jeudi 30 juillet 2009

Le livre et mes métiers. 3. Editeur

Je continue, pour ceux que cela intéresse, à remonter lentement le cours d'une existence presque totalement dédiée au livre, et pendant laquelle j'ai pratiqué à peu près tous les métiers dans le domaine.
En 1980, je suis à la tête d'une "œuvre" - deux petits livres insignifiants parus chez Marabout. Or Marabout cherche à renforcer son équipe éditoriale (ou à remplacer quelqu'un qui est parti, je n'en sais plus rien). Me voici sur les rangs, puisque les contacts avaient été bons. Et que, élément déterminant je crois, les manuscrits que j'avais donnés n'avaient nécessité qu'un travail de correction minimal. Je devais donc, se disait-on, être capable de m'occuper des textes des autres. Peut-être... L'idée, en tout cas, m'excitait, même si on était la plupart du temps loin de la littérature.
Me voici donc, pendant deux ans, "éditeur-assistant". Je cherche des sujets, des auteurs, je lis des manuscrits, je corrige des épreuves. Je contacte des copains et des copines quand personne ne se présente spontanément pour traiter un thème dans l'air du temps - ça leur fait un peu de sous, ils sont contents. Je donne mon avis - et, même, on m'écoute parfois. Je corrige des copies parfois exécrables. Je réécris presque complètement un livre sur les armes si mal foutu que je le pensais irrécupérable même si l'auteur savait, et au contraire de moi, de quoi il parlait.
Un jour, une directrice littéraire se met en tête de créer une collection sentimentale. Elle me fait lire des Harlequin pour comprendre comment ça marche. Oui, oui, j'ai donc lu ça. Plus amusant: je fouine en bibliothèque pour trouver des titres à rééditer. Je descends à la cave, où il y a des trésors enfouis sous la poussière. Une traduction manuscrite (un premier jet, je crois) d'un roman de Dostoïevski par Adamov, par exemple. Je ne sais pas ce que c'est devenu. Rien, probablement...
Ce sont deux années pendant lesquelles on me demande aussi d'écrire certains livres moi-même, parce qu'on n'a trouvé personne d'autre pour les faire. J'en ferai de plus en plus, ce qui déterminera la suite.
Mais je n'en ai pas fini avec l'édition. Comme la littérature me manque, je saute sur un projet monté par deux copains. Me voici bombardé directeur littéraire d'une maison naissante. Les deux premiers titres sont imprimés en... sérigraphie. L'un des deux marche, c'est parti! Je discute serré avec des écrivains que j'aime. Une virgule à déplacer ici, peut-être? Ce mot à la place d'un autre? Je m'amuse. Puis me cabre: un livre que je n'aime pas a été publié sans mon avis. Non, mais! C'est qui, le directeur littéraire, ici? (Oui, j'avais peut-être la tête légèrement enflée.) Je claque la porte.
Fin du métier d'éditeur? Pas tout à fait. Je m'y suis remis plus récemment, j'ai fondé la Bibliothèque malgache en 2006 - cette fois, sur ma carte de visite, je suis "Propriétaire - Gérant", avec les majuscules, ah! ah! Au moins, je n'ai pas de chef. Et je m'amuse, je m'amuse... en perdant de l'argent. Enfin, pas trop, mais il y a des fins de mois difficiles. Ne vous apitoyez pas. Je le répète: je m'amuse.
Et je ne connais rien de plus important.
A suivre...


