vendredi 30 novembre 2018

La grande confusion des bilans

Livres Hebdo fait écho, coup sur coup, aux bilans littéraires de l'année tels que les ont établis les rédactions de Lire et du Point. C'est de saison, on ne va pas le leur reprocher. Mais franchement, tels quels, ces bilans ne servent pas à grand-chose - pour ne pas dire à rien. C'est une telle accumulation de titres, rangés ou non par catégories, qu'un libraire chevronné n'y retrouverait pas ses titres préférés, quand bien même ils y sont peut-être.
Tempérons cette irritation (qui n'a rien à voir avec une éventuelle mauvaise nuit, car, merci de vous en inquiéter, j'ai bien dormi). Transposées dans les pages des magazines, ces bilans prendront peut-être un certain relief.
En attendant, je vous renvoie aux listes publiées par Livres Hebdo et je retiens une seule chose, l'élection du Lambeau, de Philippe Lançon, comme meilleur livre de l'année par Lire, titre honorifique et mérité renforcé par sa présence dans les choix du Point - ainsi que par des dizaines de milliers de lecteurs, le Femina et un Renaudot spécial. Ne retenir que cela peut sembler un peu court mais c'est tellement incontestable...

mardi 27 novembre 2018

14-18, Albert Londres : «Pour de la joie, voilà de la joie.»

Bruxelles en farandole

(De l’envoyé spécial du Petit Journal.)
Bruxelles, 23 novembre.
(Transmise par Lille.)
Pour de la joie, voilà de la joie. Toute l’allégresse de la Belgique désenchaînée, comme pour mieux éclater, semble s’être concentrée sur Bruxelles.
Les boulevards de Bruxelles sont larges, plus larges que les nôtres. Pour les barrer d’un trottoir à l’autre, il faut compter que soixante personnes doivent se donner le bras. Elles se le donnent, cela forme un premier rang. Un pas derrière, soixante autre personnes sur une même seule ligne suivent, et séparé toujours par la distance de ce pas sur toute la longueur, enfilant le boulevard Max, la place Brouckère, le boulevard Anspach, la Bourse, Bruxelles, son peuple, ses bourgeois, ses intellectuels, Bruxelles suit en sautant.
Mais voilà qu’un côté du premier rang qui ne cesse de se tenir par le bras monte sur le trottoir de droite. Le second rang en même temps monte sur le trottoir de gauche. Les autres rangs imitent la cadence. Cela fait la scie. Sur des kilomètres, ils marchent zigzaguant de la sorte. Ils scient Guillaume. Aux rencontres des rues transversales, des monômes, se souvenant sans doute que l’ennui naît de l’uniformité, se jettent gentiment au travers des rangs, poussent des cris de Peaux-Rouges emballés et serpentent dans la masse.
Des musiques surgissent par dizaines. Tout ce peuple nage dans la Brabançonne et la Marseillaise.
Subitement des rangs s’unissent par la main et font des rondes gigantesques en hurlant aux lumières. Cette joie est si saine, si fraîche, si irrésistible que les spectateurs d’hier, que ceux qui n’avaient pas les mêmes intimes raisons de danser, commencent à s’y mettre. C’est la contagion. Des officiers français, à nombreux galons, leurs croix battant leur vareuse, entrent dans la fête. Des casquettes anglaises à la bande rouge d’état-major conduisent les monômes.
La rue ne suffit pas, la place, la Grand’Place, dans toute sa magnificence dorée, ne suffit pas. Par vagues, cette foule s’engouffre dans les cafés, les magasins, les restaurants, grimpe sur les tables, les comptoirs, et c’est la Brabançonne, et c’est la Marseillaise. Les gens qui ont trouvé le temps de dîner doivent, sur l’injonction des fanfares, paraître aux fenêtres, la fourchette à la main, et d’enthousiasme secouer leurs bras.
Cette sainte fête de la délivrance ne va pas sans intermèdes. Ils sont cruels et spontanés. Ce sont les soldats belges qui s’en chargent. Les soldats s’adressent à ces femmes qui n’ont pas su garder, face aux Allemands, l’impassibilité que commandait la vertu patriotique. Dénoncées, reconnues, les défenseurs de l’Yser les hissent sur les degrés de la Bourse, leur coupent les cheveux à la baïonnette, les déshabillent et suspendent leur linge à la lanterne.
Le Petit Journal, 27 novembre 1918.

3,99 euros ou 12.000 ariary
ISBN 978-2-37363-076-3

dimanche 25 novembre 2018

14-18, Albert Londres : «Cette nuit, Bruxelles n’a pas dormi.»

La joyeuse entrée du Roi

(De notre correspondant de guerre accrédité aux armées britanniques.)
Bruxelles, 22 novembre.
Onze heures, porte de Flandre, le roi s’avance. Depuis deux jours, de trente kilomètres à la ronde, les Belges pour le voir accourent. Sept cent mille personnes des toits au rez-de-chaussée, aux fenêtres, aux balcons, dans les vitrines, tapissent de leurs grappes mouvantes la capitale. Il n’en est pas une qui n’ait son drapeau d’une main, son mouchoir de l’autre.
Dès huit heures du matin, tous les enfants de toutes les écoles, en chantant, descendent vers le centre. Avant-hier, puis hier, il faisait un brouillard à prendre par la main, si l’on ne voulait pas la perdre, la personne qui vous accompagnait. Aujourd’hui, le soleil éclate.
La fête couve depuis six jours. Cette nuit, Bruxelles n’a pas dormi. Sur dix places, à dix carrefours, des ouvriers joyeux montaient des monuments au roi. Des soldats français, anglais, américains qui passaient s’arrêtaient et les aidaient. Ils saisissaient les moulages de plâtre et tendaient aux ajusteurs, en criant « bravo ! », les bras et la tête d’Albert.
La Grand’Place avec les étendards pleins d’or des anciennes corporations criait de splendeur. Dans les avenues, les boulevards, les passages, les rues, il n’y a plus qu’une chose en étalage : le portrait du roi. De grands calicots tendus sur les murs portent les paroles qu’il sut prononcer : « L’honneur de la Belgique ne périra pas par moi. »
Il n’est plus qu’une pensée qui s’exhale dans un long murmure impatient : Le roi ! le roi ! le roi !
Donc onze heures porte de Flandre, le voilà. Max, le bourgmestre, est là ; il va le recevoir. Albert Ier s’avance sur un cheval blanc ; à sa gauche, est la reine, et à sa droite, le 2e fils du roi George. Derrière lui, ses trois enfants, les jeunes princes – le plus jeune en uniforme de la marine anglaise –, la petite princesse et ensuite l’armée, toute l’armée, les Américains, les Français, les Anglais et les siens, les Belges. Ce jour a fait un miracle, le roi sourit.
J’ai eu l’honneur de le voir et de l’apercevoir bien des fois ; son visage n’était jamais sorti d’une réserve profonde. Son peuple ne devait aussi le connaître que sous ce jour, car son premier cri est celui-ci : « Il sourit ! Il sourit ! » Le roi sourit. Seul, au milieu d’un petit pont, entre la mer humaine qui commence là, se tient Max, de son unique personne barrant la route. Le roi arrêté son cheval et, face à face, voilà les deux illustres figures de la Belgique.
Max lève la tête vers le roi ; le roi se penche hors de son cheval vers Max. La foule hurle d’enthousiasme.
« Entrez, lui dit Max, depuis cinquante mois le peuple vous attend ! »
Le roi est illuminé par son émotion : ce n’est plus un sourire, c’est une joie sans ombre qui saisit son visage. Il dit et sa voix n’est plus timide ; sa voix est forte :
« Salut à la reine, crie le peuple, qui a soigné nos enfants comme leur mère ! »
Max s’efface, livre le passage, mais Albert Ier tourne lestement la bride de son cheval. Il retourne en arrière. Il passe au milieu des princes. Il va faire les honneurs de sa grande ville aux généraux alliés. Il leur serre les mains à tout, au Français, à l’Anglais, à l’Américain.
« Merci, leur dit-il, soyez les bienvenus ! »
Il reprend sa place en tête et pénètre. Alors jamais homme n’est passé dans une telle tempête d’enthousiasme. Les avions ont beau raser les toits, on n’entend pas le bruit de leurs moteurs. Ce sont des cris incroyables, le cheval blanc lui-même secoue de temps en temps sa belle tête comme d’il en était étourdi. L’amour déchaîné des siens lui descend des toits, lui jaillit des fenêtres, lui monte des trottoirs et il sourit, il sourit sans arrêt, sans fatigue. Il se donne.
Sur quatre kilomètres, ce sera ce spectacle. Il passe au milieu des chants de la Brabançonne et de la Marseillaise. « Qu’ils sont beaux ! » crie-t-on des balcons.
Les gens sautent de joie sur place. On en entend qui l’appellent : « Mon roi ! mon roi ! » Et il passe boulevard Anspach, et il passe place de Brouckère et boulevard Max. C’est la gloire ! Son peuple le porte triomphalement sur ses lèvres.
Le Petit Journal, 24 novembre 1918.

