mardi 30 octobre 2012

Joël Dicker vers le Goncourt aussi? Il n'est pas seul...

A lire comment Pierre Assouline défendait l'autre jour sur son blog le roman de Joël Dicker, La vérité sur l'affaire Harry Quebert, on peut s'attendre à tout dans huit jours, quand l'académie Goncourt proclamera son prix 2012, y compris à un doublé du jeune écrivain suisse - comme c'était arrivé à Jonathan Littell, Grand prix du roman de l'Académie française et prix Goncourt pour Les Bienveillantes en 2006.
Le premier lauréat de la saison des grands prix littéraires d'automne se trouve en tout cas dans le dernier quatuor, en compagnie des deux favoris cités depuis la fin du moins d'août, Patrick Deville et Jérôme Ferrari. Pour compléter la liste, la discrète Linda Lê, aux qualités littéraires affirmées depuis ses débuts en 1986, reste en embuscade et pourrait être la surprise des éventuels parieurs si une majorité ne se dégageait pas ailleurs.
Écartés de la dernière sélection (annoncée de Beyrouth, où une partie de l'académie Goncourt se trouve pour le Salon du livre), Vassilis Alexakis (sélectionné pour le prix Renaudot), Thierry Beinstingel, Mathias Enard et Joy Sorman (lauréate, annoncée dimanche dernier, du peu connu Liste Goncourt/Choix polonais), peuvent encore espérer, demain, inaugurer le palmarès de la Liste Goncourt/Choix de l'Orient. Ou se rétablir grâce au Goncourt des Lycéens, auquel concourent tous les romans de la première sélection - à l'exception de celui de Mathias Enard, puisque celui-ci l'a déjà reçu.

  • Patrick Deville, Peste & choléra (Seuil)
  • Joël Dicker, La vérité sur l'affaire Harry Quebert (de Fallois/L'Âge d'homme)
  • Jérôme Ferrari, Le sermon sur la chute de Rome (Actes Sud)
  • Linda Lê, Lame de fond (Bourgois)

vendredi 26 octobre 2012

La place du livre électronique dans la presse papier

Les éditeurs "tout numérique" se plaignent souvent, ils n'ont pas tort, de ne pas trouver leur place dans les pages littéraires de la presse papier. Place souvent réduite par rapport à ce qu'elle fut autrefois, qui oblige les journalistes littéraires à des contorsions rarement comiques pour réussir quand même, tant bien que mal, à parler des ouvrages sur lesquels ils estiment utile de transmettre leur opinion.
J'appartiens à cette race étrange - "journaliste littéraire" - au cuir tanné à force de prendre des coups, voire des injures, sur quantité de blogs ou de forums où d'autres lecteurs - non professionnels, donc plus neutres, c'est souvent l'articulation principale de l'argumentation - s'élèvent contre le manque de liberté, le conformisme, l'autorité ne reposant sur rien, bref, la nullité de ces gens qui, comme moi, passent leur vie à lire et à écrire sur les livres qu'ils ont lus. Et de leur reprocher un silence coupable sur des ouvrages qu'eux, lecteurs vrais, ont aimé - pour faire bonne mesure, s'ajoute souvent le soupçon de n'être que le relais des campagnes promotionnelles des éditeurs, avec qui ils sont si liés, comme chacun sait... (Comme chacun sait?)
Nous ne parlerions donc que des livres dont les éditeurs désirent entendre parler, et de préférence de manière positive puisque, n'est-ce pas, il ne s'agit là que de copinage et compagnie.
Dans ce contexte, que pèse l'édition numérique? Peu encore, d'un point de vue purement économique (L'horreur économique, écrivait Viviane Forrester). Donc, selon une logique imparable, quasiment rien dans les pages littéraires des journaux et des magazines.
Sinon qu'il s'agit là d'une logique assez tordue pour avoir l'apparence de la vérité, alors que la vérité est tout autre.
Je pense, à cet instant, à ce que disait souvent François Nourissier quand il avait une forte influence chez Grasset, à savoir que le comité de lecture passait beaucoup plus de temps à refuser des manuscrits qu'à en accepter, parce que les auteurs "maison" occupaient déjà beaucoup de place dans les programmes éditoriaux et que ceux-ci n'étaient pas extensibles à l'infini.
Comme les pages littéraires. On passe beaucoup de temps à se battre pour parler de tel ou tel livre, et beaucoup plus encore à constater avec regret que, non, au final, il n'y aura pas de place... Il m'arrive même - l'aveu me rend fou - de désespérer en voyant combien sont alléchantes les annonces de parutions à venir, et en sachant qu'il sera impossible de leur donner l'écho auxquelles, raisonnablement, elles devraient avoir droit.
Et le livre numérique, là-dedans? J'y viens, mais il me semblait nécessaire, pour une fois, d'éclairer au moins partiellement les coulisses d'un travail dont vous ne voyez généralement que le résultat, sans savoir comment les choses se passent en amont.
Le livre numérique s'ajoute à tout le reste. Il n'y a pas d'opposition, pour un lecteur (professionnel ou non, c'est d'abord comme lecteur que je me définis, et d'abord pour mon petit ou mon grand plaisir égoïste de lecteur), entre une lecture sur papier ou une lecture sur écran. Donc, aucun rejet (au contraire, en ce qui me concerne, comme le savent ceux qui me connaissent) de l'édition numérique. Mais une extrême difficulté à lui trouver un espace adéquat - sans rien dire de la circulation des oeuvres, souvent pas tout à fait au point de l'éditeur vers les journalistes alors que l'édition traditionnelle fait cela très bien, et depuis longtemps.
Je ne suis donc pas peu fier (il fallait bien finir en me lançant quelques fleurs) d'avoir réussi à "caler", dans Le Soir de ce matin, une colonne de notes de lecture sur cinq livres électroniques. Du bon, du moins bon, comme dans la page d'à côté où une autre colonne, son équivalent parfait (mais qui revient chaque semaine) présente autant de rééditions au format de poche - et ce n'est pas rien, vous en conviendrez, le format de poche...
Il a fallu que les circonstances s'y prêtent: une double page consacrée à des écrivains belges au moment où plusieurs d'entre eux publiaient des ouvrages numériques. L'occasion était belle, je n'allais pas manquer. Quand se représentera-t-elle? Je n'en sais rien.

