jeudi 30 avril 2009

Paulo Coelho au Festival de Cannes

Je ne m'en cache pas (et, d'ailleurs, pourquoi devrais-je m'en cacher?): les livres de Paulo Coelho me donnent des boutons. Depuis L'Alchimiste, je m'interroge sur le succès de cet écrivain brésilien chez qui je ne trouve que lourdeurs et platitudes, sans parler d'une douteuse exaltation.
De temps à autre, j'y retourne, sans aucun masochisme mais parce que j'aimerais comprendre. Je ne comprends toujours pas. Son nouveau roman, La solitude du vainqueur, vient de paraître. Cinquième meilleure vente dans la catégorie romans la semaine dernière, quatrième cette semaine (d'après Livres Hebdo).
Je l'ai lu.
Je n'ai pas changé d'avis sur l'auteur - et, d'ailleurs, je suis couvert de boutons, je vais devoir me cacher pendant quelques jours.
Le roman est dédié à N.D.P., "rencontrée sur Terre pour montrer le chemin du Vrai Combat." Trois majuscules dans la phrase, en voilà déjà au moins deux de trop.
Puis, dans une préface, Coelho explique ce qu'il veut faire dans ce livre. Inquiétant: s'il a besoin de nous montrer où il veut en venir avant même de commencer, c'est qu'il n'est pas certain d'avoir atteint son but.
Ou qu'il prend ses lecteurs pour des imbéciles.
Je pencherais pour la deuxième hypothèse.
En effet, il faut s'adresser à des imbéciles pour préciser que les clubs échangistes sont "des lieux fréquentés par des couples qui désirent avoir des expériences sexuelles collectives".
Ce n'est qu'un exemple, le livre est farci d'évidences que Coelho croit nécessaire d'approfondir. Essayez, vous, d'approfondir le vide, vous verrez: ce sera toujours du vide...
Pas très bon côté lettres, Coelho ne se rattrape même pas dans les chiffres. Pour lui (ou au moins un de ses personnages), 40 + 4460 font 5000. Ah!?
Je m'arrête, je sens un autre bouton qui pousse et va me défigurer encore plus. Pour le résumé d'une histoire qui a bien du mal à tenir debout, je vous renvoie à la quatrième de couverture.

Détournement de blogs

La conjoncture m'y pousse. Non qu'il m'arrive souvent de prendre garde à la conjoncture. Mais, quand j'entends de grandes entreprises parler de rationalisation face à de gigantesques bénéfices, je me dis que ma toute petite entreprise mérite aussi que j'applique un minimum de bon sens à sa gestion.
Gérer. Oh! le vilain mot. M'enfin (aurait rétorqué Gaston Lagaffe), alors que je pourrais en faire moins, pourquoi faut-il que j'en fasse toujours plus? Les poches sous les yeux là-bas, les livres sur toile ailleurs, le journal d'un lecteur ici. Franchement, je vous le demande: que je lise des rééditions (ou des nouveautés, d'ailleurs) en poche, que je lise des ouvrages disponibles gratuitement sur Internet, que je lise d'autres livres qui n'entrent pas dans les deux premières catégories, le verbe n'est-il pas toujours le même? Donc l'action aussi...
Donc (je suis dans un de ces jours où la logique me pousse aux dernières extrémités) je rationalise. Je vire deux de mes emplois fictifs pour me recentrer sur l'acte principal - l'axe principal, aurais-je peut-être dû écrire.
D'ores et déjà, Le journal d'un lecteur, qui reste un blog, englobe les différents formats dans lesquels je lis. Format de poche ou format de fichier, qu'importe ?
A très bientôt. Ce sera plus régulier sous cette forme unique.

mercredi 29 avril 2009

Avant-premières : mai au Dilettante

Quelques éditeurs, de plus en plus, font l'effort de proposer des extraits de leurs livres à paraître. Une manière de se faire une idée des ouvrages à venir, comme si on pouvait les feuilleter en librairie avant même qu'ils soient disponibles. On sait à quoi s'en tenir, au moins pour le ton.
Le ton, parlons-en, est souvent assez singulier au Dilettante, une maison qui s'est longtemps limitée à de petits tirages avant de découvrir et de faire lire Anna Gavalda. Ce qui ne l'empêche pas de continuer à piocher dans les textes improbables, d'ouvrir les horizons littéraires et de remettre en valeur des écrivains injustement oubliés.

