi, j'en ai vu passer, des manuscrits, et il suffit souvent de deux paragraphes, voire moins, pour se rendre compte que la plupart d'entre eux n'ont aucun intérêt. (Sauf, bien entendu, pour leur auteur, sa famille, ses amis...)
Et alors? Les copains et les coquins? Je ne vais pas jouer au naïf et faire comme si ça n'existait pas, comme si tous les livres arrivés par relations dans une maison d'édition et qui y sont publiés auraient mérité de l'être. Mais on peut avoir un carnet d'adresses bien rempli et être aussi un excellent écrivain, pourquoi pas? Et, si on ne connaît personne, la filière classique - le fameux envoi par la poste - reste digne de confiance.
Bien sûr, je devine, dans le fond de la classe, les ronchons qui refuseront de croire ce que dit Martine Boutang: "Beaucoup de premiers romans sont arrivés par la poste. J'ai ainsi fait de belles trouvailles: Philippe Grimbert, Jeanne Labrune, Sorj Chalandon, Laurent Binet, Claudie Hunzinger, Elise Fontenaille… Je ne connaissais aucun de ces auteurs avant qu'ils envoient leur manuscrit. Les gens sont incrédules quand on leur dit que les manuscrits qui deviennent des livres arrivent souvent par la poste, mais ils ont tort. Ce sont les aigris non retenus qui parlent de magouilles. Je dirais même que je lis plus vite le roman d'un inconnu que celui qui m'est recommandé."
Pourtant, je suis certain qu'elle dit la vérité. Aucune maison d'édition, et surtout les grandes (contrairement à ce qu'on entend souvent), ne voudrait manquer l'occasion de découvrir un nouvel auteur de talent. Je suis certain aussi que c'est un crève-cœur pour elle quand le comité de lecture refuse un manuscrit qu'elle a aimé et soutenu, puis... qu'elle le voit paraître ailleurs.
La rentrée littéraire étant un moment particulier pour la sortie de premiers romans, on les compte. Il y en avait 85 cette année dans le domaine français. J'en ai lu une quinzaine. Aucun n'est médiocre, aucun n'a non plus provoqué de véritable choc (je suis peut-être mal tombé). Sauf un, Ego tango, de Caroline De Mulder.
Car que demande-t-on à un auteur jusqu'alors inconnu? Qu'il vous emporte, que sa voix tranche avec celle des dizaines d'autres publiés en même temps que lui, que son écriture retienne l'attention (au-delà de cinq ou six pages, cela va de soi). Il y a dans ce livre toutes les promesses fournies par ces caractéristiques finalement assez rares.
Il y est question, le titre ne ment pas, d'une vie tango, d'une véritable dépendance à l'atmosphère singulière générée par les lieux où se pratique le tango, à la fatigue des gestes répétés jusqu'au bout de la nuit, à la marginalisation qu'entraîne toute activité qui vous bouffe l'esprit et les tripes. Ce roman m'a entraîné par son mouvement.
Quant à savoir si Caroline De Mulder construira une œuvre après sa brillante entrée en matière, c'est une autre histoire. J'ai lu quelque part qu'elle avait elle-même été, au moins par rapport à la danse, dans la situation de son héroïne. Et qu'elle transcrit donc, en partie, des sensations vécues - mais avec un énorme travail qui transforme la réalité en littérature. Je me demande donc si le passage, souvent difficile, au deuxième roman, existera pour elle. On en reparlera (peut-être).

dimanche 19 septembre 2010

Challenge Maigret (4) : Mon ami Maigret

Je remonte le temps, le personnage de Maigret est à présent bien installé dans l'imaginaire de ses contemporains puisque nous sommes en 1949. Le challenge Maigret continue...

Les chaleurs pas désagréables de Porquerolles
Mon ami Maigret (1949)

