mardi 29 décembre 2009

Ils ont bon goût, les libraires (bis)

Vous voyez, il ne faut jamais désespérer. Après un mois de galère, une vérification de la ligne téléphonique, un nouvel ordinateur et un nouveau modem, tout est rentré dans l'ordre. Je me précipite donc, non pas pour rattraper le retard - c'est mission impossible -, mais pour sauver, avant la déferlante de janvier, quelques ouvrages sur lesquels je voulais attirer votre attention.

Et je commence avec le premier roman de Carol Ann Lee, La rafale des tambours, que certains libraires, qui ont bon goût, avaient placé en évidence lors de la dernière rentrée littéraire. Ils avaient amplement raison.
Tout le livre converge vers une cérémonie qui se déroule à Londres le 11 novembre 1920: l'hommage au soldat inconnu britannique. Et tout le livre dit ce qui s'est passé dans les années précédentes, pendant cette guerre par les victimes de laquelle les champs de bataille restent hantés.
Trois personnages traversent ces années avec des fortunes diverses. Clare est infirmière, elle épouse Ted, qui est officier au front. Alex, le meilleur ami de Ted, est correspondant de guerre et est tombé amoureux de Clare au premier regard.
La tragédie agite les cœurs comme elle est présente dans les combats. Rien de mièvre dans ce roman pourtant très sentimental, où la douleur est plus forte que le bonheur. Carol Ann Lee, qui vit à Amsterdam, avait écrit auparavant des ouvrages sur Anne Frank et sur son père, ainsi que des livres pour enfants. Cette entrée dans la fiction "pour les grands" est un coup de maître.

samedi 19 décembre 2009

Panne sur panne

Quand ce n'est pas Internet, c'est l'ordinateur. Depuis trois semaines, je ne sais plus où donner de la tête. Ma collection de tournevis ne sert à rien. J'ai un tas de choses à vous raconter, mais je n'y arrive pas.
Je reviens dès que possible.

samedi 28 novembre 2009

Du noir et du show-biz


Bernard Mathieu a passé du temps au Brésil, où il a situé sa trilogie Le sang du Capricorne. Le revoici, avec Du fond des temps, sur un continent africain qu'il connaissait au moins depuis sa traversée du Sahara en 1977, et son Sahara été hiver publié un peu après cette expérience. Il envoie un couple dans le sud-ouest de l'Ethiopie, près des frontières soudanaise et kenyane. Une région troublée sur laquelle lorgnent les Américains en raison des ressources potentielles de son sous-sol. L'administration est quasi absente. La loi est celle de tribus qui se font la guerre depuis des temps immémoriaux et se volent le bétail les unes aux autres pour régénérer le cheptel. Une sorte de sport, parfois mortel.


Après Dans la tête le venin et avant La mort, simplement, Diane Silver, profileuse au FBI, prénom de chasseresse et vie déglinguée, bascule dans le règlement de comptes personnel. La guerre est déclarée. Avide de venger sa fille victime d'un serial killer, associée avec Rupert Teelaney qui est riche mais s'est placé du mauvais côté de la barrière morale, Diane a renoncé à la légalité.


Le rythme est ternaire. Trois mouvements pour une plongée chaloupée dans le monde du show-biz. «Le show-biz est une valse à trois temps. On lèche, on lâche, on lynche.» Trois personnages principaux dans chaque partie, dont K, producteur indépendant, qui fournit la définition. Les autres protagonistes changent. L'un représente la musique, l'autre ne connaît rien à rien et arrive là par hasard. Le hasard, appelé miracle quand il débouche sur un succès, joue un rôle majeur dans les histoires de José-Louis Bocquet, qui avait déjà publié les deux premières sous d'autres versions. Trois hasards, donc, trois coups de chance. Trois miracles.

lundi 23 novembre 2009

Percival Everett et Forrest Gander, deux Américains des "Belles Étrangères"

Je crois que je vais, aussi régulièrement que possible, vous donner des liens vers des articles que j'écris pour Le Soir. C'est là, après tout, que je publie l'essentiel de la production (depuis 1983, ce qui ne me rajeunit pas). Et, si tout n'est pas diffusé sur le site du quotidien, une partie y est quand même disponible. Aujourd'hui (mais, en fait, depuis vendredi), deux romanciers américains venus en Europe pour Les Belles Étrangères.


Depuis cinq ans, les romans de Percival Everett sont traduits avec régularité. Le supplice de l'eau est le cinquième. Il est empli d'une violence dont plusieurs aspects renvoient explicitement à la politique américaine qui a engendré Guantánamo et Abu Ghraib pendant les récentes années Bush, président traité de loin en loin sans ménagement...


Forrest Gander est surtout connu pour sa poésie, non disponible en français, et ses traductions de l'espagnol. Il a notamment fait découvrir aux États-Unis une nouvelle génération de poètes mexicains. En abordant le roman l'an dernier, il montre combien il est aussi chez lui sur un terrain qu'il n'a probablement pas fini d'explorer.

jeudi 19 novembre 2009

Chez le dentiste, vous trouvez ça drôle?

Y a-t-il pire torture que celle de la fraise du dentiste? La scène la plus éprouvante de toute l'histoire du cinéma reste pour moi - et à jamais - non un plan de véritable film d'horreur mais le moment où Dustin Hoffman se fait creuser une dent, sans anesthésie. C'est dans Marathon Man et je ne suis pas certain que je reverrais ce film si j'en avais l'occasion.
Un roman que j'ai lu récemment - mais je ne sais plus lequel, vous échapperez à cette référence - raconte l'histoire d'une femme (femme de ménage, si je me souviens bien) qui ne supporte pas d'être endormie. Et qui subit le supplice d'une dévitalisation avec l'impression qu'elle va mourir. Je l'ai vécu avec elle...


En revanche, je n'ai pas vécu ce que Maya Angelou, alors enfant, relate dans Je sais pourquoi chante l'oiseau en cage, une magnifique tranche d'autobiographie. Crevant de mal aux dents, deux d'entre elles cariées à tel point que l'émail avait disparu et qu'il n'y avait plus de prise pour le fil sur lequel Momma avait tiré pour en extraire d'autres, la petite fille part chez le dentiste avec sa grand-mère.
Seul problème, mais de taille: elles sont noires et le dentiste est blanc. Sa politique est de ne pas soigner les gens de couleur. Il le dira même de manière beaucoup plus crue:
- [...] Annie, ma politique c'est que je préférerais fourrer la main dans la gueule d'un chien que dans celle d'un nègre.
Sa position est définitive. Mais, rassurez-vous, Momma trouvera une autre solution.


Par ailleurs, il peut arriver que la visite chez le dentiste soit l'occasion de faire une rencontre. Dans L'or de la terre promise, Henry Roth envoie tante Bertha, un important personnage secondaire, arracher quelques dents. (Les caries ont la même cause que pour Maya Angelou: un abus de sucreries. Merci à la littérature de nous prodiguer des conseils d'hygiène dentaire.) Tante Bertha étant, comme plusieurs autres personnages de ce roman qu'il faut absolument découvrir, un personnage haut en couleurs, son récit ne manque pas de piquant. On est donc surpris qu'elle continue à aller chez le dentiste, non plus chaque semaine, mais deux fois par semaine. Puis trois. Puis quatre. Cela cache quelque chose, on s'en doute. je vous laisse l'accompagner, vous ne regretterez pas, cette fois, le détour.