Côté inédit, voici un étonnant Tous à l'ouest! de Sydney Joseph Perelman, un roman vagabond et hilarant si l'on en juge par les dix pages offertes à la lecture. Les voyageurs sont en route pour Ceylan et n'y arrivent pas avant quatre jours de navigation pendant lesquels Mme Fusher attire tous les regards. Elle est "non seulement la personnalité la plus intéressante à bord du navire mais aussi une bombe qui faillit exploser à la figure de certains passagers de sexe mâle." Je passe sur les détails pourtant croustillants ainsi que sur la colère du mari, pour débarquer tout de suite dans un pays dont on pense qu'il produit surtout du thé. "Rien de plus faux. La principale industrie de l’île est la manufacture d’éléphants en ivoire pour les touristes, conçus de telle sorte que les oreilles et les défenses se brisent au moment précis où le rivage de l’île s’estompe à l’horizon."
On voit le genre. Du genre que j'apprécie.

J'apprécie aussi, pour d'autres qualités, Henri Calet, formidable écrivain dont tous les livres sont un régal. Je ne connaissais pas l'existence de L'Italie à la paresseuse, une manière de voir et de voyager qui convient à Calet comme elle me convient.
Il manque les "incontournables", comme on dit. Mais pas les tripes du samedi au Chien mort, un nom de restaurant qui lui va bien par son côté dérisoire. Une forme d'humour qui fait du laisser-aller un arbitre de l'élégance...
Stendhal est passé par là. N'a-t-il pas déjà tout dit? Et pourquoi donc Calet se contenterait-il des traces de son glorieux prédécesseur? Comme souvent, il se demande pourquoi on le considère comme journaliste, un titre qu'il a l'impression d'usurper. Et pour cause: il est beaucoup mieux qu'un journaliste - un écrivain, comme le prouvent les treize pages offertes à votre curiosité...

Le miracle d'un premier roman

Mais d'où sort-elle, Carole Martinez? On s'en moque, en réalité. Même si une recherche sur Internet fournirait probablement quelques renseignements sur une écrivaine que personne ne connaissait en 2007, avant qu'elle publie Le cœur cousu, son premier roman, et que celui-ci fasse une très belle carrière auprès du public et de jurés de prix littéraires - souvent des prix attribués par des lecteurs, d'ailleurs.
Du coup, elle peut se permettre de signer la récente réédition en poche quand elle l'envoie à un journaliste: "Un livre tout joyeux de partir en voyage, un roman tout étonné d'avoir droit à cette seconde vie. Un auteur heureux."
Elle a bien raison d'être heureuse, Carole Martinez. Et moi aussi. Son récit ne recule devant rien. Il prend à bras-le-corps des croyances anciennes et mal définies, nous place au sein d'un monde étrange et en même temps très concret. C'est surtout une histoire de femmes - j'aime les histoires de femmes. Détentrice de secrets, Frasquita est une couturière hors pair. J'ose à peine dire qu'elle est couturière: elle est beaucoup plus que cela. Elle aussi, comme la romancière, fait des merveilles. Mais elle ne voit pas venir le caractère joueur de son mari qui, après avoir tout perdu, la perd elle aussi.
Zut! Racontée ainsi, l'histoire est non seulement invraisemblable mais pleine de clichés insupportables. Elle est pourtant tout le contraire. Moi qui n'ai guère d'atomes crochus avec aucune forme de surnaturel, je l'ai rencontré ici sous un aspect qui me l'a fait accepter du début à la fin, avec les cris et les larmes qui l'accompagnent.
Une romance. Voilà ce qu'est Le cœur cousu. Et une romance qui emporte au-delà de la raison. C'est formidable! Un miracle, je vous le disais.