Maigret est bien ennuyé: on lui a collé sur le dos un visiteur encombrant, l'inspecteur Pyke, venu de Scotland Yard étudier les méthodes de travail du célèbre commissaire français.
Pyke est extrêmement discret et ne dit pas grand-chose. Mais il observe, depuis trois jours déjà, et Maigret se sent épié, situation désagréable. A la limite de la mauvaise humeur, il accepte pourtant d'emmener Pyke à Porquerolles, où un certain Marcellin a été assassiné quelques heures après s'être vanté, plus qu'à moitié ivre, d'être l'ami de Maigret...
C'est l'un des meilleurs aspects de Mon ami Maigret: comment le commissaire, sous le regard de Pyke, se sent contraint d'agir à la manière qu'on attend de lui plutôt qu'à une autre, plus naturelle. Ainsi, à peine arrivé sur l'île, et alors qu'il n'a aucune envie de faire défiler les habitants pour des interrogatoires classiques, il les convoque malgré tout dans le bureau de la mairie où il a été installé. A contrecœur, et toujours à cause de Pyke, cet empêcheur de flâner en rond: Le prendrait-on au sérieux s'il se mettait à rôder dans l'île en homme qui n'a rien d'autre à faire? Pourtant, c'était l'île qui l'intéressait en ce moment, et non telle ou telle personne en particulier.
Le rôle de composition que se donne Maigret provoquera des moments cocasses, quand il se rendra compte, en interrogeant Pyke, que certains enquêteurs britanniques prennent aussi leur temps et n'ont pas plus de méthode que lui.
Une autre donnée forte de ce roman très réussi est l'espèce de moiteur sexuelle qui imprègne l'atmosphère. Il y a là des couples illégitimes qui parfois se baignent nus, une tenancière de maison close, un retraité du «milieu» qui fait venir sa poule pour le week-end...
Il y a surtout Jojo, la petite servante de l'Arche de Noé où loge Maigret. Celui-ci lui donne entre 16 et 20 ans (il apprendra qu'elle en a 19) et la détaille, au fil des jours, en homme empli d'un vague désir dont il sait qu'il ne mènera à rien. Elle a une odeur particulière: C'était à la fois sourd et épicé, pas désagréable. Elle a de petits seins pointus. Dans l'escalier, on apercevait la petite culotte rose qui enveloppait son petit derrière. Le matin, sa robe trop courte lui colle à la peau, et elle paraissait nue en dessous... C'en est presque obsessionnel.
Là-dessus se greffe une enquête que Maigret clôt avec hâte, pour échapper à la «porquerollite» que lui a promise un habitant d'une île où il fait bon (trop bon?) vivre et se laisser vivre.

samedi 18 septembre 2010

Le premier tour des prix littéraires

En principe, rien n'est joué, évidemment, et il manque encore les sélections de quelques prix littéraires importants, à venir dans les jours qui viennent (Académie française, Interallié, Décembre...). Mais l'essentiel est sur cette page, et il est possible de dégager quelques tendances, au moins du côté de la littérature française.
Je note d'abord que des éditeurs rarement à l'honneur dans ce genre de sport (si la course aux prix est un sport) ont, pour certains d'entre eux, droit à une (petite) place. Aden, par exemple, pour Moineau, d'El-Mahdi Acherchour (Femina). Ou, dans la même liste, le tout nouvel éditeur qui s'est baptisé L'Editeur, pour Le réprouvé, de Mikaël Hirsch. Le Passage s'en est ouvert un auprès du jury Médicis, grâce à Fabrice Humbert et La fortune de Sila. L'Escampette aussi, avec En remontant les ruisseaux: de l’Aubrac à la Margeride, de Jean Rodier. Le prix de Flore a retenu un titre chez JBZ & Cie: Extraball, de Vincent Bernière. Et Sabine Wespieser, la "petite" éditrice qui a tout d'une grande, peut se réjouir d'avoir un titre dans la première liste du Goncourt: Antoine et Isabelle, de Vincent Borel. Le prix Wepler-Fondation La Poste a, de son côté, trouvé Jacques Abeille chez Attila (Les jardins statuaires) et Christian Estèbe chez Finitude (Des nuits rêvées pour le train fantôme).
C'est rafraîchissant. Ce le serait encore bien plus, évidemment, si l'un ou l'autre de ces livres avait une véritable chance d'obtenir un grand prix littéraire. J'avoue avoir quelques difficultés à y croire.
En effet, les "poids lourds" sont là. A commencer par Michel Houellebecq, à qui tout le monde promet le Goncourt pour La carte et le territoire (Flammarion). Faut voir... Tahar Ben Jelloun a déjà écrit tout le mal qu'il pensait du roman, et un favori désigné très tôt est souvent grillé quand arrive le moment du vote final.
Patrick Lapeyre ferait un beau prix Femina (La vie est brève et le désir sans fin, POL), malgré la présence de Claude Arnaud (Qu'as-tu fait de tes frères?, Grasset) ou de Virginie Despentes (Apocalypse Bébé, Grasset).
Claude Arnaud est aussi présent au Médicis, en compagnie de Robert Bober (On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux, POL) et de Bernard Quiriny (Les assoiffées, Seuil).
J'ai déjà dit un mot du Goncourt, attribué en même temps que le Renaudot. Michel Houellebecq n'échappera pas à celui-ci si celui-là lui échappe. Antoine Bello pourrait voir monter sa cote quand son roman sera paru (Enquête sur la disparition d'Emilie Brunet, Gallimard). Et Agnès Desarthe ne devrait pas laisser ses lecteurs indifférents (Dans la nuit brune, L’Olivier).
Il y a, bien entendu, tous les autres, du moins celles et ceux qui survivront à l'écrémage des deuxièmes sélections.
En tout cas, si on me demandait mon avis (ce qui ne sera pas le cas, je me demande pourquoi tous ces jurés se privent de mes lumières), et en me limitant aux ouvrages actuellement retenus, je donnerais le Goncourt à Maylis de Kerangal (Naissance d'un pont, Verticales), le Renaudot à Philippe Forest (Le siècle des nuages, Gallimard), le Femina, je ne sais pas, et le Médicis à Bernard Quiriny. Et, puisque Claro (CosmoZ, Actes Sud) n'a été remarqué que par les prix de Flore et Wepler-Fondation La Poste, je lui attribuerais les deux!