En écoutant...


Je ne suis pas toujours d'humeur à écouter de la musique en lisant mais, ces jours-ci (pour réduire le bruit de la fraise?), oui. Je me suis mis en boucle le nouvel album des Weezer, Raditude, et c'était un régal. Difficile de vous expliquer pourquoi - je suis nul pour commenter mes goûts musicaux. Et, de toute manière, si vous n'aimez pas, vous pouvez toujours en infliger l'écoute à votre dentiste en espérant qu'il n'aimera pas non plus.

mercredi 18 novembre 2009

Voilà pourquoi votre fille est muette

Il n'y en a, ces jours-ci, en matière de nouvelles technologies à Madagascar, que pour le progrès. Orange rugit comme un Lion (du nom donné au nouveau câble qui va, on vous le dit, révolutionner l'interconnexion de la Grande Ile au Moooonde!) Telma, l'opérateur unique du pays en téléphonie fixe, passe au 3G+, et même 3G++ (si cela existe - ah! non?), à en croire les performances annoncées.
Pendant ce temps, mon ADSL rikiki a toujours besoin d'une ligne fixe qui fonctionne pour que le monde vienne à moi - ou que j'aille vers le monde, c'est selon. Or, depuis quelques jours, ma ligne est morte...
Je téléphone (d'un autre réseau, portable), au numéro d'assistance client. On m'injecte dans l'oreille une musique en boucle sans aucune information. Combien de temps dure la boucle? Je n'en sais rien, cela pourrait se poursuivre à l'infini, et j'y laisserais tout mon crédit.
J'envoie un message via un formulaire, un autre par mail (j'ai une connexion de secours, une 3G+, précisément, mais pas celle de Telma).
Rien.
Et toujours pas de tonalité. Donc, toujours pas d'ADSL.
Aujourd'hui, je vais aller taper du poing sur un bureau (c'est une image, car en fait ce n'est pas trop mon genre) dans un bureau de Telma.
On verra.
En attendant, je ne peux pas vraiment travailler normalement...

lundi 9 novembre 2009

... et les prix Femina

Le prix Femina du roman français, le plus populaire des trois récompenses attribuées par le jury, récompense cette année Personne, de Gwenaëlle Aubry.

Le prix Femina du roman étranger va à Mathias Zschokke pour Maurice à la poule (ouvrage publié chez un éditeur suisse, ce qui est exceptionnel).
Celui de l'essai, à Michèle Perrot pour Histoire de chambres (celui-là, je le savais depuis un bon moment, mais vous comprendrez que je ne pouvais pas vous le dire).
Pour être complet, j'ajoute que le prix Virilo (une sorte d'anti-Femina) va à Laurent Mauvignier, pour Des hommes. Le prix "Trop Virilo", beaucoup moins sérieux, est attribué à Valéry Giscard d'Estaing, inoubliable auteur de La princesse et le président.

Prix littéraires, suite : le Goncourt des Lycéens...

Le prix Goncourt des Lycéens va à un premier roman, Le club des incorrigibles optimistes, de Jean-Michel Guenassia.


samedi 7 novembre 2009

Goncourt des Lycéens : un premier tri

Saut inattention de ma part lors des précédentes éditions du prix Goncourt des Lycéens, c'est la première fois qu'une sélection est rendue officielle après la liste publiée début septembre - celle-ci correspondant, je le rappelle, au choix initial de l'académie Goncourt.
Edem Awumey, Sorj Chalandon, Daniel Cordier, Eric Fottorino, Justine Lévy, Laurent Mauvignier, Serge Mestre, Marie Ndiaye et Jean-Philippe Toussaint n'auront donc pas le Goncourt des Lycéens cette année.
Ils ne sont donc plus que cinq pour la délibération finale qui aura lieu lundi:
A lire les articles et les notes de blogs en rapport avec ce prix, il me semble que David Foenkinos et Delphine de Vigan tiennent la corde. Mais faites comme si je ne vous avais rien dit.

vendredi 6 novembre 2009

Le premier roman de Jocelyn Bonnerave

Je vous le confiais il y a quelques heures, j'aurais aimé voir le prix du Premier roman français aller à On ne boit pas les rats-kangourous, d'Estelle Nollet. J'ai l'impression que cette jeune personne (je dis jeune, en réalité je n'ai pas cherché à savoir grand-chose d'elle mais je l'ai aperçue dans une vidéo) nous réserve quelques (bonnes) surprises dans l'avenir.
J'étais donc un peu dépité d'apprendre que Jocelyn Bonnerave était le lauréat avec Nouveaux Indiens.
Dépité, mais curieux. Je l'ai donc lu. Le jury n'a pas fait d'erreur grossière en le couronnant.


Le peu que nous dit de lui l'éditeur fournit quelques éléments de compréhension à son livre.
Jocelyn Bonnerave est né en 1977. Il a étudié la littérature et les sciences humaines, particulièrement l'anthropologie. Ses activités musicales et littéraires s'associent souvent dans la pratique de la performance.
Il est question d'un anthropologue qui s'intéresse à des musiciens. Ceux-ci sont ses Derniers Indiens, puisqu'il n'imagine plus, au 21e siècle, pouvoir côtoyer encore des tribus inconnues.
L'anthropologue est français. Il observe, aux Etats-Unis, les élèves de Frank Firth, qui enseigne à Oakland, près de Berkeley. Le fonctionnement du groupe est, en effet, aussi intéressant que celui d'une tribu de la forêt amazonienne. Bien que différent. Encore que...
Affligé de migraines persistantes, le Français s'intègre plus ou moins, prend des notes, passe des heures en bibliothèque. Son travail reste flou mais il accumule du matériel. Il est cependant intrigué par l'histoire de Mary, dont le visage se trouve partout sur des affiches. Elle était surtout danseuse mais tâtait aussi de l'anthropologie. Et elle est morte peu de temps avant, suite à une anorexie à l'évolution inhabituelle. Le cas est assez étrange pour piquer sa curiosité. Le voici lancé sur une tout autre piste...
Jocelyn Bonnerave ne propose que le point de vue de son anthropologue français, unique narrateur qui se débat dans un monde qu'il ne comprend pas bien. Il ne comprend pas, en particulier, le faible intérêt manifesté pour l'élection présidentielle qui se déroule pendant son séjour. Il comprend encore moins l'histoire qu'il a devant les yeux, ou qu'il croit apercevoir à travers quelques indices.
Le récit est passionnant. Il est porté par une écriture changeante, calme ou impétueuse selon l'humeur du narrateur. Et il comporte quelques scènes musicales exceptionnelles. Restituer les sons avec les mots est un pari difficile. Il est tenu.

jeudi 5 novembre 2009

Prix Interallié : encore quatre titres

On se demandait si le prix Interallié serait remis le 10 ou le 17 novembre. Selon les sources, la date variait.
On sait maintenant que tout le monde avait tort. Ce sera le mercredi 18. Et il se jouera entre les quatre derniers titres sélectionnés:
Elisabeth Barillé, David Foenkinos, Simon Liberati et Etienne de Montety ont quitté les rangs. Et je n'ai pas lu grand-chose (rien, pour être honnête).