jeudi 25 octobre 2012

Le prix Renaudot continue à se singulariser

Cette année, les jurés du prix Renaudot ont décidé de ne rien faire comme tout le monde. Sauf pour Patrick Deville et Vassilis Alexakis, qu'ils conservent dans leur dernière sélection alors qu'ils sont tous deux sur les tablettes de l'académie Goncourt. Les trois autres romans ne sont en revanche présents nulle part ailleurs - si, pardon, Anne Berest est sélectionnée pour le prix de Flore. Christian Authier n'aurait-il été lu que par ce jury? Et Jean-Loup Trassard, ce merveilleux écrivain discret, savait-on qu'il avait publié un livre cette année? (Ce n'était pas à la rentrée.)
Mohamed Boudjedra, Henri Lopes et Florian Zeller ont, du coup disparu, tandis que la sélection des essais se rétrécissait aussi. Voici les survivants.

Roman


  • Vassilis Alexakis, L’enfant grec (Stock)
  • Christian Authier, Une certaine fatigue (Stock)
  • Anne Berest, Les Patriarches (Grasset)
  • Patrick Deville, Peste & choléra (Seuil)
  • Jean-Loup Trassard, L’homme des haies (Gallimard)

Essai

  • Jean-Louis Gouraud, Le pérégrin émerveillé : Paris-Moscou et retour(s) (Actes Sud)
  • Franck Maubert, Le dernier modèle (Fayard)
  • Jean-Christian Petitfils, Le frémissement de la grâce : le roman du Grand Meaulnes (Fayard)


Les sélections des prix Virilo, sérieux, et Trop Virilo, moqueur

Le prix Virilo, cela a l'air d'un gag. Un anti-Fémina, attribué le même jour que celui-ci (le 5 novembre, donc), et dont la réunion de sélection est racontée comme un gag aussi: "Dévorant des bouquins jusqu’à la dernière minute, le jury s’est retrouvé lundi 22 octobre pour passer aux choses sérieuses. Ce fut long, parce qu’il y avait une raclette et manger une raclette avec une moustache tombante, c’est long."
Sinon que la sélection est d'une qualité exceptionnelle (Claro et Pierre Jourde, enfin!). Le gag est plutôt du côté de la sélection du prix Trop Virilo, résolument moqueuse (et tant pis s'il y a un roman que j'aime bien dans la liste). Les choix sont motivés sur la page dont je vous ai déjà donné le lien. Allez-y voir, vous rirez probablement comme moi.