3,99 euros ou 12.000 ariary
ISBN 978-2-37363-076-3

samedi 24 novembre 2018

14-18, Albert Londres : «Albert, dans son pays, triomphant, avance.»

La Grande Guerre terminée, Albert Londres suit quelque temps les armées victorieuses en territoire ennemi désormais occupé. Après quelques jours sans connexion à Internet (pour moi, pas pour lui), on reprend donc le fil de ses articles, désormais regroupés dans un ouvrage numérique de la Bibliothèque malgache«Je ne dis que ce que je vois».

Le roi Albert et la reine font à Anvers une entrée triomphale

(De notre envoyé spécial accrédité auprès des armées britanniques.)
Anvers, 20 novembre.
Les rois ses ennemis cherchent à l’étranger des châteaux où ne pourra venir battre la haine de leur peuple et lui Albert, dans son pays, triomphant, avance. Sur son passage, la Belgique déborde d’amour. Les routes de Flandre et de Wallonie ! De longues kermesses ! Les troupes les remontent en joyeuse hâte, des arcs de triomphe poussent partout, on est en pleine campagne où l’on ne voit que des moutons, il en est sur de petits chemins que seuls des égarés penseront à prendre, les villages sont tout en couleurs, les rues sont sous le dais des drapeaux noir-jaune-rouge. Personne plus ne travaille, le peuple sur ses places, à ses fenêtres, du premier matin à la nuit tombée, regarde les régiments en marche. Dans chaque bourg, dans chaque ville, chaque mère guette, soulevée au milieu des rangs, la réapparition de son fils. Il n’y eut pas de congés pour eux. Ce n’est pas quatre mois, c’est quatre ans qu’ils ne se sont pas vus, étreints. Les cloches sonnent, les carillons jouent, elles sonnent, ils jouent depuis neuf jours. C’est que dans leur cas, on ne ressuscite pas entièrement en vingt-quatre heures, la pierre du tombeau était trop lourde, elle ne se soulève que peu à peu. Joue carillon, répète sans cesse qu’ils sont bien libres ! Joue à Gand, à Bruges, à Bruxelles, à Anvers, ce matin surtout, chante sur Anvers, voici le roi !
C’est de là qu’en 1914, pour le calvaire, il est parti. Anvers, unique espoir, comme le reste tomba, et ce fut la retraite le long de la mer, et ce fut le roi avec sa reine et les deux princes et son armée jetés à la côte. Anvers, dernière cité qui vit ce glorieux malheur, aujourd’hui est debout. Celui qu’elle regarda s’éloigner emportant dans ses bras pour que l’Allemand ne le salisse pas l’honneur de la Belgique, vainqueur lui revient.

La formidable ovation d’Anvers

Tous les notables, tous les bourgeois, tout le peuple, tous les enfants, même ceux qui ne marchent pas encore, les marchandes en tablier, les dames en toilette, les sœurs de charité en cornette agrippées comme les autres le long des tuyaux de descente, à travers tout le grand Anvers, sur les trottoirs, aux fenêtres, aux balcons, sur les toits, dans les arbres, surgissant des enseignes, à cheval sur les volets, toute l’immense cité soulevée et en silence attend. Le voilà ! Il est en auto découverte, la reine à son côté, il porte trois rubans, un belge, deux français, médaille militaire et croix de guerre. Le voilà ! Les cris qui n’en forment plus qu’un formidable le frappent en plein corps, il en a certainement reçu le choc, il s’incline une seconde vers le dossier de sa voiture. Le voilà ! le voilà ! Enfants, hommes, femmes, de leurs voix mêlées, emplissent toute la foule. Mais il faut les arrêter, ils vont l’étouffer, ils vont étouffer la reine, le chauffeur en a perdu son volant, il est là les mains levées, tâchant de se dégager. Des cavaliers accourent, desserrent l’étreinte. Mais voilà autre chose, voilà maintenant que ça tombe du ciel : des premiers aux sixièmes étages pleuvent les fleurs. Coupez les tiges au moins, vous allez lui faire du mal à votre roi et la reine est forcée de mettre ses mains devant son visage. Que le carillon cesse de jouer, les cloches de sonner, à quoi bon, les cris sont plus forts. 10 000 mouchoirs à la fois, 200 000 en tout s’agitent sans cadence, lui disent : « Tu as raison, n’aie pas peur, nous avons beaucoup souffert, mais ne crains rien, pas un ne pense que tu as eu tort, regarde-nous, nous t’adorons. » Pendant trois heures de temps dura ce délire.
Soudain, près de sa voiture monte un cri, un seul cette fois, un cri de femme « Fernand ! Fernand ! » Et la femme lève les bras en hurlant, elle a reconnu son fils dans l’un des cavaliers d’escorte.
Maintenant, la foule s’émeut, elle dit : « C’est trop beau ! C’est trop beau ! » Elle répète : « C’est trop beau ! C’est trop beau ! » Que se passe-t-il ? À la fenêtre de l’hôtel de ville, le roi, la reine, le prince héritier, petit prince, sont là immobiles. Ils s’offrent à leur peuple. Le peuple éclate en larmes.

L’apparition

Ce n’est pas fini. Les cavaliers ouvrent un passage. Le roi va à la cathédrale. Il arrive. Sur le seuil, un grand vieillard tout en or est là. Il a une grande robe en or, un chapeau d’évêque en or, une crosse en or, il ne bouge pas plus qu’une statue, il est l’archange qui a jeté le mauvais aux enfers et attend le bon : le cardinal Mercier.
Le Petit Journal, 21 novembre 1918.

