lundi 25 juillet 2011

Lectures de rentrée, suite

Une partie de la journée consacrée à la découverte des titres en librairie à partir du 17 ou 18 août ne suffit pas à faire diminuer sensiblement les livres en attente. Mais c'est mieux que rien, et c'est à suivre, en bref, sur Twitter. (Avec un fil mis à jour ci-contre.)
Récapitulatif d'une semaine plutôt bonne.

Rentrée: Estelle Nollet passe brillamment le cap du deuxième roman avec "Le bon, la brute, etc." http://goo.gl/o3p22

Rentrée: "Les souvenirs", de David Foenkinos, un joli roman insignifiant, donc promis à un grand succès http://goo.gl/9um5Z

Rentrée: "Le ravissement de Britney Spears", Jean Rolin entre "Rolling Stone" et "Closer" http://goo.gl/KaS9U

Rentrée: la "Génération Nothomb" d'Annick Stevenson est au niveau de son idole http://goo.gl/nAJVy

Rentrée: la question du territoire, appropriation ou dépossession, dans "J'apprends l'hébreu", de Denis Lachaud http://goo.gl/aIfIz

samedi 23 juillet 2011

Amélie Nothomb, journal d'une relecture

Dans quelques jours – trois semaines exactement – Amélie Nothomb publiera son vingtième roman. En autant de rentrées littéraires. Une sorte d’exploit, doublé d’un succès constant. Soit des millions d’exemplaires achetés, lus, souvent commentés avec ferveur. Le prouve la parution, en même temps que celle de Tuer le père, d’un roman d’Annick Stevenson, Génération Nothomb. L’œuvre d’Amélie Nothomb y est synonyme de rédemption pour Sami, le personnage principal. La gentillesse, la disponibilité de l’écrivaine, le temps qu’elle passe à répondre aux lettres de ses lecteurs, tout sert à justifier l’admiration. Et jusqu’aux célèbres chapeaux.
Comme tout le monde, j’ai été frappé par les chapeaux. Mais je suis peu sensible à cette esthétique. Comme beaucoup, je lis les romans d’Amélie Nothomb depuis 1992 – à peu près tous, seul l’un d’entre eux m’a peut-être échappé, et j’ai écrit des articles sur treize des dix-neuf parus à ce jour. Mais j’ai le sentiment d’avoir été, depuis le début, plus sévère que la majorité des commentateurs.
Pourquoi? Parce que je suis trop souvent déçu. Probablement aussi parce qu’à la déception s’ajoute l’incompréhension face au cortège d’éloges qui accompagne chaque publication.
Le doute m’accable parfois: après tout, il est possible que je me trompe et que l’œuvre d’Amélie Nothomb possède des qualités que je n’y ai jamais trouvées (à quelques exceptions près, j’y reviendrai). Même s’il m’est arrivé de lire deux fois certains de ses livres – la première lors de la publication originale, la seconde dans l’édition de poche –, je m’y recolle donc, entreprenant la tâche (pas insurmontable) de relire, en attendant Tuer le père, les dix-neuf premiers romans d’Amélie Nothomb.
Si tout se passe bien, si je ne m’énerve pas trop, si d’autres travaux ne m’appellent pas d’urgence, je devrais avoir mené à bien cette traversée au moment où sortira le vingtième roman de l’auteur belge. On verra bien quelles conclusions j’en tirerai, à la fin d’un «Journal d’un lecteur» entièrement dédié à ces ouvrages.

mercredi 20 juillet 2011

Dans les cahiers de Paul Valéry

Gallica est une mine inépuisable pour les lecteurs curieux. Plutôt que de lire les Cahiers de Paul Valéry dans l'édition de la Pléiade (deux volumes), il est possible maintenant de plonger en ligne dans les manuscrits eux-mêmes. Je précise: en ligne, parce que la qualité de la reproduction téléchargeable (en PDF ou en JPG) est si médiocre qu'il doit y avoir, derrière ce choix, un accord secret entre la BNF et un syndicat d'ophtalmologues...

Il n'empêche: malgré cette réserve, il faut applaudir cette mise à disposition des trente cahiers conservés dans le Fonds Paul Valéry. Chaque page est un excitant légal - mais qui provoque rapidement l'accoutumance.
J'ouvre au hasard:
Le travail père de tous les crimes modernes. Jadis c'était l'oisiveté. (Bourdaloue sur l'oisiveté. Stendhal)
déformation de l'homme par le travail.
américanisme. L'homme d'affaires. Croit que l'activité extérieure et spéculatrice, rachète tout. Tout monnayable.
On en redemande...