lundi 27 juillet 2009

Le livre et mes métiers. 2. Libraire

Nous sommes en 1976. (Enfin, vous, je ne sais pas, mais moi, oui.) Je quitte la bibliothèque pour la librairie. Un autre monde dans le même monde. Une manière différente d'envisager les livres, plus seulement comme des objets culturels qui passent de mains en mains, mais aussi comme des produits à vendre - quand bien même ils ne sont pas comme les autres...
En même temps, je vais de la province vers la capitale (Mons pour Bruxelles), pour le lieu de travail au moins. De nouvelles découvertes, de nouvelles rencontres - dont celle de Bernard Wallet, sur qui je reviendrai dans quelques semaines, au moment de la rentrée littéraire. Le milieu littéraire belge, un peu de Paris aussi, à travers les représentants des maisons d'édition et quelques reportages que je fais pour la revue de la librairie, instrument de promotion que j'utilise pour écrire, parler des livres que j'aime. Des auteurs passent, j'anime des rencontres avec eux. Je me souviens des... deux personnes qui étaient venues écouter Patrick Grainville, pourtant prix Goncourt récent. Ce n'était pas toujours un succès.
L'enthousiasme est là. La démarche commerciale, probablement un peu moins. Comme tous les autres libraires de ce grand établissement (c'était la plus grande librairie de Bruxelles avant l'arrivée de la FNAC), j'encaisse, je pointe les cartes de fidélité, je fais des emballages cadeaux quand la saison s'y prête...
Bien entendu, ce n'est pas dans ces activités que je trouve mon plaisir. En compensation, j'ai tous les livres disponibles à portée de la main, et non plus seulement un fonds de bibliothèque. Je reçois certains titres avant leur parution. Pour la première fois, je vis presque de l'intérieur la frénésie d'une rentrée littéraire.
Une librairie est un lieu vivant, je le constate presque chaque jour. Et reste un lieu d'échanges. Mario Soares, qui est alors premier ministre du Portugal, me parle du roman de Colleen McCullough, Les oiseaux se cachent pour mourir, qui n'est pas encore devenu une série télévisée. Ilya Prigogine, tout frais prix Nobel de chimie, me demande ce qu'il peut lire pour s'évader de sa science - ou pour mieux trouver des intuitions fondamentales, allez savoir. Valéry Giscard d'Estaing, président de grande taille et légèrement suffisant, provoque quelques vagues en venant signer un livre - alors que, de mon côté, je me désole de ne pas réussir à interviewer François Mitterrand...
Je continue à aimer moyennement le commerce du livre. J'aime de plus en plus le livre. Je quitte la librairie après deux ans, pour reprendre des études - quelle drôle d'idée - qui, bien entendu, n'aboutissent à rien et que j'abandonne douze mois plus tard. Les portes de la librairie où, probablement, on m'aime bien, sont restées ouvertes. J'y reviens, un an de plus.
Avant d'autres aventures.
Plus tard, je redeviendrai libraire, mais à Madagascar et pendant neuf mois seulement. Les conditions sont très différentes, le livre n'est pas ici un produit de première nécessité. Le commerce prend naturellement le pas sur la littérature - question de survie pour la librairie, qui pourtant ne survivra pas. Mais je l'ai quittée avant sa fermeture, à laquelle j'assiste cependant désolé. Celle-là, une autre encore, des endroits où le livre existait quand même, et où maintenant il n'existe plus... Pas de lamentations!
Il est presque temps de passer à l'époque où j'ai travaillé dans l'édition.


vendredi 24 juillet 2009

Le livre et mes métiers. 1. Bibliothécaire

Le quotidien Le Monde commence une série d'articles consacrés aux métiers de l'édition. Le lecteur professionnel, celui qui donne son avis sur les manuscrits et - dans le cas envisagé - les ouvrages à traduire est le premier sujet, l'éditeur suivra. Puis trois autres métiers, probablement à travers chaque fois un exemple, puisque c'est le cas ici. Il n'est pas interdit, bien entendu, d'envisager les métiers du livre de manière plus générale.
Des livres le font, comme celui-ci.
Mais, comme rien ne vaut une expérience vécue, je vais vous raconter rapidement quelques épisodes de ma vie avec le livre - les livres.
Cela a commencé très tôt, par la lecture. Intense, sauvage, sans aucune logique particulière. Tout ce qui me tombait sous les yeux était bon à prendre. Tout ne me plaisait pas, mais j'en avais besoin.
C'est donc assez logiquement que, au moment où les études "normales" se sont révélées une impasse pour mon esprit plus fait pour le vagabondage que pour la discipline, je suis devenu bibliothécaire. Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit: non, on ne devient pas bibliothécaire parce qu'on est incapable de faire autre chose. Il faut au moins le goût du livre, et connaître deux ou trois choses techniques à propos de la bibliothèque - je parle d'un temps déjà éloigné, car il faut probablement aujourd'hui connaître plus de deux ou trois choses pour devenir bibliothécaire. J'avais acquis cette base encore étroite en suivant des cours du soir pendant une petite année, par pur plaisir. (Plus tard, quand il a été question de reprendre des études sérieuses de bibliothéconomie, mon esprit s'est remis à vagabonder...)
Pendant deux ans et demi, j'ai évolué dans un univers magique. J'avais dix mille livres à portée de la main, je rencontrais des gens qui en empruntaient, j'en achetais pour la bibliothèque, je dépouillais des revues - les titres littéraires étaient l'objet de toute mon attention, vous l'imaginez bien. J'étais fait pour ça. Je m'occupais aussi, le week-end, de la petite bibliothèque de mon village - plus tard, ce serait celle d'un autre village... La vie était belle, je n'imaginais pas autre chose.
Des années après, l'expérience s'étant diversifiée, j'ai compris ce qui me donnait tant de bonheur: la relation non marchande entre le bibliothécaire et le lecteur. Il ne s'agit pas de fourguer plus de livres, et n'importe lesquels, pour faire du chiffre, puisqu'il n'y a pas d'affaires à conclure.
En revanche, défendre un texte que j'avais aimé auprès de quelqu'un qui l'aimerait peut-être, expliquer pourquoi... Je baignais dans une sorte de béatitude.
Je n'étais probablement pas un bon bibliothécaire - mais je ne le savais pas à l'époque, et quiconque eût essayé de me le dire aurait engendré ma colère. Je ne m'intéressais qu'à un aspect du métier, un seul, et je comptais sur les autres pour s'occuper du reste. Ce n'était sans doute pas la bonne méthode puisque, emporté par la lecture - et très vite l'écriture d'articles sur les livres, en guise de prolongement naturel au conseil personnel -, je n'ai pas réalisé que je m'éloignais, et à vive allure, de ce que l'on attendait de moi.
Je ne suis pas occupé à faire mon autocritique: je suis très heureux d'avoir agi ainsi, tout compte fait, puisque la suite en a découlé.
La suite, ce sera... la prochaine fois.