jeudi 16 septembre 2010

Une découverte de la rentrée : Victor Barrucand

D'accord, Victor Barrucand est mort en 1934 (il avait 70 ans) et son roman Avec le feu est paru en 1900. C'est donc d'une rentrée littéraire vieille de 110 ans que je vous parle, mais quand même d'un livre réédité aujourd'hui au format semi-poche, comme on disait quand je travaillais en librairie, dans un rayon poches, et qu'on ne savait pas très bien quoi faire de ces livres hybrides - et précieux dans bien des cas.
Victor Barrucand fut un homme étonnant. Il côtoyait, outre Mallarmé, l'écrivain Félix Fénéon, le peintre Paul Signac et le compositeur Ernest Chausson. Ces trois derniers se retrouvent dans son roman sous la forme de personnages fictifs. (Je ne l'ai pas découvert tout seul, je dois l'information à Eric Dussert dont l'érudite préface est bourrée d'informations.)
C'est aussi grâce à Eric Dussert que j'ai appris que Victor Barrucand a fréquenté les anarchistes dont il fait ici le portrait, tout en se tenant à distance. Il a bataillé contre l'antisémitisme, pour le pain gratuit, en faveur des Algériens colonisés, il a poussé Isabelle Eberhardt à écrire et a été son exécuteur testamentaire... Un personnage intéressant, décidément.
Et le roman? Il a vieilli, bien entendu. Mais il est en prise avec la réalité de son époque. Les descriptions sont vives, les conversations parfois un peu moins - il y entre des considérations morales et philosophiques qui les alourdissent. Le jeune Robert, prêt à s'enflammer, est en tout cas un héros qui marque les esprits. Puisque Laure refuse de l'épouser, il est prêt à se sacrifier. Sacrifice discret et inutile dont la seule grandeur est d'accepter le destin qui lui est, croit-il, promis.
Avec le feu est un livre qui méritait bien d'être exhumé. Et peut-être les autres ouvrages de Victor Barrucand vaudraient-ils aussi la peine d'être examinés de près. Plusieurs d'entre eux, cela tombe bien pour les curieux, sont disponibles sur Internet, l'un sur le site Ebooks libres & gratuits, les autres chez Gallica. Les voici, dans l'ordre chronologique de leur édition originale:

dimanche 12 septembre 2010

Challenge Maigret : L'écluse n° 1

Troisième épisode de ma participation au challenge Maigret. Et c'est à suivre, pendant quelque temps encore.

Trop riche pour être honnête
L'écluse n° 1 (1933)

Une gaieté presque déplacée habite le début de L'écluse n°1. Il n'y a pourtant pas de raisons de s'amuser: Émile Ducrau, le propriétaire d'une entreprise qui possède de nombreuses péniches, a reçu un coup de couteau, avant d'être jeté à l'eau.
Pourtant, quand Maigret arrive le lendemain à Charenton, sur le canal de la Marne, par le tramway 13, tout semble le faire sourire: la servante de Ducrau qui se rajuste, le commissaire devine pourquoi; les rodomontades de Ducrau, complètement rétabli, tout empli de sa fortune et de ses bonnes fortunes auprès des femmes qui cependant lui coûtent cher, avec lequel Maigret éprouve une surprenante complicité.
Le paysage. Une jeune fille entrevue par la fenêtre. Tout est bonheur au policier. Peut-être en raison de la douceur due aux premiers soleils d'avril. Peut-être aussi parce qu'il est à la retraite dans une semaine... Madame Maigret s'inquiète du déménagement, les meubles partent à la campagne. Cette circonstance pousse d'ailleurs Ducrau à lui demander de mettre rapidement un nom sur le mystérieux agresseur, d'autant plus qu'il ajoute personnellement une récompense de 20.000 francs... comme si Maigret était un détective privé! Mais l'entrepreneur a coutume d'agir à sa guise avec tout le monde, il est le tyran de ceux qui l'entourent. Il dit même: «Tous ces gens-là, qui m'appartiennent...»
Il faut vraiment que Maigret soit de bonne humeur! Il faut aussi qu'il y ait autre chose, que Maigret a pressenti et qui, un peu plus tard, deviendra clair dans son esprit: «Il y avait bien deux Ducrau: celui qui paradait, même vis-à-vis de lui-même, parlait fort, se gonflait en une interminable partie théâtrale, et l'autre, qui oubliait soudain de se regarder vivre et qui n'était qu'un homme assez timide et maladroit.»
Ensuite, les choses se gâtent avec deux morts, le fils de Ducrau et l'éclusier. Ainsi qu'avec les secrets qui séparent les hommes en attisant les rancœurs, et sur lesquels Maigret lève lentement le voile, comme s'il avait un peu peur de ce qu'il va découvrir - de quoi effacer le sourire, remplacé par un désagréable vertige. L'humeur de Maigret - comme souvent mais avec davantage de présence que de coutume - fixe l'allure du roman: presque contemplatif au début, puis plus rapide, car il faut bien en finir, cela n'a plus rien de drôle!