mardi 19 juillet 2011

Rentrée littéraire, les choix de la Fnac

Je vous disais: les lecteurs privilégiés ont déjà le nez sur la rentrée littéraire. La preuve par le jury de la Fnac, composé de 900 personnes qui ont choisi 30 ouvrages pour le prix du roman qui sera attribué le 31 août. L'année dernière, le prix avait lancé Purge, de Sofi Oksanen, sur qui allaient tomber ensuite bien d'autres récompenses et qui se révélerait un succès tout à fait mérité.
Pour la rentrée 2011, voici la sélection:

La sélection commune (titres retenus à la fois par les adhérents et les libraires de la Fnac)
  • Retour à Killybegs, Sorj Chalandon (Grasset)
  • Le héron de Guernica, Antoine Choplin (Le Rouergue)
  • Rien ne s'oppose à la nuit, Delphine de Vigan (Lattès)
  • Les souvenirs, David Foenkinos (Gallimard)
  • Eux sur la photo, Hélène Gestern (Arléa)
  • Tout, tout de suite, Morgan Sportes (Fayard)
  • Désolations, David Vann (Gallmeister)

La sélection des libraires ou des adhérents Fnac
  • Le turquetto, Metin Arditi (Actes Sud)
  • Des garçons d'avenir, Nathalie Bauer (Philippe Rey)
  • Avant le silence des forêts, Lilyane Beauquel (Gallimard)
  • Et rester vivant, Jean-Philippe Blondel (Buchet-Chastel)
  • Parties communes, Camille Bordas (Joëlle Losfeld)
  • Terezin Plage, Morten Brask (Presses de la Cité)
  • Scintillation, John Burnside (Métailié)
  • Limonov, Emmanuel Carrere (P.O.L)
  • The room, Emma Donoghue (Stock)
  • Opium Poppy, Hubert Haddad (Zulma)
  • Des fourmis dans la bouche, Khadi Hane (Denoël)
  • L'ampleur du saccage, Kaoutar Harchi (Actes Sud)
  • La question Finkler, Howard Jacobson (Calmann Lévy)
  • Tableaux noirs, Alain Jaubert (Gallimard)
  • L'art français de la guerre, Alexis Jenni (Gallimard)
  • L'équation africaine, Yasmina Khadra (Julliard)
  • Les savants, Joseph Manu (Philippe Rey)
  • Le domaine des murmures, Carole Martinez (Gallimard)
  • La femme du tigre, Téa Obreth (Calmann Lévy)
  • Des vies d'oiseaux, Véronique Ovalde (L'Olivier)
  • Persécution, Alessandro Piperno (Liana Lévi)
  • Juste avant, Fanny Saintenoy (Flammarion)
  • Rue Darwin, Boualem Sansal (Gallimard)

lundi 18 juillet 2011

Rentrée littéraire, premières lectures

Les livres qui arrivent aux journalistes sont souvent accompagnés d'un avertissement ressemblant à ceci:
Cet ouvrage sera en librairie le xx août 2011. L'auteur et les Éditions XYZ vous remercient de ne publier ni extraits ni comptes rendus avant cette date.
Logique: tant que les libraires n'ont pas été livrés, tout article risque de provoquer chez les clients des demandes qui ne pourront être honorées.
Il n'empêche que tout le monde, moi compris, a commencé à lire. Et que les premières impressions méritent d'être notées avant de s'évanouir. Voici donc, en quelques mots (Twitter oblige), le bilan d'une première semaine de découvertes.

Rentrée: dans le livre 1 de "1Q84", Murakami met en place un univers que j'ai hâte de retrouver dans le livre 2 http://goo.gl/yxnj5

Rentrée: La Fontaine mérite mieux que "Le maître du jardin", de Valère Staraselski http://goo.gl/D9DcM

Rentrée: la belle échappée de Christian Oster dans "Rouler", vers un nom plutôt qu'un lieu http://goo.gl/e4nDm

Rentrée: pendant 240 pages, la guitare rageuse de Jimi Hendrix dans "Hymne", de Lydie Salvayre http://goo.gl/kEvWC

Rentrée: "Dans un avion pour Caracas", de Charles Dantzig, futile, sérieux, élégant, oui, tout à la fois http://goo.gl/3ZnoP

Rentrée: Roxane devient "Cyr@no", selon une Bessora à l'écriture emportée http://goo.gl/e2Jo1

En attendant de poursuivre (avec Estelle Nollet, qui espère ne pas me décevoir dans son deuxième roman)...

samedi 16 juillet 2011

L'année littéraire (24) - Traducteurs, au rapport!