lundi 20 juillet 2009

Il y a quarante ans, une longue nuit...

Que faisiez-vous dans la nuit du 20 au 21 juillet 1969?
J'écoutais la radio dans mon lit. Un minuscule récepteur à galène, ancêtre d'appareils bien plus sophistiqués, me permettait de suivre les événements en direct. Contraste saisissant entre l'objet quasiment préhistorique que je possédais et la technologie de pointe déployée pour envoyer deux hommes sur la Lune. Impossible de dormir: je devais vivre les premiers pas humains sur notre principal satellite au moment même où ils se produisaient. J'aurais eu l'impression de manquer quelque chose d'essentiel si je je m'étais assoupi.
Je peux donc dire qu'à ma manière, j'y étais. Comme il n'y avait pas de télévision à la maison, je n'ai vu les images que le lendemain, chez un ami, avant ou après (je ne sais plus) la fin du Tour de France qu'Eddy Merckx gagnait pour la première fois.
Souvenirs, souvenirs...
Aujourd'hui, quand on parle d'Armstrong, c'est au Tour de France qu'on pense d'abord, et à Lance plutôt qu'à Neil qui fut le premier à descendre du module lunaire. Suivi, un quart d'heure plus tard, par Buzz Aldrin.
Des années après, j'ai serré la pince de Buzz Aldrin, invité d'une Biennale de poésie à Liège. Curieux mélange des genres. Mais la Lune a tant fait rêver...

Ils sont d'ailleurs nombreux, les écrivains à avoir entretenu le rêve. Claude Aziza vient de concocter une belle anthologie sur le sujet, Le roman de la Lune.
On y trouve notamment deux livres que j'avais lu avant 1969 et qui sont, comme on dit, incontournables. De la Terre à la Lune, de Jules Verne, bien sûr, paru en 1865, plus d'un siècle avant la concrétisation d'un projet presque aussi vieux que l'humanité. (Je note au passage que la suite de ce roman, Autour de la Lune, précèdait la mission Apollo 11 d'exactement 100 ans.) Et, un peu plus tard, Les premiers hommes dans la Lune, de H.G. Wells (qui m'avait davantage impressionné avec La guerre des mondes).
On y trouve aussi bien d'autres auteurs, attendus comme Cyrano de Bergerac ou Pierre Boulle, inattendus comme Louis Desnoyers (que je ne connaissais pas) ou Alexandre Dumas (dont j'ignorais qu'il avait tâté du voyage dans l'espace).
Un dossier complète le choix des textes intégraux, par des extraits qui puisent dans la richesse d'un thème souvent abordé par la littérature... ou la bande dessinée, car on n'oublie pas les deux albums avec lesquels Hergé a envoyé sur le Lune Tintin et sa bande. Je vous laisse avec leurs couvertures, pour rêver encore.


P.S. La mémoire me joue un vilain tour: la nuit du 20 au 21 juillet, en 1969, conduisait d'un dimanche à un lundi. La victoire d'Eddy Merckx au Tour de France a donc précédé les premiers pas de l'homme sur la Lune, et non le contraire. (Pris d'un doute soudain, je viens de vérifier le calendrier.) Je m'explique la confusion par le fait que le 21 juillet, jour de Fête nationale en Belgique, est aussi un jour férié. Donc, un lundi comme un dimanche...

Frank McCourt, écrivain tardif

Je viens d'apprendre la mort de Frank McCourt. Il n'a écrit que trois livres, mais quels livres! Les cendres d'Angela pour la partie irlandaise de sa vie, C'est comment l'Amérique? pour le versant américain, et Teacher Man côté professionnel. Avant de retourner dans cette œuvre pour les besoins d'un article nécrologique, je vous confie l'article que j'avais consacré au dernier volet de sa trilogie autobiographique, sans en changer un mot pour préserver l'enthousiasme qui m'habitait après cette lecture.