jeudi 23 avril 2009

Du blog au livre

Eric Chevillard est un écrivain formidable qui, un beau jour, s'est mis à tenir un blog - lui aussi.
En septembre 2007, sans autre intention au départ que de me distraire d’un roman en cours d’écriture exigeant des vertus d’application et de concentration dont je suis médiocrement pourvu, j’ai ouvert un blog, quel vilain mot, j’ai donc ouvert un vilain blog et je lui ai donné un vilain titre, L’autofictif, un peu étourdiment et plutôt par dérision envers le genre complaisant de l’autofiction qui excite depuis longtemps ma mauvaise ironie.
Aujourd'hui, L’autofictif se poursuit sur Internet. Sinon qu'il fait une pause depuis le 19 avril:
L’autofictif écœuré se taira jusqu’au 29 avril. On profitera de son silence pour relire en hochant la tête le premier volume de ce journal loyalement acquis en librairie.
Mais L'autofictif est aussi devenu un livre, un an d'un journal quasi quotidien, à raison de trois paragraphes chaque fois, ce qui finit, un pas après l'autre, par faire du chemin...
Il y a (au moins) deux façons de le lire.
Soit on le garde près de soi, sur sa table de nuit, par exemple, et on l'ouvre au hasard quand on y pense. On ne risque pas d'être déçu.
Soit (j'ai fait ainsi, et ce n'est pas plus mal, je vous le confirme) on commence par le commencement et on va jusqu'à la fin. Comme avec un livre normal, en somme, ou au moins un livre qui raconterait une histoire.
Celui-ci en raconte beaucoup, des histoires. De petits éclats de vie qui pourraient être réels, et peut-être le sont. Des bouts de fiction. Des coups de gueule (rares mais toujours pertinents, que j'ai envie d'applaudir). De vagues projets à peine caressés. Quelques poèmes.
Un bric-à-brac marqué du sceau de l'écriture: chaque mot à sa place, toutes les phrases construites - le contraire du laisser-aller qui semble si souvent, et si malheureusement, être la règle dans l'univers du blog. (J'espère que je ne me désigne pas moi-même en disant cela.)
Bref, un livre indispensable.

En revanche, il n'est pas aussi nécessaire de lire Un peu de respect, j'suis ta mère!, de Hernan Casciari.
Ici aussi, c'était un blog - argentin. Mais il reposait sur une imposture puisque l'auteur présumé du blog, Mirta Bertotti, 52 ans, femme au foyer, qui racontait ses tribulations familiales, n'existait pas. Le personnage avait été inventé en 2003 par le romancier.
Pourquoi pas, après tout? Aucune loi n'interdit de publier de la fiction sous forme de blog. Et l'idée d'un feuilleton est plutôt plaisante.
Maintenant, quel genre de feuilleton? Celui-ci utilise les grosses ficelles de tous les problèmes potentiels de cette femme qui déprime avec humour et remonte la pente en pleurant. On croirait presque une télénovela, avec rebondissements à chaque instant et drames à tous les étages.
Pour se distraire, pourquoi pas? Après tout, je ne me suis pas ennuyé en le lisant. Mais je ne suis pas certain que je vais m'en souvenir longtemps.

