mardi 30 juin 2009

Avec vue sur la rentrée littéraire (12 bis) - Belfond, domaine étranger

Il y a un moment, déjà, que je vous ai donné des informations (celles de l'éditeur, comme à chaque fois dans cette rubrique, je vous le rappelle - les critiques viendront plus tard) sur la rentrée française de Belfond. il y a, comme toujours dans cette maison, davantage de traductions.

Colum McCann, Et que le vaste monde poursuive sa course folle (13 août)
Traduit de l'anglais (Irlande) par Jean-Luc Piningre

«Se faufilant en août 1974 jusqu'au sommet du World Trade Centre, Philippe Petit a tendu un câble entre les deux tours, à plus de quatre cents mètres du sol. [...] J'avais envie depuis des lustres d'écrire un roman autour de cet événement. Suivre les traces de l'artiste funambule, mais aussi me mettre à la place des spectateurs, me fondre dans le New York de l'époque, respirer l'air de ce temps-là. L'un des bonheurs de l'écrivain est d'apprendre à s'immiscer dans un corps, dans une géographie, même dans une culture qui ne sont pas les siens. Capturer une parcelle de réalité et lui insuffler une vie nouvelle. Créer l'orage dans l'immobilité, faire respirer le silence, aiguiser la beauté, ou la violence, ou les deux, de sorte que, des années plus tard, des inconnus pourront à leur tour glisser dans le passé, et en percevoir les tumultes.»

Dans les taudis du Bronx, un prêtre irlandais cherche Dieu au milieu des prostituées, des vieux, des miséreux; dans un luxueux appartement de Park Avenue, la mère d'un soldat disparu au Vietnam croit devenir folle de douleur; dans les boîtes branchées de Downtown, un couple d'artistes se brûle les ailes au soleil d'une célébrité trop vite acquise; le long des lignes de métro, un adolescent tague en rêvant de devenir un photographe célèbre; à l'autre bout du pays, des étudiants en informatique jouent à dominer le monde; dans une prison new-yorkaise, une prostituée épuisée crie son désespoir...
Un roman polyphonique aux subtiles résonances contemporaines. Rencontres fortuites, amitiés improbables, amours impossibles... une ronde de personnages liés par la grâce, la magie, le talent de Colum McCann.

Colum McCann est né en 1965 à Dublin et vit aujourd'hui à New York. À l'âge de dix-neuf ans, il quitte l'Irlande pour les États-Unis, où il exercera divers métiers - chauffeur de taxi, professeur, guide de randonnée, journaliste et reporter. Ses nouvelles lui ont valu les prestigieux prix de littérature irlandaise Hennessy (1992) et Rooney (1994). Il est l'auteur de quatre romans: Le Chant du coyote (Marval, 1996; rééd. Belfond, 2007), Les Saisons de la nuit (Belfond, 1998; rééd. Belfond, 2007), Danseur (Belfond, 2003) et Zoli (Belfond, 2007), et de deux recueils de nouvelles: La Rivière de l'exil (Belfond, 1999; rééd. Belfond, 2007) et Ailleurs, en ce pays (Belfond, 2001; rééd. Belfond, 2007), unanimement salués par la critique et le public.

Antonio Caballero, Un mal sans remède (13 août)
Traduit de l'espagnol (Colombie) par Jean-Marie Saint-Lu

Le jour de son trente et unième anniversaire, Ignacio Escobar se réveille terrassé. À son âge, Rimbaud était mort. Il se trompe dans les dates - Rimbaud est mort à trente-sept ans - mais n'en reste pas moins dévasté. Fils de bonne famille vivant des rentes de sa mère, Ignacio est poète. Narcissique, paresseux, dépressif, alcoolique, cynique, séducteur, il fait le désespoir de son entourage. Fina, sa compagne, voudrait un enfant. Sa mère, Dona Leonor, souhaiterait qu'il se marie et occupe le poste que son oncle lui réserve à la tête d'une banque. Quant à ses amis, ils le poussent à s'engager politiquement auprès des masses opprimées. Mais Ignacio, lui, n'a d'autre ambition que d'écrire des poèmes, si possible sans avoir à se lever de son lit. Jusqu'au jour où Fina le quitte. Il se lance à sa recherche dans les nuits de Bogota où son errance va l'exposer à toutes les situations qu'il s'était si bien employé à éviter...
À travers les pérégrinations d'un poète raté, anti-héros, fils de bourgeois, dans le Bogota des années 1970-1980, Antonio Caballero dresse un portrait au vitriol de l'oligarchie colombienne et livre une réflexion sur le rôle de l'artiste dans la société et sur la difficulté d'écrire et d'aimer. Lucide, intelligent, profond, émaillé de références littéraires, musicales, Un mal sans remède est un premier roman magistral, à l'humour ravageur et totalement désespéré, salué par Fernando Vallejo et Gabriel Garcia Marquez.

Né en 1945 à Bogota, Antonio Caballero a vécu en Espagne, en France, en Angleterre, en Italie, et se partage depuis quinze ans entre Madrid et Bogota. Auteur d'essais, passionné de tauromachie, il est également connu en Colombie comme dessinateur satirique et comme journaliste (dans les années 1970, il fut rédacteur en chef de la revue de gauche Alternativa, l'une des premières publications opposées au régime). Cosmopolite, il a également collaboré à El Tiempo (Bogota), à la BBC Radio, à l'Agence France Presse et à El Pais à Madrid. Vaste projet littéraire, Un mal sans remède est le fruit de douze années d'écriture.

Lionel Shriver, La double vie d'Irina (3 septembre)
Traduit de l'américain par Anne Rabinovitch

Irina, la quarantaine, illustratrice de livres pour enfants, partage depuis neuf ans la vie de Lawrence, analyste politique. Ils vivent dans une complicité et une routine rassurantes, entre leur travail, les dîners à la maison habilement préparés par Irina, fin cordon-bleu, et leurs soirées tranquilles devant un bon film.
Jusqu'au jour où Irina doit aller dîner seule avec Ramsey Acton, célèbre joueur de snooker, et ami de Lawrence. Ce qui était initialement une corvée pour la jeune femme devient une soirée agréable. Au point qu'lrina se trouve soudain devant un dilemme crucial; prise d'une folle envie de l'embrasser, elle hésite...
Alternent alors deux histoires parallèles, deux relations amoureuses, deux destins absolument différents, qui illustrent les moindres conséquences et implications d'une décision de quelques secondes dans une vie.
Saisissante, directe, sans aucune complaisance, Lionel Shriver explore le destin d'un triangle amoureux selon deux scénarios radicalement opposés, déployant, à partir d'un seul baiser donné (ou pas), deux parcours différents. Un roman brillamment mené où l'on retrouve l'humour noir et l'impitoyable lucidité de l'auteur d'Il faut qu'on parle de Kevin.

Lionel Shriver est née en 1957 en Caroline du Nord. Diplômée de Columbia, professeur, elle a sillonné l'Europe, vécu en Israël, à Bangkok, à Nairobi et en Irlande du Nord. Elle habite aujourd'hui à Londres. Elle a longtemps tenu une chronique radio sur la politique de l'Ulster et écrit maintenant pour The Economist, The Guardian, The New York Times ou The Wall Street journal. Elle est l'auteur de sept romans. Après Il faut qu'on parle de Kevin (Belfond, 2006), lauréat du prestigieux Orange Prize 2005, La Double Vie d'Irina est son deuxième roman traduit en français.

Owen Matthews, Les enfants de Staline (3 septembre)
Traduit de l'anglais par Karine Reignier

Chernigov, été 1937. Boris Bibikov embrasse ses deux filles avant de s'engouffrer dans la voiture du Parti qui l'attend. C'est la dernière fois qu'il verra les siens. Victime des purges staliniennes, Bibikov entraîne dans sa chute sa femme, envoyée au goulag, ainsi que Lyudmila, trois ans, et Lenina, douze ans, laissées seules face au chaos de la Seconde Guerre mondiale...
Londres, 1969. Séparés par la guerre froide, après six ans d'une correspondance passionnée, deux amants se retrouvent: Lyudmila, devenue une brillante intellectuelle dissidente, et Mervyn Matthews, un jeune Anglais russophile, qui a osé refuser les avances du KGB...
Moscou, années 1990. Leur fils Owen a quitté l'Angleterre pour un poste de reporter. Dans une capitale post-communiste apocalyptique, il va retrouver les traces des siens et de cette Russie qui les a faits, au point d'infecter encore leur sang comme une fièvre...
Dans la lignée de Pasternak et de Soljenitsyne, Owen Matthews nous plonge au coeur des destinées tragiques de sa famille, sur trois générations, des débuts de l'ère stalinienne à la Russie post-soviétique. Un récit fascinant et flamboyant, sélectionné pour le prestigieux Guardian First Book Award.

Né à Londres d'une mère russe et d'un père anglais, Owen Matthews a étudié l'histoire à l'université d'Oxford avant d'entamer sa carrière de journaliste à Sarajevo en 1994. Reporter pour le Moscow Times, puis correspondant pour le magazine Newsweek à Moscou et à Istanbul, il a couvert la seconde guerre tchétchène, les conflits au Moyen-Orient, les combats en Afghanistan et la guerre en Irak. Il est actuellement directeur de la rédaction de Newsweek à Moscou, où il vit avec sa femme et leurs deux enfants. Les Enfants de Staline est son premier livre.

Giovanni Arpino, Une âme perdue (17 septembre)
Traduit de l'italien par Nathalie Bauer

À la veille de ses dix-sept ans, le jeune Tino s'installe chez sa tante Galla et son oncle Serafino, surnommé l'«Ingénieur», pour y préparer son baccalauréat. Orphelin, adolescent frêle et gauche réfugié dans les livres, Tino attend de toucher l'héritage de sa mère, précieux sésame qui doit lui ouvrir les portes de la vie étudiante et du monde adulte. Dès son arrivée, Galla et Anetta, la vieille servante, lui font une étrange confidence: au dernier étage, dans une chambre fermée à double tour, vit le «Professeur», le frère jumeau de Serafino devenu fou à son retour d'Afrique.
D'abord troublé par cette révélation puis angoissé par cette cohabitation forcée, Tino adopte petit à petit le rythme de la maison, partageant même les virées nocturnes de son oncle. jusqu'à ce petit matin où il va découvrir le secret caché derrière ces persiennes closes, un terrible drame qui fera tomber tous les masques, un à un...
Un roman d'apprentissage brillant, la chronique d'un drame familial dans la chaleur étouffante du Turin des années soixante et, surtout, la redécouverte d'un écrivain majeur de la littérature italienne de l'après-guerre.

Né en 1927 à Pula (en actuelle Croatie) et mort à Turin en 1987, Giovanni Arpino est un écrivain prolifique. Romancier, poète, nouvelliste, dramaturge, il a également été journaliste pour La Stampa et a travaillé pour le cinéma. Lauréat du prix Strega (le Goncourt italien) et du prix Campiello, redécouvert ces dernières années en Italie, Arpino reste méconnu en France, où seulement quatre de ses livres ont été traduits: Serena (Le Seuil, 1961 et 1988), Un délit d'honneur (Le Seuil, 1963), L'Ombre des collines (Plon, 1967, sous le titre Le Bonheur secret; Autrement, 1998) et Parfum de femme (Philippe Rey, 2005; 10/18, 2007), adapté au cinéma par Dino Risi avec Vittorio Gassman.