Frank McCourt termine ses Mémoires en force et en beauté. Il ne s’était jamais considéré comme un écrivain avant de connaître un succès aussi justifié qu’impressionnant avec Les cendres d’Angela. Il avait poursuivi le récit de sa vie dans C’est comment l’Amérique? Malgré tout le bien qu’on pense de ces premiers deux livres, Teacher man leur est encore supérieur. Et, parce qu’il faut user de ce mot avec une grande prudence, nous glisserions bien, en catimini, sans hausser le ton: chef-d'œuvre.
Devenu professeur après avoir cru rater son examen, voici Frank McCourt dans la vie active, sans autre ambition particulière que de bien accomplir son travail. Ses débuts sont remarquables:
«Le premier jour de ma carrière, j’ai failli être viré pour avoir mangé le sandwich d’un lycéen. Le deuxième jour, j’ai failli être viré parce que j’avais évoqué la possibilité d’une relation avec un mouton. A part ça, il n’y a rien eu de marquant lors des trente années que j’ai passées dans les classes de la ville de New York. Je me suis souvent demandé ce que je faisais là. A la fin, je n’en revenais pas d’avoir tenu si longtemps.»
Rien de marquant? Sinon qu’il y a quantité d’épisodes à pisser de rire - vous nous pardonnerez l’expression quand vous les aurez lus. Chaque enseignant, n’importe où dans le monde, est probablement un fabuleux réservoir d’anecdotes. Mais celui-ci, maintenant que la retraite lui a offert le temps d’écrire, les met en scène comme personne. Et, au contraire de certains écrivains auxquels on peut reprocher de se disperser plutôt que de se consacrer à leurs ouvrages, il est impossible d’en vouloir à Frank McCourt: son expérience est irremplaçable, le lien intime entre son métier et son écriture est ce qui donne chair à ses livres.
Il n’y a pas de secret: le talent n’est pas partagé équitablement entre tous ceux qui veulent raconter leur carrière professionnelle. Il y a, quand même, quelques pistes à explorer pour expliquer le charme fou d’un récit qu’il est impossible de lâcher en cours de route.
La parfaite honnêteté avec laquelle l’auteur décrit son désarroi est une des caractéristiques les plus attachantes. Il ne sait pas comment dompter ces adolescents fougueux qui ont bien autre chose à faire que prêter attention à des cours d’anglais. Il reconnaît qu’il est dépassé par les événements et qu’il bricole à chaque instant. Un bricolage de génie: comparer la structure d’un stylo à bille à celle d’une phrase ou faire lire des recettes de cuisine à une classe cosmopolite, voire emmener celle-ci en pique-nique, ce ne sont pas des méthodes apprises lors de sa formation. On ne lui a pas appris non plus à gérer le jet de sandwich en plein cours, il est vrai…
Sa bonne volonté n’a pas de limites. Son but est d’intéresser ses élèves, peu importe le moyen pour y parvenir. Bien sûr, c’est lui qui raconte et il pourrait être soupçonné de se donner le beau rôle, sous ses airs modestes. Mais quelque chose - cette honnêteté déjà évoquée - fait penser que tout est vrai. Si les scènes sont embellies par la manière de les raconter, son rôle ne l’est certainement pas.
Poussons l’esprit critique jusqu’au bout: quand bien même cela serait? Après tout, que nous importe la vie de Frank McCourt? Nous avons là un personnage formidable, digne du professeur du Cercle des poètes disparus. En même temps, un homme comme n’importe qui, avec ses désirs et ses faiblesses.
Insidieusement se glissent çà et là quelques réflexions sur le travail éreintant et exaltant qui consiste à transmettre du savoir, de la curiosité. L’enseignement étant un des milieux les plus souvent remis en question, la pratique de Frank McCourt gagne à être examinée de près.

mercredi 15 juillet 2009

Miroir, mon beau miroir...

Les traductions du conte de Grimm varient. Mais, dans Blanche-Neige, la question posée par la reine à son miroir suppose toujours le même genre de réponse: «Madame la reine, vous êtes la plus belle.» Jusqu'au jour où le miroir nuance: la plus belle, c'est Blanche-Neige. Et alors, comme on sait, la situation change.
Dans le dernier roman de Percy Kemp, Anna Bravo a appris à se méfier des miroirs. Ils sont, lui ont expliqué son père et sa grand-mère, preuve à l'appui grâce à une gravure, Le vrai cul du diable.
L'auteur nous a habitués à ses romans d'espionnage à la John Le Carré, genre dans lequel il déploie une saisissante maîtrise. Il n'est pas moins doué pour explorer les effets de l'interprétation de nos sens - un peu comme Noëlle Châtelet. L'odorat dans Musc, l'ouïe dans Et le coucou, dans l'arbre, se rit de l'époux, la vue maintenant. La tâche n'est pas aisée, car le risque est grand de tomber dans des considérations vaguement philosophiques. Il n'y échappe pas tout à fait. Mais trouve dans le thème du miroir quantité de variations qui donnent le vertige.
L'interdiction créant le désir, Anna est fascinée par les miroirs. Et par l'un d'entre eux en particulier, qui fait basculer sa vie d'une posture ferme de femme battante vers des spéculations hasardeuses dans lesquelles elle se perd.
C'est presque un conte, ouvert par une scène torride dans laquelle Anna n'a besoin de personne...