3,99 euros ou 12.000 ariary
ISBN 978-2-37363-076-3

samedi 17 novembre 2018

Les cinq sélectionnés du Prix Rossel

En Belgique, l'événement littéraire de l'année est le Prix Rossel, qui sera attribué le 6 décembre. Écrivains et écrivaines belges ou installé(e)s en Belgique y sont à l'honneur, et particulièrement, pour l'instant cinq d'entre eux: trois femmes, deux hommes, présents dans la sélection publiée ce matin dans Le Soir: Et un seul de ces ouvrages publié en Belgique...
  • Adeline Dieudonné. La vraie vie (L'Iconoclaste)
  • Myriam Leroy. Ariane (Don Quichotte)
  • Sébastien Ministru. Apprendre à lire (Grasset)
  • Etienne Verhasselt. Les pas perdus (Le Tripode)
  • Sandrine Willems. Devenir oiseau (Les Impressions nouvelles)

jeudi 15 novembre 2018

Goncourt et Renaudot des Lycéens

C'était le jour des lycéens et de leurs prix. Le Goncourt des jeunes, forcément très attendu, va à David Diop pour Frères d'âme, un roman dont je vous parlais dès le 22 août - et vous avez été 1.206, si les statistiques de Google ont quelque chose à voir avec la vérité, à lire cette note de blog. Les autres, allez-y!
J'avoue que j'avais un faible pour Adeline Dieudonné et son premier roman, La vraie vie. Je l'avais d'ailleurs appelée avant-hier pour lui faire raconter sa tournée des lycées dans le cadre de la préparation du Goncourt des Lycéens. Tournée à la dernière date de laquelle elle avait été fêtée - c'était son anniversaire! Les lecteurs du Soir ont lu cela hier ou ce matin.
Adeline et ses fans se consoleront avec le Renaudot des Lycéens, qui n'avait été précédé d'aucun tapage mais dont a appris, quelques minutes avant l'annonce du Goncourt des Lycéens, qu'il allait à... La vraie vie. Un livre sur lequel j'avais publié (toujours dans Le Soir) l'article qui suit. C'était le 1er septembre, le roman n'avait pas encore reçu le Prix du roman Fnac, il n'était pas encore en tête des meilleures ventes, ce qu'il allait faire ensuite...


Nous ne l’avions pas vue venir. Les signes étaient pourtant là. Adeline Dieudonné a été primée par la Fédération Wallonie-Bruxelles pour une nouvelle, Amarula, un joli tour de passe-passe amoureux et mortel. Une autre nouvelle, Seule dans le noir, moment de solitude face à une hécatombe, a été publiée chez Lamiroy qui l’a accueillie aussi dans des ouvrages collectifs – dont Femmes des années 2020, qui paraît ces jours-ci. « Klaxon » ne dure qu’un instant, lourd d’une drague pesante. Ajoutons-y le mordant d’un monologue qu’elle a joué seule en scène, Bonobo Moussaka.
Si vous l’aviez manquée jusqu’ici, rassurez-vous. On ne parle plus que d’elle, un peu comme d’Amélie Nothomb en 1992 quand elle a sorti Hygiène de l’assassin – et en compagnie de qui Adeline Dieudonné se retrouvera la semaine prochaine dans La grande librairie. Son premier roman, La vraie vie, vient de recevoir le Prix Première Plume. La version audio, enregistrée par elle-même, est en bonne voie. Les traductions sont annoncées en Italie, en Angleterre, aux Etats-Unis. Le Livre de poche a acheté les droits. On en passe. « Le milieu me fait un accueil de dingue », nous disait-elle.
La vraie vie est un roman qui ne ressemble à aucun autre, cruel et jubilatoire, délirant et malgré tout conduit d’une main sûre vers un inévitable drame, dans une famille au sein de laquelle on ne voudrait pas vivre mais qu’il est plaisant de côtoyer sur papier.
Il devenait nécessaire d’en savoir plus, elle a donc répondu à nos questions.
L’atmosphère familiale de « La vraie vie » est effrayante. Les parents ont installé un rapport de forces déséquilibré et à sens unique dans lequel les enfants cherchent les moyens d’exister. Avez-vous construit cela un peu à la fois ou le schéma est-il arrivé d’un bloc ?
Non, ça s’est construit au fur et à mesure. J’anticipe très peu en écrivant, mes personnages se dessinent et se révèlent en cours de route. D’ailleurs je me laisse souvent surprendre par leurs réactions, ce qui est assez jouissif pour moi.
L’héroïne invente des histoires, pour ses marionnettes mais, au fond, surtout pour elle-même. Vous ressemble-t-elle ? La fiction est-elle une porte de sortie ? Mais la réalité ne revient-elle pas toujours en boomerang ?
Oui, il y a un parallèle avec moi c’est évident. Pendant que j’écris ou pendant que je lis, je me soustrais un peu à la réalité. Après, non, elle ne revient pas en boomerang. L’écriture crée un champ de force autour de moi qui me permet d’appréhender le réel avec un tout petit peu plus de distance. C’est pour ça que j’aime écrire le matin, parce que le champ de force reste plus ou moins actif pendant la journée.
Et puis c’est aussi une purge. Le mot n’est pas très joli, désolée, mais c’est vraiment ça. C’est un espace qui me permet de sortir mes émotions négatives et d’en faire quelque chose.
Pour les enfants, il est indispensable, semble-t-il, d’échapper au père, pour avoir une chance de survivre. Gilles est trop petit, sa sœur doit donc prendre les choses en mains. Aussi parce qu’elle est, comme femme en devenir, plus responsable ?
Je ne pense pas que les femmes soient plus responsables que les hommes. Non, je crois simplement qu’on peut avoir cette perception parce que tout est raconté de son point de vue à elle. Et oui, peut-être que son statut d’aînée joue aussi. Mais je n’en suis même pas certaine. C’est juste qu’elle l’aime, comme on choisit d’aimer quelqu’un pour des raisons qui nous échappent toujours un peu, à mon avis. C’est irrationnel. Elle a cette façon d’aimer, qui est presque de l’ordre de la loyauté. Et puis, elle protège le faible, ce qui la différencie de son père.
Le sommet du roman, si on ne dit rien de la fin, est peut-être la nuit de la chasse, quand la narratrice est désignée par son père pour être la proie traquée par les hommes. Le symbole de ce qu’est souvent la femme dans la société ?
Alors, je n’ai pas cherché à démontrer quoi que ce soit. Mais a posteriori, je crois qu’il y a de ça, oui. C’est juste que je suis une femme et que j’écris de mon point de vue. Par contre, ce que j’aime chez mon héroïne, c’est sa façon de refuser ce statut de proie, tout en refusant également de devenir un prédateur. En fait, elle refuse simplement cette vision binaire prédateur/proie. Pour elle, la réalité est plus complexe, plus riche. Et c’est la connaissance qui lui permet d’accéder à ce niveau de conscience. Elle n’accepte pas qu’on réduise ses alternatives, elle reste créative par rapport à ce qu’elle veut faire de sa vie. Le tout, avec une certaine forme de candeur, qui est sa force colossale.
L’état de la société vous révolte-t-elle ? Cela semble se traduire dans plusieurs nouvelles (« Seule dans le noir » ou « Klaxon »), se renforcer dans « Bonobo Moussaka » et surtout dans le roman…
Ah oui, c’est évident. C’est probablement dans Bonobo Moussaka que je l’exprime de la façon la plus frontale parce que cette révolte a été le moteur de mon écriture, mais oui, je suis enragée. Et, même si je n’en ai pas été consciente pendant l’écriture de La vraie vie, peut-être que le personnage du père incarne ce qui me révolte et m’effraie le plus : la logique binaire.  Pour lui, on est une proie ou un prédateur. Il le dit : « c’est manger ou être mangé ».
Alors qu’on est confrontés à des problèmes complexes: on est plus de sept milliards d’êtres humains sur terre, c’est complexe. Chacun devrait avoir accès à la sécurité, à l’eau, à la nourriture, aux soins médicaux, tout en préservant le reste du monde vivant, sans lequel les générations futures ne survivront pas, c’est complexe. Qu’on soit incapables de s’organiser correctement pour que tout ça fonctionne, c’est une chose. Mais qu’on regarde les victimes jour après jour en se persuadant que c’est une fatalité ou en désignant de faux coupables, c’est au mieux de l’ignorance, au pire du cynisme. Ici en Belgique, je pourrais pardonner au gouvernement une certaine dose de maladresse et de désorganisation. Mais si on prend l’exemple de l’accueil des réfugiés, pour ne citer que celui-là, on tombe juste dans la brutalité binaire et primitive. J’ai honte. Et je suis inquiète pour l’avenir. Mais il y a aussi des voix qui s’élèvent, plus évoluées, plus nuancées, plus humaines. Des gens qui agissent. Donc j’imagine que tout n’est pas encore perdu.