Shalom Auslander, Attention Dieu méchant (17 septembre)
Traduit de l'américain par Bernard Cohen

y a-t-il là-haut quelqu'un qui m'aime? Cette question hante Bloom depuis qu'il a failli mourir. Mais face à l'inefficacité de Lucifer et de la Mort, qui débattent des méfaits des défibrillateurs, Dieu descend sur terre finir le travail lui-même...
Deux hamsters, Donut et Beignet, attendent joe, leur maître. Confiant dans la bonté de son dieu nourricier, Donut se met à prier. Affamé, Beignet commence à douter. Et si Joe ne revenait pas pour le dîner? Après une nuit de rêves impurs, Motty, un élève de yéchiva loubavitch de dix-huit ans se réveille avec une poitrine velue, un débardeur Budweiser, une anatomie qui ne peut pas être la sienne et une furieuse envie de bricoler. Que vont penser les siens de son nouveau corps de chef de chantier goy?
Rabbins violents, chiens culpabilisateurs, épouses incitant au péché et poulet géant peuplent ce recueil complètement original, qui, derrière un humour dévastateur, soulève des questions fondamentales sur l'emprise de la religion et le besoin humain d'autorité. Comme les «mémoires» du même auteur, La Lamentation du prépuce, ces quatorze nouvelles sont jubilatoires, iconoclastes, hilarantes et délicieusement blasphématoires. Un régal de drôlerie et de désespoir.

Shalom Auslander est né à Monsey, dans l'État de New York, dans une famille juive orthodoxe. Nominé pour le prix Koret, il a publié des articles dans Esquire et The New Yorker. Révélé en France par La Lamentation du prépuce, (Belfond, 2008; 10/18, 2009), avec un vrai succès de librairie, Attention Dieu méchant est son deuxième ouvrage traduit en français. Shalom Auslander vit près de Woodstock avec son épouse, Orli, et leur fils, Paix.

Avec vue sur la rentrée littéraire (37) - Arléa

Arléa ne se mêle pas aux premiers remous du mois d'août. Ses nouveautés arriveront tranquillement au mois de septembre. Certes, il y aura embouteillage...

Hélène Le Chatelier, Dernière adresse (3 septembre)

De ma naissance irlandaise, j’ai gardé le goût des grands espaces, des landes dévastées, des ciels lavés par la mer, des nuages gris au goût de sel.
J’ai atteint un âge presque canonique, beaucoup trop avancé pour que la décence m’interdise d’en faire part, bien qu’au fond cela me soit complètement égal.

Cette vieille dame irlandaise qui a tant aimé la vie n’a plus l’âge – ni l’envie – d’être raisonnable. Comment l’être quand on doit quitter sa maison pour toujours en laissant tout derrière soi ?
Mais il lui faut franchir le pas sous les yeux vigilants et inquiets de sa famille. Elle s’éloigne alors vers sa dernière adresse. Commence alors un douloureux face-à-face avec la solitude et les souvenirs, avec la dépendance physique, toujours mue par cet élan de vie qu’elle ne se résigne pas à abandonner.
Se regardant vieillir avec lucidité et ironie, elle revoit et revit les zones troubles de son enfance pour aboutir, peut-être, à un détachement plus serein.

Marie Sizun, Eclats d'enfance (3 septembre)

Il est des enfances dont il est difficile et parfois douloureux de retrouver le cadre. C’est pourquoi Marie Sizun a attendu des années avant de se décider à revoir ce quartier du XXe arrondissement où elle a grandi.
Soucieuse d’éviter «l’immeuble de briques rouges» du huis-clos familial, avec ses secrets et ses drames, c’est à travers les rues familières de ses parcours d’enfant qu’elle nous conduit, faisant lever les bons comme les moins bons souvenirs en autant d’éclats lumineux qui ressuscitent le Paris des années 1950, mais qui, surtout, racontent les émotions et les rêves qui font passer de l’enfance à l’adolescence, et orientent définitivement les choix de l’adulte.

Pourtant les rues d’avant étaient toujours là, dans la tendresse de leur tracé familier, la poésie de leurs noms, et la plupart des anciens immeubles, ceux qui n’étaient pas trop vieux, pas trop bas, et le ciel, et la couleur du temps, et la tristesse et la gaîté de ce quartier populaire, avec ses bruits bien à lui, ses cris et ses rires, cette étrange rumeur qui sourdait de l’air, des trottoirs, des murs, altérée peut-être, mais persistante derrière le bruit des voitures : c’était cette rumeur ancienne que j’entendais encore, la musique du quartier, celle que je connaissais, que je reconnaissais.

Ce récit authentique et poignant, mais toujours retenu, Marie Sizun l’a conçu comme un roman, et il se lit comme un roman.

Patrick Boman, Retour en Inde (10 septembre)

Hier soir, à l’aéroport, l’odeur de l’Inde était non pas celle, classique et célébrée par tous les bons auteurs, de l’encens, du piment, des fleurs pourries et des excréments, mais celle du désinfectant, un très rétro Crésyl en l’occurrence, et ce matin les odeurs de charbon sont prégnantes, puisque cette agglomération de treize millions d’habitants utilise pour l’essentiel du charbon.

Grand voyageur, Patrick Boman compte à son actif bien des allers et retours de par le monde.
Avec Retour en Inde, il nous livre les notes prises au cours d’un voyage dans le sous-continent entrepris après une longue absence dans le pays, dont le moins qu’on puisse dire est qu’il a subi des transformations majeures et inédites – mondialisation oblige.
Ce journal détaillé, de Calcutta à Bombay via Chandernagor, Bénarès et Goa, tord le cou à de nombreux clichés, sur la misère inexorable ou au contraire le trop rapide enrichissement, les délocalisations, l’informatisation, les castes, les rapports entre les différents groupes, etc.
Où l’on verra que la «plus grande démocratie du monde» n’a pas fini de nous étonner ni de bousculer les lieux communs…
Sans faire appel le moins du monde à l’exotisme, avec érudition et un humour très British, Patrick Boman sait déchiffrer pour nous les mystères de l’Inde.

Patrick Boman est né en 1948 à Stockholm, de mère française et de père suédois. Il vit à Paris, où il est journaliste technique pour un hebdomadaire national. Il a publié de nombreux récits de voyage, des romans policiers ayant pour cadre l’Inde des années 1900, un récit des guerres civiles centre-américaines du milieu du xixe siècle, une initiation à la typographie, un Dictionnaire de la pluie...

Olivier Boura, Jésus-Christ matador et autres nouvelles (10 septembre)

Olivier Boura est un homme du Sud, et pas de n’importe quel Sud. Marseillais, il a publié chez Arléa, Marseille ou la mauvaise réputation, La Nuit du Rhône, Un siècle de Goncourt et une anthologie : Les Atlantides, généalogie d’un mythe.
En homme du Sud il est aussi un aficionado convaincu, et il nous le prouve ici sans conteste et avec talent, en faisant appel à une culture taurine dénuée de pédanterie.
Si les neuf textes qui composent ce recueil, divers en temps et en lieux, évoquent, bien sûr, le taureau, ils ne se déroulent pas tous dans l’arène. De l’humour inattendu de la première nouvelle à la grande force d’émotion de la dernière, Olivier Boura nous donne à lire les nombreuses facettes de ses talents d’homme du Sud, d’aficionado et d’historien.
On sera sans doute étonné de croiser ici Mérimée débattant avec Stendhal, ou de découvrir, avec des navigateurs éberlués, une île peuplée d’enfants survivants d’un naufrage, qui ne sont pas sans évoquer les garnements de Sa majesté des mouches, et dont la cohabitation avec des taureaux tient du prodige…
Les sept nouvelles du recueil ont pour titre : Jésus-Christ matador, Soudain, Lydia, Le Gaucher, Blessure en miroir, Pasiphaé, Cargo Cult, Les Gradins et Le torero s’honore de la solitude.
Qu’on aime ou qu’on déteste les courses de taureaux, la maîtrise d’Olivier Boura, son style et son érudition emportent l’adhésion sur ce sujet qui, d’ordinaire, ne manque pas de dresser les uns contre les autres partisans et adversaires.

Avec vue sur la rentrée littéraire (36) - Plon

Honorable et ancienne maison, Plon a longtemps fait dans la discrétion sur le terrain du roman. Le renouveau de la collection "Feux croisés" et une nouvelle politique d'auteurs lui ont rendu une place confirmée cette année par six titres, dont une traduction et un premier roman - tardif à plusieurs titres, puisqu'il est signé Daniel Mesguich et sort en septembre.

Philippe Carrese, Enclave (20 août)

A la fin de la seconde guerre mondiale, les Allemands mis en fuite par l’avancée soviétique abandonnent à leur sort les détenus d’un camp slovaque. Isolés au cœur des monts Tatras, les prisonniers oubliés du reste du monde, doivent se réorganiser dans ce temps suspendu. Ils reconstituent un fonctionnement politique: la République de Medved’.
Sur les pages de son petit cahier rouge, le jeune Matthias Statzlinger, 13 ans, trace de son écriture maladroite la chronique de ce peuple. Il écrit tout: l’horreur, l’espoir, les cycles de l’amour et des haines, le quotidien du camp, le courage, l’abnégation, les bassesses et l’ignominie. Il écrit pour conjurer la répétition des mécanismes et la reproduction des systèmes. Il écrit pour sauver l’enclave de l’oubli.
Une parabole sur les mécanismes du pouvoir, la capacité de soumission des hommes et l’inéluctable retour des réflexes despotiques.

Réalisateur et écrivain, Philippe Carrese est l’auteur de nombreux romans noirs (Tue-les, à chaque fois, 1999, Le bal des cagoles, Prix polar SNCF 2001, Les veuves gigognes, 2005) ainsi que des polars jeunesse (La grotte de l’aviateur, 2004, La malédiction de l’enclume, 2007, La nef des fous, 2008). Il reprend dans Enclave l’un de ses thèmes de prédilection, les bouleversements humains engendrés par l’histoire contemporaine.
www.philippecarrese.com

Isabelle Condou, La Perrita (20 août)

A Buenos Aires, un dimanche de mars 1996, Violetta prépare la réception qu’elle donne ce soir pour les 18 ans de sa fille.
A quelques kilomètres, dans la pampa argentine, Ernestina est également plongée dans les préparatifs de l’anniversaire qu’elle organise pour sa petite fille, une enfant qu’elle n’a jamais vue. Or il s’agit d’une seule et même jeune fille.
La petite Malvina a grandi sans connaître le drame qui a présidé à son existence. Elle est l’une de ces desaparecidos victimes de la dictature. Violetta, profitant de la position de son mari, officier compromis dans les exactions du régime, et rongée par la douleur de ne pouvoir enfanter, l’a enlevée à sa famille. Mais Malvina a fini par découvrir la vérité sur ses origines.
Durant cette journée unique, moment paradoxal pour ces trois femmes, les évènements et les révélations s’accélèrent. Et c’est l’histoire de tout un pays que l’on entrevoit, l’histoire de deux destins qui s’entremêlent, et la vie d’une jeune fille qui se construit.
Bouleversée par les manifestations des «Mères de la place de Mai», Isabelle Condou est partie plusieurs mois en Argentine à la rencontre des bourreaux et des victimes de ces années noires.

Isabelle Condou a publié deux romans (Il était disparu, Plon 2004, et Solitude de l’aube, qui a reçu la bourse Thyde-Monnier de la SGDL, Plon 2007). Franco-belge, elle vit en Gironde.

Léonora Miano, Les aubes écarlates. «Sankofa cry» (20 août)

Enrôlé comme enfant soldat, Epa a fui les troupes d’Isilo, le chef de guerre. Il a traversé le Mboasu pour échouer à «La Colombe», un centre qui recueille les enfants abandonnés. Là, il retrouve Ayané, l’héroïne de L’intérieur de la nuit et Musango, la fillette de Contours du jour qui vient. Il raconte son parcours d’enfant soldat : rapines, exécutions, viols…
Mais son récit est étrange: Epa dit avoir croisé plusieurs fois des ombres enchaînées demandant réparation pour les crimes du passé. Tout son périple est hanté par l’esprit des morts de la traite négrière, ceux qui ont péri pendant les traques et lors du voyage au-delà des mers. Mais bientôt, ces esprits viennent également hanter les murs de «La Colombe». N'ayant jamais été honorés sur le continent africain, les défunts le hantent et l'empoisonnent de leur amertume. Leur souffle imprègne le quotidien et cause, notamment, la folie et la violence que l’Afrique ne cesse de perpétrer contre elle-même.
Devenu conscient de l’aberration qui ronge le continent, Epa n’aura de cesse de rechercher les autres enfants soldats et de les ramener à la paix, dans leurs familles.
Convaincue de la nécessité de regarder en face ses propres ombres pour pouvoir les chasser, Léonora Miano développe dans Les aubes écarlates, son thème de prédilection: l’intériorité de ces peuples habités par une absence, une faille qui empêche l’estime de soi et la fraternité.