vendredi 10 septembre 2010

Les auteurs de la rentrée : James Scudamore

C'est vrai, j'avais édicté mes règles, et j'ai quelques difficultés à m'y tenir. Le temps qui manque, toujours... Mais on peut être infidèle à la ligne qu'on s'est fixée tout en gardant une certaine continuité. Voici donc la conversation téléphonique que j'ai eue il y a quelques jours avec l'écrivain britannique James Scudamore, prolongée au-delà des quatre questions qui avaient été, jusqu'ici, ma limite.

Vous publiez, dans cette rentrée littéraire, Fils d’Heliopólis. En même temps que 700 autres romans. Cette abondance ne vous effraie-t-elle pas?

Un peu. D’autant que je ne connaissais pas ce phénomène. Tant de romans en quelques semaines… Mais j’ai eu du succès en Grande-Bretagne, et j’ai confiance. De toute manière, je suis content d’être à Paris. J’ai fait mes études en français et en espagnol, j’aime beaucoup la littérature française et francophone.

Quel a été le point de départ de votre roman? Une idée, une phrase, une image, que sais-je...?

Cela a été le personnage de Ludo, un jeune homme en colère, écartelé entre deux mondes très différents. Au point de départ, je n’avais pas l’intention de situer le roman au Brésil. Mon premier roman se passe en Equateur, et je ne voulais pas retrouver l’Amérique du Sud avec le deuxième. Mais j’ai vécu quatre années au Brésil, de huit à douze ans, et mon imagination était meublée par toutes ces images. Ce Ludo, donc, qui n’aimait pas son travail, a trouvé sa place au Brésil. J’avais lu un article, dans le Washington Post, où l’on disait que São Paulo était la ville où il y avait la plus grande concentration d’hélicoptères privés au monde…

On a parfois l’impression que votre roman décrit la ville telle qu’elle pourrait être dans quelques années, plutôt que le présent. Qu’en est-il?

Quand je l’écrivais, j’avais dans la tête un monde à la Ballard. Cela correspondait bien à mon imagination. Après la première version, je suis retournée à São Paulo pour vérifier, et j’ai vu qu’il y avait des hélicoptères partout. Maintenant que le roman est paru au Brésil, les journalistes m’ont dit que j’aurais pu aller encore plus loin. Les commodités privées sont bien plus énormes que ce que j’avais imaginé.

Avez-vous été, dans votre travail, influencé par d'autres écrivains? Ou par d'autres artistes?

Mon premier roman a été très influencé par Le Grand Meaulnes, mais je ne m’en suis rendu compte qu’après. Pour celui-ci, il y a Ballard, dont j’ai déjà parlé, mais aussi Nabokov, toujours présent quand un personnage raconte l’histoire, et Don DeLillo, pour sa perception de la cité.

Votre biographie est très nomade: le Brésil, le Japon, l’Angleterre…

Mon père voyageait beaucoup pour son travail dans l’industrie chimique. Je suis né en Angleterre mais, ensuite, nous avons beaucoup bougé, en effet.

Est-ce à dire que vos livres vont nous entraîner encore ailleurs?

Je ne sais pas. Actuellement, j’écris quelque chose qui est très lié à l’Angleterre, qui se passe entre Londres et la campagne. Je m’intéresse aux histoires de fantômes, non pour en raconter, mais pour utiliser les conventions littéraires de cette tradition.

Tous les titres des chapitres sont un élément de nourriture. Est-ce pour marquer le lien entre Ludo et sa mère, qui passe notamment par la cuisine, ou aussi pour une autre raison?