mercredi 14 novembre 2018

Prix Interallié : Thomas B. Reverdy

Il y a longtemps que Thomas B. Reverdy "tournait" autour d'un des grands prix traditionnels d'automne. Il n'a plus à attendre: le Prix Interallié vient de choisir son roman L'hiver du mécontentement.
Shakespeare l’a écrit dans Richard III : « Voici l’hiver de notre mécontentement », premiers mots du principal protagoniste de la pièce et que prononce, en V.O., Candice dans la version de la compagnie à laquelle elle appartient – que des filles ! L’hiver du mécontentement, citation à peine détournée, est le titre du nouveau roman de Thomas B. Reverdy et l’appellation donnée par le Sun à l’hiver 1978-1979, quand les grèves paralysaient la Grande-Bretagne.
Candice, dans les rues de Londres, n’est pas sur scène, et ce n’est pas encore l’hiver. Elle roule à toute allure sur son vélo de coursier et la description a tout d’un rêve que chacun aimerait faire. Elle est souveraine, maîtrise les gestes et le parcours, traverse la ville comme un décor construit dans le seul but de placer la cycliste dans la lumière d’un de ces projecteurs que l’on nomme poursuite…
Sa légèreté doublée par son travail de comédienne contraste avec la situation d’un pays qui a peur de tout, preuve de sa faiblesse : « L’Angleterre est une petite vieille qui n’a plus la force de rien. L’Angleterre est sur le déclin. » Heureusement (?), un personnage ne va pas tarder, dans la réalité et dans le roman, à manifester son ambition – et l’ambition de redresser la nation, on y vient.
Le théâtre est-il le miroir dans lequel s’observe la société ? Richard, écarté du pouvoir, veut le conquérir à tout prix. La salle où la compagnie répète est, un jour, réservée à la Royal Shakespeare Company qui débarque avec deux femmes, « dont une plus âgée, en tailleur très chic. » En saluant les filles qui sortent pour aller dans un café, elle « a dit en souriant qu’elle aussi, à sa manière, elle s’attaquait à Richard III. » Fille d’épicier, elle prend des cours de diction avec les comédiens de « la Royal ». Elle est chef du Parti conservateur, elle veut le pouvoir. Elle s’appelle Margaret Thatcher.
Jones, musicien, se désolera de voir le public, à la première de Richard III, applaudir la femme politique quand elle s’installera au balcon en compagnie de son mari : « C’est toujours un peu décevant de voir que les lettrés sont aussi grégaires que les autres. Qu’ils ont, autant que les autres, peur du pouvoir à ce point. » Mais Jones est un inadapté : « Si vous croyez en l’art, si vous savez lire, si vous aimez la musique, vous êtes foutu. Plus rien ne vous fait peur ni ne vous impressionne. On ne vous la fait plus. Et l’illusion s’effondre, comme dans un roman de science-fiction. Le rideau s’ouvre. »
Le goût du pouvoir est  donc sur scène et son envers, dans la salle. La peur du pouvoir passera bientôt dans la rue, sous la forme d’une lutte inégale que Thomas B. Reverdy résume, vers la fin du roman, en un abécédaire qui fournit le programme de Margaret Thatcher. A la dernière lettre, « Z comme Zero », le nombre d’emplois créés par la politique de la Première ministre, une citation d’un de ses premiers discours après son entrée en fonction : « Aujourd’hui, fini de rêver. » Tout est dit.

jeudi 8 novembre 2018

Prix Décembre : Michaël Ferrier


Le Prix Décembre va cette année, je félicite le jury, à l'excellent récit amical de Michaël Ferrier, François, portrait d’un absent.
A l’ami disparu, Michaël Ferrier offre un tombeau de papier : « La littérature est l’art du deuil par excellence et, dans sa fragilité même, le papier est supérieur au marbre. Pourtant, quel travail de ténèbres il faut pour l’extraire, ce livre… C’est un tombeau, il faut le rendre à la fois aussi grave que le marbre et aussi léger que le ciel. » François est mort noyé avec sa petite fille Bahia. Jérôme, l’autre membre depuis l’adolescence du groupe amical, l’apprend par téléphone à Michaël qui vit au Japon. Et qui écrit François, portrait d’un absent.
Le titre rappelle celui d’un film documentaire que François avait consacré à un SDF : Thierry, portrait d’un absent. Il est en partie décrit ici, comme une œuvre d’une grande délicatesse, sans voyeurisme alors qu’il était facile de tomber dans ce travers. Ces qualités se retrouvent dans le livre : on sait tout de François, et en même temps on ne sait presque rien de lui tant les bribes de biographie sont posées avec le sens le plus aigu de cette amitié devenue douloureuse, et que rien n’explique.
Sinon le mot de Montaigne ajouté par l’auteur des Essais à son exemplaire imprimé. Celui-ci, à propos de ce qui liait l’auteur et La Boétie, avait écrit : « Si on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer. » Puis Montaigne transforma la fin de la phrase : « je sens que cela ne se peut exprimer qu’en répondant : parce que c’était lui, parce que c’était moi. »
Michaël Ferrier, lui aussi, cherche à expliquer l’amitié et n’y parvient pas davantage que Montaigne à qui il fait donc, à raison, appel. Non sans s’appuyer sur le souvenir des moments partagés, en particulier deux années dans les classes préparatoires du Lycée Lakanal, « une splendide ruche champêtre dédiée à l’étude, une enclave de tranquillité studieuse. » Le narrateur avait dix-sept ans, François était son voisin d’internat. Avec qui il a vécu d’une façon qui « stupéfierait immédiatement toute personne un peu convenable. » On n’en dit pas plus, il y a quelques grands moments à découvrir.
Car, pour être un livre de deuil, François, portrait d’un absent est aussi un livre à l’enthousiasme contagieux. L’ami est mort, mais ce qui a existé quand il était là continue d’infléchir la pensée avec une force impressionnante : « le texte ne forme pas le cadre d’un souvenir, mais l’ouverture d’un espace : c’est une sorte de brèche où le temps circule, où la mémoire se réveille et bondit. » Et c’est beau, très beau.