Les prix du jour : les premiers romans et le Flore

Journée riche en prix moins réputés, ce jeudi, avec notamment les prix, français et étranger, du premier roman où j'espérais voir émerger Estelle Nollet, dont je vous ai dit le plus grand bien dès le mois d'août. Il s'en est fallu d'une voix au quatrième tour, et c'est Jocelyn Bonnerave qui l'a emporté, pour Nouveaux Indiens. Comme je ne l'ai pas lu, bien qu'il soit là, à côté de moi, je ne peux rien vous en dire. Sinon corriger l'information de Livres Hebdo où l'on semble penser que Jocelyn Bonnerave est une femme. Ben non. "Il" est né en 1977 et a notamment étudié l'anthropologie, ce qui n'est pas sans rapport avec son livre.


Le prix du premier roman étranger va bien, en revanche, à une femme, Chloe Aridjis. De père mexicain et de mère américaine, elle a longtemps vécu à Berlin où se passe Le livre des nuages. Que je n'ai pas lu non plus.


J'ai lu, en revanche, L'hyper Justine, de Simon Liberati, prix de Flore. Et ce n'est pas, franchement, ce que j'ai fait de mieux cette semaine.

On ne peut pas être du même avis que tous les jurys - et il en faut pour tout le monde.
Bien. Il reste encore quelques lauriers à distribuer, les sélections sont, comme d'habitude, sur cette page.

mercredi 4 novembre 2009

Dany Laferrière, prix Médicis


A toute allure, et sans autre commentaire, parce que j'ai maintenant des articles à écrire, le palmarès tout frais du prix Médicis où, pour le roman français, Dany Laferrière, le favori de la rumeur, l'a emporté avec L'énigme du retour.
Le prix du roman étranger a été attribué à Dave Eggers pour Le grand quoi (Gallimard) au 1er tour à l’unanimité. Le Médicis Essais est venu récompenser Alain Ferry pour Mémoire d’un fou d’Emma (Seuil).

mardi 3 novembre 2009

Toussaint, prix Décembre en novembre

Jean-Philippe Toussaint regrettera un peu moins le prix Goncourt manqué hier. Aujourd'hui, il reçoit le prix Décembre (30.000 euros) pour La vérité sur Marie, au premier tour: sept voix pour son roman contre trois à celui de Patrick Besson et deux à celui de Simon Liberati.
J'ai lu les trois livres qui restaient en compétition. Celui de Jean-Philippe Toussaint était très supérieur aux deux autres. Je n'ai pas le temps d'en dire davantage aujourd'hui, mais j'y reviendrai, comme sur les deux romans qui viennent de reparaître au format de poche, Faire l'amour et Fuir, où l'on avait déjà rencontré Marie...

lundi 2 novembre 2009

Le prix Goncourt à Marie Ndiaye


Elle l'a obtenu dès le premier tour de scrutin, par cinq voix contre deux à Jean-Philippe Toussaint (La vérité sur Marie, Minuit) et une à Delphine de Vigan (Les heures souterraines, JC Lattès) .
Je vous avais parlé de son roman.

Quant aux prix Renaudot , qui sont trois cette année, les voici:
Un mot du roman de Hubert Haddad, que j'ai lu à sa parution en poche - ce qui justifie l'existence de ce nouveaux prix.
Hubert Haddad évite toute théorie. Mais place un homme entre deux feux. Soldat israélien, Cham devient Nessim, terroriste palestinien. Les circonstances ont décidé pour lui. Le romancier donne à voir la violence au quotidien. Fait entendre les explosions, les cris, les pleurs. Tout un pan de l’humanité semble avoir perdu la raison dans une implacable logique d’affrontement. Suffira-t-il de quelques justes pour rétablir un semblant de paix? Cette histoire ne le dit pas encore.

samedi 31 octobre 2009

Veillée d'armes pour quatre écrivains


Comment vivent, ce week-end, les quatre écrivains encore sélectionnés pour le prix Goncourt de lundi? A vrai dire, je n'en sais rien. Je ne ne suis pas dans la peau de Laurent Mauvignier, Marie Ndiaye, Jean-Philippe Toussaint ou Delphine de Vigan.
Mais j'ai le souvenir d'avoir rencontré, en 1990, un de ces membres du dernier carré, quelques jours avant la proclamation. Jean Rouaud avait publié son premier roman, Les champs d'honneur (chez Minuit, tiens, tiens, ils sont deux cette année à porter cette casaque). Il jouait à l'homme détaché de ce qui pourrait arriver le lundi suivant. Mais je voyais bien qu'il y pensait beaucoup. Il croyait, me disait-il, avoir une chance sur deux. Pile ou face. La pièce est retombée du bon côté.
Deux ans plus tôt, le vendredi soir précédant ce fameux lundi, Bernard Pivot avait invité les quatre derniers sélectionnés, chez Drouant, pour un Apostrophes assez spécial.
J'y étais.
Récit.

Concevoir un «Apostrophes» chez Drouant, dans le salon même où se réunit l'Académie Goncourt, avec le président de celle-ci et quatre des plus sérieux candidats aux lauriers 1988, est un joli coup pour Bernard Pivot. Une manière d'ouvrir au public une des scènes les plus secrètes et les plus convoitées de la vie littéraire française...
Trois quarts d'heure avant le début de l'émission on se croirait presque, d'ailleurs, un jour de remise de Prix Goncourt. Les photographes tiennent là, il est vrai, un joli cliché: le peut-être futur lauréat déjà dans le salon Goncourt!
Triés sur le volet, les invités qui font habituellement tapisserie derrière les auteurs se réunissent, champagne à la main, dans une pièce annexe où Bernard-Henri Lévy, malgré la courtoise autorité du réalisateur de l'émission, reste plus longtemps que les autres qui se contentent d'une brève apparition avant de rejoindre Bernard Pivot et Hervé Bazin autour de la table. Mais B.H.L. veut tout savoir: «Est-ce que je suis à côté de Bernard? Comment est-ce que je dois me tenir à table?» Puis, maquillé de manière à rendre son visage presque aussi pâle que la chemise ouverte jusqu'au nombril, il se décide à passer au salon.
Dans les coulisses, puisqu'on est entre gens du monde, on se fait des sourires, on s'embrasse. Mais il est des baisers entre éditeurs qui ressemblent à celui de Judas. Même les plus rompus à cet exercice en ressentent un certain malaise: «Ce n'est pas que je sois tout à fait incapable d'hypocrisie, mais quand même...», nous glisse l'un d'eux.
Petit à petit, tout le monde s'installe. Sur les écrans de contrôle, Bernard Pivot prend encore quelques notes, réclame de l'eau pour Patrick Besson. B.H.L. s'ébouriffe les cheveux. Le réalisateur prend ses repères. Deux portraits des Goncourt à montrer au début de l'émission. «Non, lance Bernard Pivot, il manque Jules; c'est deux fois Edmond. On n'en montrera qu'un!». B.H.L. change de micro, s'ébouriffe encore les cheveux. On le voit beaucoup. Peut-être parce que le blanc de sa chemise - deux boutons refermés - permet de régler les caméras. Le feuilleton est terminé. «Combien de temps, pour les publicités?» demande Bernard Pivot, qui vient de régler sa montre.
Dans la salle annexe, le silence s'est fait. Les visiteurs sont tendus. Un des «Apostrophes» les plus importants de la rentrée commence. Conséquence logique de ce trop-plein de tension, des rires éclatent au générique style «Champs-Elysées», au sourire crispé - comme un tic d'un coin des lèvres - de Patrick Besson, puis c'est la franche gaieté pendant les explications d'Hervé Bazin. Sauf de la part de son épouse, qui se contente de sourire doucement...
La suite, elle était sur l'écran. A commencer par les platitudes des quatre goncourables devant Bazin.
Restent, l'émission terminée, les compliments rassurants des éditeurs à leurs poulains: «Tu as été très bien quand tu as dit que...» Et les espoirs de ventes spectaculaires à partir du samedi matin, en attendant de reparler des prix littéraires.