mercredi 22 avril 2009

Daniel Maximin et Aimé Césaire : une pratique douteuse

Il y a moins d'une semaine, je vous parlais avec enthousiasme de Cent poèmes d'Aimé Césaire, un choix de Daniel Maximin.
L'enthousiasme n'est pas retombé, du moins à propos des poèmes.
Mais il y a aussi, en guise de préface, un texte de Daniel Maximin, Par lui-même: Aimé Césaire. Un acrostiche qui reprend les lettres du prénom et du nom du poète pour définir son monde autour de quelques thèmes familiers.
J'avais lu, le 15 décembre dernier, l'article de Lucie Cauwe dans Le Soir, une interview sous la même forme, proposée par la journaliste, de l'écrivain guadeloupéen à propos de son aîné martiniquais.
Je ne m'étais pourtant pas aperçu de la troublante ressemblance entre le texte paru dans le quotidien et celui qui sert de préface aux cent poèmes.
Alors que...
Outre la forme, le contenu même des différents paragraphes donne à penser... mais j'y reviendrai après vous avoir donné un exemple (qui n'est pas nécessairement le plus représentatif). Voici le premier paragraphe, dans Le Soir:
A comme Armes miraculeuses. Dans une histoire qui commence par l’oppression, la traite et l’esclavage, Césaire fait trouver des armes qui ne soient pas destructrices, qui détruisent l’oppression sans détruire l’opprimé, qui redonnent l’humanité à l’opprimé en l’imposant aussi à l’oppresseur. Ces armes de résistance créatrice utilisent même contre l’oppression les armes de l’oppresseur. Ces armes miraculeuses sont celles de la poésie, du théâtre, du discours. Césaire transforme les langues des maîtres (français, anglais, créole, espagnol) en écriture de résistance: la musique de la poésie libère la langue de l’oppresseur, comme l’improvisation libère la musique prisonnière de la partition. Tout ce qui est imposé peut se transformer en conquête libre par la poésie. Le stylo, comme le violon, devient un outil de libération.
Et le même, dans Cent poèmes:
A comme Armes miraculeuses. Ces "armes miraculeuses" de résistance créatrice (titre de son premier recueil en 1946) sont pour Aimé Césaire celles de la poésie, du théâtre, du discours: "ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s'affaissent au cachot du désespoir." Dans une histoire qui s'inaugure par la colonisation, la traite et l'esclavage, le poète forge des armes de parole qui deviennent les outils de l'émancipation et de l'identité conquises. Des Ferments contre les Ferrements. Des outils volés aux maîtres qui détruisent l'oppression sans autodestruction de la victime, qui expriment l'humanité de l'opprimé en imposant aussi à l'oppresseur de reconnaître et d'assumer la sienne. Tous les poètes caribéens transforment depuis toujours leurs langues de maîtrise (français, anglais, créole, espagnol) en écritures de résistance: "des mots, mais des mots de sang frais, des mots qui sont des raz-de-marée [...] et des laves et des feux de brousse, et des flambées de chair."
Il y a, comme je vous le disais, des extraits encore plus troublants.
Voilà qui m'amène à quelques réflexions.
  • Sans aucun doute, quand Lucie Cauwe prend des notes puis met en forme ce que Daniel Maximin lui dit, il s'agit bien de la pensée de celui-ci, habité par les textes d'Aimé Césaire. Pas de débat nécessaire sur le sujet.
  • En revanche, si on lit attentivement l'article et la préface, il est évident (oui: évident) que Daniel Maximin est parti du premier pour écrire la seconde. Modifiant ici ou là, retranchant, ajoutant, déplaçant, etc. Mais la structure même de chaque paragraphe est celle de l'article.
  • Donc, l'écrivain a utilisé le travail de la journaliste, sans lui en demander l'autorisation ni même la prévenir. Moyennement sympa, non? Et très limite sur le plan de l'éthique, sans parler du droit...
Bon, comme je l'ai déjà dit, cela n'enlève rien au livre. Mais quand même, il y a comme une gêne...