Par ailleurs, le Prix de Flore couronne Anatomie de l'amant de ma femme, de Raphaël Rupert, paru à l'Arbre vengeur - que je n'ai pas lu.

1914-1918, Albert Londres, «Je ne dis que ce que je vois» (Bibliothèque malgache)


Pour le centenaire de l'Armistice,
l'intégrale des articles d'Albert Londres


Septembre 1914 : Albert Londres déplore l’état de la cathédrale de Reims. Elle « criera toujours le crime du haut de ses tours décharnées. »
Décembre 1918 : Albert Londres raconte la visite du président américain Wilson aux troupes qu’il avait envoyées en France.
La Grande Guerre a été, vue de Paris qui a eu bien des occasions de trembler, une inquiétante guerre de position. Les articles de début et de fin, dans ce volume, semblent témoigner du peu de mouvements effectués pendant quatre années de combats. Entre les deux, pourtant, Albert Londres est allé sur plusieurs fronts. La Belgique, bien sûr, encore est-ce la même ligne de résistance à l’Allemagne – au Boche, écrit-il souvent. Mais, après un dernier envoi pour Le Matin près d’Arras en janvier 1915, Albert Londres passe au Petit Journal et du même coup en Italie, sur le chemin de la Grèce où il compte retrouver l’armée d’Orient. Les Dardanelles font parler d’elles. Albert Londres s’y trouve. Venizelos s’oppose au roi Constantin. Albert Londres rencontre « le grand homme » – Venizelos, pas Constantin. Nich, Salonique, Prilep, Gorizia, Monastir, bien d’autres villes deviennent des noms familiers pour l’envoyé spécial qui ne cesse d’aller et venir, s’arrêtant au passage pour interroger un officier, un soldat, un civil…
Après plus de deux ans de régime oriental, le journaliste passe de l’armée de Sarrail à celle de Pétain : retour sur le front français, en juillet 1917, dans un pays dévasté où il ne reconnaît rien. « Tout le nord de la patrie est devenu Pompéi. » Les noms sont plus familiers aux lecteurs : le Chemin-des-Dames, Verdun, Craonne, etc.
Albert Londres ne réécrit pas l’Histoire, il la vit au plus près, en donne environ deux cents échos qui, ensemble, posent un regard, posent un homme, lui fournissent une réputation toute nouvelle et déjà solide.
Nous n’avons, dans ce volume, compilé que les articles signés par Albert Londres. On sait qu’avant d’arriver à Reims en septembre 1914, il avait déjà écrit quelques grands articles. Mais, en l’absence de son nom après le point final, ils ont été écartés. En revanche, la lecture attentive, quatre années durant, des journaux pour lesquels il travaillait à cette époque a permis d’exhumer, en pages intérieures, quelques textes passés inaperçus dans des éditions précédentes. L’exhaustivité a été notre objectif, la rigueur dans la transcription tout autant. En comparant l’original et les diverses copies publiées avant celle-ci, des divergences apparaissent. Elles partent, pour la plupart, d’un bon sentiment : rétablir, dans des phrases parfois longues, à coups de virgules par exemple, un rythme convenu – alors que celui d’Albert Londres ne l’est guère, dans l’économie de respirations qui le caractérise. Sa prose est un flux tendu qui restitue, mieux qu’une langue classique, le tempo des événements.

Edition numérique
Albert Londres, «Je ne dis que ce que je vois»
Bibliothèque malgache (coll. Bibliothèque 1914-1918)
3,99 euros ou 12.000 ariary (à Madagascar)
 ISBN 978-2-37363-076-3

mercredi 7 novembre 2018

Prix Renaudot : Charlie Hebdo et Olivia de Lamberterie

Il faut s'attendre à tout quand le jury du Renaudot n'est pas trop certain de ce qu'il veut faire. David Diop écarté du Goncourt, on aurait trouvé tout naturel de le voir récupéré par le Renaudot, mais non. Philippe Lançon couronné par le Femina, on croyait que le Renaudot allait faire silence sur son cas, mais non, non plus: un Prix spécial a été décerné au Lambeau, pourquoi pas?
La connotation Charlie Hebdo est forte cette année puisque les jurés sont allés rechercher, dans une sélection antérieure, le livre de Valérie Manteau qu'ils avaient écarté ensuite. Le sillon (Le Tripode) est donc l'inattendu lauréat 2018. Comme je ne l'ai pas lu et que je n'ai pas le livre, je ne vous en dirai rien. Sinon que la présence de Charlie Hebdo aura été forte cette année: Valérie Manteau y avait travaillé de 2009 à 2013 - avant les faits tragiques qui constituent le début du livre de Philippe Lançon, donc. Mais comment ne pas penser à ce rapprochement?
Un Renaudot poche a aussi été attribué à Salim Bachi pour Dieu, Allah, moi et les autres (Folio).
Le Renaudot essai me réjouit puisqu'il couronne le très beau livre qu'Olivia de Lamberterie a consacré à son frère Alex, mort il y a trois ans. Je vous offre donc l'article-entretien que j'avais donné au Soir.