Il y a ce lien, bien sûr. Mais il y a aussi un rapport entre la nourriture et les privilèges, entre la nourriture et l’amour. Quand on n’a pas beaucoup d’argent, on a toujours faim et on pense sans cesse au prochain repas. Pour Ludo, la nourriture de sa mère, qui sort de sa condition grâce à ses qualités de cuisinière, est aussi une façon d’échapper à la favela. Et puis, il y aussi des rapports entre la nourriture et les souvenirs. Beaucoup de ceux-ci, en particulier pour moi qui ai vécu dans des pays différents, sont liés à ce que je mangeais. A ce titre, la cuisine est une table des matières de la mémoire.

Dans un pays où l’écart entre les riches et les pauvres est considérable, la charité est-elle forcément une industrie? Et une industrie rentable?

Il y a cette suspicion dans le roman: la générosité est une utilisée comme un moyen de prendre le pouvoir, de contrôler les autres. C’est cela que je voulais explorer.

Difficile de situer un roman au Brésil sans parler de telenovela. Y avez-vous pensé?

Oui, parce qu’il y a de grands revers de fortune, comme dans une telenovela. Je ne voulais bien entendu pas écrire une telenovela mais la manière de raconter une histoire en Amérique du Sud est liée à ce phénomène, et il a naturellement sa place ici.

jeudi 9 septembre 2010

"Les éclaireurs", d'Antoine Bello, en poche

Antoine Bello avait frappé fort dans Les falsificateurs. Le jeune Sliv, islandais, y était engagé dans une organisation secrète, le Consortium de Falsification du Réel (CFR). Mission: remodeler un certain nombre de faits, accréditer des thèses sans fondement. Raconter des histoires et y faire croire en accumulant les preuves inventées de toutes pièces. La célèbre chienne Laïka, premier être vivant à avoir été envoyé autour de la Terre, aurait ainsi été inventée par un scénariste du CFR afin de provoquer les Américains et d’accélérer leur entrée dans la course à l’espace.
Les débuts de Sliv dans la falsification du réel ont été encourageants: son premier scénario frôlait la perfection en imaginant un peuple bochiman menacé par une multinationale décidée à l’exproprier de ses terres. Le deuxième, en revanche, avait été construit d’une manière plus désinvolte et il avait fallu le talent de Lena, une collègue ambitieuse, pour empêcher une catastrophe. La légèreté de Sliv avait entraîné l’assassinat d’un fonctionnaire néo-zélandais – du moins le lui a-t-on laissé croire jusqu’au moment où il a appris que tout cela était un autre montage destiné à lui faire comprendre les risques engendrés par les défauts d’un scénario.
Quand commence Les éclaireurs, suite annoncée à la fin des Falsificateurs, Sliv est agent des Opérations spéciales. Il retrouve Gunnar, qui l’avait engagé, et Nina, qu’il a connue à l’université toujours prête à militer pour les bonnes causes – elle n’a pas changé.
Surtout, il part au Soudan pour assister au mariage de ses amis et collègues, Magawati et Youssef. Il y découvre la montée d’un islam radical et assiste presque en direct, sur Al-Jazira, aux attentats du 11 septembre. Ils sont accueillis autour de lui avec enthousiasme. Quant à Sliv, il est dès ce moment taraudé par une question qui sera au centre de ce deuxième volume: «le CFR portait-il une part de responsabilité dans les attaques qui avaient ensanglanté l’Amérique?»
Œuvrant, semble-t-il, en faveur d’un monde meilleur, le CFR utilise parfois des moyens détournés et dangereux pour favoriser une prise de conscience qui aide à la reconstruction. Ce fut le cas (selon le roman, bien sûr), dans l’Allemagne des années soixante: Andreas Baader a été désigné comme le leader de la Fraction Armée Rouge alors qu’il était «en fait le leader d’un des groupuscules les moins structurés». L’adversaire connu, il ne restait qu’à l’éradiquer.
Selon la même méthode, le Consortium a ensuite monté en épingle le personnage d’Oussama Ben Laden, faisant de lui le dirigeant d’Al-Qaida – nom inventé par le CFR et adopté par Ben Laden. Puis la création a dépassé ses créateurs, aboutissant au 11 septembre et à l’inquiétude morale de Sliv.
Après une parenthèse au cours de laquelle les talents du héros font merveille pour l’entrée du Timor-Oriental au sein de l’ONU – il y a quelques scènes d’anthologie dans cette semaine d’improvisations mensongères –, Sliv revient à sa préoccupation principale et tente de comprendre où les choses ont dérapé. Comme il le disait un jour à Youssef, leur travail est un jeu. Et ce n’est pas un jeu…
Du 11 septembre 2001 à la veille de l’entrée en guerre des Etats-Unis et de leurs alliés sur le territoire irakien, Antoine Bello démonte, par le truchement de Sliv, la manière dont les Américains imposent l’idée de la présence d’armes massives. Ainsi que les implications du CFR dans l’évolution de la tension internationale: si son Comité exécutif reconnaît le rôle qu’il a joué en se sabordant, pourra-t-il désamorcer la crise et éviter la guerre?
De plus en plus proche des têtes pensantes de l’organisation, Sliv réussit à percer le secret de sa création, deux cents ans plus tôt, ainsi que celui du but poursuivi. Une surprise de grande dimension, une déception. Et l’occasion d’inverser quelques propositions: «la vérité n’est qu’un scénario parmi d’autres», qui mérite d’être aussi pris en considération.
Le montage époustouflant d’Antoine Bello ressemble à un thriller qui nous donnerait les clés du monde. Et une raison d’y vivre, d’y agir.