Prix Virilo
  • Eric Chevillard, L'auteur et moi (Minuit)
  • Claro, Tous les diamants du ciel (Actes Sud)
  • Jérôme Ferrari, Sermon sur la chute de Rome (Actes Sud)
  • Michaël Ferrier, Fukushima, récit d'un désastre (Gallimard)
  • Tahar Ben Jelloun, Le bonheur conjugal (Gallimard)
  • Pierre Jourde, Le maréchal absolu (Gallimard)
  • Sabri Louatah, Les sauvages (Flammarion)

Prix Trop Virilo
  • Philippe Djian, "Oh..." (Gallimard)
  • Jonathan Littell, Une vieille histoire (Allia)
  • Eric Neuhoff, Mufle (Albin Michel)
  • Emmanuelle Pol, L'atelier de la chair (Finitude)
  • Stéphane Zagdanski, Chaos brûlant (Seuil)
  • Florian Zeller, La jouissance (Gallimard)


Le Grand prix du roman de l'Académie française à Joël Dicker


Joël Dicker, avec son deuxième roman, La vérité sur l'affaire Harry Quebert, est le premier lauréat de la saison des grands prix littéraires d'automne, ouverte comme chaque année par le Grand Prix du roman de l'Académie française.

C’est la belle surprise de cette rentrée littéraire. La vérité sur l’affaire Harry Quebert, un deuxième roman épais publié quelques mois à peine après le premier (Les derniers jours de nos pères), ne suscite aucune fausse note dans un accueil enthousiaste. L’écrivain a 27 ans et ne nourrit aucun complexe même s’il n’appartient pas au microcosme parisien et si ses éditeurs ne sont pas souvent présents dans les sélections aux grands prix littéraires d’automne. Sauf cette fois, grâce à un livre qui a tout pour plaire. Bien au-delà du lectorat francophone, si l’on en croit les rumeurs de traductions qui circulaient à la Foire du livre de Francfort.
La vérité sur l’affaire Harry Quebert est une histoire d’écrivain. Et même d’écrivains, puisqu’ils sont deux. Marcus Goldman, le plus jeune, est entré dans le monde littéraire par la grande porte, avec un énorme succès dès son premier livre. Il doit maintenant répondre à l’attente de ses lecteurs. Davantage encore à la pression que lui mettent son agent et son éditeur, sans cesse à évoquer la nécessité (et l’obligation par contrat) d’un deuxième livre sans lequel la place de jeune prodige ne tardera pas à être occupée par un autre. Mais la panne est grave – « une terrible crise de page blanche » – et Marcus se tourne vers son mentor, Harry Quebert, auteur consacré qui distille, en prologue de chaque chapitre, des conseils avisés sur l’écriture.
La vérité sur l’affaire Harry Quebert est aussi un polar. En 1975, une adolescente de quinze ans, Nola Kellergan, a disparu dans la petite ville d’Aurora, New Hampshire, où Harry est installé. Pour écrire, disait-il. Mais, séduit par Nola, il ne faisait que copier et recopier son prénom à longueur de pages. Trente-trois ans plus tard, alors que les Etats-Unis se préparent à élire Obama comme président et que Marcus est toujours bloqué par sa page blanche, le corps de Nola est retrouvé sur le terrain de Harry. Qui ferait un coupable idéal.
En 31 chapitres (numérotés à l’envers), un prologue et un épilogue, Joël Dicker installe un monde, pose un gros paquet de questions auxquelles il ne fournit pas toutes les réponses et construit une intrigue à plusieurs niveaux dont la complexité ne ralentit jamais la lecture. La réussite est si complète qu’en arrivant à la fin on adhère à la dernière réflexion de Harry : « Un bon livre, Marcus, est un livre qu’on regrette d’avoir terminé. »

Aujourd'hui, préface au grand cirque des prix littéraires

L'Académie française ouvrira tout à l'heure la longue série des principaux prix littéraires de la saison. Chacun d'entre eux, au fil de leur attribution, influence les suivants puisque, en principe, un livre couronné par un jury n'est plus pris en considération par ceux qui arrivent chronologiquement derrière. La règle n'est pas vraiment écrite, et elle souffre quelques exceptions. En 2006, Jonathan Littell a reçu le Grand prix du roman de l'Académie française et le Goncourt. En 1995, Andreï Makine a cumulé le Goncourt, le Goncourt des Lycéens (ces deux-là, partant de la même sélection, ont souvent donné l'occasion à un livre de cumuler) et, plus étonnant, le Médicis.
Les trois romans qui sont encore retenus pour le Grand prix du roman de l'Académie française 2012 ne seront donc peut-être pas exclu des débats à venir dans la semaine du 5 novembre, quand se suivront le Femina, le Médicis, le Goncourt et le Renaudot - pour ne parler que des plus importants. La remarque n'est pas anodine quand on sait que La vérité sur l'affaire Harry Quebert, de Joël Dicker, et Le sermon sur la chute de Rome, de Jérôme Ferrari, deux des meilleurs ouvrages de cette rentrée, restent convoités par d'autres jurys. Mon préféré est le roman de Joël Dicker, mais celui de Jérôme Ferrari n'est pas loin de le valoir. Tandis que Partages, de Gwenaëlle Aubry, pour n'être pas sans qualités, me semble inférieur à ces deux-là.
Faites vos jeux. J'y reviendrai, bien entendu.