Il y a quelques jours déjà que le rapport de Pierre Assouline, La condition du traducteur, a été rendu public. Il est téléchargeable, avec ses annexes, sur cette page du Centre National du Livre.
C'est un véritable livre, documenté et vivant, puisant ses informations à la source, c'est-à-dire auprès des traducteurs eux-mêmes, mais aussi des éditeurs avec lesquels les relations sont parfois difficiles. Et pas seulement en raison des tarifs pratiqués - trop faibles aux yeux des traducteurs, trop élevés à ceux des éditeurs.
Il suffit de penser un bref instant à ce que nous, les lecteurs, devons aux traducteurs, sans lesquels nous n'aurions accès qu'à une toute petite partie de la littérature mondiale, pour se dire que leurs conditions de travail, leurs qualités et leurs défauts nous concernent.
Dès lors, le rapport de Pierre Assouline nous concerne aussi, d'autant qu'il se lit avec plaisir tout en délivrant une masse considérable d'informations. Certaines de celles-ci sont, certes, décourageantes pour celles et ceux qui voudraient se lancer dans la profession. Une profession pourtant privilégiée en France par rapport à la plupart des autres pays européens...

lundi 11 juillet 2011

Les enfants cannibales de Jean-Claude Derey

Les enfants soldats sont une réalité qui prolonge une barbarie dont on aurait pu espérer qu'elle était d'une autre époque. Des romanciers africains avaient déjà affronté ce sujet difficile: Ahmadou Kourouma, en 2000, avec Allah n'est pas obligé, puis Emmanuel Dongala, deux ans plus tard, avec Johnny Chien Méchant. Kourouma n'avait pas l'intention d'abandonner Birahima, le dernier de ses héros. Sa mort ne lui a pas permis de terminer Quand on refuse on dit non, paru néanmoins inachevé.
L'écrivain français Jean-Claude Derey se place lui aussi sur le terrain de cette violence avec Les anges cannibales. La Côte d'Ivoire pour Kourouma, la Sierra Leone pour Derey. Et la même terrible description de mécanismes parfaitement rodés pour apprendre à tuer.
Jean-Claude Derey est allé sur le terrain où il s'est trouvé face à l'horreur.
Alors, il raconte. Et il raconte bien. Yondo, l'adolescent qui se retrouve seul après l'attaque de sa maison par Mosquito et ses hommes. Son père, journaliste qui dénonçait les exactions du chef de guerre, a été tué, comme sa mère. Sa sœur et son frère ont disparu. Partout où il cherche du secours, les portes se ferment. L'errance commence.
L'ironie qui préside parfois aux destins va bousculer Yondo jusqu'à le faire entrer dans l'armée du même Mosquito par qui son malheur est arrivé. Deviendra- t-il lui aussi un tueur? C'est la question que pose le livre. Savoir si l'on peut résister à une machine de guerre quand elle a décidé de vous emporter dans sa folie.
La langue de l'écrivain s'emballe en même temps que les événements, sur un rythme de tirs de kalach. Certaines scènes sont insupportables. Mais les personnages les vivent, et il faut donc bien les inscrire dans la continuité du récit. Qui dénonce avec d'autant plus de force qu'il se contente de montrer. La meilleure manière, sans doute, de nous ouvrir les yeux sur le drame des enfants soldats. La lecture de ce formidable récit est aussi une prise de conscience.

dimanche 10 juillet 2011

Une seule voix reste à Emmanuelle Pagano

Un projet littéraire dont l’orientation se modifie en cours de route, ce n’est pas nécessairement un accident de parcours. Le chemin emprunté par l’écrivain doit parfois épouser les mouvements de l’existence quand le livre est censé être lié à celle-ci. Dans une note préliminaire à L’absence d’oiseaux d’eau, Emmanuelle Pagano explique l’intention de départ: échanger des lettres avec un autre écrivain, «une œuvre de fiction que nous construisions chaque jour, à deux, et dans laquelle nous inventions que nous nous aimions.» Jeu dangereux, puisque l’amour n’est pas resté imaginaire. L’amour est né, a grandi, s’est enfui. Comme s’est enfui l’autre auteur, reparti avec ses propres lettres. Il ne reste donc qu’une voix, l’autre se faisant malgré tout entendre à travers les réponses, en creux, écho affaibli de ce que nous ne lirons pas.
Revendiqué comme une autofiction, le roman nous place au plus près des sentiments éprouvés par la narratrice. Elle semble plus engagée dans le travail commun que son interlocuteur. Elle use (et abuse?) d’arguments pour le convaincre: «il faudrait que tu me fasses un peu plus confiance. Tu vois, je croyais qu’on écrivait à deux, mais tu me dis non, toi seule écris à deux.» Elle ne s’inquiète pas trop, en apparence, du déséquilibre de la relation, comptant sur sa force pour entraîner l’autre. Le doute qui surgit par instants est balayé à la lettre suivante, comme si la réponse avait été rassurante.
Une chose en entraînant une autre, une sensualité gourmande investit les phrases, le désir se confond avec l’écriture. «Je voudrais prendre les mots dans mes mains, et les tordre, les mots, jusqu’à ce qu’ils suivent les contours de ton corps, les malaxer jusqu’à ce qu’ils soient chauds, et qu’ils aient la bonne texture, qu’ils soient suffisamment tendres pour recouvrir ta chair d’une seconde peau. Dans mon écriture, je me donne à toi.»
Dans l’intervalle de temps qui sépare la première de la deuxième partie, la rencontre physique s’est substituée aux mots. Ceux-ci poursuivent un dialogue (pour nous, un monologue, rappelons-le) dont les données se sont modifiées. Le verbe s’est fait chair, en quelque sorte. Il court à la poursuite de ce qui est arrivé, ou à la rencontre de ce qui arrivera encore. Ce sont les pages les plus fortes. Elles sont habitées par une plénitude qui crée l’harmonie et conduit les gestes à leur tension extrême.
Entre la partie centrale et la dernière, beaucoup d’événements se sont produits, eux aussi en creux, dont les conséquences habitent la fin du livre. Et lui donnent une énergie paradoxale, de quoi mener jusqu’à son terme un projet qui a bien changé depuis les premières lignes.
Emmanuelle Pagano fait peur pendant une centaine de pages. On se dit qu’elle ne va pas s’en sortir et que ses lettres sont amenées à tourner en rond. Mais elle rebondit merveilleusement pour nous tirer jusqu’à la fin.

