lundi 29 juin 2009

Avec vue sur la rentrée littéraire (16 bis) - Le Cherche midi

Je me disais bien qu'il n'y avait pas grand-chose au programme du Cherche midi la première fois que je vous en ai parlé. Ou que quelque chose m'avait échappé. Voici un complément d'information bien utile, d'autant que le premier écrivain de la liste est de ceux qui me sont chers. Et, comme la collection Lot 49, dirigée notamment par Claro, est un lieu de découvertes exceptionnelles, j'ajoute des argumentaires d'octobre et de novembre - pourquoi ne pas voir loin?

Alain Fleischer, Courts-Circuits (27 août)

Le roman commence en Bohême - sorte de retour à des lieux d'origine - avec l'arrivée du narrateur dans une petite ville et dans la boutique d'un tailleur où il croise trop vite une jeune fille trop belle. Puis, la jeune fille parlant au téléphone avec un garçon que l'on peut imaginer être son fiancé, nous retrouvons ce dernier en visite chez sa mère en Israël. Là-bas, un réparateur d'installations de climatisation, d'origine italienne, s'apprête à revenir en vacances dans son pays, où vit sa fille. Dans un restaurant au bord d'un lac, près de Rome, on croise une belle Italienne qui se souvient des quelque nuits qu'elle passa dans un hôtel de Budapest, avec un amant hongrois, maintenant fonctionnaire européen en Afrique. Dans un petit village du Mali, cet homme s'écarte étrangement de sa mission officielle, et il fréquente maintenant une spectaculaire jeune Africaine. Sur cet homme insaisissable, un éclairage nous est donné à la faveur d'un retour du narrateur, qui se trouve être son frère. Mais ce narrateur s'éclipse à nouveau, alors que nous suivons la beauté noire à Londres, où s'apprête à la recruter une agence de mannequins. Après une soirée mémorable, parmi la bohème artistique anglaise, le maquilleur qui prépare la beauté exotique pour ses premiers essais, est un Brésilien qui se morfond d' être séparé de son amant resté au Brésil, craignant toujours ses trahisons. Un coup de fil nous fait traverser l'Atlantique jusqu'à San Paolo et l'appartement où la sonnerie retentit dans le vide, ne réveillant qu'une mouche qui s'envole, visitant d'abord la cuisine où elle fait des découvertes, puis s'échappant par une fenêtre et traversant le quartier jusqu'au grand stade de Morumbi, où se déroule une partie de football au moment critique du tir d'un pénalty ...
Par ce genre de relais, et bien d'autres, nous remonterons bientôt l'Amazone, à bord d'un rafiot emportant vers le fin fond de la jungle des aventuriers, des prostituées et un écrivain européen réputé mort depuis dix ans. Des universitaires américains venus en hydravion pour un troc avec des Indiens, nous ramèneront avec eux en Californie, puis de là, nous passerons au Canada: d'abord à Niagara, lieu mythique et décor d'un film, dont le scénario devient un épisode du roman, puis à Montréal. Au passage, nous aurons rencontré des filles au destin dramatique, un frère et une soeur incestueux dans une chambre d'hôtel de Santa Monica, près d'Hollywood, une fillette autiste qui ne parle qu'avec un perroquet... Nous aurons croisé à nouveau, dans un avion pour New York, la beauté noire devenue un top model, nous repasserons par l'aéroport de Londres, nous arriverons à Genève où un savant américain, précédemment rencontré à l'Université Stanford, se rend à un colloque auquel participe aussi l'auteur du livre... Un cheminot suisse, déprimé par le désastre de sa vie, nous conduit jusqu'au cirque où travaille son frère, et où l'on découvre un autre perroquet, frère du précédent, et vendu comme lui par un Indien, dans la jungle amazonienne. Venu d'Italie, et passant par la Suisse, le cirque se dirige vers l'Autriche, mais c'est un chien perdu qui, longeant la voie ferrée, nous conduit d'Innsbruck à Vienne: retour en Europe centrale, et rencontre avec deux vieux musiciens à la retraite, qui peuvent rappeler d'autres personnages, et qui se souviennent d'autres histoires...
Nous sommes encore loin d'avoir épuisé la série des courts-circuits et d'avoir bouclé la boucle. Il y aura encore d'autres relais, d'autres péripéties, d'autres pays, d'autres villes, d'autres filles, d'autres scènes d'amour, tendres ou violentes... Mais au bout du compte, après l'avoir croisé quelques fois, comme par hasard, on finira par retrouver le narrateur, on reviendra dans la petite ville de Bohême où tout a commencé. La jeune fille trop belle, que le narrateur a trop vite quittée, en se laissant entraîner par d'autres histoires, est à nouveau là, à la merci de son imagination et de ses fantasmes. Il aura fallu une vaste tournée à travers quelques lieux de la planète, et la rencontre avec quelques échantillons d'humanité, pour que le narrateur, assumant son rôle d'auteur, reconnaisse son désir unique: inventer un corps pour le posséder...