Léonora Miano achève avec ce roman, son triptyque consacré à l’Afrique après L’intérieur de la nuit, premier roman classé 5e dans la liste des meilleurs livres de l’année par la magazine Lire, puis Contours du jour qui vient, prix Goncourt des Lycéens 2006. Son dernier livre Tels des astres éteints (Plon 2008) était consacré aux afropéens. Léonora Miano vit à Paris. Elle est née à Doula au Cameroun. Comme tout le golfe de Guinée, ce pays a participé à la traite négrière.

Caroline Pascal, La femme blessée (20 août)

Elle incarne le charme suranné de la bourgeoisie française, lui l’ambition politique. Mariés depuis vingt ans, ils forment un couple idéal. Mais peu à peu, cette vie sur papier glacé tourne très banalement au vinaigre: Victoire est invitée à laisser la place. Le temps d’une crise le voile se déchire sur toute l’histoire du couple, son passé comme son avenir.
C’est un portrait de femme aussi sensible qu’inattendu que dresse Caroline Pascal; une femme blessée, tiraillée entre une tradition familiale et sociale anachronique, qui fait du silence la première des qualités et de l’adultère l’acte naturel du couple, et un puissant désir de liberté et d’épanouissement.
Et au fond cette femme en apparence si traditionnelle et parfois naïve n’est-elle pas la plus forte?

Normalienne agrégée, Caroline Pascal est universitaire. Elle a traduit en français les deux grands écrivains espagnols de la fin du XIXe siècle: Emilia Pardo Bazan et Benito Perez Galdos. Elle est l’auteur de deux romans, Fixés sous verre (Plon, 2003) et Derrière le paravent (Plon, 2005).

Hasan Ali Toptas, Les ombres disparues (20 août)
Traduit du turc par Noémi Cingöz

Un petit village turc. L’échoppe d’un barbier. Un homme entre se faire coiffer, il évoque son roman inachevé, ses yeux se perdent dans le lointain.
Sa voix renaît ailleurs, loin, dans l’échoppe d’un autre barbier, Cingil Nuri.
Mais Nuri a disparu.
Dans ce village d’Anatolie sans époque ni saison où la voix du narrateur nous emporte, les disparitions et les secrets rythment les jours. Et lorsque Nuri réapparaît, sorti de nulle part, c’est Colombe, la plus belle fille du village, qui s’envole à son tour.
Le maire désespère, les hommes déraisonnent, ils cherchent leurs disparus, l’échoppe du barbier s’est vidée.
Ne reste que le romancier, qui a laissé son histoire lui échapper.
Empruntant aux univers de Kafka et Borges, Hasan Ali Toptas fait émerger un monde à part, insaisissable, où les lois du temps et de l’espace ont disparu, tandis que ses personnages disparaissaient dans les montagnes turques. Poétique et énigmatique, ce roman abolit les frontières du récit, déploie des passerelles entre les mondes et les personnages, entraîne le lecteur dans les spirales d’un rêve.

Renouveau de la littérature turque, Toptas est né en 1958 à Baklan, dans le sud ouest de l’Anatolie. Issu d’un milieu modeste, il a enchaîné différents métiers tout en continuant d’écrire. Il a publié son premier recueil de nouvelles en 1987, puis huit romans, récompensés par de nombreux prix. Les Ombres disparues, son deuxième roman, a reçu le prix Yunus Nadi, avant d’être publié en Allemagne et découvert dans le monde entier. Récemment, son dernier roman, encore inédit en France, a reçu le prix littéraire le plus convoité en Turquie, le prix Orhan Kemal.

Daniel Mesguich, L'effacée (24 septembre)

Ellen a vingt-quatre ans. Depuis un mois, ou peut-être deux, elle s'est lancée dans l'écriture d’une thèse sur K. Hell le solitaire, acteur, metteur en scène et théoricien du théâtre aujourd'hui oublié.
Elle part à sa rencontre dans le sud de la France où elle connaît une étourdissante passion pour lui. Jusqu’à ce qu’il disparaisse. Ellen se lance alors à sa recherche, arpentant les rues de Marseille, accompagnée de pensées folles, de rêves et de cauchemars, et de quelque chose qui ressemble à de l'amour. Mais K. Hell a-t-il réellement existé? Ellen est-elle elle-même une fiction?
Prenant pour toile de fond le monde secret du théâtre, L'effacée est l'histoire de la déchirure de son rideau intérieur.
Borgès pour la métaphysique et Maïakovsky pour le théâtre, mais aussi Freud et Jouvet, sont les étoiles qui éclairent ce livre du cheminement. Et tout au long de ce roman, c’est la fascination de Daniel Mesguich pour Hamlet que nous retrouvons.

Daniel Mesguich est comédien et metteur en scène. Il enseigne au Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique depuis 1983, et en est le directeur depuis 2007. Il a publié L'éternel éphémère (Verdier, 2006), un essai sur le théâtre. Ce livre est son premier roman.

Avec vue sur la rentrée littéraire (35) - P.O.L.

Pas un seul premier roman chez P.O.L. le 28 août, date de mise en vente de ces ouvrages. Mais des auteurs confirmés qui ont déjà donné bien des plaisirs à leurs lecteurs - j'en suis, et je me régale déjà rien qu'au fumet de ces livres, accessible grâce aux premières pages.

Nicolas Fargues, Le roman de l'été

C'est le début des vacances d'été dans le Cotentin. Après une vie d'échecs divers, John, 55 ans, voudrait se mettre à la littérature. Mary, sa fille, lui annonce son arrivée prochaine, avec son compagnon et une nouvelle amie italienne. Jean, lui, est sur le point de partir en retraite de son emploi de soudeur de coques de sous-marins à la DCN de Cherbourg. Il est marié à Claudine. Ils ont un fils, Frédéric, employé à la SOREDA, l'usine de retraitement de déchets nucléaires de la région. Le rêve de Jean: percer une ouverture dans le mur de sa maison pour voir la mer. Seulement, le bâtiment étant construit en bordure du terrain de John, il faudrait l'accord de ce dernier. Chassés-croisés entre les deux familles sur fond de petites manœuvres politiques du député-maire du village. Malentendus, quiproquos, instrumentalisation des uns par les autres, incommunicabilité intrafamiliale et interculturelle, amours déçus. Sur le ton de la comédie de mœurs, Nicolas Fargues s'est attaché, comme dans tous ses livres précédents, à faire tomber les masques. Pour dire en riant, que, malgré les liens qui nous unissent les uns aux autres, nous sommes et resteront toujours tous seuls au monde. Pour également brosser un tableau de la société française contemporaine à la fois incisif, précis, ample et sans appel.

Lire les premières pages.

Iegor Gran, Thriller

Les faits divers sont les soupapes cachées de la civilisation. Voici qu’un certain Norman, professeur d’économie à l’Université de Berkeley, dérobe le portefeuille d’un clochard. Coup de folie? Envie de jouer au surhomme?... Ses proches sont perplexes. Et Norman, qui a toujours étalé sa probité de gauche, patauge maintenant dans un fâcheux bourbier moral.
L’incident aurait été un simple dérapage vite oublié – qui se soucie d’un clochard? –, si au même moment, s’emparant de l’affaire, un journaliste à la déontologie moribonde n’avait bidonné un article pour l’Oakland Daily.
Le crime se recycle et prend de l’ampleur. Une blonde est étranglée dans un terrain vague. Un vent mauvais se lève à Berkeley, soufflant sur les ruines de la famille, des rapports amoureux et des théories économiques à la mode.
Ainsi, comme à l’accoutumée dans les livres de Iegor Gran, nous assistons à un très réjouissant jeu de massacre qui n’épargne ni les personnages du roman ni leurs référents dans la réalité contemporaine. Si on ajoute à cela une histoire remarquablement ficelée, le lecteur est happé par une mécanique implacable qui n’a rien à envier à celles qui gouvernent les chef-d’œuvre du genre. À ceci près, tout de même, qu’ici, en plus, on rit beaucoup. On rit devant la drôlerie des situations, l’habileté narrative et dramatique de l’auteur, mais on rit aussi à cause de son incroyable talent de manipulateurs de mots. Iegor Gran, comme personne, sait rendre notre langue métaphorique. C’est du grand art, c’est d’une poésie inattendue, burlesque et d’une rare créativité, d’autant plus surprenant qu’elle n’arrête en rien le fonctionnement de l’intrigue mais au contraire le nourrit.

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Jacques Jouet, Bodo

«J'ai écrit Bodo après une bonne dizaine de voyages ou séjours de travail (des chantiers de théâtre) en Afrique: Bénin, Burkina Faso, Niger, Afrique du Sud, Namibie, Madagascar, Côte d'Ivoire.
Plus qu'ailleurs, je me suis toujours senti – non pas chez moi, oh la la, surtout pas! – mais dans mon élément, en Afrique.
C'est quoi, mon élément?
La langue française, quelles qu'en soient les raisons, y est active. Les hommes y jouissent et y souffrent à peine différemment qu'ici. Je suis un voyageur qui cherche à voir les ressemblances.
Pour lire Bodo, il y a des choses à savoir que, d'ailleurs, on apprend en lisant le roman:
– que le wassan kara est une fête théâtrale dans la population haoussa de Zinder, au Niger. Une sorte de carnaval. Il s'agit de représenter les événements politiques, avec les personnalités officielles du moment en les faisant jouer par des monsieur-tout-le-monde qui en sont les sosies. C'est ainsi qu'un colonisé tint le rôle de Baudot le colon, à la fin des années quarante et qu'il lui prit son nom, de la même façon que celui qui joue Kadhafi, on l'appellera toute sa vie Khadafi.
– que Baudot le colon est, aujourd'hui au Niger, une figure quasi mythologique, à cause d'un grand poème du griot Dan Alalo, dont le texte est traduit au cœur du roman
– que de Gaulle, en 1958, a volé aux nigériens l'expression du «non» au referendum qui risquait fort d'être majoritaire.
Le roman promène son miroir stendhalien au milieu de personnages et de lieux africains, dans cette période charnière de la deuxième moitié du XXe siècle: l'administration coloniale française, ébranlée, divisée, par la défaite de 40 et la guerre; les guerres coloniales (on fait un crochet par la guerre d'Indochine) et la décolonisation apparente; les débuts difficiles de l'indépendance.
Baudot aura été le colon de Bodo, lui transmettant son nom et une certaine idée de ce qu'est le travail. Bodo le père transmet aussi des choses à Bodo le fils et Bodo le fils à Bodo le fils-fils.
Et puis, importance égale, les femmes aussi transmettent.»
À quoi nous ajouterons que, outre la profonde et communicative empathie pour l'Afrique et les Africains qui se dégage de ce roman basé sur des faits réels, il convient d'en souligner le caractère foisonnant, drôle, imprévisible: éminemment romanesque, justement, et ample au point d'atteindre à la fresque.