A lundi, tout le monde...

jeudi 29 octobre 2009

Pierre Michon, auteur majuscule, Grand prix du roman de l'Académie française

L'Académie française n'a pas manqué l'occasion de s'approprier, le temps de son Grand prix du roman attribué cet après-midi, un écrivain devenu un de nos classiques contemporains depuis la publication de son premier livre, Vies minuscules, il y a un quart de siècle. Les Onze, paru en avril, ne ressemble à rien d'autre qu'à un autre livre de Pierre Michon. Un écrivain au sens le plus fort du terme, pour qui le travail sur la langue semble précéder le choix d'un sujet, et jusqu'au traitement de celui-ci, dans une perspective où les mots disputent aux images le pouvoir d'évoquer un monde.
Avant d'aller plus loin, je préfère avertir les lecteurs tièdes, ceux qui cherchent dans un livre la distraction apportée par une histoire qui ronronne doucement: Les Onze n'est pas pour vous. Ce soir, regardez plutôt la télévision, vous y trouverez bien un programme qui ne vous empêchera pas de vous assoupir sur le canapé.
En revanche, si vous êtes prêt à la grande aventure de phrases qui vous emportent là où vous ne pensiez jamais aller, parce que le vocabulaire fait une musique inattendue, laissez-vous porter, vous ne le regretterez pas.
Ceci étant dit, de quoi est-il question? D'un tableau sur lequel se trouvent représentés les onze membres du Comité de salut public de l'an II. De la Terreur, avec majuscule, et de la terreur, minuscule, qui aiguise les regards. D'un peintre qui prit la commande, François-Elie Corentin, et de sa famille. Du Limousin. De Michelet, historiographe doté d'une imagination telle qu'elle influence son récit en fonction de ce qu'il croit. De vérité et de mensonge. De littérature et de peinture.
Le tableau des Onze ressemble à une conspiration. L'époque s'y prêtait, à travers des luttes sournoises pour le pouvoir, au nom d'un peuple qui n'en demandait pas tant.
Pierre Michon s'engage, mine de rien, en démontant une mécanique qui permet, au lieu d'une république, "le retour du tyran global".
Un livre à lire lentement, au rythme de phrases parfois interminables mais qui nous mènent, sous l'apostrophe du narrateur, là où veut nous mener l'auteur.
Mais un livre à lire absolument.

Extrait

Et que dois-je peindre ? dit-il. Cette fois il regarda Proli franchement, comme si Proli était un laquais. Proli le regardait de même. Celui-ci lâcha d’une voix flûtée et aiguisée, qui ressembla un instant à celle de Robespierre :
— Tu sais peindre les dieux et les héros, citoyen peintre ? C’est une assemblée de héros que nous te demandons. Peins-les comme des dieux ou des monstres, ou même comme des hommes, si le cœur t’en dit. Peins Le Grand Comité de l’an II. Le Comité de salut public. Fais-en ce que tu veux : des saints, des tyrans, des larrons, des princes. Mais mets-les tous ensemble, en bonne séance fraternelle, comme des frères.
Il y eut un silence. Le feu était mort, la lumière seule de la grande lanterne carrée tombait d’aplomb sur l’or répandu à la place exactement où reposaient tout à l’heure les vieux os. Les visages étaient dans l’ombre. Soudain de l’autre côté du mur dans l’église Saint-Nicolas un cheval invisible s’ébroua violemment et s’enleva des quatre fers, on entendit les sabots retomber comme des marteaux sur le pavé vide du vaisseau vide ; il poussait à pleins naseaux un cri de trompette. On aurait dit qu’il riait. Ils rirent aussi tous les quatre. Corentin riant toujours se leva et remit posément les pièces d’or dans le sac, en boucla le lacet, le prit. Il dit que c’était oui.

mercredi 28 octobre 2009

Etonnant : Manuel pratique du terroriste, par... Al-Qaida

André Versaille est un éditeur dont la curiosité a longtemps fait les beaux jours des Éditions Complexe. Après avoir dû abandonner celles-ci, il a remonté une maison sous son propre nom. Il y édite, ces jours-ci, un livre qui devrait faire du bruit: Manuel pratique du terroriste, par Al-Qaida.
On s'étrangle. Et on se dit 1. qu'il a pété les plombs, 2. qu'il ne pouvait, sur le sujet, trouver meilleurs spécialistes.
La démarche, on l'imagine bien, est toute différente.
D'abord, ce Manuel existait préalablement à cette édition. Il a été trouvé en Angleterre, en mai 2000, au domicile d'un membre présumé d'Al-Qaida.
Ensuite, il n'était pas inconnu. Le département de la Justice des États-Unis l'avait rendu public, par l'intermédiaire de son site Internet, en 2005. Il valait mieux, estimait ce département, informer les citoyens des techniques utilisées par les terroristes que les laisser dans l'ignorance. Il ne s'agissait en cela que d'appliquer une sagesse très ancienne: pour mieux combattre ton ennemi, tu dois mieux le connaître... Ou, pour le dire à la manière d'André Versaille, "on ne se défend efficacement contre un péril que si l'on en comprend la nature."
C'est rassurant: l'éditeur n'a ni pété les plombs ni commandé un livre pratique à Al-Qaida. Il a même, avec prudence, caviardé des passages... trop pratiques. Ne cherchez donc pas ici la meilleure méthode pour assassiner votre voisin qui écoute du rap à fond dès le petit matin, ni pour empoisonner votre femme qui sale trop la soupe, ni pour faire sauter la résidence secondaire de votre patron. En revanche, si vous voulez vous glisser dans la peau d'un terroriste le temps d'un cours en 18 leçons, voici l'ouvrage qui vous permettra de saisir la nature d'une organisation comme Al-Qaida.
Un copieux extrait du livre (56 pages sur 192) est téléchargeable sur cette page.