mardi 23 octobre 2012

L'avant-dernière sélection du prix Interallié

Ils étaient neuf romans, il en reste cinq pour le prix Interallié après la publication de la deuxième sélection. Un bref hommage s'impose aux disparus qui, n'étant plus retenus pour aucun autre prix de l'automne, n'auront fait qu'une brève apparition ici: de Christophe Donner, Lionel Duroy, Gaspard-Marie Janvier et Colombe Schneck, seul le troisième est encore présent pour le Goncourt des Lycéens - parce qu'il avait été retenu, comme c'est la règle, dans la première sélection de l'académie Goncourt.
Ceux qui restent sont tous des hommes, désolé, mesdames les écrivaines, je n'y suis pour rien. Parmi eux, peu (deux, si je compte bien) sont journalistes - c'était la vocation, presque oubliée aujourd'hui, du prix Interallié. Et ils constituent une majorité - les exceptions sont Nicolas d'Estienne d'Orves et Sébastien Lapaque - à être sélectionnés ailleurs, pour des prix qui seront souvent décernés bien avant le 14 novembre, date de proclamation de l'Interallié. Dès ce jeudi, Joël Dicker et Jérôme Ferrari sont en lice pour le Grand prix du roman de l'Académie française. Le Femina (lundi 5 novembre) a retenu Jérôme Ferrari. Le Médicis (mardi 6 novembre), Philippe Djian. Le Goncourt (mercredi 7 novembre) a fait comme l'Académie française. Et le Goncourt des Lycéens, attribué le lendemain de l'Interallié, aussi, forcément.
Si vous avez suivi, vous n'avez presque pas besoin que je vous donne la deuxième sélection. La voici quand même, en attendant la troisième et dernière, le 8 novembre, où ce sont les autres jurys qui, en ayant probablement couronné déjà certains de ces livres, détermineront ceux qui resteront.
  • Nicolas d'Estienne d'Orves, Les fidélités successives (Albin Michel)
  • Joël Dicker, La vérité sur l'affaire Harry Quebert (de Fallois/L'Age d'homme)
  • Philippe Djian, "Oh..." (Gallimard)
  • Jérôme Ferrari, Le sermon sur la chute de Rome (Actes Sud)
  • Sébastien Lapaque, La convergence des alizés (Actes Sud)

Rêver sur les portulans



Si souvent cités qu'ils s'apparentent à un cliché, les premiers vers du poème de Charles Baudelaire, Le voyage, restent la meilleure introduction littéraire à une exposition de cartes marines comme celle qui s'ouvre aujourd'hui à Paris à la Bibliothèque nationale de France: L'âge d'or des cartes marines - Quand l'Europe découvrait le monde.
Pour l’enfant, amoureux de cartes et d’estampes,
L’univers est égal à son vaste appétit.
Ah! que le monde est grand à la clarté des lampes!
Aux yeux du souvenir que le monde est petit!




Je ne vais pas essayer de vous faire croire que j'ai vu l'exposition, bien qu'elle me fasse rêver moi aussi. Et je copie donc simplement la présentation de la BNF.
Parmi les trésors de la Bibliothèque nationale de France, figurent des documents scientifiques d’exception dont la contemplation renvoie spontanément aux légendaires Grandes découvertes.