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Brice Matthieussent, Vengeance du traducteur

Un traducteur facétieux et sans doute malfaisant supprime le texte qu'il traduit et multiplie les notes en bas de page, les fameuses (N.d.T.), d'habitude rarissimes, ici abondantes et prolixes, qui racontent par le menu le dégoût qu'il a du roman qu'il traduit, le mépris dans lequel il tient son auteur, et surtout les outrages qu'il fait subir au texte: suppression des adjectifs, des adverbes, de paragraphes puis de pages entières, au profit de ses propres remarques, rêves, réflexions, ajouts, etc. Les notes en bas de page occupent ainsi le premier tiers de Vengeance du traducteur. Et c'est la première «vengeance» du traducteur, son premier crime de lèse-majesté.
Mais les personnages du roman américain ainsi curieusement traduit s'insinuent peu à peu dans le texte que nous lisons: Abel Prote, un écrivain français connu, vieillissant et acariâtre, auteur d'un roman intitulé (N.d.T.), que traduit en anglais David Grey, un jeune New-Yorkais qui adore se déguiser en Zorro, «le vengeur masqué».
(N.d.T.) est un roman dans le roman, mais suprêmement drôle, et s'il est plein de références et de clins d'œil ceux-ci ne snobent jamais le lecteur. On les voit? Le plaisir de la lecture est décuplé. On ne les saisit pas? Il reste intact.
Le romanesque a ici la part belle: rebondissements, coups fourrés, révélations, trahisons, deus ex machina, passages secrets, scènes sexuelles, pièges littéraires ou «réels», machinations, déguisements érotiques ou comiques, apparitions, rêves délirants, fantasmes. Brice Matthieussent a voulu utiliser tous ces artifices et ces feux d'artifices propres au roman pour essayer de comprendre ce qui lie un traducteur à son auteur (la traduction au texte original) et, plus généralement, un fils à son père, la dimension autobiographique étant bien sûr omniprésente dans cette «vengeance» envisagée comme un nouveau genre romanesque.

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Martin Winckler, Le choeur des femmes

Jean Atwood, interne des hôpitaux et quatre fois major de promotion, vise un poste de chef de clinique en chirurgie gynécologique. Mais au lieu de lui attribuer le poste convoité, on l'envoie passer son dernier semestre d'internat dans un service de médecine consacré à la médecine des femmes -  avortement, contraception, violences conjugales, maternité des adolescentes, accompagnement des cancers gynécologiques en phase terminale.
Le Docteur Atwood veut faire de la chirurgie, et non passer son temps à écouter des femmes parler d'elles-mêmes à longueur de journée. Ni servir un chef de service à la personnalité controversée. Car le mystérieux Docteur Karma -  surnommé «Barbe-Bleue»  - séduit sans vergogne, paraît-il, patientes et infirmières et maltraite sans pitié, dit-on, les internes placés sous ses ordres. Pour Jean Atwood, interne à la forte personnalité et qui brûle d'exercer son métier dans un environnement prestigieux, le conflit ouvert avec ce chef de service autoritaire semble inévitable.
Mais la réalité n'est jamais ce que l'on anticipe, et la rencontre entre les deux médecins ne va pas se dérouler comme l'interne l'imagine.
Le Chœur des femmes est un roman de formation: il raconte l'histoire d'un jeune médecin déjà modelé par la faculté et par sa spécialité d'élection et qui doit brusquement réviser ses préjugés devant une réalité qui lui avait échappé jusqu'ici: ce ne sont pas ses maîtres qui lui apprendront son métier, mais les patientes.
C'est un roman documentaire qui décrit la médecine des femmes, ses gestes, ses particularités, ses écueils, ses interrogations éthiques, comme aucun roman, ne l'a fait à ce jour, du moins en langue française.
C'est un roman choral (comme son nom l'indique) dont la structure s'inspire de celle de la comédie musicale: au fil de son itinéraire (un récitatif à la première personne) dans ce microcosme qu'est l'unité 77, le Docteur Atwood croise des femmes qui racontent (et parfois, chantent) leur vie, leurs amours et leur mort, en solo ou dans un ensemble assourdissant.
C'est aussi un roman d'énigme: comme toutes les patientes qu'ils sont amenés à soigner, Jean Atwood et Franz Karma ont chacun un secret qui les anime, les oppose et, étrangement, les rapproche -  le secret originel de leur identité en tant que soignant et en tant qu'être humain.

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lundi 29 juin 2009

Avec vue sur la rentrée littéraire (34) - Le Rouergue

Si vous pensez que Le Rouergue est surtout une maison d'édition spécialisée dans les livres de jeunesse, vous n'avez pas complètement tort. Mais vous n'avez pas non plus tout à fait raison. La preuve par trois titres de la collection La Brune qui sortent à la rentrée.

Pascal Morin, Biographie de Pavel Munch (19 août)

Qui était vraiment Pavel Munch, ce sculpteur provocateur et médiatique, dont la disparition reste inexplicable? En menant l'enquête sur son parcours, depuis son enfance jusqu'à ses heures de gloire, un narrateur lente d'éclairer cette disparition et surtout de révéler la source de cette œuvre singulière, obsédée par la matière et les corps. Pas à pas, le narrateur-biographe explore la jeunesse solitaire de ce Pavel Munch, né dans un hameau reculé du Sud de la France qui, très tôt, modèle la boue pour créer des figurines. On découvre son adolescence brutale dans un pensionnat, durant laquelle il découvre son désir pour les hommes, puis les différentes étapes de son ascension rapide, facilitée par la fascination que sa personnalité et la radicalité de ses sculptures exercent sur les autres.
Très vite, cependant, le lecteur perçoit que cette enquête biographique n'est pas aussi classique qu'elle voudrait nous le faire croire. Car la figure du narrateur vient progressivement troubler le cours du roman. Que cache donc ce biographe? Qui est-il vraiment? Personnage tout aussi trouble que Pavel Munch, ses livres se parent d'une violence froide et ironique, tout comme les sculptures de Pavel s'affranchissent de toute notion du bien et du mal. Leurs destins semblent s'être croisés à plusieurs reprises. Et longtemps, l'écrivain a envié la réussite du sculpteur et sa liberté de mœurs. Double l'un de l'autre, mais jusqu'à quelle extrémité?

Né en 1969 à Nyons (Drôme), ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, Pascal Morin est professeur de lettres au Lycée Voltaire, de cinéma et de littérature contemporaine à la New York University, à Paris. Ses trois précédents romans, tous publiés dans la brune, ont imposé sa voix: L'Eau du bain (2004, Babel 2005, Prix Lettres frontière), Les Amants américains (2005, Babel 2006) et Bon vent (2006). Chacun de ces romans aborde successivement les thématiques de l'eau, du feu et de l'air. Le quatrième clôt le cycle en traitant le thème de la terre.

Anne Percin, Bonheur fantôme (19 août)

À tout juste 28 ans, Pierre s'est mis à l'écart du monde, dans une petite maison posée au bord d'une départementale entre La Flèche et Le Mans. Il vit de brocantes et s'essaie à écrire la biographie de Rosa Bonheur, célèbre au XIXe siècle pour ses peintures de vaches. Avec sa belle gueule, ses études de philosophie en Sorbonne et sa jeunesse de Parisien séducteur et homosexuel, pourquoi avoir choisi ce retrait absolu? Dans un autoportrait plus proche de la pâte d'un Francis Bacon que d'une Rosa Bonheur, il se raconte et nous raconte le périmètre auquel il a choisi de limiter désormais sa vie. La chine, les discussions avec sa vieille voisine Paulette, les soirées de cuite dans la crêperie voisine, les promenades avec ses deux chiens... Puis, le cercle s'élargit et se dévoilent progressivement des morceaux mal digérés de son histoire. Apparaissent alors ses fantômes. Certains sont de vrais fantômes, comme celui de son frère jumeau, disparu à l'âge de dix ans dans un accident de voiture. D'autres, bien vivants, hantent aussi sa vie. Au centre de ses obsessions, il y a R., l'amant avec qui il a vécu huit années d'un amour absolu, dont il se sait encore aimé. Ce R., plus âgé que lui d'une douzaine d'années, reporter photographe, fait parfois irruption dans sa retraite de la Sarthe, lors de visites brèves et incertaines. Les deux hommes retrouvent alors immédiatement les gestes du désir. Pourquoi donc Pierre a-t-il abandonné R.? Pourquoi avoir choisi cette solitude de sauvage? Au fur et à mesure de cette passionnante enquête intérieure, le lecteur s'attache aux complexités de ce jeune homme qui se dit pur, non par chasteté ou angélisme, mais par sa fidélité à lui-même et à ceux qui ont compté.

Née en 1970 à Epinal, Anne Percin grandit à Strasbourg qu'elle quitte à 25 ans pour Paris, où elle commence à enseigner le français en collège. Marquée dans l'enfance par la lecture de Colette, elle cherche à revenir vivre à la campagne, un rêve accompli en 2003 où elle s'installe en Bourgogne avec son compagnon, l'écrivain Christophe Spielberger et leur enfant. Elle vit actuellement en Saône et Loire, partage sa vie entre l'enseignement et l'écriture de romans «pour les ados» (chez Thierry Magnier et à l'Ecole des Loisirs notamment).

Hélène Gaudy, Si rien ne bouge (2 septembre)

Comme chaque année depuis sa naissance, Nina, 14 ans, passe l'été sur une île méditerranéenne. Fille unique, elle vit dans l'ombre de ses parents. Mais cet été-là, une adolescente de deux ans plus âgée, Sabine, les accompagne. Issue d'un milieu modeste, peut-être disloqué, c'est une gamine mutique et sans charme qui, sitôt sur place, ne fait aucun effort pour se montrer reconnaissante des vacances qu'on lui offre. Cachée dans la pinède, la maison avec piscine est un lieu protégé où, année après année, les vacances se déroulent selon un rythme immuable, comme si le temps ne passait pas, sans aucun drame ni fissure. Où, surtout, Nina semble vouée à ne jamais grandir.
Sabine, par sa seule présence, perturbe cet équilibre familial. Nina croyait lui ouvrir son univers mais c'est elle qui l'attire dans son orbite, impose ses rires forcés, sa brusquerie, son inactivité. Les parents finissent par la trouver vulgaire, cette fille qui ne sait même pas se tenir à table. Dont les airs butés leur opposent une résistance insupportable. Dont l'influence sur leur fille est difficile à mesurer. Qui est-elle vraiment, cette Sabine? Dit-elle la vérité sur sa famille? Ne cache-t-elle pas derrière ses airs bonasses une étrange cruauté?
Quand, au duo des filles, vient s'agglomérer Toni, un jeune du village, les belles vacances basculent dans un jeu féroce. De sorties nocturnes en échappées sur les plages, Nina et Sabine sont désormais deux vilaines filles des contes dont on peut craindre le pire. Désœuvrées et saisies d'une nouvelle sensation de puissance, elles testent sur les autres et notamment sur leur jeune voisin, Alban, de nouveaux rapports de force. Jusqu'à ce que les choses aillent trop loin. Nina et sa famille découvrent alors jusqu'où ils sont prêts à aller pour que rien ne bouge.

Hélène Gaudy est née à Paris en 1979. Elle est l'auteur de Vues sur la mer (Les Impressions nouvelles, deuxième sélection du prix Médicis 2006) et en littérature jeunesse, d'Atrabile (Rouergue, 2007, collection doAdo). Elle a également participé à plusieurs ouvrages collectifs, dont Une chic fille (Naïve, 2008) et Vingt ans pour plus tard (Elyzad, 2009). Elle fait partie du comité de rédaction de la revue Inculte.

Avec vue sur la rentrée littéraire (16 bis) - Le Cherche midi

Je me disais bien qu'il n'y avait pas grand-chose au programme du Cherche midi la première fois que je vous en ai parlé. Ou que quelque chose m'avait échappé. Voici un complément d'information bien utile, d'autant que le premier écrivain de la liste est de ceux qui me sont chers. Et, comme la collection Lot 49, dirigée notamment par Claro, est un lieu de découvertes exceptionnelles, j'ajoute des argumentaires d'octobre et de novembre - pourquoi ne pas voir loin?