Pour désamorcer définitivement une éventuelle polémique (je gage que certains prendront plaisir à la susciter malgré tout), le même éditeur propose, en même temps, Le terrorisme au nom du Jihad, par Philippe Migaux.
Il s'agit là d'une étude pour mieux comprendre les origines, le fonctionnement et, malheureusement, le possible avenir de ce terrorisme. L'auteur remet les choses à plat en écartant les vagues idées reçues sur le sujet et en précisant ce que sont le Jihad, son utilisation par les terroristes, les évolutions récentes de ce terrorisme particulier et la persistance de trois cercles de menaces dans le monde et en France, pays auquel la dernière partie est consacrée.
On peut également lire d'importants extraits de l'ouvrage (56 pages sur 240) sur cette page.

Par Toutatis, Astérix & Obélix ont 50 ans!


Cinquante ans, ça se fête, surtout quand on est les héros les plus populaires de la Gaule (presque) romaine. En réalité, l'anniversaire, c'est demain - mais je prévois déjà d'avoir d'autres choses à faire pendant cette journée. Donc, j'anticipe d'un jour. Et pourquoi pas, puisque le nouvel album, le trente-quatrième, est déjà sorti depuis presque une semaine?
L'anniversaire d'Astérix & d'Obélix: Le livre d'or, un titre qui n'est pas porté par une imagination débordante (d'accord, mon titre, mais je n'ai jamais prétendu m'appeler Uderzo), donne le "la". Une note un peu poussive, qu'il fallait pousser, l'occasion faisant le larron (écoutez le bruit des tiroirs-caisses dans les librairies et tout ce qui y ressemble, l'album entrant en première place des meilleures ventes de Livres Hebdo dès cette semaine).
On y trouve une, disons deux, bonnes idées. La seconde étant d'ailleurs une fausse bonne idée.
Je m'attarde donc sur la première. Elle tient en quatre planches d'ouverture. Nous sommes cinquante ans après la naissance d'Astérix et Obélix. Bon, et alors? C'est un anniversaire, non? Oui, mais il est de tradition que ce type de héros de bande dessinée ne vieillit jamais. Or, ici, ils portent le poids des cinq décennies passées. La palissade qui protège leur célèbre petit village est en ruines. Le chef recourt à un subterfuge pour quitter le foyer conjugal et aller s'enfiler des cervoises avec ses potes. Quant à Astérix et Obélix, j'ose à peine vous en parler. D'ailleurs, quand le responsable de leur vieillissement vient les trouver, l'air réjoui d'avoir eu cette bonne idée, il se fait tamponner d'allure par un Obélix qui n'a rien oublié de ses talents les plus percutants.
Fin de la première idée. Début de la seconde (la fausse bonne). Que feriez-vous, vous, pour l'anniversaire de deux amis? Organiser une fête? Bien sûr. C'est prévu. Offrir des cadeaux? Évidemment, c'est au programme. Mais encore? Inviter tout le monde, faire la surprise à Astérix et Obélix, et surtout à leurs lecteurs, de retrouver les principaux protagonistes des albums précédents. C'est là où, devant l'ampleur de la tâche, un petit coup de blues, ou de paresse, s'est emparé d'Uderzo. Il reprend des cases d'anciens albums, illustre des pages entières inspirées de tableaux classiques, repique à gauche et à droite pour accumuler une matière très moyenne.
Dommage.
Mais Astérix et Obélix en ont vu d'autres, ils survivront. Et nous aussi.

mardi 27 octobre 2009

Goncourt, le dernier carré; Décembre, le dernier triangle


C'est la fin des espoirs de Goncourt pour Sorj Chalandon, Jean-Michel Guenassia, Justine Lévy et Véronique Ovaldé. L'académie Goncourt ne retient plus que quatre ouvrages pour le prix qui sera attribué lundi:
Il y a au moins la moitié de très bons romans (je n'ai pas lu encore Jean-Philippe Toussaint et Delphine de Vigan).
Une moitié d'hommes, une moitié de femmes.
Il y a aussi, c'est plus étonnant, une moitié de livres publiés chez Minuit. Lattès, rarement présent à ce stade, conserve un titre. Gallimard, un autre.
Grasset, Albin Michel, Stock et l'Olivier (autant dire le Seuil) ne sont plus dans la course. Ce qui pourrait renforcer leurs chances au Renaudot où la cote de Beigbeder, Message et Parisis est, pour des raisons qui échappent aux auteurs mais que les éditeurs connaissent bien, en hausse.
N'oublions quand même pas Blottière et Lafon, dont les romans ne sont peut-être pas là que pour faire de la figuration.
Résultats le 2 novembre, à 12h45. Et toutes les sélections sont toujours ici.

P.S. (du lendemain) Il ne sont plus que trois pour le prix Décembre, attribué... le lendemain (donc c'est logique). Les voici:

lundi 26 octobre 2009

Cinq (et trois) pour le prix Renaudot

Le jury du prix Renaudot, qui proclamera ses lauréats le lundi 2 novembre à 12h45 - en même temps que l'académie Goncourt -, vient de faire connaître sa dernière sélection.
Pour le roman, David Foenkinos, Olivier Sebban et Anne Wiazemsky ont été gommés de la liste précédente. Pour l'essai, Jean-Luc Barré, Pierre-Marc de Biasi et Alain Finkielkraut ont subi le même sort, tandis que Daniel Cordier (qui avait fait une brève apparition sur les tablettes du Goncourt, et reste donc en course pour le Goncourt des Lycéens) surgit au dernier moment.
Un prix Renaudot poche, pour lequel aucune sélection n'a à ma connaissance été communiquée, sera attribué aussi, pour la première fois. Je m'en réjouis, évidemment.
Voici donc la sélection d'où émergeront les lauréats:

Romans
Frédéric Beigbeder, Un roman francais (Grasset)
Alain Blottière, Le tombeau de Tommy (Gallimard)
Marie-Hélène Lafon, L'annonce (Buchet Chastel)
Vincent Message, Les veilleurs (Seuil)
Jean-Marc Parisis, Les aimants (Stock)

Essais
Daniel Cordier, Alias Caracalla (Gallimard)
Jérôme Garcin. Littérature vagabonde (Flammarion)
Gabriel Matzneff, Carnets noirs (Léo Scheer)

Toutes les sélections des pricipaux prix d'automne se trouvent sur cette page.

mardi 20 octobre 2009

La dernière sélection du prix Femina

Le prix Femina vient de livrer le fruit de ses avant-dernières réflexions. Les lauréats qui seront annoncés le 9 novembre appartiennent donc aux listes qui suivent, réduites chacune à cinq titres.
Eric Holder, Marie-Hélène Lafon et Laurent Mauvignier ne sont plus sélectionnés pour le roman français.
Gil Adamson, Nadeem Aslam, Neil Bissondath et Abha Dawesar ont perdu leurs chances pour le roman étranger.
Pour l'essai, René de Ceccaty, Daniel Cohen, Daniel Cordier et Claude Lanzmann ont disparu.
Voici donc les rescapés de ce grand écrémage.

Romans français
Romans étrangers
Essais
Pour respecter la tradition (récente, puisqu'elle a quelques semaines seulement), toutes les sélections sont présentées sur cette page.