mercredi 8 septembre 2010

Les jurés du prix Wepler ont lu Claro

Bon, je ne vais pas faire le malin et prétendre avoir lu tous les romans de la rentrée. Celui de Claro, CosmoZ, me semble quand même très au-dessus de la mêlée - si mêlée il y a. Je vous en ai parlé. (Ou plutôt, il a répondu à mes questions.) En fait, j'en ai surtout parlé aux lecteurs du Soir, vous pouvez lire l'article sur le site. Et j'avais un peu râlé de ne pas le trouver dans les premières sélections des prix Goncourt et Renaudot. Le prix Wepler - Fondation La Poste a sorti une liste qui me met de meilleure humeur.

Jacques Abeille. Les jardins statuaires (Attila)
Pierre Alferi. Après vous (P.O.L)
Lutz Bassmann. Les aigles puent (Verdier)
Thierry Beinstingel. Retour aux mots sauvages (Fayard)
Claro. CosmoZ (Actes Sud)
Christian Estèbe. Des nuits rêvées pour le train fantôme (Finitude)
Eric Faye. Nagasaki (Stock)
Jérôme Ferrari. Où j'ai laissé mon âme (Actes Sud)
Alain Fleischer. Imitation (Actes Sud)
Thomas Heams-Ogus. Cent seize Chinois et quelques (Seuil)
Linda Lê. Cronos (Christian Bourgois)
Yves Ravey. Enlèvement avec rançon (Minuit)

Je ferai un petit point sur ces sélections quand les autres jurys se seront manifestés, en particulier ceux du Médicis et du Femina qui ont prévu de le faire la semaine prochaine, le jeudi 16 pour être précis.
Et, comme l'an dernier, je mets à jour une page spéciale dédiée aux sélections des prix littéraires 2010. Vous y trouvez quelques bonus, comme on dit - un rappel des prix déjà attribués, par exemple, ou la sélection pour le Man Booker Prize, pour ceux qui lisent l'anglais en V.O.

lundi 6 septembre 2010

Première sélection du Renaudot, un peu plus originale

C'était le même jour, le jury Renaudot sort aussi sa liste. On en retrouve beaucoup du Goncourt, il y en a d'autres aussi, et tout cela promet d'être intéressant. On en reparle, promis.

Quinze romans:
Vassilis Alexakis. Le premier mot (Stock)
Claude Arnaud. Qu’as-tu fait de tes frères? (Grasset)
Salim Bachi. Amours et aventures de Sindbad le marin (Gallimard)
Antoine Bello. Enquête sur la disparition d'Emilie Brunet (Gallimard)
Jean-Claude Bologne. L'ange des larmes (Calmann-Lévy)
Agnès Desarthe. Dans la nuit brune (L’Olivier)
Virginie Despentes. Apocalypse bébé (Grasset)
Jean-Philippe Domecq. Le jour où le ciel s'en va (Fayard)
Philippe Forest. Le siècle des nuages (Gallimard)
Michel Houellebecq. La carte et le territoire (Flammarion)
Patrick Lapeyre. La vie est brève et le désir sans fin (P.O.L)
Anthony Palou. Fruits et légumes (Albin Michel)
Bernard Quiriny. Les assoiffées (Seuil)
Robert Solé. Une soirée au Caire (Seuil)
Abdellah Taïa. Le jour du roi (Seuil)