Alain Fleischer, Courts-Circuits (27 août)

Le roman commence en Bohême - sorte de retour à des lieux d'origine - avec l'arrivée du narrateur dans une petite ville et dans la boutique d'un tailleur où il croise trop vite une jeune fille trop belle. Puis, la jeune fille parlant au téléphone avec un garçon que l'on peut imaginer être son fiancé, nous retrouvons ce dernier en visite chez sa mère en Israël. Là-bas, un réparateur d'installations de climatisation, d'origine italienne, s'apprête à revenir en vacances dans son pays, où vit sa fille. Dans un restaurant au bord d'un lac, près de Rome, on croise une belle Italienne qui se souvient des quelque nuits qu'elle passa dans un hôtel de Budapest, avec un amant hongrois, maintenant fonctionnaire européen en Afrique. Dans un petit village du Mali, cet homme s'écarte étrangement de sa mission officielle, et il fréquente maintenant une spectaculaire jeune Africaine. Sur cet homme insaisissable, un éclairage nous est donné à la faveur d'un retour du narrateur, qui se trouve être son frère. Mais ce narrateur s'éclipse à nouveau, alors que nous suivons la beauté noire à Londres, où s'apprête à la recruter une agence de mannequins. Après une soirée mémorable, parmi la bohème artistique anglaise, le maquilleur qui prépare la beauté exotique pour ses premiers essais, est un Brésilien qui se morfond d' être séparé de son amant resté au Brésil, craignant toujours ses trahisons. Un coup de fil nous fait traverser l'Atlantique jusqu'à San Paolo et l'appartement où la sonnerie retentit dans le vide, ne réveillant qu'une mouche qui s'envole, visitant d'abord la cuisine où elle fait des découvertes, puis s'échappant par une fenêtre et traversant le quartier jusqu'au grand stade de Morumbi, où se déroule une partie de football au moment critique du tir d'un pénalty ...
Par ce genre de relais, et bien d'autres, nous remonterons bientôt l'Amazone, à bord d'un rafiot emportant vers le fin fond de la jungle des aventuriers, des prostituées et un écrivain européen réputé mort depuis dix ans. Des universitaires américains venus en hydravion pour un troc avec des Indiens, nous ramèneront avec eux en Californie, puis de là, nous passerons au Canada: d'abord à Niagara, lieu mythique et décor d'un film, dont le scénario devient un épisode du roman, puis à Montréal. Au passage, nous aurons rencontré des filles au destin dramatique, un frère et une soeur incestueux dans une chambre d'hôtel de Santa Monica, près d'Hollywood, une fillette autiste qui ne parle qu'avec un perroquet... Nous aurons croisé à nouveau, dans un avion pour New York, la beauté noire devenue un top model, nous repasserons par l'aéroport de Londres, nous arriverons à Genève où un savant américain, précédemment rencontré à l'Université Stanford, se rend à un colloque auquel participe aussi l'auteur du livre... Un cheminot suisse, déprimé par le désastre de sa vie, nous conduit jusqu'au cirque où travaille son frère, et où l'on découvre un autre perroquet, frère du précédent, et vendu comme lui par un Indien, dans la jungle amazonienne. Venu d'Italie, et passant par la Suisse, le cirque se dirige vers l'Autriche, mais c'est un chien perdu qui, longeant la voie ferrée, nous conduit d'Innsbruck à Vienne: retour en Europe centrale, et rencontre avec deux vieux musiciens à la retraite, qui peuvent rappeler d'autres personnages, et qui se souviennent d'autres histoires...
Nous sommes encore loin d'avoir épuisé la série des courts-circuits et d'avoir bouclé la boucle. Il y aura encore d'autres relais, d'autres péripéties, d'autres pays, d'autres villes, d'autres filles, d'autres scènes d'amour, tendres ou violentes... Mais au bout du compte, après l'avoir croisé quelques fois, comme par hasard, on finira par retrouver le narrateur, on reviendra dans la petite ville de Bohême où tout a commencé. La jeune fille trop belle, que le narrateur a trop vite quittée, en se laissant entraîner par d'autres histoires, est à nouveau là, à la merci de son imagination et de ses fantasmes. Il aura fallu une vaste tournée à travers quelques lieux de la planète, et la rencontre avec quelques échantillons d'humanité, pour que le narrateur, assumant son rôle d'auteur, reconnaisse son désir unique: inventer un corps pour le posséder...

Ce roman circule et coupe à travers d'autres romans possibles, et y apparaissent bon nombre des thèmes qui me sont chers. Il retourne parfois dans les lieux de mes autres livres, et l'on y retrouve alors, brièvement, certains de leurs personnages. Aussi, la géographie de ce roman m'est-elle familière bien que souvent inédite. Le narrateur s'efface de situations où il n'est plus, pour réapparaître plus tard. Il arrive aussi à ce dernier d' être un «je de cache-cache» avec l'auteur lui-même, dans des situations clairement autobiographiques, y compris dans celles où on le retrouve dans une autre activité que l'écriture, comme le cinéma. C'est ainsi que s'organisent aussi bien une circulation vaste, que des courts-circuits abrupts et imprévisibles. Si ce roman prend tantôt les aspects d'un retour sur les traces de mes autres livres, tantôt ceux d'un programme, il est à la fois un clin d'oeil à ceux qui m'ont déjà lu, et une sorte de passe-partout pour ceux qui me lisent pour la première fois.
A.F.

François Marchand, L'Imposteur (27 août)

Lorsque le nouveau directeur des relations professionnelles au sein du ministère du Travail, Charles Legrandin, prend ses fonctions en janvier 2001, nul ne soupçonne une quelconque imposture. La carrière de Legrandin a été effectuée à l'étranger; personne ne le connaît au ministère et il aurait même disparu définitivement du bottin administratif si son assassinat quelques jours plus tôt par sa femme n'avait eu un témoin: le narrateur qui, un peu forcé au début, puis se prenant au jeu, usurpe froidement la fonction.
Le nouveau Legrandin se révèle bien vite performant: prenant conscience de l'incroyable absurdité de la vie bureaucratique, il conçoit l'idée d'installer un vaste système de corruption au profit d'un certain nombre d'officines patronales. Maître du code du travail, des procédures collectives et individuelles entre salariés et employeurs, il devient, via son compte bancaire, le passage obligé de toutes les fraudes de la vie économique.
Ses turpitudes l'obligent à duper en permanence la bureaucratie sous ses ordres, ainsi que son ministre. Il croise ainsi la route des énergumènes issus de ce monde loufoque: l'administration centrale. Loufoque mais pas sans danger, il faudra compter avec quelques cadavres. Car le narrateur devra, malgré son caractère pacifique, se défendre contre des intrusions non désirées sur sa véritable identité. Quant à celle du vrai Legrandin, et à ses activités réelles avant sa mort prématurée, elle ressurgira pour plonger notre escroc, dont la seule vocation est de fumer des cigares sans être dérangé, dans la confusion.
Son récit, celui d'un fumeur de havanes froid, ironique et distant, plonge le lecteur dans les moeurs cocasses des fonctionnaires.

François Marchand a passé une quinzaine d'années au sein de l'administration centrale du ministère du Travail, ce qui lui a permis d'observer de très près le non-fonctionnement de l'État. Son énergie étant peu sollicitée au travail, il joue aux échecs et a réalisé trois normes de maître international, ce dont ses amis, qui le battent régulièrement en blitz au bistrot, ne reviennent toujours pas. Il vit à Paris. L'Imposteur est son premier roman.

Serge Gardebled, Le Collectionneur de mémoires (27 août)

Qui a tué Ambroise Cotaire, le collectionneur de mémoires de Bezons? Pourquoi ce retraité qui filmait ses contemporains a-t-il été revolvérisé ? Que sont devenues les cassettes de ses interviews? Comment expliquer les crimes qui vont suivre dans cette commune tranquille du Val d'Oise? Ces assassinats ont-ils un rapport avec les attentats du CRASH, ce groupe écoloterroriste qui s 'attaque aux véhicules polluants ou mal garés? Et quel est l'invisible destinataire des confidences du narrateur (un huissier anticonformiste) qui constitue la trame du roman?
La mémoire est dangereuse. Pour celui qui se raconte, pour celui qui l' écoute. L'ironique mise en abyme des règles du genre provoque, recentre l' intérêt au gré d'une narration traversée par une figure de femme fascinante, orientale, qui confond savoureusement le masculin et le féminin. Uniquement lorsqu'elle parle.
Ce roman est aussi une invitation à la réflexion sur la quête d'hommes et d'une femme qui, contre toutes les hypocrisies, tentent de concilier la liberté du célibat et la sécurité du mariage...

Onze ans après avoir obtenu le Grand prix de la littérature policière pour Sans Homicide Fixe (Denoël), Serge Gardebled, alias Serge Garde, récidive avec ce second roman. Mais est-ce vraiment un polar? Journaliste d'investigation, grand reporter, Serge Gardebled est par ailleurs un respectueux conservateur des héroïsmes discrets, des douleurs obscures, des visages urbains qui disparaissent. Il participe actuellement à la création d'une mémoire populaire audiovisuelle à Bezons, expérience passionnante qui nourrit ce roman qui flirte avec l'autodérision.

Lydia Millet, Le Coeur est un noyau candide (Lot 49, octobre)
Traduit de l'américain par Jean René et Julie Etienne.

16 juillet 1945: la première bombe atomique est testée à Los Alamos, au Nouveau Mexique. Au moment précis de l'explosion, Robert Oppenheimer, Leo Szilard, et Enrico Fermi, trois des principaux scientifiques responsables du projet, sont mystérieusement «transportés» en 2006, à Santa Fe.
Recueillis par Ann, une bibliothécaire, et son mari Ben, les trois savant déboussolés vont devoir s'adapter tant bien que mal à leur nouvelle vie, à ce monde que leurs actes ont radicalement changé. Après avoir appris l'horreur engendrée par leur création (Hiroshima...), et les funestes conséquences de celle-ci, ils ne tarderont pas à entreprendre, des Etats-Unis au Japon, une croisade pacifiste visant au désarmement total. Entre l'armée et les scientifiques qui voit leur «apparition» d'un mauvais oeil, les groupes religieux qui assimilent leur présence à une prophétie biblique, et une société médiatique qu'il faut apprendre à manipuler, nos trois larrons vont avoir fort à faire.
A partir de cette hypothèse surréaliste, Lydia Millet nous livre avec ce roman désopilant et d'une imagination réjouissante une remarquable analyse des liens qu'entretiennent science, politique et religion dans l'Amérique d'aujourd'hui, et l'effort permanent de ces trois domaines pour diriger nos vies. En reine des dialogues et des situations absurdes, l'auteur, à l'instar d'un Richard Powers, sait combiner vertige de la science et subtilité de l'intrigue comme peu d'autres écrivains. On pense à Murakami et à Don DeLillo, autant qu'à Twain et Vonnegut.

Lydia Millet est né le 5 décembre 1968 à Boston et a grandi au Canada. Elle vit à Tucson, en Arizona, et à Cape Cod. Le Coeur est un noyau candide est son cinquième roman. Les éditions Autrement ont précédemment publié un de ses romans, Ma vie, ma vie magnifique.

William Gass, Sonate Cartésienne (Lot 49, novembre)
Traduit de l'américain par Marc Chenetier.

Après Le Tunnel, unanimement reconnu comme l'un des chefs-d'oeuvre de la littérature du XXème siècle, William Gass revient ici sur quelques-uns de ses thèmes de prédilection: l'isolement, qu'il soit géographique ou conjugal, l'obsession, le mal ou encore le fascisme du coeur. Il nous propose une galerie de personnages - une femme délaissée par son mari, un homme ensorcelé par une chambre d'hôte miteuse du Middle West, une vieille fille fascinée par la littérature, et un jeune garçon avide de vengeance -, des êtres solitaires, hantés, perdus dans une réalité sordide, que l'auteur transfigure par une langue et un style incomparables.
Servi par cette écriture magistrale, William Gass recrée ainsi littéralement un monde, à la fois très personnel et universel, marque des plus grands écrivains.

William H. Gass est né en 1924 à Fargo. Dès la publication de son premier roman, La Chance d'Omensetter, en 1966, il est reconnu comme l'un des écrivains les plus prometteurs depuis Faulkner. Il faudra attendre 1995 pour lire son second roman, Le Tunnel (Lot 49, 2007), ouvrage hors norme, auquel il a travaillé plus de trente ans. Sonate Cartésienne est paru en 1998 aux Etats-Unis.


Avec vue sur la rentrée littéraire (33) - La Différence

Quatre titres pour la rentrée proprement dite dans une maison fidèle, pour une bonne part de sa production, à la poésie - je vous ai parlé récemment du dernier recueil de Ben Arès, ou plutôt il vous en a parlé lui-même. Voici, côté roman, les propositions de la Différence.