Le livre, piraté comme la musique et le cinéma sur Internet?

Non.
(Pardon, j'ai été un peu rapide. Mais, en posant moi-même la question en titre de cette note, je n'ai pas résisté à la réponse la plus évidente. Je m'explique.)
Jusqu'à présent, le livre, malgré une évolution qui sera probablement de plus en plus rapide vers une version électronique, reste essentiellement un objet imprimé sur papier. La numérisation de celui-ci demande un travail important - demandez chez Gallica, par exemple, ce qu'on en pense. Tandis qu'un disque sur CD ou un film sur DVD, c'est déjà du numérique. Il est évidemment beaucoup plus aisé d'en tirer un fichier qui circulera librement (et illégalement) sur Internet, où la tendance forte conduit à se servir sans scrupule.
Mais je sens bien que ma réponse, outre qu'elle était rapide, ne reposait en réalité que sur de vagues impressions et non sur une étude fouillée à partir de laquelle il serait possible d'argumenter vraiment. Bien entendu, je garde un œil (mais un seul) sur le secteur informel du livre piraté, histoire de savoir ce qui se passe. Ce n'est pas suffisant.
Je suis, comme tout le monde, un peu mieux informé depuis hier, grâce à la publication d'un rapport touffu et riche en enseignements. (Le lien vers ce document se trouve dans l'image.)

C'est du lourd: plus de soixante pages bourrées de chiffres et de considérations tirées, cette fois, d'une analyse poussée de cette offre numérique illégale. Les différents réseaux ont été explorés, les titres, les éditeurs, les auteurs ont droit à leur tableau d'honneur. Le document n'est pas alarmiste mais il établit le constat suivant: le piratage existe (on le savait), dans une proportion qui n'est pas encore alarmante (on en était moins sûr) et dont l'évolution mérite d'être observée dans l'avenir.
A lire et à analyser dans le détail par tous les acteurs du livre...

lundi 19 octobre 2009

José Saramago, génial emmerdeur

Il n'est pas de grand écrivain qui soit confortable. Dès qu'un livre commence à ronronner, à aligner les lieux communs (à moins que ce soit pour les détourner), on sait qu'on peut le refermer. En revanche, quel plaisir de se faire bousculer, de se trouver face à l'inattendu, l'inespéré!

José Saramago est de ces véritables créateurs. Et, comme souvent avec ceux qui bousculent les convenances, il provoque parfois la polémique. Elle avait fleuri autour de L'Evangile selon Jésus-Christ. Elle renaît avec Caïn, où le romancier donne une version très personnelle de l'Ancien Testament, ou au moins d'un de ses épisodes. Sorti aujourd'hui au Portugal, le livre s'est déjà attiré les foudres des bien-pensants. Oserai-je dire que c'est bon signe? Oui.

Son dernier ouvrage traduit en français, Le voyage de l'éléphant, n'attaque aucun dogme - du moins pas frontalement. Car on y trouve quand même une utilisation pour le moins douteuse de l'animal en question, au service d'une cause religieuse. Quand il s'agit de le faire s'agenouiller à Padoue pour crier au miracle, Saramago déploie une ironie qu'il a parfois féroce. C'est un régal.

J'avais rencontré Saramago à Paris, en 1997, au moment où y paraissait L'aveuglement. Il n'était pas encore lauréat du prix Nobel (ce serait pour l'année suivante). Il était déjà très impressionnant. Je vous restitue l'article qui avait suivi la rencontre.

José Saramago est un homme long et mince dont les yeux pétillent derrière les grosses lunettes. L'éditeur de L'aveuglement précise que l'écrivain, né en 1922, est entré tard en littérature, à l'âge de 58 ans. Ce n'est pas tout à fait exact: A 25 ans, j'ai publié un roman, puis j'en ai écrit un autre, qui est resté inédit. Je m'étais rendu compte de ce que je n'avais rien à dire. Ensuite, longtemps, je suis resté sans publier et même sans presque écrire.
Il n'a donc jamais éprouvé le besoin d'occuper le terrain à tout prix. Je n'ai jamais poursuivi une carrière d'écrivain, dit-il aussi. Neuf auteurs sur dix expliqueraient, à ce moment, qu'ils ont pris le temps de nourrir des écrits futurs. Pas lui: Ce serait faire preuve d'une grande confiance dans la vie que de vous dire: je suis resté à regarder le monde, à réfléchir pour écrire. Ce que j'ai fait pendant ma vie, c'était la vivre, tout simplement. Puis, je ne sais pas pourquoi, les choses ont changé.
Le succès l'arrange bien mais ne lui monte pas à la tête. Il lui donne toute liberté pour écrire ce qu'il veut mais il est prêt à tout arrêter demain s'il n'a plus d'idées qui l'intéressent vraiment: Il y a beaucoup de livres dans le monde et je ne voudrais pas y ajouter des choses sans importance pour moi. Ecrire pour écrire, ou pour le compte en banque, non!
Du coup, quand il a écrit un roman, il ne s'inquiète absolument pas de ce qui va suivre. J'ai fini un livre, et je reste là à attendre que le suivant arrive. Jusqu'à présent, chaque fois, deux ou trois mois après, une idée arrive, parfois un peu floue. Normalement, c'est le titre. Alors, il faut trouver quelque chose à mettre derrière.
Exemple de naissance d'un roman: celui qui vient d'être traduit en français. J'étais dans un restaurant, seul, à attendre mon repas. Et tout à coup, sans avoir pensé au préalable aux aveugles, comme tombé du plafond - ou du ciel, comme vous préférez -, se présente le titre: «Essai sur la cécité». C'est un titre horrible, mais je l'ai gardé, et plusieurs traductions l'ont conservé aussi.
Voilà pour le point de départ. Nécessaire mais pas suffisant, bien sûr. Il faut encore que les choses se précisent. Dans le cas qui nous occupe, l'essentiel était là: une épidémie. Restait à transformer l'idée en roman. C'est comme si j'avais trouvé une omoplate de dinosaure. A partir de là, tout un squelette est à inventer. Pour ça, il faut s'assoir et écrire. Et aussi se promener dans le jardin où les idées se trouvent quelquefois.
Il possède point de départ et point d'arrivée - José Saramago pose deux doigts dans des coins opposés de la table, et dessine le parcours à tracer entre le début et la fin. Parfois, le trajet est loin d'être rectiligne: L'histoire a ses propres raisons, ce qui ne veut pas dire que je n'en suis pas le maître. Je guide et je me laisse guider. La richesse se trouve dans les associations d'idées qui proposent d'autres choses - je les accepte ou non.
De l'allégorie constituée par L'aveuglement, certains lecteurs sortent effrayés. Comment avez-vous pu écrire un livre si dur? lui demande-t-on parfois. Et comment pouvez-vous supporter la réalité? répond-il. Mon livre, à côté de la réalité, c'est de l'eau de rose.