samedi 18 avril 2009

Nouvelles chroniques de Madagascar

Il y a quatre ans, Dominique Ranaivoson avait rassemblé douze écrivains dans les Chroniques de Madagascar. Ils sont trois fois moins nombreux aujourd'hui pour les Nouvelles chroniques de Madagascar, dans des textes plus longs où chacun peut mieux faire entendre sa voix.
Deux d'entre eux étaient déjà présents dans le premier volume. On est heureux de les retrouver.
Hery Mahavanona, mieux connu comme poète, donne avec Au nom du père le récit d'une quête des origines, à travers la découverte, presque par hasard, d'une trace familiale. L'essentiel se passe dans un discours intérieur qui pose beaucoup de questions et n'apporte pas toujours les réponses - comme souvent dans la vie, en somme. Jusqu'à une décision finale qui annule, en quelque sorte, ces questions...
Johary Ravaloson aurait pu écrire, pour paraphraser le titre d'un livre à succès: C'est presque beau, une ville la nuit. Il se contente de: Antananarivo, ainsi durant les jours pluvieux. Chroniques de vies ordinaires. Cela commence avec un chauffeur de taxi dont les trajets lui font rencontrer d'autres personnes. Et c'est une petite communauté de hasard qui entre ainsi dans une nouvelle à voix multiples par lesquelles est restitué le bruissement de la capitale.
Deux autres auteurs n'appartenaient pas au premier recueil. Et Désiré Razafinjato est même, sauf erreur, publié pour la première fois avec Tahiry. De Madagascar au djebel algérien, l'amère-patrie. La guerre d'Algérie vécue par un caporal malgache, entre les événements de 1947 et l'indépendance, représente pour lui une sorte de torture intellectuelle. Sa place n'est pas là, il le sait, mais comment pourrait-il éviter d'y être? On se chargera, au pays, de lui faire comprendre sa déchéance aux yeux des siens.
Cyprienne Toazara - qui a, de son côté, dejà publié plusieurs ouvrages - met en scène des jumeaux dans Doublement un. La vie les place sur des chemins différents. L'un, à cause d'une guerre (encore), découvre l'Europe, un autre mode de vie, et prend même pour épouse une femme blanche. L'autre, resté à Madagascar, mène l'existence qui semblait être prévue pour lui depuis toujours. Un incident de parcours qui est le ressort principal de cette nouvelle leur donne des rôles inattendus.
Quatre textes venus de Madagascar, dont aucun ne laisse indifférent.

vendredi 17 avril 2009

Aimé Césaire, bien présent parmi nous

Il y a un an aujourd'hui disparaissait Aimé Césaire, grand poète et grand homme. Une amie me le rappelait indirectement en postant sur Facebook le lien vers un hommage en clip, en ajoutant ces mots venus du cœur et des tripes, toute sensibilité dehors:
Mélodie-Hommage à un de ces premiers Défricheurs d'Histoire... Aimé Césaire : un Diseur d'Être : de Mémoire. Un Eclaireur... Allumeur de Consciences... : An Nèg Fondamental...
Comme un bonheur ne vient jamais seul, l'ouvrage paru hier, Cent poèmes d'Aimé Césaire, nous fait retrouver le battement profond d'une langue portée par l'absolue nécessité de dire.
Daniel Maximin, qui a établi cette édition, a veillé à nous rendre Aimé Césaire présent aussi par les illustrations, tableaux de Wifredo Lam et photographies souvent liées aux parcours familiers du poète en Martinique.
Je ne peux maintenant que me taire et partager avec vous un poème extrait de Comme un malentendu de salut.

Paroles d'îles

Pour saluer Edouard Maunick

Si nous voulons réapareiller l'abeille dans les campêchiers du sang

Si nous voulons désentraver les mares et les jacinthes d'eau

Si nous voulons réfuter les crabes escaladeurs d'arbres et dévoreurs de feuilles

Si nous voulons transformer la rouille et la poussière des rêves en avalanche d'aube

Qu'es-tu...

Toi qui comprends ce que disent les îles

Et qu'elles se communiquent dans la marge des mers et dans le dos des terres dans leur jargon secret d'algues et d'oiseaux

Qu'es-tu comparse du feu et du flux et du souffle

Qu'es-tu venu nous dire en violence et tendresse

Sinon qu'à portée de la voix

A portée de la main et de la conque

A portée du cœur et du courage

Parole plus loin parole plus haut
lèvent l'arbre-épée et l'épée
Espérance à flanc d'abîme