Bruno de Cessole, Le moins aimé (20 août)

Un homme écrit à sa mère, gravement malade, une longue lettre, dans laquelle il cherche à comprendre pourquoi celle-ci lui a préféré son autre enfant. Pourquoi fut-il toujours, non pas «le mal aimé», car il n'a pas manqué d'amour maternel, mais «le moins aimé»? En quoi a-t-il démérité à ses yeux? En quoi sa soeur a-t-elle mérité, mieux que lui, une affection plus complète, presque exclusive? L'homme se nomme Charles de Sévigné, sa soeur, Françoise de Grignan, et leur mère n'est autre que la célèbre Madame de Sévigné, dont l'amour pour sa fille est bien connu.

Bruno de Cessole, journaliste et critique littéraire, a collaboré à France Culture et à plusieurs journaux: Le Figaro, L'Express, Le Point, Les Nouvelles Littéraires, Les Lettres françaises... Il a animé La Revue des Deux Mondes et il dirige les pages culturelles de Valeurs actuelles. Son roman, L'Heure de la fermeture dans les jardins d' Occident, paru en 2008, et couronné du Prix des Deux-Magots 2009, a connu un succès public et critique.

Alexandre Glikine, Alypios (20 août)

Septembre 267 apr. J.-C., dans le Valais. À la suite d'un coup d'État sanglant, un esclave sauve son maître d'une mort certaine. Les deux jeunes gens sont alors entraînés dans une incroyable cavale qui doit les mener jusqu'au bout du monde. Une relation amoureuse naît entre le chevalier et l'esclave, où s'opposent et s'entremêlent amour et haine, esclavage et liberté, noblesse et veulerie, vie et mort; combat le plus souvent absurde dans lequel, pourtant, les deux héros parviennent quelquefois, comme par accident, à voler des étincelles de liberté sur leur destin.

Alexandre Glikine vit à Genève. Son premier roman, L'Inconnu d' Aix, paru à la rentrée 2008, a été salué par une presse unanime.

Pierre Lepère, La Folardie (20 août)

Sauveur, écrivain maudit à la dérive, est recueilli à La Folardie, château près d'Alberage, dans l'Est de la France, par Nadège Prière. Qu'est-il venu faire en ce lieu, chez cette femme? Expier, se racheter, guérir, lever le secret sur le meurtre d'Antonin, cousin de son hôtesse, vagabond mystique qui fut son compagnon aux Saintes-Croix, dans une Camargue imaginaire qui évoque par bien des côtés une enclave de l'enfer. Dans un long monologue, sombre, illuminé, Sauveur plaide, s'accuse, ruse, se rend, retisse les fils d'une histoire enténébrée par la folie et sublimée par l'écriture.

Pierre Lepère est né à Lyon à la fin de la Seconde Guerre mondiale et a passé son enfance en Allemagne et au Maroc. Poète, essayiste et romancier, il a également publié deux livres pour la jeunesse chez Gallimard.

Anna Luisa Pignatelli, Noir toscan (3 septembre)
Traduit de l'italien par Alain Adaken

«Noir», c' est ainsi que les gens du village appellent l'homme venu du Sud qui s'est installé dans la ferme de Rofanello, au milieu de la campagne toscane. Ils ne l'aiment pas. C'est un étranger qui a épousé une femme du pays. Quand celle-ci meurt et que leur fils s'en va, il se trouve seul face à l' hostilité de tous. Solitaire, il aime les arbres, les bêtes et les défend contre les braconniers et les chasseurs à qui il voue une haine tenace. Ainsi quand une louve arrive dans la région, Noir la laisse vivre sur ses terres. Mais c'est sans compter sur la violence de ses voisins qui veulent la voir mourir, si possible dans les pires souffrances. Observé et traqué, Noir le sera jusqu'au bout.

Née en Toscane, Anna Luisa Pignatelli vit aujourd'hui à Lisbonne après avoir longtemps résidé au Guatemala - de cette expérience elle a tiré un livre, Maya, vita d'oggi degli uomini di mais (1989, 2e éd. 1995) -, à Dar es-Salaam et à Séoul. En même temps que Noir toscan, ses romans Les Grands Enfants et Le Dernier Fief (Prix «Fiorino d 'argento 2002» décerné par la ville de Florence), salués par Antonio Tabucchi, reparaissent aujourd'hui à La Différence dans la collection «Minos».

dimanche 28 juin 2009

Avec vue sur la rentrée littéraire (32) - Albin Michel

Aime-t-on les chiffres ronds chez Albin Michel? Toujours est-il que la rentrée y est constituée de 10 romans cette année. Ou faut-il dire, afin de briser la rondeur, 1 Amélie Nothomb + 9 autres? Ou encore: 7 romans français + 3 étrangers? A vous de voir. Sans trop d'espoir d'en savoir beaucoup plus sur le nouveau roman d'Amélie, présenté très sobrement.

Eliette Abécassis, Sépharade (20 août)

C’est le constat de l’héroïne, Esther Vidal, juive sépharade, française, alsacienne. Une identité multiple qui la conduit à une quête existentielle depuis l’enfance, entre tradition et rébellion.
Lorsqu’elle part pour Israël afin d’épouser Charles Halévy, sépharade comme elle, mais très libre, Esther se retrouve immergée dans l’histoire familiale, dans l’histoire sépharade, d’abord insidieusement, puis de façon de plus en plus inexorable.
A côté de la profusion de couleurs, de chants, de cérémonies rituelles, se profile la face sombre des rumeurs, des luttes intestines, et l’implacable mauvais oeil. Le destin des deux familles se croise depuis longtemps et de multiples secrets vont être révélés. La transmission du talisman qui devait marquer leur union suprême entraînera des tensions fatales. Esther se retrouvera à nouveau seule, sans repères, contrainte de n’être qu’elle-même.

Normalienne et agrégée de philosophie, Eliette Abécassis a publié aux éditions Albin Michel: La Répudiée, 2000; Qumran, 2001; Le Trésor du Temple, 2001; Mon père, 2002; Clandestin, 2003; La Dernière Tribu, 2004; Un heureux événement, 2005; Le Corset invisible, 2007; Mère et fille, 2008.

François Bon, L'incendie du Hilton (20 août)

Le 22 novembre 2008, en pleine nuit, alerte incendie au Hilton Montréal. Quinze étages plus bas, sur trois niveaux souterrains, le Salon du livre. Les écrivains logés là, les footballeurs professionnels de la Gray Cup sont parmi les 800 personnes évacuées dans les couloirs du métro, une patinoire vide et le Tim Hortons, le bar de la gare centrale. Soudain la ville et ses buildings vus à l’envers, depuis les coulisses. Et tous ces livres dans le sous-sol vide. Construire les quatre heures d’un récit qui se tiendrait au plus près des  quatre heures à errer dans la nuit, de 1h50 à 5h50 exactement, entre rencontres réelles ou rêvées, et l’idée renversée de la ville. Un incendie dans le livre?

François Bon, né en 1953, élabore depuis vingt-cinq ans une œuvre littéraire cohérente et forte. Son travail d’écrivain est marqué depuis son premier roman, Sortie d’usine, paru chez Minuit en 1982, par une proximité avec le quotidien, la matière et la machine, par une attention aux personnes sans gloire (Le Crime de Buzon, 1986, L’Enterrement, 1991, Un fait divers, 1994, C’était toute une vie, 1995, Parking, 1996, Paysage fer, 2000, Mécanique, 2002, Daewoo, 2004). Parallèlement, il élabore une réflexion sur la littérature et l’écriture (La Folie Rabelais, 1990), qui l’a conduit à l’expérience des ateliers d’écriture, suscitant la parole de détenus (Prisons, 1998) ou de SDF (La Douceur dans l’abîme, 1999), et aboutissant finalement à Tous les mots sont adultes. Méthode pour l’atelier d’écriture, en 2000. Avec Rolling Stones, une biographie (2002), il a ouvert un cycle d’exploration mythographique qui s’est poursuivi avec Bob Dylan, une biographie (2007), puis Rock’n roll. Un portrait de Led Zeppelin (2008).

Sylvie Germain, Hors champ (20 août)

Parabole ou cauchemar, l’histoire d’Aurélien qui en une semaine retourne au néant?
Sa voix, son odeur, son ombre même ne marquent plus sa présence au monde.
Chaque jour, comme dans une genèse à rebours, il s’efface de l’attention, de la pensée, de la mémoire de tous, même de celles de sa mère. Jusqu’aux cadres-photos qui ne retiennent plus son souvenir.
Avec son lyrisme poétique reconnu, Sylvie Germain, toujours à fleur d’inconscient y compris collectif, transmue en conte le plus simple des quotidiens et tend un miroir aux oubliés de la vie.
Courbet fait écho (comme Rothko dans L’Inaperçu) à la force de l’origine et souligne de quelle permanence se coupe la modernité.

Sylvie Germain sera l’invitée du 23 novembre au 6 décembre du festival Lettres d’automne (créé à Montauban en 1991 par Maurice Petit et l’association Confluences). Il y sera fait écho à son œuvre entière:
«Depuis Le Livre des nuits, publié en 1984, jusqu’à L’Inaperçu en 2008, Sylvie Germain construit une œuvre d’une rare originalité, considérée comme l’une des plus importantes de la littérature française contemporaine.
Impressionnante par sa force et sa cohérence, elle évoque un univers où se rejoignent imaginaire et mysticisme, où la dimension métaphysique côtoie le lyrisme le plus sensuel.
Traduite dans une vingtaine de langues, étudiée à l’université en France comme à l’étranger, cette œuvre interroge les ressorts les plus mystérieux de l’âme, dans une écriture tissée tout à la fois de sensibilité, d’érudition et de simplicité.»
Ainsi commence le programme de ce festival dont l’invitée convie les créateurs, écrivains, peintres, photographes, musiciens de son choix. Renseignements complémentaires www.confluences.org.
Sylvie Germain a reçu le Prix Femina pour Jours de colère, le Grand Prix Jean Giono pour Tobie des marais et le Prix Goncourt des lycéens pour Magnus.

Jean-Michel Guenassia, Le club des incorrigibles optimistes (20 août)

Michel Marini avait douze ans en 1959. C’était l’époque du rock’n’roll et de la guerre d’Algérie. Lui, il était photographe amateur, lecteur compulsif et joueur de baby-foot au Balto de Denfert-Rochereau. Dans l’arrière-salle du bistrot, il a rencontré Tibor, Léonid, Sasha, Imré et les autres. Ces hommes avaient tous passé le Rideau de fer pour sauver leur vie. Ils avaient abandonné leurs amours, leur famille, leurs idéaux et tout ce qu’ils étaient. Ils s’étaient tous retrouvés à Paris dans ce club d’échecs d’arrière-salle que fréquentaient aussi Kessel et Sartre. Cette rencontre bouleversa définitivement la vie de Michel. Parce qu’ils étaient tous d’incorrigibles optimistes.
Roman de génération, reconstitution minutieuse d’une époque, chronique mélancolique d’une adolescence: Jean-Michel Guenassia réussit un roman étonnant tant par l’ampleur du projet que par le naturel dont il s’en acquitte.

Jean-Michel Guenassia est né en 1950. Le Club des incorrigibles optimistes est son premier roman.

Estelle Nollet, On ne boit pas les rats-kangourous (20 août)

Un bout du monde désolé que borne une décharge. Ceux qui ont échoué là semblent avoir abdiqué tout espoir de futur. Ivres de vide, ils vivent dans un éternel présent qu’ils dissolvent chaque soir jusque tard dans la nuit au bar de Dan, où les échanges sont réduits à l’indifférence, au mépris, parfois à la violence.
Car, de ce pays personne ne peut sortir. La plupart y ont renoncé mais certains ont gravi montagnes et collines, d’autres transforment les objets de la décharge en objets d’art. Un brin d’abondance sort de la corne de l’épicerie de Monsieur Den, l’autre lieu qui rappelle la société du «dehors».
Celle que ne connaissent pas Willie, 25 ans, et son copain Dig Doug qui sont nés là. Celle que Willie va vouloir se faire raconter par chacun à qui il va rendre par là-même un passé. Le miroir de l’innocence qu’il leur tend pourra-t-il sauver leur avenir?