Ainsi parle Saramago...

vendredi 16 octobre 2009

Nelly Arcan, à suivre au paradis... ou en enfer

Nelly Arcan, qui s'est suicidée à Montréal le 24 septembre, avait 35 ans et avait publié trois romans dont les deux premiers, surtout, avaient attiré l'attention. Quelques sélections de prix littéraires français avaient retenu Putain et Folle dans leurs premières sélections. Des titres chocs et, derrière, des textes forts, déchirés et déchirants.
On n'en restera pas là. Elle avait terminé un nouveau roman, Paradis, clef en main, qui paraîtra le mois prochain au Canada.
Toujours aussi rageuse, Nelly Arcan y parle du... suicide. D'un suicide organisé par Monsieur Paradis, impossible à rater. Antoinette Beauchamp, que sa mère appelle Toinette (et cela lui fait chaque fois penser aux toilettes), est paraplégique. Elle en a marre. Elle ne veut plus vivre.
Je vous raconte cela parce qu'une trentaine de pages, les premières, sont disponibles sur le site de l'éditeur, Coups de tête. Elles méritent d'être lues. Et il faut espérer que les Éditions du Seuil penseront à publier ce livre en France. Sans attendre, voici les premières lignes. Elles font froid dans le dos, maintenant qu'on connaît la fin de leur auteur.
On a tous déjà pensé se tuer. Au moins une fois, au moins une seconde, le temps d'une nuit d'insomnie ou sans arrêt, le temps de toute une vie. On s'est tous imaginé, une fois au moins, s'enfourner une arme à feu dans la bouche, fermer les yeux, décompter les secondes et tirer. On y a tous pensé, à s'expédier dans l'au-delà, ou à s'envoyer six pieds sous terre, ce qui revient au même, d'un coup de feu, bang. Ou encore à en finir sec dans le crac d'une pendaison. La vie est parfois insupportable.

jeudi 15 octobre 2009

L'Académie française et le prix de Flore en cure d'amaigrissement, le prix Jean Giono à Brigitte Giraud

Deux jurys français, pas moins - ni des moindres -, fournissaient aujourd'hui un peu de matière aux scrutateurs du monde littéraire attentifs à la manière dont des livres (et, du même coup, des auteurs en même temps que des éditeurs) sont gommés au fur et à mesure des sélections. Les entonnoirs ne laissent pas passer tout le monde...

A l'Académie française, pour le Grand prix du roman, ils ne sont plus que trois prétendants au titre: Renaud Camus, Bruno de Cessole et Pierre Michon. Gwenaëlle Aubry, Isabelle Autissier, Elisabeth Barillé, Yannick Haenel, Hervé Le Tellier et Jean-Pierre Milovanoff ont été priés de faire leurs valises. Un sacré ménage!

Du coté du prix de Flore, il manque désormais Gwenaëlle Aubry (pas de chance aujourd'hui), Aurélia Aurita, François Beaune, Frédéric Shiffter et Sacha Sperling. Seuls Michka Assayas, Samuel Corto, Simon Liberati, Giulio Minghini et Jean-Marc Parisis sont encore en grâce.

Quant au prix Jean Giono, attribué aujourd'hui, il couronne Brigitte Giraud (Une année étrangère, Stock) avec son Prix du jury et, avec son Grand Prix, Dominique Fernandez avec Ramon (Grasset).

National Book Awards 2009

La France n'est pas le seul pays où les prix littéraires ont une certaine importance. Je vous ai d'ailleurs dit un mot, il y a peu, du Man Booker Prize, très important en Grande-Bretagne. Et voici que les National Book Awards, pour les États-Unis, viennent de donner eux aussi leurs sélections dans les différentes catégories: fiction, non fiction, poésie et jeunesse.
Je ne vais pas vous infliger toutes les listes ici. Pour les curieux, je l'ai intégrée à ma page consacrée aux prix littéraires 2009.

Mais je note quand même avec plaisir qu'un des plus beaux romans de cette rentrée (en France) appartient à la sélection pour la fiction. Je vous en ai parlé déjà, et il est encore temps, si vous ne l'avez pas fait, de vous précipiter sur Et que le vaste monde poursuive sa course folle, de Colum McCann.
Je voudrais aussi attirer votre attention sur un prix exceptionnel, qui sera attribué, comme les autres, le 18 novembre, et qui, à l'occasion de la soixantière édition du prix, récompensera le meilleur du meilleur de la fiction. Parmi tous les ouvrages primés dans cette catégorie par le National Book Award, le jury en a retenu cinq qui sont tous (au moins partiellement) traduits en français.
Il s'agit, pour quatre des six livres retenus, de nouvelles: celles de John Cheever, de William Faulkner, de Flannery O'Connor et d'Eudora Welty. Les deux autres sont des romans: Homme invisible, pour qui chantes-tu?, de Ralph Ellison, et L'arc-en-ciel de la gravité, de Thomas Pynchon.
Que du beau, que du grand...

La deuxième sélection du prix Interallié

La deuxième sélection du prix Interallié est maintenant connue.
Jean-Louis Ezine, Jean-Pierre Milovanoff, Minh Tran Huy et Gérard Pussey n'apparaissent plus dans cette deuxième sélection. Etienne de Montety y entre avec L'article de la mort (Gallimard), son premier roman.
Une troisième et dernière sélection est annoncée pour le 5 novembre. Le prix sera attribué le 17.
Je donne ici l'intégralité de la deuxième sélection. Et je rappelle que toutes les listes des principaux prix de la saison se trouvent sur cette page.

vendredi 9 octobre 2009

Objets inanimés, avez-vous donc une âme?

C'est Lamartine, je crois, qui posait la question. Mais les bonnes questions gagnent à revenir de temps à autre au premier plan, par le jeu de ces coïncidences de lectures comme je les aime.
Quitte à modifier légèrement l'énoncé si la notion d'âme vous est étrangère - ce qui m'arrange, dans la mesure où en outre cela "collera" mieux avec les deux passages qui m'ont frappé.
Je reformule donc la question: "Objets inanimés, avez-vous donc une histoire?" Il est évidemment plus facile de répondre oui...

Franz Bartelt le fait dans son dernier livre, Petit éloge de la vie de tous les jours, un inédit dans une collection peu coûteuse. Une suite de textes qui s'attachent aux détails, et que je rapprocherais volontiers de la fameuse Première gorgée de bière de Philipe Delerm si Franz Bartelt ne pratiquait, outre l'observation du quotidien, un humour bien plus ravageur.
Dans les dernières pages, il parle des objets qui se trouvent sur son bureau, juste devant le clavier.
Tous ces objets ne sont pas là par hasard. Certains viennent de loin. Ils ont parcouru des centaines de kilomètres. Le stylo a peut-être été fabriqué en Chine. L'enveloppe contenait une lettre qu'on m'adressait d'Allemagne ou d'Italie. Aucun de ces objets n'est seulement un objet. Ce sont des histoires, des parcours, des intentions, des volontés.
[...]
Mais si je les observe bien, si j'essaie d'établir des relations entre eux, si j'imagine de quelles manières et pour quelles raisons ils sont venus jusqu'à moi, alors je suis obligé d'écrire un roman. Ce roman sera d'autant plus extraordinaire que ce qui se trouve à son origine est insignifiant à première vue. C'est que derrière rien, il y a quelque chose. Ce quelque chose est une histoire.
Je vous l'avais bien dit...

