vendredi 10 juillet 2009

Vikram Seth en poche et en prose

Je vous parlais, en mars, de Golden Gate, le roman en vers de Vikram Seth. Voici Deux vies, un autre de ses livres, récemment réédité au format de poche, et très autobiographique.
Il doit exister un bon génie malicieux qui préside à la destinée de certains écrivains et infléchit des moments importants de leur vie pour leur permettre de travailler, plus tard, à des ouvrages qu’ils n’auraient pas pu envisager sans ce coup de pouce. Ainsi Vikram Seth, quand il avait quitté l’Inde pour poursuivre ses études en Angleterre, se trouva-t-il confronté à l’obligation de connaître une autre langue européenne pour passer l’examen d’entrée à Oxford. Avec l’aide de sa tante Henny, d’origine allemande, il se mit d’arrache-pied à l’apprentissage de cette langue. Réussit un examen d’allemand. Et, devant les professeurs qui devaient décider de son admission ou de son refus, constata qu’il aurait très bien pu se passer de ce travail supplémentaire.
«- Si je comprends bien, mon apprentissage de l’allemand a donc été parfaitement inutile ?
- Exactement.
Remarquant peut-être, à la lueur des bougies, l’expression que prit mon visage, il ajouta précipitamment :
- Enfin, d’un certain point de vue…»
Car, d’un autre point de vue, Vikram Seth n’aurait pas écrit Deux vies, ou pas ainsi, s’il n’avait pas connu la langue dans laquelle sa tante Henny tenait l’essentiel de sa correspondance. Son nouveau livre retrace en effet, en une double biographie, la vie de Henny et celle de son mari, Shanti, oncle de l’auteur.
En arrivant en Angleterre, il a été accueilli par le couple sans enfants. Malgré la froideur manifestée au début par Henny, il a fini par représenter pour eux le fils qu’ils n’avaient pas. Et pour cause: ils se sont mariés trop tard. Il est vrai que leur amour était né en Allemagne, où Shanti faisait des études de dentiste, avant la Seconde guerre mondiale et qu’il valait mieux attendre le retour de la paix pour se donner de meilleures chances d’avenir. Dans leur cas, il faut ajouter de longues hésitations à ces années de latence. Nous comprendrons pourquoi grâce aux documents découverts par l’auteur dans les papiers de Henny. Et que, dit-il, il n’aurait pu exploiter du vivant de son oncle.
L’intimité des deux personnages est un des axes du livre. L’autre étant articulé sur le contexte de l’époque. «C’est au téléobjectif que j’ai fixé le plus souvent l’un ou l’autre de mes deux sujets. De temps à autre, je suis néanmoins passé au grand-angle afin de donner un aperçu du siècle qu’ils ont habité.»
Ce mouvement l’oblige à s’intéresser à une question rarement abordée par la littérature indienne, parce qu’elle joue un rôle minime dans l’histoire de ce pays: le judaïsme et les Juifs. Henny n’a en effet échappé à l’extermination qu’en émigrant en Angleterre quand il en était encore temps. Rejoignant ainsi, un peu par hasard, le pays de Shanti. «Shanti et Henny étaient tous les deux des exilés au sens large; l’un comme l’autre a trouvé en son semblable un foyer. L’exil de Shanti était un choix. On ne peut pas en dire autant pour Henny».
Shanti a lui aussi été marqué par la guerre: il a laissé un bras à Monte Cassino. Il réussira, ensuite, à adapter son travail de dentiste à ce handicap mais souffrira toute sa vie de ses conséquences.
Bien qu’il soit leur neveu, on peut dire que Vikram Seth offre à ce couple un mémorial filial, à peine ébréché, après la mort de Shanti (qui a survécu contre toute attente à son épouse), par une sordide affaire d’héritage. Plusieurs cultures entrent en jeu dans le récit. Parfois contradictoires. Mais la résolution de ces contradictions fait la grandeur d’un récit qui se veut totalement honnête.

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