Estelle Nollet a 32 ans. Elle a travaillé dans la publicité en France, en Australie et en Nouvelle-Zélande puis sur la côte mexicaine où elle pratiquait la plongée sous-marine. De retour en France, elle a intégré l’univers des plateaux de théâtre. Elle écrit actuellement son prochain roman.

Amélie Nothomb, Le voyage d'hiver (20 août)

«Il n’y a pas d’échec amoureux.»
Amélie Nothomb

Franck Pavloff, Le Grand Exil (20 août)

Dans la ville de Baños de Agua Santa, au centre de l’Equateur, vient d’arriver un étranger, Tchaka, qui se fait engager comme jardinier par un grand propriétaire terrien. Installé sur les pentes du volcan Tungurahua dont il pressent la reprise d’activité, il découvre qu’une jeune femme y a en secret un camp de base pour faire passer la frontière aux candidats à l’émigration sans qu’ils tombent sous la coupe des «coyotes».
Pourquoi ont-ils échoué dans cette zone à risque où l’éruption peut à chaque instant tout saccager, est-ce le prix à payer pour qu’ils se réconcilient avec leur passé?
Un roman magnifique, sensuel et luxuriant sur l’exil, la condition humaine, la beauté et la violence d’une nature capable d’exacerber ou de briser les passions les plus fortes.

Auteur culte de Matin brun, succès international publié dans toutes les langues, Franck Pavloff a tout d’abord publié des romans policiers puis chez Albin Michel Haute est la tour, Le Pont de Ran-Mositar et La Chapelle des apparences.
Sélectionné pour de nombreux prix (Goncourt des lycéens, Giono, Interallié entre autres), Le Pont de Ran-Mositar a reçu le prix France Télévision en 2005.
L’auteur vit entre Grenoble et Gap.

Joseph Boyden, Les Saisons de la solitude (20 août)
Traduit de l’anglais (Canada) par Michel Lederer

Salué par Jim Harrison, Le Chemin des âmes, premier roman aussi ambitieux qu’obsédant, a révélé Joseph Boyden comme l’un des meilleurs écrivains canadiens.
Les Saisons de la solitude reprennent la trame de cette oeuvre puissante, entremêlant deux voix et deux destins: Will, un ancien pilote plongé dans le coma après une agression, et Annie, sa nièce, revenue d’un long et pénible voyage afin de veiller sur lui. Dans la communion silencieuse qui les unit, se lisent leurs drames et conflits les plus secrets. Prend alors forme une magnifique fresque, individuelle et familiale, qui nous entraîne de l’immensité sauvage des forêts canadiennes aux gratte-ciel de Manhattan.

A 41 ans, Joseph Boyden est l'un des écrivains canadiens les plus en vue sur la scène internationale. Après le succès du Chemin des âmes (Albin Michel, 2006), traduit en plus de vingt langues et en cours d'adaptation cinématographique, ce nouveau roman a été couronné à l'automne 2008 par le Giller, le plus prestigieux prix littéraire du Canada, et a rencontré un formidable succès avec plus de 150 000 exemplaires vendus.
Joseph Boyden partage sa vie entre le nord de l'Ontario et La Nouvelle-Orléans, où il enseigne à l'université.

Brock Clarke, Guide de l'incendiaire des maisons d'écrivains en Nouvelle-Angleterre (20 août)
Traduit de l’américain par Renaud Morin

«Moi, Sam Pulsifer, je suis l’homme qui a accidentellement réduit en cendres la maison d’Emily Dickinson à Amherst, et qui, ce faisant, a tué deux personnes, crime pour lequel j’ai passé dix ans en prison. Il suffira sans doute de dire qu’au panthéon des grandes et sinistres tragédies qui ont frappé le Massachussetts il y a les Kennedy, les sorcières de Salem, et puis il y a moi.»
Adolescent, Sam Pulsifer n’avait jamais eu l’intention de mettre le feu à la demeure d’un écrivain célèbre et pas davantage de provoquer la mort de deux personnes dans l’incendie. Après avoir purgé une peine de dix ans de prison, Sam était bien décidé à laisser le passé derrière lui. Une vie menée profil bas mais sereine et paisible jusqu’au jour où son passé l’a rattrapé sur le seuil de sa porte et a tout fait voler en éclats.
Brock Clarke réussit ce roman brillant et jubilatoire, avec un sens de l’humour déroutant, un véritable tour de force littéraire, hommage aux plus grands écrivains américains.

Guide de l’incendiaire des maisons d’écrivains a connu une véritable consécration aux Etats-Unis. Le livre a soulevé l’enthousiasme de la presse et des libraires à la rentrée littéraire 2007, les droits ont été cédés au cinéma, et le livre est en cours de traduction dans une dizaine de langues.
Brock Clarke vit à Cincinnati et enseigne la littérature à l’université.

Antonio Soler, Le Sommeil du caïman (20 août)
Traduit de l’espagnol par Françoise Rosset

Des Héros de la frontière au Chemin des Anglais (prix Nadal), Antonio Soler poursuit une œuvre hantée par le passé politique de l’Espagne, le sexe et la mort. Avec une virtuosité narrative fascinante, ce nouveau roman immerge le lecteur dans une atmosphère oppressante et trouble, tant destins et souvenirs «s’effilochent» pour mieux l’emprisonner.
Toronto, de nos jours. Le narrateur, réceptionniste dans un hôtel, croit reconnaître un homme
surgi de son lointain passé. Plongeant dans ses souvenirs, il revit alors comme une hallucination les années sombres du franquisme qui l’ont conduit à l’exil et revoit le visage aimé de Vera, qu’il n’a jamais pu oublier.
Histoire d’une trahison, ce drame moderne dont se dégage une douleur sourde est aussi le récit obsédant de la découverte de l’amour et de la passion.

Né en 1956 à Malaga où il vit toujours, Antonio Soler est unanimement reconnu par la critique espagnole comme l’un de ses meilleurs romanciers.
Le Chemin des Anglais (2007) a été adapté au cinéma. Antonio Banderas en était l’acteur principal.

Avec vue sur la rentrée littéraire (31) - Le Seuil

Puisque je viens de vous parler de Lydie Salvayre, voici dans la foulée la rentrée littéraire du Seuil, où elle se trouve aussi. Je reprends donc la suite interrompue des programmes du mois d'août et septembre, avec l'ambition de vous en donner le maximum, voire la quasi totalité, avant vendredi - et de brûler la politesse à Livres Hebdo qui sortira, ce jour-là, son numéro spécial rentrée.

Marc Augé, Quelqu'un cherche à vous retrouver (20 août)

Un prof, à peine à la retraite, se fait draguer par une jeune femme… «Elle lui planta son sourire dans les yeux. Les femmes les plus dangereuses, disait son oncle, sont les blondes aux yeux bruns et les brunes aux yeux bleus. Il connaissait, il reconnaissait ce sourire (mais où? mais quand?) et les toutes petites pattes d’oie qui accentuaient l’éclat moqueur, innocent et provocateur du regard clair. C’est alors que tout bascula. La pensée qu’elle jouait un peu trop bien les naïves ne l’eut pas plus tôt effleuré, qu’il l’entendit prononcer d’une voix un peu étouffée ces mots incroyables : “Monsieur Arnaud, il faut que je vous parle.”»

Marc Augé, ethnologue et écrivain, a publié au Seuil, dans «La Librairie du XXIe siècle», Domaines et Châteaux (1989), Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité (1992), La Guerre des rêves. Exercices d’ethnofiction (1995), Casablanca (2007) et Un métro revisité (2008).

Edem Awumey, Les pieds sales (20 août)

De sa petite enfance, Askia n’a conservé en mémoire qu’une image quasi biblique: son père, sa mère, un âne et lui, marchant sans fin dans la poussière. Il avait cinq ans. «Longtemps, nous avons été sur les routes, mon fils. Et partout, on nous a appelés les pieds sales. Si tu partais, tu comprendrais.» Répondant à cette injonction maternelle, Askia est parti à Paris où il est devenu chauffeur de taxi. Ses passagers qui l’épient dans le rétroviseur lui trouvent quelquefois une ressemblance frappante avec un certain «homme à turban» qui fut peut-être son père. Ce père qu’il recherche, Sidi Ben Sylla Mohammed, et que tout le monde croit avoir vu quelque part. L’auteur nous donne à déchiffrer les labyrinthes d’un Africain en France, confronté aux figures de l’Absence et de l’Exil.

Edem Awumey est un jeune écrivain togolais vivant actuellement au Québec. Âgé de 34 ans, il a publié un premier roman chez Gallimard, Port-Mélo (2006). Titulaire d’un doctorat en littérature francophone, il est aussi l’auteur d’un essai sur Tierno Monénembo.

Jocelyn Bonnerave, Nouveaux Indiens (20 août)

A., un jeune anthropologue français, débarque sur le campus d’une prestigieuse université californienne. Il est venu observer un professeur qui dispense à ses étudiants des théories très originales. Mais notre chercheur s’intéresse également à son environnement plus immédiat: on est en pleine campagne pour les présidentielles de 2004, le duel John Kerry-Georges W. Bush bat son plein. Il y a aussi de curieuses affiches placardées un peu partout sur le campus, à l’effigie d’une ravissante étudiante, Mary, morte dans des circonstances un peu troubles. Petit à petit, Mary va devenir le véritable sujet d’étude de A.: anorexique, elle menait aussi des recherches sur le cannibalisme de certaines peuplades indiennes d’Amérique du Sud. Avec Barry, son petit ami, elle avait même réalisé un documentaire. A. découvre finalement que les cannibales ne sont pas forcément ceux qu’on croit: en effet, Barry aurait tourné un snuff movie avec Mary dans le rôle du plat de résistance…

Jocelyn Bonnerave est né en 1977 dans la Marne. Il est anthropologue. Nouveaux Indiens est son premier roman.

Pavel Hak, Warax (20 août)

Warax est composé de cinq scènes qui se développent tout à tour. Tout d’abord, celui d’un magnat de l’armement, Ed Ted Warax, mégalomane cynique qui voit dans la guerre une source de profits à renouveler à tout prix. Il y a également «la meute», celle des clandestins: en quête d’une vie meilleure, ils réussissent à franchir le mur qui les sépare du pays fantasmé, à survivre à la traque policière puis à la mégalopole surpeuplée où l’homme est un loup pour l’homme. Parallèlement nous trouvons l’histoire d’un jeune «loup» sur le retour, qui se laisse prendre au piège du système médiatico-politique dont il essayait de tirer gloire et profit, le tout dans un climat panique d’épidémie qui gagne la ville. Enfin, s’ajoutent le récit d’une équipe de forces spéciales à la recherche d’armes de destruction massive, et celui d’un homme errant dans un monde apocalyptique.

Pavel Hak est né en 1962 en Bohême. Il est l’auteur de trois livres publiés chez Tristram: Safari (roman, 2001), Sniper (roman, 2002) et Lutte à mort (théâtre, 2004). Son dernier roman, Trans (Prix Wepler 2006), a paru au Seuil en 2006.

Eric Holder, Bella Ciao (20 août)

Après 33 ans de vie commune et deux enfants ensemble, Mylena met son homme à la porte. «J’en ai assez». Difficile de lui donner tort. «Je ne veux plus d’un homme soûl dans mon lit». On soupçonne pourtant que ces deux-là s’aiment encore. Pour conclure en beauté sa piètre vie, le narrateur décide de s’accorder une dernière cuite mémorable avant de se déshabiller et de se jeter nu dans l’Atlantique. Les noyades sont récurrentes chez Holder, mais cette fois il inverse le thème, l’homme étant sauvé «avec l’aide du courant de baïne». On est saisi par l’autoportrait si peu glorieux de ce type émergeant de l’eau à quatre pattes comme un chien fourbu, nouveau Robinson. Le matin, au comptoir, des amitiés sans chichis entraînent des propositions de boulot, comme autant de bouées de sauvetage. Notre romancier brisé se reconvertit dans les métiers manuels…

Eric Holder, 49 ans, est passé maître dans l’art du roman bref, brillant et ciselé. On se souvient de Mademoiselle Chambon, de L’Homme de chevet (deux livres dont les adaptations au cinéma sortiront cette année).