Moissons vivantes de la Mémoire

jeudi 16 avril 2009

Assouline, biographe, bloggeur et romancier

Pierre Assouline a d'abord été pour moi un journaliste, et en particulier le rédacteur en chef de Lire, excellent mensuel, concurrent direct du non moins excellent Magazine littéraire, auquel j'ai régulièrement collaboré pendant une bonne dizaine d'années, à la fin du siècle dernier, comme on dit... Cela n'avait pas empêché Assouline de me demander un jour un grand article pour Lire. Belle preuve d'élégance!
Je l'ai de mieux en mieux connu, ensuite, comme biographe. Je me souviens de la frénésie avec laquelle, en compagnie d'un autre journaliste du Soir, nous avions photocopié les épreuves de son Simenon, afin de nous lancer en même temps dans la lecture attentive et critique de ce livre magistral - il n'y avait (presque) que du bien à en dire.
Puis il est devenu l'homme orchestre d'un blog de référence, La république des livres, dont je ne rate jamais rien. Dernier et savoureux billet en date, Il paraît qu'il faut parler de Maurice Druon. Texte paradoxal puisqu'il conclut qu'il ne fallait pas lui rendre hommage. (J'ai été plus radical: je pensais la même chose, et je n'en ai donc pas parlé.)
Homme orchestre, parce que les commentaires abondent sur ce blog (215 déjà, par exemple, à propos de Maurice Druon). Passou, comme l'appellent souvent les "intervenautes", en a tiré un livre, Brèves de blog.
Mais c'est le romancier qui est aujourd'hui à l'honneur pour Les invités. Un dîner mis en scène par la maîtresse de maison comme si c'était un spectacle dont les invités seraient les acteurs. Une multitude de conversations. Un équilibre savamment dosé entre les personnages.
Et un gros "couac": ils sont treize à table. D'où l'idée, apparemment saugrenue, de mettre un couvert de plus pour Sonia, la domestique. Pas si saugrenue que cela: elle devient l'élément cristallisateur des caractères.
Une sacrée soirée et une belle comédie humaine...

dimanche 12 avril 2009

Orhan Pamuk, Istanbul et Gustave Flaubert

L’œuvre d’un écrivain est inévitablement marquée par les années où il s’est construit, où il s’est découvert les aspirations qui sont les siennes. D’où l’intérêt que nous prenons si souvent aux souvenirs lointains par lesquels la création d’aujourd’hui révèle la source à laquelle elle puise avec constance – et variété, le cours d’un fleuve étant rarement rectiligne. Comme dans la géographie, il faut bien que la source soit située quelque part.
A Istanbul, par exemple, pour Orhan Pamuk. Il y a vécu l’essentiel de son existence. Cinquante ans dans la même maison, cela imprègne un homme : «mon attachement à la même maison, à la même rue, au même paysage, et à la ville, a exercé une influence sur mon identité. Cet attachement à Istanbul signifie que son destin fait désormais partie de votre caractère.»
Il va plus loin, comptant sur le lecteur pour se rendre compte «que parler de moi revenait à parler d’Istanbul, et vice versa». Istanbul est, il est vrai, une ville littéraire, que nous connaissons même sans y être allé grâce à Nerval, Gautier ou Flaubert. Des auteurs que cite Pamuk, tout comme il admire les gravures détaillées que Melling a réalisées du Bosphore. Ces regards occidentaux sur sa ville sont importants pour lui. «Regarder Istanbul avec les yeux d’un étranger est toujours un grand contentement et une habitude particulièrement nécessaire face au sentiment communautaire et au nationalisme régnants.»
Il convoque aussi des écrivains turcs qui nous sont moins familiers. Quatre d’entre eux, en particulier, qu’il aurait pu croiser dans son enfance. Les écrivains du hüzün (la tristesse, la mélancolie) : le poète Yahya Kemal, l’historien Reşat Ekrem, le romancier Tanpınar et le mémorialiste Abdülhak Şinasi Hinar. «Dès que je me remémore simultanément ces écrivains, je me dis que ce qui fait la particularité d’une ville, ce ne sont pas seulement les vues spécifiques (composées la plupart du temps aléatoirement de sa topographie, de ses immeubles et de ses hommes), c’est aussi la trame dense des rencontres secrètes ou non que les lettres, les couleurs, les signes peuvent tisser, parallèlement aux souvenirs accumulés par ceux qui, à ma manière, ont vécu dans les mêmes rues une cinquantaine d’années.» Il s’est plu à imaginer un roman touffu dont ces écrivains seraient les personnages.
Mais ce roman n’a pas été écrit et, pour l’instant, les souvenirs nous suffisent bien. Ils décrivent Istanbul en noir et blanc, comme les photos qui l’illustrent. Ils nous parlent d’un passé révolu sur lequel les Stambouliotes, apparemment peu sensibles à l’histoire, ne se retournent guère. Ils font de la neige un événement et, de la fumée des bateaux sur le Bosphore, une sorte d’apparition magique.
A la question que nous nous posons tous, de savoir si Istanbul appartient à l’Occident ou à l’Orient, il ne répond pas vraiment, sinon par la bande, avec la voix de sa grand-mère paternelle: «Elle répondait qu’elle était pour le mouvement d’occidentalisation entrepris par Atatürk quand on lui posait la question, mais en réalité, comme tous les habitants de la ville, elle se fichait aussi bien de l’Orient que de l’Occident.» En revanche, une chose semble certaine : le Bosphore, au lieu de séparer les deux rives, les unit. Et Orhan Pamuk a toujours eu une grande tendresse, souvent exprimée ici, pour ce détroit.
Pourrait-on, après avoir parcouru les rues d’Istanbul avec l’écrivain, en fournir une description en quelques lignes ? Certainement pas. Au contraire, l’âme de la ville ne cesse de se préciser dans le même temps qu’elle nous échappe, toujours plus complexe au fur et à mesure que les détails se dessinent, que les histoires se racontent.
Les histoires que Pamuk se racontait dans son enfance, déjà. Bien qu’il ait cru d’abord à une vocation de peintre, il avait adoré, très tôt, s’inventer des mondes où il se réfugiait, utiliser son imagination pour recréer les lieux où il ne pouvait pas aller. «La différence entre l’homme qui croit être Napoléon en personne et l’homme qui se plaît à rêver en permanence qu’il est Napoléon, c’est la différence entre un malheureux schizophrène et un heureux rêveur.»
Et si c’était cela, un écrivain ?