mardi 14 juillet 2009

Deux inédits de l'été : Pierre Pelot et Vincent Engel

Oui, après une douzaine d'années dans l'hémisphère sud, je dis encore l'été en parlant de juillet-août. Ce n'est pas un lapsus, malgré le froid cinglant qui sévit actuellement et ne trompe pas sur la saison. Je suis bien en hiver météorologique. Mais je vis au rythme des parutions littéraires, et je dirai donc, comme tout le monde, les prix littéraires de l'automne, le moment venu - quand la température sera plus clémente ici. Donc, l'été, avant la rentrée, ou le temps des feuilletons inédits dans la presse européenne. Je vous en propose deux - il y en a d'autres.
Pierre Pelot, d'abord, dont je vous ai parlé du dernier livre, investit Télérama avec une nouvelle en huit livraisons, Givre noir. Je suis comme vous. Du moins, comme vous à partir de maintenant, si vous suivez le lien: je n'en connais pas autre chose que ce qui est paru, c'est-à-dire trois épisodes. C'est une étrange mise en situation, une soirée qui s'est prolongée au-delà de minuit, dans une maison à la campagne. Stany est seul en bas, bientôt rejoint par sa nièce qui vient de se faire larguer par son petit copain et n'arrive pas à dormir. Mado est sortie, elle a annoncé son retour avec un invité - qui s'est fait casser la figure dans un bar et va dormir là. L'ambiance est faussement légère, les mots recouvrent - j'imagine - quantité de non-dits à travers lesquels, probablement, le récit devrait avancer souterrainement et réserver quelques surprises. Je me méfie de Pierre Pelot: il a l'art de suivre des pistes inattendues. Je suivrai celle-ci, en tout cas.
Présenté comme une nouvelle, bien qu'il s'agisse plutôt d'un court roman, un texte de Vincent Engel paraît dans Le Soir depuis hier et jusqu'au 25 juillet. J'en sais, sur le sujet, un peu plus que vous: j'ai lu Les diaboliques dans leur intégralité (j'avais à présenter l'auteur dans le quotidien). Et j'ai donc peur de vous en dire trop. Car, ici, chaque vérité en cache une autre, dans un jeu complexe par lequel je me suis laissé prendre. Fabian, le narrateur, amoureux de Lucie, découvre en même temps qu'elle l'impossibilité d'épouser la jeune femme aimée - et qui lui rend son amour. Il s'impose donc un détour par le séminaire où, bien que sans véritable vocation, il devient prêtre.
Mais je me suis avancé, déjà, au-delà du premier épisode publié hier. J'en reste donc là, non sans annoncer pour la suite un scénario particulièrement retors, où le mensonge et la vengeance font bon ménage. Ou mauvais, c'est selon.


lundi 13 juillet 2009

Du polar historique au polar d'aujourd'hui

Je n'ai rien contre les films en costume. Mais j'aime surtout être plongé dans les contradictions du monde contemporain. Je suppose que je ne suis pas le seul. Chez 10/18, où les séries de polars historiques marchent du feu de dieu, on a dû faire une analyse dans ce sens puisqu'une nouvelle sous-collection s'y est ouverte. Domaine policier aborde résolument notre époque, à travers des intrigues corsées, au goût d'exotisme pour plusieurs d'entre elles. En tout cas, pour les trois que je viens de lire.

Tarquin Hall donne son premier roman avec L'homme qui exauce les vœux. Et c'est une belle réussite - prévisible, parce que ce journaliste dont le principal terrain est l'Inde sait raconter une histoire. Je garde un excellent souvenir d'un récit traduit il y a sept ans, Vers le cimetière des éléphants. Il décrivait la traque d'un solitaire qui avait déjà tué une trentaine de personnes.
Pas d'éléphants dans ce roman. Mais un détective particulièrement doué, Vish Puri. Il exerce à Delhi dans une agence baptisée Détectives Très Privés. Il doit souvent se contenter d'enquêtes de moralité peu exaltantes mais nécessaires avant les mariages. Ceux-ci constituant souvent l'union de deux familles, il faut éviter les mésalliances.
Voici pourtant Vish Puri lancé sur une belle affaire: un avocat réputé pour son intégrité, qualité rare, est accusé du meurtre d'une jeune domestique. La chose paraît impossible à qui connaît le personnage. Mais il a de nombreux ennemis bien décidés à le faire tomber. Démêler les intérêts des uns et des autres exigera une belle dépense d'énergie, une obstination sans faille... et un brin de chance.