Vincent Message, Les veilleurs (20 août)

Un matin, Nexus, un jeune marginal, tue de sang froid, sans raison apparente, trois passants croisés dans une rue de Regson. Amnésique, condamné à perpétuité pour meurtre, Nexus fait la perplexité des psychiatres de la clinique Bentlam où il purge sa peine, et notamment du docteur Traumfreund. L’enquête sur la personnalité de Nexus est relancée lorsque Paulus Rilviero débarque à la clinique. Représentant de la police judiciaire, Rilviero a été chargé par Samuel Drake, le gouverneur de la région, d’enquêter sur un possible complot politique dont Nexus aurait été le bras armé: au nombre des victimes de ce dernier figure en effet Ania Waleska, une jeune sociologue polonaise qui était aussi la maîtresse de Drake: s’agit-il de déstabiliser le gouverneur à la veille d’une campagne électorale? Nexus affirme avoir agi à la suite de rêves qui l’auraient conduit à découvrir un monde parallèle. Le psychiatre conclut à une pathologie mentale. Traumfreund et Rilviero rendent compte de leurs conclusions au gouverneur Drake. Seul problème: eux-mêmes semblent désormais convaincus de l’existence de cet autre monde…

Vincent Message est né en 1983 à Paris. Les Veilleurs est son premier roman.

Pascal Quignard, La barque silencieuse (20 août)

La Barque silencieuse est comme Vie secrète (Gallimard, 1998). Il s’agit de la recherche d’un mode de vie, plus singulier, plus radical, plus profond, sans jugement, sans société, sans dieux. C’est une suite de contes. C’est une suite de petits romans, d’anecdotes historiques, de fragments biographiques (la mort de Madame de La Fayette, Ninon de Lenclos, Henriette d’Angleterre, Arria l’Aînée, Etienne de La Boétie…). C’est une suite d’étymologies (l’origine du mot corbillard, l’origine du mot liberté, de la négation, du mot vertu, du mot hiver…). Avec Dernier Royaume, Pascal Quignard a trouvé une forme littéraire nouvelle, il casse les genres, décloisonne les domaines et brouille les images.

Pascal Quignard est né en 1948 à Verneuil-sur-Avre (France). Il est romancier (Le Salon du Wurtemberg, Tous les matins du monde, Terrasse à Rome, Villa Amalia...). La Barque silencieuse est le tome VI de Dernier royaume. Le premier tome de Dernier Royaume, Les Ombres errantes, a obtenu le prix Goncourt en 2002.

Lydie Salvayre, BW (20 août)

C’est l’histoire d’un homme qui, à plusieurs reprises dans sa vie, choisit de partir, et de tourner le dos à ce qui ne répond pas à sa soif de liberté. Il s’appelle BW. Adolescent, il part en solex sur les routes de France. On appelle ça une fugue. Sa passion, c’est la course sur 800 mètres. Il gagne un championnat national, mais la discipline d’une Fédération l’étouffe, il s’en va. C’est l’Orient, à rebours des clichés: pas de drogue, non, la marche en avant, jusqu’en Afghanistan, puis au Népal, avec une ascension de l’Himalaya. Plus tard, la passion des livres devient un métier. BW est représentant d’une grande maison d’édition. Il part bientôt pour le Liban, où il découvre le concret de la guerre.

Lydie Salvayre a écrit treize ouvrages dont la plupart sont traduits dans une vingtaine de langues. Elle a obtenu le Prix Novembre pour La Compagnie des spectres.

Olivier Sebban, Le jour de votre Nom (20 août)

Fin 1939. Contraint à l’exil suite à un guet-apens tendu par son beau-père, Alvaro Diaz quitte l’Espagne fasciste pour la France, laissant derrière lui son épouse et ses deux enfants. Détenteur d’un carnet écrit par sa soeur où lui sont révélés ses origines juives et le destin tragique de son père, Alvaro traverse à pied les Pyrénées, seul, sans vivres ni argent. Malade et épuisé, il est arrêté à la frontière française et interné au camp de concentration de Gurs. Il y passe six mois dans des conditions effroyables, avant de s’évader avec deux camarades d’infortune. Tous trois sont recueillis à Montauban par un prêtre qui leur propose de rejoindre un réseau de résistance. Alvaro aide ainsi des groupes d’enfants juifs à passer en Suisse sous des fausses identités. Sabotages, guérilla contre l’occupant... il est à la fois témoin et acteur d’opérations héroïques et de plus en plus désespérées. Le destin finit par le rattraper: trahi par son ami prêtre, il est arrêté par la gestapo et déporté en 1944 à Auschwitz.

Olivier Sebban a 38 ans. Il est l’auteur d’un premier roman, Amapola, paru au Seuil en 2008. Le présent ouvrage a bénéficié d’une bourse attribuée par le C.N.L.

Nadeem Aslam, La vaine attente (20 août)
Traduit de l'anglais par Claude Demanuelli

2005. L’Afghanistan près de la frontière pakistanaise: dans une maison aux murs ornés de fresques persanes, aux plafonds couverts de livres cloués, avec sa serre où autrefois on distillait des parfums, le docteur anglais, Marcus Caldwell, s’est installé 40 ans plus tôt par amour pour sa femme médecin Qatrina, aujourd’hui décédée. Ils ont eu une fille, Zameen. Vers cette maison convergent des êtres esseulés: la Russe Lara à la recherche de son frère, soldat disparu pendant l’invasion communiste. L’Américain David, ex-agent de la CIA ayant aidé les Afghans à chasser l’occupant soviétique, à la recherche de Zameen (disparue après avoir partagé sa vie à Peshawar). Marcus qui désespère de retrouver sa fille Zameen et son petit-fils Bihzad. Casa, le jeune orphelin afghan endoctriné par les talibans et qui brûle de faire ses preuves. Dans ce récit à tiroirs, tout s’emboîte de façon inéluctable. Avec de nombreux retours en arrière.

Nadeem Aslam est né en 1966 au Pakistan. À l’âge de 14 ans, il a fui, avec sa famille, le régime du général Zia pour le nord de l’Angleterre. L’auteur confirme le talent avec lequel il nous avait surpris dans son premier roman traduit en France, La Cité des amants perdus (2006 au Seuil).

Mo Yan, La dure loi du karma (20 août)
Traduit du chinois par Chantal Chen-Andro

Ximen Nao, jeune propriétaire foncier dynamique et bon, est fusillé le 1er janvier 1950, peu après le triomphe de Mao Zedong. Selon la loi du karma, il est condamné, pour ses fautes, à être réincarné en animal. Très mécontent de sa fin brutale et plus encore de ce verdict injuste, Ximen Nao obtient du roi des enfers de renaître chez lui. Il sera âne, bœuf, cochon, chien, enfin singe, revenant sans cesse sur ses propres traces et auprès de ses descendants. Témoin et acteur décalé, comique et déguisé, il suit cinquante ans durant, de la «libération» maoïste à l’époque marchande actuelle en passant par la Révolution culturelle, le destin de ce qui fut la propriété Ximen dans le village de Ximen, près de Gaomi, au pays de Mo Yan.

Mo Yan, né en 1955, fils de paysans pauvres, quitte tôt l’école pour travailler aux champs puis s’enrôle dans l’armée – c’est grâce à elle que l’autodidacte pourra devenir écrivain. Une dizaine de ses romans sont traduits en français dont Beaux seins, belles fesses (2004), Le maître a de plus en plus d’humour (2005), Le Supplice du santal (2006) et Quarante et un coups de canon (2008).

Paul Beatty, Slumberland (3 septembre)
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Nicolas Richard

Après avoir obtenu la note maximale à l’examen d’entrée à UCLA, un jeune afro-américain surnommé Ferguson Sowel, jugé non «convenable» pour intégrer les programmes de recherche en aérospatiale, se retrouve dans une Académie de musique. Grâce à sa mémoire phonographique, il crée rapidement sa «Joconde sonique», le beat parfait (beat: mixage de différents morceaux de divers genres musicaux qui, assemblés entre eux, donnent un moment de musique idéal). Mais seul Charles Stones, alias le Schwa, musicien de génie qui a disparu de la circulation, pourra le consacrer comme tel en l’utilisant sur scène. La quête du Schwa commence alors et le conduit à Berlin Ouest, peu de temps avant la chute du Mur. Ferguson Sowel devient DJ au Slumberland, haut lieu multiculturel de la capitale. Avec son maître enfin retrouvé, ils conçoivent un projet fou: un mur sonique destiné à remplacer celui écroulé.

Paul Beatty est né en 1962 à Los Angeles. Il a publié deux recueils de poésie, Big Bank Take Little Bank (1991), Joker, Joker, Deuce (1994) et deux précédents romans: The White Boy Shuffle (1996) et Tuff (2001). Il a aussi publié récemment une Anthologie de l’humour noir-américain.

Lydie Salvayre, son ironie et son style

Je suis un fan absolu de Lydie Salvayre. J'attends avec impatience, et aussi inquiétude, de peur d'être déçu, l'occasion de lire son prochain livre, qui sort à la rentrée. Dans l'intervalle, il est permis de revenir sur le dernier paru, maintenant disponible en poche, Portrait de l'écrivain en animal domestique. Lydie Salvayre y exploite son sens de l’ironie sans autre retenue que celle du style. Le sien, avec sursauts et coupures, langue vulgaire et langue châtiée accolées dans des effets comiques irrésistibles auxquels on cède sans forcer, dans une sorte de béatitude.
Un businessman, roi du hamburger et de la restauration rapide, sacré leader le plus influent de la planète, engage un écrivain (une femme) pour écrire sa biographie. Ou plutôt son hagiographie, voire sa bible. Tobold a recruté très simplement son faire-valoir: il a regardé les seins et les jambes d’un regard froid dans lequel il n’entrait pas le moindre désir. Tout simplement, le projet de livre devant rester secret, l’écrivain deviendrait officiellement escort-girl, ce qui suppose un minimum de… qualités esthétiques. On verra qu’elle est assez crédible dans le rôle pour exciter Bill Gates himself.
Elle entre dans la cage au lion – il n’en reste qu’un, il a bouffé les autres. Elle est de gauche, il est le chantre du libéralisme. Elle s’intéresse aux autres, il ne s’intéresse qu’à lui. Elle est humble et modeste, il est gonflé d’orgueil. Elle n’a jamais eu de succès, il ne connaît que ça. On a rarement vu association à ce point contre nature.
Et pourtant, puisqu’elle a accepté, et malgré des colères rentrées qui lui font presque détester le luxe dans lequel elle vit désormais (tout en reconnaissant qu’elle l’apprécie), elle prend les notes que Toblod lui dit de prendre. Tout en insérant quelques remarques de son propre cru. Lignes négatives qui n’apparaîtront pas dans la version officielle du livre commandé, cela va sans dire. Mais elle apprend ainsi à vomir les couleuvres qu’on tente de lui faire avaler toute la journée. Et à explorer les failles du patron, car il n’est pas, même lui, bâti d’un bloc.
L’économie de marché est impitoyable. Elle broie tout sur son passage. Pourtant, l’écrivain résiste. Bavarde avec Cindy, la femme de Tobold, sa meilleure collaboratrice à condition de ne prendre aucune initiative. Cindy a permis à son mari de développer sa toute première entreprise, un peep-show dont elle était la strip-teaseuse vedette. Elle est en extase devant la personnalité de Tobold. Comme tout le monde. Tout le monde? Pas tout à fait. Il est aussi détesté que craint.
L’animal domestique du titre a gardé, heureusement pour nous, un peu de sa sauvagerie. Il aboie et il mord. La laisse est serrée, mais il est possible de se venger des meurtrissures. Avec un livre comme celui-ci, un roman qui oppose l’humour au cynisme et la dérision aux certitudes.