Depuis le début du siècle, Olivia de Lamberterie lit des livres et en parle, dans Elle et ailleurs. Cette année, elle publie à son tour un récit chaleureux, triste et drôle à la fois, suscité par la mort de son frère en 2015. Avec toutes mes sympathies, le titre, fait référence à Françoise Sagan qui, mauvaise en anglais mais invitée aux Etats-Unis pour y présenter Bonjour tristesse en 1955, dédicaçait son roman en y écrivant : With all my sympathy, sans savoir qu’elle adressait ainsi ses condoléances aux lecteurs. Olivia de Lamberterie a retrouvé ce faux ami linguistique quand elle est arrivée au Québec pour enterrer son frère. Un clin d’œil parmi d’autres dans un texte déchirant où le sourire jaillit à chaque page.
Alex s’est suicidé. « Le suicide est encore tabou dans notre société où plus rien ne l’est », nous dit la nouvelle écrivaine, touchée par les réactions de lecteurs – et « bouleversée » d’abord par celle de Jérôme Garcin qui, au Masque et la plume, avant la sortie de l’ouvrage, avait dit tout le bien qu’il en pensait. « Je ne m’attendais pas à cet accueil, beaucoup de lecteurs confrontés au suicide dans leur famille viennent me parler. Beaucoup de gens qui ont traversé des deuils me confient également que mes mots leur ont fait du bien. »
Il y a longtemps que vous vous occupez des livres des autres. N’aviez-vous jamais éprouvé le désir de passer de l’autre côté de la barrière ?
Non, vraiment pas. Les livres des autres me suffisaient, j’adore lire et essayer de partager mes enthousiasmes, donner l’envie de courir à la librairie. Trouver les mots justes, dans une critique pour Elle, trouver le fil, dans une chronique de Télématin, qui va donner envie aux téléspectateurs de lever le nez de leur café pour écouter ce que je dis ! Et puis, vivre me suffisait. J’avais une existence bien remplie, parfois trop remplie, c’est une joie de lire tout le temps, mais c’est aussi une activité chronophage. Et puis qu’avais-je à dire qui méritait d’être imprimé ?
Sur un sujet tragique, vous avez écrit un texte devant lequel on rit souvent. C’est la « nouvelle façon d’être tristes » que vous évoquez ? Il y en a d’autres illustrations, d’ailleurs.
D’abord, j’aime ce genre de littérature, une manière de raconter des choses graves de manière légère, et en la matière, Françoise Sagan est championne du monde. Je suis toujours étonnée de la manière dont on la traite, sa vie à toute allure, pieds nus, occulte le tragique de son œuvre. Bonjour tristesse, dont j’avais posé un exemplaire sur mon bureau, était ma boussole. Et puis, mon frère était très drôle, et même si la mélancolie a fini par le vaincre, je voulais que ce livre soit empreint de sa gaité. Enfin, même si j’étais transpercée de chagrin, je ne voulais pas devenir une personne ou une apprentie auteure sinistre. Oui, je voulais inventer une manière joyeuse d’être triste. Oui, on peut être triste et heureux à la fois.
Vous donnez l’impression de mettre les choses à distance et, en même temps, elles sont vécues avec une telle intensité qu’il n’y a aucune distance. Ce double mouvement était-il volontaire ?
J’ai très vite eu l’idée, en travaillant sur ce texte, d’une écriture en deux mouvements : raconter à la fois la mort inéluctable de mon frère et la manière dont elle allait nous clouer, et en même temps dire le retour vers la possibilité du bonheur. La douleur vous saisit, vous mord au cœur, et pourtant la vie continue, avec ses palpitations, ses élans. Je déteste le cynisme mais je pense qu’une de seules manières d’avancer consiste à saisir le comique de l’existence. Traquer la drôlerie, ne pas vivre le nez sur le guidon de l’existence me semble une manière saine d’avancer.
Vous aimez, écrivez-vous, « que les morts fassent partie de nos vies de toutes les manières possibles, drôles et folles. » Cela ne ressemble pas à la manière prudente dont on se protège des disparus (ou de leur disparition ?). Mais vous ne donnez pas l’impression d’être prudente…
Comment vivre avec les morts en bonne compagnie ? C’est une question qui mérite d’être posée et je ne comprends pas qu’on ne se la pose pas davantage. Pour moi, le monde ne se divise pas entre les vivants et les morts. Mon frère continue de faire partie de ma vie, je ne crois pas être zinzin en disant que la réalité ne s’arrête pas au monde visible. Je crois dur comme fer à cette phrase de Pascal Quignard : « Tout ce que nos yeux ne peuvent voir et que nos mains ne peuvent pas toucher n’est pas absent du monde. » Et puis, vous avez raison, j’ai peur de tout mais je ne suis pas prudente !
Il y a une expression que les imbéciles, dites-vous, répètent en boucle : « je devrais faire mon deuil ». Les gens croient vous faire du bien… mais est-ce de la bêtise ou de la maladresse ?
De la psychologie de pacotille. Faire son deuil, c’est une expression aussi laide que « faire passer un enfant ». Je ne crois pas qu’il faille faire son deuil, mais le vivre. Je voulais « me rouler » dans le chagrin, selon cette expression québécoise que j’adore. En expérimenter chaque particule, chaque recoin, pour le vivre pleinement, et finir par l’apprivoiser. Mettre à distance la souffrance, pratiquer « la résilience », ce mot tellement galvaudé, me semble dangereux, elle finit toujours par vous revenir à la figure telle un boomerang. Il m’a semblé aussi qu’il y avait des moments de sincérité absolue dans le deuil, qui valaient la peine d’être vécus. Je préfère une tristesse vraie à une joie fausse.

Prix Goncourt : Nicolas Mathieu

Six voix pour Nicolas Mathieu au quatrième tour, quatre pour Paul Greveillac, c'est donc Leurs enfants après eux, son deuxième roman, publié chez Actes Sud, qui est le Goncourt 2018.
Heillange, avec les souvenirs d’une industrie sidérurgique, est une petite ville en forme d’impasse, de laquelle la nouvelle génération ne pense qu’à se tirer, ce qui restera généralement à l’état de rêve inaccessible. Anthony, qu’on suit avec quelques autres pendant quatre étés, de 1992 à 1998, une année sur deux, a quatorze ans et ne sait pas trop ce qu’il veut, à part trouver des filles. Pour le reste, l’horizon est si bouché, ses parents si cons – se dit-il – que même l’envie d’aller voir ailleurs ne le titille que de loin en loin. Quand il s’y croira arrivé, grâce à l’armée, un pépin physique le ramènera au bercail…
Les jeunes picolent pas mal, fument, draguent en apprenant les attitudes et les gestes au fur et à mesure. Leurs aînés forment souvent des couples déchirés dans lesquels chacun a oublié ce qu’il reproche à l’autre. Les vieilles rancœurs sont aussi rouillées que les aciéries à l’arrêt mais elles sont dans le paysage et il semble que rien ne puisse les en extirper. Même pas les rares projets culturels construits davantage sur des mots que sur des initiatives concrètes. Seule exception, le 14 juillet,  son inévitable feu d’artifice, la beuverie qui l’accompagne au bord d’un lac, le bal où l’on se piétine les uns les autres.
Il arrive qu’on se cogne, demandez à Hacine. Il s’est vu lui aussi ailleurs, au bled de ses origines familiales, et riche du même coup grâce à un trafic qui a mal tourné quand il a cru que l’argent malhonnête pouvait fructifier honnêtement. Revenu donc la queue basse, caïd déchu avec pour seul adversaire à sa taille, taille réduite des bastons locaux, Anthony. Un peu par hasard, d’ailleurs, et parce que le père d’Anthony, ivrogne violent, y a mis du sien.
En 1998, l’équipe de France se dirige vers le titre mondial, le foot booste les ventes de téléviseurs et unit les habitants du pays quelle que soit leur couleur de peau ou leur origine. Un beau leurre. Un leurre quand même. A l’image d’un roman dans lequel sont vite coupées les ailes de celles et ceux qui tentent de prendre leur envol – seule Steph, peut-être, garde une chance, on a envie de le croire autant qu’elle.
Avant Leurs enfants après eux, Nicolas Mathieu avait publié un seul roman, Aux animaux la guerre, étiqueté (à juste titre) noir dans une collection dédiée au genre. Il était déjà dans l’Est de la France, auprès de déclassés après la fermeture d’une usine. Le décor de son deuxième livre n’est pas très différent. Il retrouve en même temps, avec de sérieuses variations, la tension propre à une littérature qui fut longtemps jugée peu digne d’intérêt intellectuel – et qui a si bien contaminé la littérature « blanche ».

mardi 6 novembre 2018

Prix Médicis: Pierre Guyotat, Rachel Kushner et Stefano Massini

Réjouissez-vous avec moi (ce n'est pas une obligation mais, plus on est de fous...). Quand j'ai fourni, samedi dernier, mes impressions aux lecteurs du Soir sur les prix littéraires de cette semaine, il me semblait que Philippe Lançon aurait le Prix Femina et que Pierre Guyotat était le candidat le mieux adapté au Prix Médicis.
Le jury du Médicis a pensé comme moi: Pierre Guyotat est son lauréat 2018 pour le roman français (vous avez dit roman?) avec Idiotie. Cela tombe d'autant mieux que je vous ai dit déjà tout ce que j'avais envie que vous sachiez sur ce livre et l'oeuvre de son auteur il y a quelques jours, quand on a appris qu'il recevrait à Brive, là, maintenant, tout de suite ou presque, le Prix de la langue française.
Pour être complet, je vous signale que le Médicis étranger va à Rachel Kushner (Le Mars club, Stock) et le Médicis essai à Stefano Massini (Les Frères Lehman, Globe). Comme je n'ai pas lu ces deux livres, je ne vous en dirai pas davantage.