Ce roman circule et coupe à travers d'autres romans possibles, et y apparaissent bon nombre des thèmes qui me sont chers. Il retourne parfois dans les lieux de mes autres livres, et l'on y retrouve alors, brièvement, certains de leurs personnages. Aussi, la géographie de ce roman m'est-elle familière bien que souvent inédite. Le narrateur s'efface de situations où il n'est plus, pour réapparaître plus tard. Il arrive aussi à ce dernier d' être un «je de cache-cache» avec l'auteur lui-même, dans des situations clairement autobiographiques, y compris dans celles où on le retrouve dans une autre activité que l'écriture, comme le cinéma. C'est ainsi que s'organisent aussi bien une circulation vaste, que des courts-circuits abrupts et imprévisibles. Si ce roman prend tantôt les aspects d'un retour sur les traces de mes autres livres, tantôt ceux d'un programme, il est à la fois un clin d'oeil à ceux qui m'ont déjà lu, et une sorte de passe-partout pour ceux qui me lisent pour la première fois.
A.F.

François Marchand, L'Imposteur (27 août)

Lorsque le nouveau directeur des relations professionnelles au sein du ministère du Travail, Charles Legrandin, prend ses fonctions en janvier 2001, nul ne soupçonne une quelconque imposture. La carrière de Legrandin a été effectuée à l'étranger; personne ne le connaît au ministère et il aurait même disparu définitivement du bottin administratif si son assassinat quelques jours plus tôt par sa femme n'avait eu un témoin: le narrateur qui, un peu forcé au début, puis se prenant au jeu, usurpe froidement la fonction.
Le nouveau Legrandin se révèle bien vite performant: prenant conscience de l'incroyable absurdité de la vie bureaucratique, il conçoit l'idée d'installer un vaste système de corruption au profit d'un certain nombre d'officines patronales. Maître du code du travail, des procédures collectives et individuelles entre salariés et employeurs, il devient, via son compte bancaire, le passage obligé de toutes les fraudes de la vie économique.
Ses turpitudes l'obligent à duper en permanence la bureaucratie sous ses ordres, ainsi que son ministre. Il croise ainsi la route des énergumènes issus de ce monde loufoque: l'administration centrale. Loufoque mais pas sans danger, il faudra compter avec quelques cadavres. Car le narrateur devra, malgré son caractère pacifique, se défendre contre des intrusions non désirées sur sa véritable identité. Quant à celle du vrai Legrandin, et à ses activités réelles avant sa mort prématurée, elle ressurgira pour plonger notre escroc, dont la seule vocation est de fumer des cigares sans être dérangé, dans la confusion.
Son récit, celui d'un fumeur de havanes froid, ironique et distant, plonge le lecteur dans les moeurs cocasses des fonctionnaires.

François Marchand a passé une quinzaine d'années au sein de l'administration centrale du ministère du Travail, ce qui lui a permis d'observer de très près le non-fonctionnement de l'État. Son énergie étant peu sollicitée au travail, il joue aux échecs et a réalisé trois normes de maître international, ce dont ses amis, qui le battent régulièrement en blitz au bistrot, ne reviennent toujours pas. Il vit à Paris. L'Imposteur est son premier roman.

Serge Gardebled, Le Collectionneur de mémoires (27 août)

Qui a tué Ambroise Cotaire, le collectionneur de mémoires de Bezons? Pourquoi ce retraité qui filmait ses contemporains a-t-il été revolvérisé ? Que sont devenues les cassettes de ses interviews? Comment expliquer les crimes qui vont suivre dans cette commune tranquille du Val d'Oise? Ces assassinats ont-ils un rapport avec les attentats du CRASH, ce groupe écoloterroriste qui s 'attaque aux véhicules polluants ou mal garés? Et quel est l'invisible destinataire des confidences du narrateur (un huissier anticonformiste) qui constitue la trame du roman?
La mémoire est dangereuse. Pour celui qui se raconte, pour celui qui l' écoute. L'ironique mise en abyme des règles du genre provoque, recentre l' intérêt au gré d'une narration traversée par une figure de femme fascinante, orientale, qui confond savoureusement le masculin et le féminin. Uniquement lorsqu'elle parle.
Ce roman est aussi une invitation à la réflexion sur la quête d'hommes et d'une femme qui, contre toutes les hypocrisies, tentent de concilier la liberté du célibat et la sécurité du mariage...