Dans Le Monde, Orhan Pamuk affirme maintenant: M. Flaubert, c'est moi! Car aucun écrivain, aucun grand écrivain, surtout, ne naît par génération spontanée. (Bon, il y a peut-être des exceptions, mais elles sont, comme le dit le mot, exceptionnelles.) Et j'aime, parce mes lectures ont fait de moi ce que je suis, qu'un prix Nobel de littérature reconnaisse les influences qu'il s'est choisies.
Flaubert, donc, qui écrivait à Istanbul, le 15 décembre 1850: «Je me fous du monde, de l'avenir, du qu'en-dira-t-on, d'un établissement quelconque, et même de la renommée littéraire, qui m'a jadis fait passer tant de nuits blanches à la rêver.» La coïncidence géographique n'est évidemment pas suffisante - genre, il est passé par ici, moi aussi. Il y a le choix de l'écriture avant celui de la notoriété. Et bien d'autres caractéristiques, dans l'écriture de Flaubert, dans sa manière de mener un roman, dans le style indirect libre qu'il utilisait, bien des éléments dont les écrivains qui l'ont suivi ont tiré profit. Orhan Pamuk parmi d'autres...

vendredi 10 avril 2009

Pour mémoire

Deux romans récents parlent, chacun à sa manière, de la fidélité aux disparus. Dans l'un, il s'agit d'un homme qui a laissé un témoignage jugé capital. Dans l'autre, d'un ami. Curieusement, un pays rassemble aussi, de loin, les deux écrivains puisque l'un, Andrea De Carlo, est italien et que le nom de l'autre, Hubert Mingarelli, fait penser à une origine transalpine...