Les deux romans de John Burdett avaient, eux, déjà été publiés en poche. C'est tout naturellement qu'ils intègrent Domaine policier avec la Thaïlande comme terrain de jeux dangereux.
Bangkok 8 - le nom d'un secteur de la ville - présente Bangkok comme on ne l’a jamais vue. A travers les yeux d’un flic bouddhiste intègre qui fait tache dans son environnement. Car tout le monde, sauf lui, trempe dans des trafics louches. Dont l’un lui a fait perdre son équipier, presque un frère. Fils d’une prostituée, Sonchaï se débat au cœur d’un cyclone malfaisant. Le réalisme tranquille de John Burdett, capable de décrire froidement les pires horreurs, nous y place avec lui. La visite n’a rien de touristique. Même si l’on croise des touristes en quête de sexe facile et bon marché. Et un grand prédateur dont l’assouvissement des désirs ne connaît pas de limites. Au passage, Sonchaï nous initie à l’art de garder l’esprit sain dans un contexte qui y prédispose peu. Une expérience inoubliable.
Retour dans les bas-fonds de Bangkok avec Bangkok Tattoo. Ambiance glauque. L’inspecteur Sonchaï, personnage de plus en plus attachant, a plusieurs chefs. D’une part, Vikorn, qui dirige la police et fait la guerre à l’armée sur le terrain du lucratif marché de la drogue. D’autre part, sa mère, dans le bordel qu’elle tient. Sonchaï veut être un excellent bouddhiste. Et il enquête sur une série de meurtres ouverte avec celui d’un agent de la CIA. La piste d’Al Qaida? Certains aimeraient y croire. Mais tout est plus compliqué qu’il y paraît. Et le tatouage est un art qui, porté à la perfection, suscite les envies de collectionneurs sans scrupule.
Deux volumes qui donnent envie de lire le troisième, traduit cette année - mais pas encore en poche. Bangkok psycho met en scène le même personnage principal, qu'on ne se lasse pas de fréquenter.


vendredi 10 juillet 2009

Vikram Seth en poche et en prose

Je vous parlais, en mars, de Golden Gate, le roman en vers de Vikram Seth. Voici Deux vies, un autre de ses livres, récemment réédité au format de poche, et très autobiographique.
Il doit exister un bon génie malicieux qui préside à la destinée de certains écrivains et infléchit des moments importants de leur vie pour leur permettre de travailler, plus tard, à des ouvrages qu’ils n’auraient pas pu envisager sans ce coup de pouce. Ainsi Vikram Seth, quand il avait quitté l’Inde pour poursuivre ses études en Angleterre, se trouva-t-il confronté à l’obligation de connaître une autre langue européenne pour passer l’examen d’entrée à Oxford. Avec l’aide de sa tante Henny, d’origine allemande, il se mit d’arrache-pied à l’apprentissage de cette langue. Réussit un examen d’allemand. Et, devant les professeurs qui devaient décider de son admission ou de son refus, constata qu’il aurait très bien pu se passer de ce travail supplémentaire.
«- Si je comprends bien, mon apprentissage de l’allemand a donc été parfaitement inutile ?
- Exactement.
Remarquant peut-être, à la lueur des bougies, l’expression que prit mon visage, il ajouta précipitamment :
- Enfin, d’un certain point de vue…»
Car, d’un autre point de vue, Vikram Seth n’aurait pas écrit Deux vies, ou pas ainsi, s’il n’avait pas connu la langue dans laquelle sa tante Henny tenait l’essentiel de sa correspondance. Son nouveau livre retrace en effet, en une double biographie, la vie de Henny et celle de son mari, Shanti, oncle de l’auteur.
En arrivant en Angleterre, il a été accueilli par le couple sans enfants. Malgré la froideur manifestée au début par Henny, il a fini par représenter pour eux le fils qu’ils n’avaient pas. Et pour cause: ils se sont mariés trop tard. Il est vrai que leur amour était né en Allemagne, où Shanti faisait des études de dentiste, avant la Seconde guerre mondiale et qu’il valait mieux attendre le retour de la paix pour se donner de meilleures chances d’avenir. Dans leur cas, il faut ajouter de longues hésitations à ces années de latence. Nous comprendrons pourquoi grâce aux documents découverts par l’auteur dans les papiers de Henny. Et que, dit-il, il n’aurait pu exploiter du vivant de son oncle.
L’intimité des deux personnages est un des axes du livre. L’autre étant articulé sur le contexte de l’époque. «C’est au téléobjectif que j’ai fixé le plus souvent l’un ou l’autre de mes deux sujets. De temps à autre, je suis néanmoins passé au grand-angle afin de donner un aperçu du siècle qu’ils ont habité.»
Ce mouvement l’oblige à s’intéresser à une question rarement abordée par la littérature indienne, parce qu’elle joue un rôle minime dans l’histoire de ce pays: le judaïsme et les Juifs. Henny n’a en effet échappé à l’extermination qu’en émigrant en Angleterre quand il en était encore temps. Rejoignant ainsi, un peu par hasard, le pays de Shanti. «Shanti et Henny étaient tous les deux des exilés au sens large; l’un comme l’autre a trouvé en son semblable un foyer. L’exil de Shanti était un choix. On ne peut pas en dire autant pour Henny».
Shanti a lui aussi été marqué par la guerre: il a laissé un bras à Monte Cassino. Il réussira, ensuite, à adapter son travail de dentiste à ce handicap mais souffrira toute sa vie de ses conséquences.
Bien qu’il soit leur neveu, on peut dire que Vikram Seth offre à ce couple un mémorial filial, à peine ébréché, après la mort de Shanti (qui a survécu contre toute attente à son épouse), par une sordide affaire d’héritage. Plusieurs cultures entrent en jeu dans le récit. Parfois contradictoires. Mais la résolution de ces contradictions fait la grandeur d’un récit qui se veut totalement honnête.