Sept essais:
Mohammed Aïssaoui. L'affaire de l'esclave Furcy (Gallimard)
Charles Dantzig. Pourquoi lire? (Grasset)
Patrice Delbourg. L’odyssée Cendrars (Ecriture)
Gabriel Matzneff. Les Emiles de Gab la Rafale: roman électronique (Léo Scheer)
Michel Onfray. Le crépuscule d'une idole: l'affabulation freudienne (Grasset)
Gilles Sebhan. Tony Duvert: l'enfant silencieux (Denoël)
Annette Wieviorka. Maurice et Jeannette: biographie du couple Thorez (Fayard)

L'académie Goncourt, chambre d'enregistrement du succès

On compte toujours un peu sur les grands lecteurs pour nous faire découvrir, quelque part dans les coins obscurs de la rentrée littéraire, deux ou trois auteurs qui n'auraient pas encore eu les honneurs de la presse et dont les romans ne se présentent pas nécessairement en piles dans les librairies. Mais les académiciens Goncourt sont-ils de grands lecteurs? Il est permis de s'interroger. Leur première sélection, annoncée aujourd'hui, a tout d'une chambre d'enregistrement pour écrivains déjà placés dans la lumière.
Je vous laisse juges:

Olivier Adam. Le coeur régulier (L'Olivier)
Vassilis Alexakis. Le premier mot (Stock)
Thierry Beinstingel. Retour aux mots sauvages (Fayard)
Vincent Borel. Antoine et Isabelle (Sabine Wespieser)
Virginie Despentes. Apocalypse bébé (Grasset)
Marc Dugain. L'insomnie des étoiles (Gallimard)
Mathias Enard. Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants (Actes Sud)
Michel Houellebecq. La carte et le territoire (Flammarion)
Maylis de Kerangal. Naissance d’un pont (Verticales)
Patrick Lapeyre. La vie est brève et le désir sans fin (P.O.L)
Fouad Laroui. Une année chez les Français (Julliard)
Amélie Nothomb. Une forme de vie (Albin Michel)
Chantal Thomas. Le testament d'Olympe (Seuil)
Karine Tuil. Six mois, six jours (Grasset)

Seule exception, peut-être: Fouad Laroui, dont on n'a pas encore beaucoup entendu parler depuis le début de la rentrée.
Attendons la suite et les autres prix qui se précipiteront peut-être moins et dont les jurés liront peut-être davantage.

dimanche 5 septembre 2010

Challenge Maigret : Le port des brumes

Comme promis, je poursuis la publication de notes sur une série de romans mettant le commissaire Maigret en scène, dans le cadre du "challenge Maigret". Deuxième épisode...

Un terrien chez les marins
Le port des brumes (1932)

Le capitaine Joris n'a plus toute sa tête quand Maigret le ramène à Ouistreham, où il était chef du port avant de disparaître dans la brume le soir du 16 septembre. Six semaines plus tard, quand on l'a retrouvé à Paris, il portait sur le crâne la cicatrice d'une blessure par balle et son compte en banque avait été crédité de trois cent mille francs.
L'énigme finit de se mettre en place quand Joris, à peine rentré chez lui avec Julie, sa gouvernante, meurt empoisonné à la strychnine. Elle est aussi épaisse que le brouillard dans lequel Maigret se cherche des points de repère: "En somme, l'univers se réduit à quelques mètres carrés de clarté relative et à un grand trou noir où l'on devine de la terre ferme et de l'eau. La mer est là-bas, à gauche, à peine bruissante."
Dans cette enquête, Maigret connaît un problème singulier: il est un terrien face à des marins qui ne lui parlent guère. Entre eux, ils se jaugent d'un regard, qu'expliqueraient-ils à quelqu'un qui ne peut les comprendre? Il y a donc des silences très lourds dans un roman où Simenon a dû s'amuser, on l'imagine, à utiliser sa propre connaissance des bateaux sans la transmettre à son commissaire.
Ce n'est pas son seul problème: fidèle à lui-même, il s'est mis, aussitôt arrivé, à côtoyer la petite société de la Buvette de la Marine. Le maire n'est pas du même monde et ne voit pas d'un bon œil les fréquentations de Maigret. Autant dire que la plupart des portes lui sont fermées et qu'il doit faire seul son chemin parmi une population qui ne l'accepte pas.
Une nuit, alors qu'il veut empêcher le départ d'un bateau dont l'équipage lui semble suspect, il est maîtrisé, ficelé et jeté sans ménagement sur le quai où il passe la nuit, sous la pluie, avant d'être libéré par un pêcheur. Il ne tiendra pas vraiment rigueur de cette mésaventure à ceux qui la lui ont fait subir. Et ira même jusqu'à modifier les résultats de ses investigations afin de satisfaire tout le monde. L'obsession de la vérité est moins grande chez lui que le souci de la paix sociale.
Quand tout est terminé, Maigret ne se décide pas à partir: il a trouvé, à la Buvette de la Marine, la chaleur humaine qui lui convient, la pipe aux dents, un verre de bière à portée de la main, écoutant les histoires que racontaient autour de lui des hommes en bottes de caoutchouc et en casquette de marin.