Pour renforcer mon propos, j'appelle R.N. Morris, dont L'âme détournée vient de paraître en français. Il s'agit d'un de ces polars historiques comme on en trouve dans la série "Grands détectives", souvent excellents - celui-ci l'est. A Saint-Pétersbourg, quelques personnages de Crime et châtiment sont à nouveau convoqués, pour une tout autre affaire. Porphiri, le juge d'instruction imaginé par Dostoïevski, est donc à nouveau en scène. Et, pour les besoins de l'enquête autant que par goût personnel, il fouine chez un prêteur sur gages.
Il plongea la main dans des tonneaux de chaussures et dans des cageots de lunettes, caressa les boîtes à tabac et les dés à coudre sur leurs plateaux. On aurait dit que ces objets, livrés à eux-mêmes, faisaient la preuve d'une loi d'affinité naturelle: le magnétisme qui réunit les abandonnés. Et, bien sûr, il fallait aussi tenir compte du fait qu'un jour chacun d'eux avait joué un rôle dans la vie de quelqu'un; derrière chaque objet cependant, aussi banal fût-il, se dessinait une histoire désespérée, une tragédie parfois.
Alors? Et quantité d'autres écrivains confirmeraient cette impression...

jeudi 8 octobre 2009

Herta Müller, prix Nobel, donc...

Je viens de passer trois heures en compagnie de Herta Müller, lauréate du prix Nobel de littérature. En sa compagnie, c'est probablement beaucoup dire. Mais, pendant ce temps, je n'ai pensé qu'à elle, j'ai essayé de la comprendre, j'ai voulu ne pas la trahir dans l'article que j'écrivais et que je viens d'envoyer au Soir - il paraîtra demain matin.
C'était assez... particulier. A l'heure de l'annonce, j'étais devant la page Internet où la proclamation se faisait en direct. Pour rien: la lenteur de ma connexion m'a empêché d'apprendre tout de suite le nom de la lauréate et il m'a fallu attendre quelques minutes pour dénicher l'information ailleurs. A peine l'avais-je trouvée que j'avais deviné la suite. En effet, très vite, coup de téléphone du journal: "Tu t'en occupes?"
Pouvais-je dire non? En 2006, je m'étais occupé d'Orhan Pamuk, dont j'avais lu et chroniqué quelques livres. En 2007, de Doris Lessing, pour les mêmes raisons. En 2008, de Le Clézio - et, là, je dois bien le reconnaître, c'était évident. Donc, en 2009, pourquoi pas Herta Müller?
Seul problème, mais de taille: je ne connaissais d'elle, à peu près, que son nom...
J'ai donc cherché des biographies, et tous les renseignements sur lesquels je pouvais tomber. De quoi me faire une première idée de la personne, envisager les grandes lignes de sa vie - de sa vie plutôt que de son œuvre puisque, d'une part, la première a nourri la seconde et que, d'autre part, trois livres seulement ont été traduits en français (ce qui, si on y pense bien, est à la limite du scandale).
J'ai eu un peu de chance. J'ai lu la traduction anglaise d'un long article que Herta Müller a publié dans Die Zeit en juillet dernier. Dans Securitate in all but name, dont je conseille vivement la lecture, elle raconte ses démêlés avec les services secrets roumains, et ce qu'elle a trouvé dans le gros dossier qui avait été rassemblé sur elle. C'est édifiant.
C'est aussi troublant. Cette femme qui a, à très peu de choses près, mon âge, écrivait déjà alors qu'elle était encore sous la dictature. En Europe. Je me demande comment je me serais comporté à sa place. Je n'aurais pas eu le Nobel, c'est sûr...
Je suis incapable de juger ses romans. Je ne les ai pas lus. Mais je me dis maintenant qu'ils doivent valoir, au moins, le détour. Et, faute de mieux, je vous donne ici les textes brefs que l'on trouve en quatrième de couverture des livres traduits.

Le renard était déjà le chasseur
Dans la Roumanie de Ceausescu, Adina s'aperçoit que des inconnus découpent jour après jour, en son absence, la fourrure de renard qui décore son appartement. A cause de cette menace, la jeune enseignante proche d'auteurs-compositeurs dissidents se sait espionnée par les services secrets et découvre qu'une de ses amies fréquente justement un officier de la securitate. Le renard est le chasseur. Les victimes se rapprochent de leurs bourreaux, les amis disparaissent ou se trahissent, et la chute du dictateur n'y changera pas grand-chose. Herta Müller réussit magistralement à nous faire vivre les difficultés matérielles et existentielles qu'elle a bien connues dans un contexte totalitaire où l'expression ne pouvait guère échapper à l'oppression. Rarement l'expérience de la dictature a atteint une telle intensité poétique. Où commence la liberté? Où finit le compromis? Rythmée comme un coeur qui bat, sa prose aux métaphores concises évoque la grandeur et la misère d'un être humain dont les choix, au positif comme au négatif, sont dictés par la peur et l'humiliation.

L'homme est un grand faisan sur terre
Roumanie. Depuis que le meunier Windisch veut émigrer, il voit la fin partout dans le village. Peut-être n'a-t-il pas tort. Les chants sont tristes, on voit la mort au fond des tasses, et chacun doit faire la putain pour vivre, a fortiori pour émigrer. Windisch a beau livrer des sacs de farine, et payer, le passeport promis se fait toujours attendre. Sa fille Amélie se donne au milicien et au pasteur, dans le même but. Un jour, ils partiront par l'ornière grise et lézardée que Windisch empruntait pour rentrer du moulin. Plus tard, ils reviendront, un jour d'été, en visite, revêtus des vêtements qu'on porte à l'Ouest, de chaussures qui les mettent en déséquilibre dans l'ornière de leur village, avec des objets de l'Ouest, signe de leur réussite sociale, et, «sur la joue de Windisch, une larme de verre».

La convocation
Herta Müller est née en Roumanie. Elle déclare: «Dans le village où j'ai grandi il n'y avait pas de Roumains. Je n'ai appris le roumain qu'à l'école comme une langue étrangère... A Timisoara, la langue de l'écriture coexiste avec le dialecte (souabe) et la langue véhiculaire (roumain). A cela s'ajoutait la langue de bois du régime qui a détourné le langage à son profit. D'où notre vigilance pour éviter les mots ou les concepts violés ou souillés par la politique... Pour écrire notre réalité, nous devions sans cesse chercher un langage innocent.» Cette exigence donne aux textes de Herta Müller une saveur et une atmosphère très particulières, la force des images contrastant avec la sobriété et la concision du propos. La narratrice, ouvrière dans une usine de confection qui travaille pour l'Italie, a été convoquée par la Securitate. Elle est dans le tramway et lutte pour ne pas se laisser entraîner par son angoisse et le sentiment d'humiliation que son interrogateur va s'ingénier à provoquer dès son entrée. Elle porte la blouse de son amie disparue, elle veut résister. Pendant le trajet, elle voit en flash-back les principaux épisodes de sa vie, elle regarde aussi les passagers autour d'elle. Le tramway ne s'arrête pas à la station où elle doit descendre et elle décide de ne pas se rendre à la convocation.