Océan de vérité, d'Andrea De Carlo, fait allusion à un manuscrit perdu qui porte ce titre. Plutôt que perdu, il faudrait dire que le texte, écrit par un cardinal sénégalais mort du sida, a été subtilisé par un politicien italien afin d'éviter qu'il en soit fait un mauvais usage. Traduisez: pour que ne circule pas un témoignage dans lequel un prélat catholique s'oppose à toutes les positions de son Eglise sur les pratiques sexuelles.
Lorenzo Telmari, le frère du politicien en question, voudrait pourtant mettre ces mémoires au jour, donner à son auteur décédé l'occasion de faire entendre sa voix et respecter la volonté de son père, qui vient lui aussi de mourir et semblait décidé à publier le texte.
Si Lorenzo entreprend la recherche d'un autre exemplaire, c'est certes par conviction. Mais pas seulement: il est tombé amoureux de Mette, qui milite dans un groupuscule d'activistes et pourquit le même but.
A partir de là, Andrea De Carlo nous entraîne dans des aventures où l'idéalisme se mêle aux sentiments. Son roman est un véritable piège pour le lecteur, incapable de le lâcher jusqu'à la dernière page, avec un grand bonheur en guise de conclusion.

Dans La promesse, Hubert Migarelli pose Fedia sur le lac de retenue d'un barrage. Le jour n'est pas encore levé. Fedia ne met pas le moteur en route, pour respecter le silence. Il part donc à la rame pour une journée de navigation en eau douce, lui qui est mécanicien dans la marine.
Quand il était à l'école, sur les bords de la Baltique, il avait un ami, Vassili. Un lien puissant les unissait, qui ne s'est pas défait au fil du temps, même s'ils avaient été affectés à des navires différents. Aujourd'hui, Vassili n'est plus et Fedia se souvient de leur profonde complicité, des moments partagés
Dans un va-et-vient fascinant entre la mémoire et les moments du présent, Hubert Mingarelli donne un sens secret à la journée de Fedia. Comme dans la plupart de ses autres romans, il y a ici une belle harmonie entre l'homme et la nature au sein de laquelle se retrouve son personnage. Une harmonie avec le monde et les autres hommes, aussi, traduites dans quelques rencontres sur le lac, puis dans la rivière qui l'alimente.
On est touché par la grâce de ce livre court mais intense.

mercredi 1 avril 2009

Le mythe de la Route 66

Chicago, km 0. Puis plein ouest, jusqu'à Santa Monica, 4000 kilomètres plus loin. Ou 2278 miles, pour utiliser la mesure locale. Une route qui a une histoire et le long de laquelle courent des tas d'histoires...
Depuis près d'un quart de siècle, officiellement, elle n'existe plus. Sinon qu'elle est encore très présente dans l'imaginaire. Que Les raisins de la colère, de John Steinbeck, l'habitent toujours.
Eric Sarner a donc décidé de la reprendre de bout en bout et d'y glaner tout ce que sa curiosité lui offrait.
Beaucoup de rencontres, donc, et la première d'entrée:
Betty avait le regard de ceux qui ont beaucoup vu les autres s’en aller. Un regard un peu bleu, un peu transparent, un peu plus que cela, translucide, un regard un peu cassé, assez beau côté j’sais-bien-que-j’perds-mais-qu’est-ce-que-j’y-peux ?
Beaucoup de demi-vérités aussi, inscrites dans l'asphalte ou ses environs, des faits minuscules grossis jusqu'à devenir des évidences à force d'avoir été martelés par des milliers de personnes - quand on croit à ses mensonges, ce ne sont plus des mensonges...
Pas mal de déceptions sur le chemin, forcément. La légende est trop belle pour être retrouvée sur le trajet. Mais aussi de bonnes surprises, dues surtout au fait que le voyageur est prêt à tout accepter de ce qui lui arrive.
Comment dit-on, déjà? Le voyage est le but du voyage - ou toute forme dérivée de cette vérité à travers laquelle s'affirment les récits attentifs aux détails les plus incongrus. Rien n'est indifférent à Eric Sarner, sinon les haltes convenues, les must qu'il écarte tranquillement de son itinéraire.
Sur la route 66 est un parcours comme on aimerait en faire, comme on aime en faire, encore et encore.