Le Prix Virilo et ses annexes, lire en souriant


Le Prix Virilo ne ressemble à aucun autre, même s’il est né comme beaucoup en réaction contre les institutions des prix littéraires qu’il imite un peu, mais dans le genre décalé. D’abord, le jury est moustachu à l’unanimité, même les femmes, et annonce ses lauréat(e)s le même jour que le Femina, dans le jury duquel il ne se trouve aucun homme. Ensuite, les juré.e.s ne se font pas envoyer par les éditeurs les ouvrages qu’iels lisent mais les achètent en toute liberté. Enfin et surtout, le caractère potache des attendus justifiant les récompenses annexes n’empêche pas l’analyse sérieuse des désirs polymorphes exprimés avec plus ou moins d’habileté dans les textes de la rentrée.
Côté tout à fait légitime, Gauz est le lauréat justifié du Virilo 2018 pour son excellent Camarade Papa qui revisite avec un humour acéré l’esprit colonial et les failles qu’il a créées. Entre l’époque où la France prenait possession de la Côte-d’Ivoire et celle où le fils de Camarade Papa, marxiste pur et dur, découvre la terre de ses origines, les liens sont serrés. Ils se traduisent dans une langue rebelle – et belle à sa manière.
Pour mémoire, on notera que le jury ne s’est pas contenté de saluer ironiquement par le Prix Trop Virilo la giclure excessive de testostérone introduite par Jean Mattern dans le pantalon du héros de son dernier roman (Le bleu du lac) – une double éjaculation lors d’un concert de musique classique. Il a aussi noté, façon Gérards de la télé, et arguments à l’appui, quelques débordements du côté de Jérémy Fel, Christine Angot ou Adrien Bosc. Six accessits vont à autant d’auteurs (ainsi qu’à l’ensemble de la rentrée littéraire) sous l’intitulé : « La gloire de mon père, le château de ma mère, les lauriers de mon frère, les secrets de ma cousine et les talents de ma belle-sœur ». Le genre fleurit : le « récit pas forcément documenté ni intéressant sur un membre de sa famille ».
Ce n’est pas parce qu’on lit sérieusement qu’on ne s’amuse pas !

Dormir avec Philippe Lançon au moment du Femina

En tout bien tout honneur, certes, mais je ne suis pas fier: hier, au moment du Femina, je m'étais endormi avec Le lambeau à côté de moi, le livre de Philippe Lançon dont tout le monde pensait qu'il aurait le prix - ce qui fut fait, comme vous savez - et dont je postposais la lecture depuis sa sortie en avril dernier.
Pourquoi est-ce que je dormais? Parce que je m'étais levé beaucoup trop tôt et que la journée commençait à être vraiment longue.
Pourquoi n'avais-je pas lu Le lambeau (et j'en suis resté, hier, aux trois quarts)? Parce que ce texte, dont j'ai eu l'occasion d'apprendre par de nombreux articles ce qu'il contenait, me faisait peur.
Il me renvoie à deux moments de notre vie commune, à Philippe Lançon et moi - même si lui ne se souvient probablement même pas du premier et n'a rien su de l'aspect commun du deuxième, de mon côté, je n'ai pas oublié.
En septembre 2011, d'abord, nous avions bavardé un quart d'heure par téléphone à l'occasion de la sortie des Iles, le premier roman qu'il signait de son nom. La conversation, plaisante et chaleureuse, s'était conclue, de sa part, par un "Bon courage!" qui, depuis le 7 janvier 2015, semble chargé d'ironie - il n'y en avait pourtant aucune.
Le 7 janvier 2015, alors que Philippe Lançon, rescapé de la tuerie de Charlie-Hebdo mais blessé en plusieurs endroits par les balles des terroristes, devait avoir été évacué depuis peu de temps, je m'effondrais devant la télé, incapable de penser à quoi que ce soit, même pas à ce qui venait d'arriver et qui dépassait de très loin l'entendement.
A cause de ces deux moments, j'ai eu l'impression que la lecture du Lambeau représentait pour moi un tour de force à la hauteur duquel je ne me sentais pas. Comme si je n'étais pas, dans une certaine mesure, digne de ce livre. Je me trompais, probablement par excès de prudence, par peur d'être blessé à mon tour. Oubliant, sur ce cas précis, que les textes plus grands que nous nous grandissent. Et, donc, il y a quelques jours, je l'ai enfin ouvert.
Il se lit assez lentement, car chaque phrase pèse son juste poids - ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit: la lecture n'est pas pénible, elle se fait à petits pas - les pas que faisait le blessé dans le couloir de l'hôpital - en écoutant Bach et en retournant de temps à autre vers Proust et Kafka, au fil des opérations et des visites, des incompréhensions et des relations fortes nouées avec les uns et les autres. On sourit parfois, comme lors de la visite de François Hollande - le coquin! -, on retient son souffle mais on avance avec la confiance que Philippe Lançon plaçait dans sa chirurgienne, personnage majeur du livre. Et la présence des morts...
Au passage, j'ai appris que son titre ne désignait pas, comme je le pensais avant de lire, le lambeau de chair qui ornait le bas de son visage après l'attentat (comme le pensait encore hier soir une journaliste de je ne sais plus quelle chaîne de télévision, et qui n'a pas osé contredire le présentateur du JT quand il affirmait qu'elle avait lu Le lambeau). Le lambeau est le remplacement de l'os de la mâchoire fracassée par un péroné, pour une autogreffe ayant plus de chances de prendre qu'un ajout de corps étranger.
Lisez, c'est une expérience inoubliable.

Les autres lauréats du Femina sont, pour le roman étranger, Alice McDermott (La neuvième heure, Quai Voltaire) traduit de l'anglais par Cécile Arnaud, pour le prix de l'essai, Elisabeth de Fontenay (Gaspard de la nuit, Stock) et, pour l'inattendu prix spécial, Pierre Guyotat pour l’ensemble de son oeuvre

samedi 3 novembre 2018

Maylis de Kerangal, l'oubliée des prix littéraires

Femina, Médicis, Goncourt et Renaudot, avec leurs annexes, c'est la semaine prochaine seulement. On peut, si on veut, faire des pronostics. Je me suis livré ailleurs, dans Le Soir, à ce petit jeu dont on se dit chaque fois qu'on ne nous y reprendra plus mais qui est quand même assez addictif. C'est, je vous préviens tout de suite, peu original: le paysage s'est beaucoup éclairci depuis les premières sélections de septembre, quelques favoris (surtout au masculin) se détachent assez clairement.
Par ailleurs, je me désole de ne ne plus voir retenu nulle part le beau, le très beau roman de Maylis de Kerangal, Un monde à portée de main. Mais je me console un peu avec le succès public de son livre, plus de trente mille exemplaires vendus depuis sa sortie en août, selon l'enquête publiée par GfK. Les libraires y ont aidé, je suppose, puisqu'ils en avaient fait leur roman français préféré de la rentrée.