Onze ans après avoir obtenu le Grand prix de la littérature policière pour Sans Homicide Fixe (Denoël), Serge Gardebled, alias Serge Garde, récidive avec ce second roman. Mais est-ce vraiment un polar? Journaliste d'investigation, grand reporter, Serge Gardebled est par ailleurs un respectueux conservateur des héroïsmes discrets, des douleurs obscures, des visages urbains qui disparaissent. Il participe actuellement à la création d'une mémoire populaire audiovisuelle à Bezons, expérience passionnante qui nourrit ce roman qui flirte avec l'autodérision.

Lydia Millet, Le Coeur est un noyau candide (Lot 49, octobre)
Traduit de l'américain par Jean René et Julie Etienne.

16 juillet 1945: la première bombe atomique est testée à Los Alamos, au Nouveau Mexique. Au moment précis de l'explosion, Robert Oppenheimer, Leo Szilard, et Enrico Fermi, trois des principaux scientifiques responsables du projet, sont mystérieusement «transportés» en 2006, à Santa Fe.
Recueillis par Ann, une bibliothécaire, et son mari Ben, les trois savant déboussolés vont devoir s'adapter tant bien que mal à leur nouvelle vie, à ce monde que leurs actes ont radicalement changé. Après avoir appris l'horreur engendrée par leur création (Hiroshima...), et les funestes conséquences de celle-ci, ils ne tarderont pas à entreprendre, des Etats-Unis au Japon, une croisade pacifiste visant au désarmement total. Entre l'armée et les scientifiques qui voit leur «apparition» d'un mauvais oeil, les groupes religieux qui assimilent leur présence à une prophétie biblique, et une société médiatique qu'il faut apprendre à manipuler, nos trois larrons vont avoir fort à faire.
A partir de cette hypothèse surréaliste, Lydia Millet nous livre avec ce roman désopilant et d'une imagination réjouissante une remarquable analyse des liens qu'entretiennent science, politique et religion dans l'Amérique d'aujourd'hui, et l'effort permanent de ces trois domaines pour diriger nos vies. En reine des dialogues et des situations absurdes, l'auteur, à l'instar d'un Richard Powers, sait combiner vertige de la science et subtilité de l'intrigue comme peu d'autres écrivains. On pense à Murakami et à Don DeLillo, autant qu'à Twain et Vonnegut.

Lydia Millet est né le 5 décembre 1968 à Boston et a grandi au Canada. Elle vit à Tucson, en Arizona, et à Cape Cod. Le Coeur est un noyau candide est son cinquième roman. Les éditions Autrement ont précédemment publié un de ses romans, Ma vie, ma vie magnifique.

William Gass, Sonate Cartésienne (Lot 49, novembre)
Traduit de l'américain par Marc Chenetier.

Après Le Tunnel, unanimement reconnu comme l'un des chefs-d'oeuvre de la littérature du XXème siècle, William Gass revient ici sur quelques-uns de ses thèmes de prédilection: l'isolement, qu'il soit géographique ou conjugal, l'obsession, le mal ou encore le fascisme du coeur. Il nous propose une galerie de personnages - une femme délaissée par son mari, un homme ensorcelé par une chambre d'hôte miteuse du Middle West, une vieille fille fascinée par la littérature, et un jeune garçon avide de vengeance -, des êtres solitaires, hantés, perdus dans une réalité sordide, que l'auteur transfigure par une langue et un style incomparables.
Servi par cette écriture magistrale, William Gass recrée ainsi littéralement un monde, à la fois très personnel et universel, marque des plus grands écrivains.

William H. Gass est né en 1924 à Fargo. Dès la publication de son premier roman, La Chance d'Omensetter, en 1966, il est reconnu comme l'un des écrivains les plus prometteurs depuis Faulkner. Il faudra attendre 1995 pour lire son second roman, Le Tunnel (Lot 49, 2007), ouvrage hors norme, auquel il a travaillé plus de trente ans. Sonate Cartésienne est paru en 1998 aux Etats-Unis.


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