jeudi 9 juillet 2009

Dominique Mainard, destins croisés

Puisque j'évoquais hier Dominique Mainard dans son rôle de traductrice, et que j'ai de la suite dans les idées, la voici en romancière avec la réédition de Je voudrais tant que tu te souviennes.
La narratrice est une adolescente que ses parents préparent à la vie adulte, c’est-à-dire au mariage. Le père de Julide vit en France mais vient d’ailleurs - on imagine l’Inde ou un pays proche. Et respecte les coutumes: un cousin deviendra son mari, selon une tradition que personne, ni la première concernée ni sa mère qui est française, ne cherche à remettre en question. Julide a cependant toujours manifesté un goût certain pour la liberté, au point que son père a un jour démonté, dans sa chambre, la poignée de la fenêtre pour l’empêcher de se livrer aux promenades nocturnes qu’elle affectionne.
Mado est une voisine qui a été protégée par la tante de Julide. Mado perd la mémoire. Ses cheveux seraient blancs si le henné ne les teintait pas. Elle est au bord d’une folie qui ne dit pas son nom. Mais qui, après le départ de la tante, prend la forme d’un amour délirant pour un jeune homme qui travaille sur les toits et qu’on appelle l’Indien. Elle l’observe d’en bas, il la suit d’en haut - ces regards, qui se croisent sans un mot dans la petite ville, créent une incroyable tension dans le roman de Dominique Mainard. D’autant que Julide ne l’entend pas de cette oreille: Mado amoureuse, c’est la preuve qu’elle perd complètement la raison. La jeune fille joue un rôle d’adulte, et entre par effraction autant que par accident dans le monde de la liberté.
Deux destins croisés qui s'éclairent mutuellement dans un très beau livre.