Il y a chez Maylis de Kerangal une passion du détail concret et une fascination pour l’exploration minutieuse de terrains inconnus qui la conduit, suppose-t-on, à accumuler, sur les sujets dont elle s’inspire, une documentation exhaustive. Ses deux romans précédents, Naissance d’un pont et Réparer les vivants, auraient pu sombrer sous le poids de l’information. Les vertus d’une écriture souple et vivante avaient épargné ce défaut à ses lecteurs. Elle renouvelle la performance dans Un monde à portée de main, une autre incursion dans un domaine spécialisé : la décoration, surtout dans la pratique du trompe-l’œil où il s’agit de fournir une troisième dimension à un support plat. Un art aussi complexe que celui de l’écrivaine transposant en mots surfaces et (faux) volumes…
Une très longue première phrase, trop longue pour être citée ici, mais balancée comme une intro musicale par laquelle on est immédiatement séduit, ouvre le roman et présente Paula Karst dans le mouvement où, sortant le soir, l’escalier dévalé, elle jette un œil vers le miroir du vestibule, « pile et s’approche, sonde ses yeux vairons, étale de l’index le fard trop dense sur ses paupières, pince ses joues pâles et presse ses lèvres pour les imprégner de rouge, cela sans prêter attention à la coquetterie cachée dans son visage, un strabisme divergent, léger, mais toujours plus prononcé à la tombée du jour. »
L’instant d’après, elle se retrouve en compagnie de deux autres anciens élèves de l’Institut de peinture de la rue du Métal à Bruxelles, avec lesquels elle a été formée d’octobre 2007 et mars 2008. Comme Kate et Jonas, Paula est devenue une professionnelle. Elle est à Paris, mais elle vient de rentrer de Moscou où elle a passé trois mois à peindre, dans les studios de Mosfilm, le salon d’Anna Karénine. Kate fait un « portor » – une imitation de marbre, la romancière ne craint pas les mots précis – dans un hall de l’avenue Foch. Jonas doit livrer dans trois jours une fresque de jungle tropicale, autant dire que leur rendez-vous ne l’arrange pas mais il a cédé au plaisir de la complicité.
Le trio, dans lequel chacun raconte ce qu’il veut (et tait ce qu’il préfère ne pas dévoiler) de ses travaux récents, est un prétexte à remonter dans le temps et à revenir à l’époque de débuts exigeants comme on l’imagine mal. Les travaux étaient dirigés par une femme inflexible sur la qualité des résultats obtenus. Parfois plus proche de la garde-chiourme que de la professeure artistique, elle ne laissait rien passer des imperfections, surtout dans les travaux les plus difficiles. Le parcours du combattant a quelque chose d’épuisant, au physique et au moral, par la modestie de la démarche jusqu’à aboutir à la représentation précise, jusqu’à ce qu’on s’y trompe (l’œil), des matières les moins reproductibles par le pinceau. Certains marbres possèdent des caractéristiques qui ne se laissent pas maîtriser aisément. Les sommets se méritent, par des chemins non seulement ardus mais aussi peu exaltants. Seule la reconnaissance finale justifie les efforts que l’on peut accomplir pour faire coïncider le modèle et l’image.
Le plus extraordinaire, dans Un monde à portée de main, est la manière dont Maylis de Kerangal, sans faire jamais l’économie des moments les plus rudes, donne accès au matériau lui-même, alors qu’il n’est pas présent dans la décoration – mais la décoration le restitue si bien et les mots en sont la traduction si exacte qu’on a l’impression de toucher du doigt quelque chose dont l’inertie n’interdit pas la réalité. C’est formidable.

vendredi 2 novembre 2018

14-18, Albert Londres : «Ils s’obstinent, nous les brisons.»




Leurs alliés capitulent
Eux se font battre
À sept kilomètres de Gand et Valenciennes débordé

(De notre correspondant de guerre accrédité aux armées.)
Front britannique, 1er novembre.
Ce n’est pas qu’ils soient lâches, ce n’est pas qu’ils s’abandonnent au destin, ce n’est pas qu’ils ne savent plus s’accrocher, se relever, se sacrifier, c’est que nous les dominons. Ils s’obstinent, nous les brisons. Dans les Flandres, les Britanniques ont avancé depuis hier d’environ quatorze kilomètres, Audenarde est pris, le canal d’Eclo, une des plus fortes lignes que leur ait données la retraite, est franchi et au bout de sept kilomètres nous entrerons dans Gand.
Plus bas, même spectacle : Valenciennes va tomber, Valenciennes ne va pas choir d’elle-même des mains allemandes ; ils pressaient si fort contre eux cette dernière ville du Nord qu’il a fallu, ce matin, leur asséner sur les doigts un formidable coup. Ils ont accueilli notre attaque par une concentration d’artillerie plus puissante que toutes celles déchaînées depuis quatre ans. Non, les Allemands ne s’abandonnent pas. Le précipice où ils plongent leur fait peur. Au pied du trou, pour ne pas y être précipités, ils luttent férocement. Nous sentons bien que les nouvelles du front n’ont plus aujourd’hui pour nos pays victorieux l’intérêt de naguère. Ce n’est pas quand la Bulgarie, la Turquie, l’Autriche tombent d’un coup que la chute d’une ligne de tranchées, voire d’un canal, va vous émouvoir. D’autant que vous entrevoyez d’avance le résultat de ces combats derniers. Tout leur déroulement n’est plus pour vous qu’incidents.

Nos soldats demeurent les ouvriers du coup final

Mais nous qui les vivons et qui voyons sous nos yeux s’en dégager le sens, nous devons, pour la gloire des combattants, vous signaler ce qu’ils veulent dire. Ils signifient que l’Allemand ne se résout pas à être vaincu et que nos soldats, dont la ténacité a permis cet hallali, demeurent, par une juste nécessité, les indispensables ouvriers du coup final. Sans eux, les Allemands, assis sur des positions, sur n’importe quelles positions, se croyaient diminués, mais debout, oseraient nous parler d’égal à égal, or sitôt qu’ils s’assoient les nôtres les délogent. Ils veulent posséder des gages pour se présenter devant le tribunal, nous les leur arrachons. Si les messages du docteur Solf révèlent de plus en plus une écriture mal assurée, c’est que depuis qu’il a pris la plume le canon du front ne cesse de lui faire trembler la main.

Ils s’écroulent dans la rage et la cupidité

Et quoique la note approche, leurs fantaisies ne cessent point. Nous avons trouvé vers Audenarde quatre ambulances chargées de butin : tableaux, tapis, cuivres, fauteuils, et cette nuit entre eux et nous flambaient villages et hameaux. Ils s’écroulent dans la rage et la cupidité.
Le Petit Journal, 2 novembre 1918.



Dans la même collection

Jean Giraudoux
Lectures pour une ombre
Edith Wharton
Voyages au front de Dunkerque à Belfort
Georges Ohnet
Journal d’un bourgeois de Paris pendant la guerre de 1914. Intégrale
ou tous les fascicules (de 1 à 17) en autant de volumes
Isabelle Rimbaud
Dans les remous de la bataille