vendredi 1 juillet 2011

Pierre Charras et son tombeau de Franz Schubert

Franz Schubert agonisant se trompait: «On ne prononcera plus jamais le nom de Schubert, plus jamais.» Du moins le Franz auquel Pierre Charras donne la parole dans Le requiem de Franz.
Petit et gras, orphelin de mère, jeune homme de 31 ans n’ayant vécu que pour la musique et les amis avec lesquels il s’enivrait. Malade d’avoir trouvé, face à l’absence d’amour, une maigre consolation dans la fréquentation des prostituées, qu’il appelait toutes Thérèse, femme inaccessible dont la voix avait porté son chant. Sédentaire qui n’a presque jamais quitté Vienne où, pourtant, il n’a pas trouvé à s’installer vraiment – ces derniers temps, un de ses frères l’hébergeait. Timide au point de n’avoir jamais osé aborder Beethoven malgré les stratégies qu’il avait mises en œuvre pour y parvenir.
Il a beaucoup rêvé de celui qu’il aurait pu être s’il n’avait été si laid et maladroit. L’autoportrait fictif montre un personnage touchant, fragile, manquant d’assurance jusque sur le terrain de ses propres compositions.
Un des passages les plus étonnants du livre de Pierre Charras montre Franz jouant du piano dans la propriété d’un ami. Il accompagne laborieusement Johann Michael Vogl. «Donc Vogl chantait (bien) et je l’accompagnais au piano (mal). C’était l’été, et la journée ne voulait pas finir ni laisser la place à la fraîcheur du soir.» Une guêpe pique la main de Franz, qui fait une fausse note, s’interrompt, s’évanouit quand quelqu’un extrait le dard de sa chair.
Il revient à lui, il est adossé au tronc d’un arbre et entend un autre pianiste interpréter, beaucoup mieux qu’il n’aurait pu le faire, une musique merveilleuse. «C’était parfait. Je devais bien le reconnaître, c’était parfait. La moindre note avait sa raison d’être et la place choisie pour chacune me surprenait et me ravissait à la fois. Un ineffable baume.» Son plaisir est teinté d’agacement: il se sent incapable d’en faire autant. A la fin du morceau, il s’approche du pianiste pour lui demander qui a composé cette «splendeur». Embarras du pianiste… «Mais c’est vous! C’est de vous.» Confusion de Franz, qui non seulement avait oublié cette mélodie mais surtout ne l’avait jamais entendue.
Au moins ne pourra-t-on pas l’accuser de se pousser du col. Quand ses amis lui disent leur admiration pour sa musique, il rappelle que ce sont ses amis. Et comment donc l’amitié pourrait-elle engendrer la moindre réticence? Il est extrêmement sympathique, le Franz Schubert que réinvente Pierre Charras. Sympathique jusque dans ses faiblesses, et d’ailleurs aussi grâce à elles.
Cela ne suffirait pas, bien sûr, à emporter l’adhésion. Il y fallait en outre le talent d’un écrivain qui célèbre les noces de la vie et de la mort, des mots et des notes. Il découpe son roman comme un Requiem, de l’Introït à Lux aeterna. Il nous place au cœur des funérailles de Schubert alors que Franz nous parle encore. Entre le d’un Quatuor et le mi d’un Requiem, tout est là.