jeudi 2 septembre 2010

"Millénium 1", de Stieg Larsson, en poche

Quelque chose de prévu, ce week-end? Annulez! Le premier tome de Millénium est paru hier au format de poche, et vous n'aurez pas trop de deux jours pour le lire. Comment? Vous l'avez déjà lu? Bon, faites ce que vous voulez, alors. Mais, si ce n'est pas le cas, n'attendez plus. Il n'y a pas trop de belles expériences de lecture à faire pour manquer celle-ci. (Ce n'est pas vrai, il y en a des tas, des expériences de belles lectures. Mais je vous parle d'actualité: un roman tout frais sorti de presse.)
C'est le best-seller absolu: trois ans dans les meilleures ventes de romans en France pour les trois volumes. Aux États-Unis, les deux premiers tomes de la trilogie sont en tête des ventes des poches et le dernier tome, deuxième des romans "hardcover". Un phénomène. Les hommes qui n'aimaient pas les femmes a été imprimé à 300.000 exemplaires. Même moi, qui ai pour habitude de ne tenir aucun compte des chiffres du marché du livre, je suis soufflé.
Cela suscite au moins la curiosité.
J'y suis donc allé voir de près, c'est-à-dire que j'ai lu ce premier tome. Je suis encore plus soufflé par le texte que par les chiffres. Impossible de décrocher dès les premières pages, et c'est un souffle puissant qui m'a porté jusqu'aux dernières, avec le regret d'en avoir déjà (?) fini. Franchement, si je n'avais eu que cela à faire (mais c'est la rentrée, comme vous savez), je me serais précipité sur le deuxième tome, et probablement ensuite sur le dernier.
Comment dire? J'ai été tout de suite intrigué par un mystère qui semble pourtant, dans le prologue, sans grande importance. Puis par Mikael Blomkvist, journaliste condamné pour un article. Puis par Lisbeth Salander, détective d'un genre particulier. Et par tous les autres autour d'eux. Et par la manière dont Stieg Larsson a articulé l'ensemble.
J'ai l'impression de ne pas m'en être remis. Je vous souhaite le même choc.
Une chose encore: peut-être avez-vous vu le film et préférez-vous vous en contenter. Je n'ai pas vu le film mais vous avez certainement tort. Il est impossible de rendre à l'écran la densité de ce roman.

mercredi 1 septembre 2010

"Sur le sable", de Michèle Lesbre, en poche

Plonger dans l’œuvre d’un écrivain conduit-il à envisager le monde à sa manière? Ou existe-t-il des points de vue littéraires qui correspondent aux nôtres? La narratrice de Sur le sable relit tous les livres de Patrick Modiano. Du coup, sa vie lui semble faite de coïncidences ténues qui en évoquent d’autres, de photos à l’origine imprécise, de lieux sans cesse revisités, de rêves fragmentaires. Comme dans les romans, les personnages qu’elle rencontre ont une identité floue et n’expriment jamais qu’une part d’eux-mêmes, le reste étant noyé dans un épais brouillard.
Michèle Lesbre est au bord du pastiche. Certaines pages pourraient presque avoir été écrites par Modiano. Ce paragraphe, parmi de nombreuses autres possibilités: «Très vite prise dans les digressions de ce petit monde interlope et volatile, celui de l’hôtel et celui des romans qui accompagnaient mes veilles derrière le bureau de l’accueil, je mélangeais tout, le monde devenait flou et de ce fait beaucoup plus fréquentable.»
Mais l’écrivaine est plutôt dans l’exercice d’admiration. Elle a imaginé une femme qui se coule parfaitement dans le moule et traverse quelques journées dans une sorte de torpeur où ses fantômes en croisent d’autres, sous une lumière révélatrice de détails oubliés – et pourtant si présents encore qu’ils remontent des profondeurs de la mémoire comme les vestiges d’un naufrage ancien.
Au bord de la mer, elle a vu une maison brûler dans les dunes. Elle semblera, le lendemain, être la seule personne dans le village à avoir assisté à un incendie qui n’aura existé que pour elle. Pour elle et pour un homme, celui qui a mis le feu à un lieu trop imprégné de souvenirs douloureux. Les traces qu’elle s’efforcera de suivre pour retrouver cet homme ont été inscrites sur le sable, la mer et le temps les effaceront, comme bien d’autres signes. Après l’attente, il ne restera qu’à prendre cet homme pour un autre personnage de fiction, et lui donner un nom trouvé dans un livre de Patrick Modiano.