mercredi 8 juillet 2009

John Cheever, romancier - aussi

J'éprouve pour l'œuvre de John Cheever une admiration quasi sans bornes. Quand je l'ai découvert, à la fin des années 70, il était encore assez peu traduit. Falconer, que j'ai lu à cette époque en français, m'avait beaucoup impressionné. J'en ai peut-être alors trouvé un ou deux autres.
Tout a basculé quand, dans une librairie d'occasion, je suis tombé sur un recueil de nouvelles en version originale. Je me suis appliqué à saisir toutes les nuances de la langue limpide par laquelle Cheever fait passer quantité d'informations et d'émotions. Quand j'ai cru y être arrivé, je me suis rendu à l'American Library de Bruxelles pour y emprunter le volume des nouvelles complètes de cet écrivain. Et je me suis lancé, en collaboration, dans une traduction de quelques textes, choisis parmi ceux qui me touchaient particulièrement. Le travail a bien avancé, un contrat a même été signé chez Julliard pour une publication. Et puis, ce sont des choses qui arrivent, la directrice littéraire qui avait soutenu le projet a quitté la maison, tout s'est arrêté.
Un peu plus tard, lors d'une remise de prix littéraire, j'ai rencontré Dominique Mainard, alors jeune nouvelliste. Dans la conversation, je ne sais plus comment ni pourquoi, le nom de John Cheever a surgi: elle était occupée à traduire ses nouvelles! Elle a eu plus de chance que moi - elle est aussi meilleure traductrice, ce qui a peut-être joué. Plusieurs volumes de ses traduction des nouvelles sont parus chez un éditeur qui a de la suite dans les idées.
En effet, Dominique Mainard est devenue entretemps une romancière à succès, elle traduit probablement moins mais Laetitia Devaux a pris le relais pour, cette fois, un court roman inédit en français: On dirait vraiment le paradis.
Si le paradis fournit le même bonheur que cette lecture, je signe tout de suite pour un aller simple. J'y retrouve bien "mon" John Cheever, bien qu'il ait publié ce livre à l'extrême fin de sa vie, l'année même de sa mort en 1982. (Je n'ai jamais vraiment creusé la question, les livres m'intéressant plus que leurs auteurs, mais il semble que cette fin de vie ait été assez agitée et perturbée par une volonté plus ou moins consciente d'autodestruction.)
Un homme riche et âgé s'y trouve choqué par ce qu'est devenu l'étang sur lequel il a aimé patiner: une décharge qui enrichit quelques hommes d'affaires véreux. Il entreprend de lutter contre eux, malgré les réels dangers qu'il y a à mener ce combat. Dans le même temps, il rencontre une femme avec laquelle il entretient une relation à la fois intime et lointaine - c'est tout Cheever, ça, "intime et lointaine". Des personnages se croisent, s'observent, parfois se haïssent. Le monde va, cahin-caha, et l'écrivain américain n'avait pas son pareil pour mesurer les secousses, graves ou bénignes, qui influent sur le cours des choses.
Si vous n'avez jamais lu Cheever, laissez tout tomber, attrapez n'importe lequel de ses livres et allez-y. La déception est très improbable - à moins de n'être pas sensible à sa manière de faire, à l'aspect glissé, presque lissé, de ses phrases qui avancent doucement et s'insinuent en vous jusqu'à marquer pour longtemps.


samedi 4 juillet 2009

Une étape sur le porte-bagage de Jean-Noël Blanc

Tout à l'heure, c'est le Tour de France. Trois semaines pour revisiter l'Hexagone, pour applaudir les coureurs, pour voir passer la caravane. En espérant que les affaires de dopages ne gâcheront pas trop le plaisir...
Maurice, dit Momo, est un cycliste propre. Pas un champion, non. Mais un de ceux qui savent souffrir et peuvent, sans rechigner, se mettre à plat ventre pour leur leader - celui-ci est capable de prendre le maillot jaune, peut-être.
Ce jour-là, vers Briançon, en passant par le col de l'Izoard, voici pourtant Momo qui met Le nez à la fenêtre. Dans l'échappée, il mouline sans fatigue apparente. Ce ne sont que des apparences. Il a mal, comme tout le monde. La montagne ne pardonne pas trois millimètres d'erreur de réglage du vélo, elle n'oublie pas les kilomètres déjà abattus. Momo est en tête et vit une belle aventure, avec ses moments d'exaltation, rares, et ses coups d'abattement, nombreux.
Jean-Noël Blanc raconte une étape (difficile, l'étape) de l'intérieur. C'est un régal. En parallèle, Momo se souvient de sa vie, et les deux époques se rejoignent après l'arrivée, avec un bouquet final digne d'un feu d'artifice.
Ne mourez pas idiot: ne passez pas tout le Tour de France devant la télé, ouvrez ce livre! Vous ne le quitterez pas avant le dernier coup de pédale.

jeudi 2 juillet 2009

Avec vue sur la rentrée littéraire (avant-dernier épisode) - Le meilleur point de vue

Euh... désolé, le lien ne fonctionne que pour les abonnés - je ne m'en étais pas rendu compte parce que mon navigateur me connecte automatiquement.
Rendez-vous très vite pour les liens des éditeurs.

J'ai dû fournir, dans cette rubrique, un peu plus de deux cents argumentaires d'éditeurs sur les livres de la prochaine rentrée. Face un concurrent de taille, Livres Hebdo, je ne pouvais, pour vous informer, que jouer la vitesse. Il était impossible d'y parvenir avant ces professionnels de l'édition pour l'ensemble des 659 titres. D'autant plus impossible que le numéro de demain est, pour une partie du dossier, déjà disponible sur le site du magazine.
Je vous y renvoie donc pour tout savoir des grandes tendances de l'automne. Ainsi que pour 99 avant-critiques.
Pour ma part, je ne vous abandonne bien sûr pas mais je vais vers les lectures (j'ai déjà commencé, je dois l'avouer, incapable de me retenir...). Dès que j'aurai en ma possession le dossier complet de Livres Hebdo, je vous ferai une liste complète des éditeurs concernés par cette rentrée, avec des liens vers les sites. Je crois - j'espère - que cela rendra bien des services.
A très vite.