Il s’agit des cartes marines enluminées sur parchemin, souvent rehaussées d’or, appelées couramment «cartes portulans», de l’italien portolano (livre d’instructions nautiques). Ces cartes donnent la succession des ports le long des côtes, tandis que l’espace maritime est sillonné par des lignes qui correspondent aux directions de la boussole. Ce système graphique permettait aux marins de s’orienter et de faire le point, en reportant sur la carte la distance qu’ils estimaient avoir parcourue. 
Le plus ancien portulan occidental connu serait de la fin du XIIIe siècle: c’est la fameuse «carte pisane», conservée au département des Cartes et plans (illustration Gallica). De ces premières cartes nautiques, seuls de rares vestiges ont survécu aux outrages du temps. Riche de cinq cents portulans, la BnF s’enorgueillit de posséder la plus grande collection au monde. Innovation technique, en même temps qu’objet de science et miroir de la quête d’un ailleurs, les «cartes portulans» s’imposent au regard contemporain comme de véritables oeuvres d’art dont le caractère spectaculaire tient autant à leur taille, souvent imposante, qu’à leur polychromie et à leur univers exotique. 
À partir d’une sélection de deux cents pièces majeures – cartes, globes, instruments astronomiques, objets d’art et d’ethnographie, animaux naturalisés, dessins, estampes, tableaux et manuscrits, issus des collections de la BnF ou prêtés exceptionnellement par le Quai Branly, Guimet, le Louvre, les Arts et métiers, le Mobilier national ou le musée de la Marine, le Service historique de la Défense, la British Library, des institutions italiennes et des collections régionales –, l’exposition aborde plusieurs questions: les conditions de navigation et l’usage des cartes; les découvertes de l’Afrique, de l’Asie, des Amériques et du Pacifique et les rivalités entre les puissances maritimes, la circulation des savoirs géographiques entre océan Indien et Méditerranée; la création et la diffusion d’une iconographie des Nouveaux Mondes avec leurs paysages, leurs peuples, leurs mœurs, leur faune et leur flore.

lundi 22 octobre 2012

Fantômette a disparu

Georges Chaulet était, à sa mesure, une sorte de J.K. Rowling, un auteur de best-sellers de littérature de jeunesse avec Les 4 As et surtout la série Fantômette. 52 titres parus et 15 millions de volumes vendus depuis 1961, m'apprend Livres Hebdo en annonçant la mort de l'écrivain.
J'ai très peu lu la Bibliothèque rose où paraissaient les aventures de la jeune héroïne - j'étais, forcément, beaucoup plus Bibliothèque verte, en un temps où les garçons et les filles se mélangeaient peu, même dans leurs lectures.
Je viens donc de me rattraper tardivement, en puisant dans une de mes bibliothèques où j'ai trouvé quelques volumes de la série. J'ai choisi celui qui doit être le deuxième, paru en 1962, Fantômette contre le Hibou. Bien m'en a pris. J'aurais pu ne jamais savoir quelle aimable fantaisie habitent ces livres.
Certes, Fantômette contre le Hibou, comme probablement les autres, est un décalque approximatif d'une multitude de romans d'aventures policières à la portée de jeunes lecteurs - et, encore davantage, de jeunes lectrices, en tout cas dans ces années-là. Mais un livre qui commence par cette question: "- Comment écrit-on archéoptéryx?" ne peut pas être totalement insignifiant. C'est Ficelle qui demande cela à Françoise ("Comme ça se prononce", répond-elle). En deux lignes, voici donc deux des principales protagonistes du roman, parmi lesquelles Ficelle aimerait bien être la vedette, si elle était moins nulle - elle l'ignore, bien entendu, et est au contraire convaincue des nombreuses qualités qui font d'elle le chef naturel de la bande. C'est elle, d'ailleurs, sur une idée de "génie", qui fonde le Framboisy Limiers Club (FLIC) dont elle est, cela va de soi, la présidente. Françoise sera la secrétaire, ainsi en a décidé la haute autorité que représente Ficelle. Et Boulotte, la troisième, trésorière - elle est là surtout pour apporter une note purement rigolote en compagnie de ses deux complices, car Boulotte ne pense qu'à manger.
Toujours est-il que le village de Frambroisy résonne des sales affaires qui s'y succèdent, signées de la marque d'un hibou. Le FLIC part en chasse sous la conduite de Ficelle. Mais celle-ci tire moins les ficelles que ne le fait, dans l'ombre, une Fantômette audacieuse et intelligente - le portrait de Françoise, ce que, comme l'auteur, nous nous interdirons bien entendu de révéler.
Le commissaire Maigrelet sera en tout cas bien inspiré de suivre les conseils de la mystérieuse enquêtrice pour mettre fin aux méfaits d'une bande qui allait en grossissant.
Quant aux lectrices (les lecteurs aussi, d'ailleurs) des aventures de Fantômette, elles peuvent continuer. Avec ma bénédiction.

dimanche 21 octobre 2012

Les dernières sélections du prix Femina

L'information n'est plus de première fraîcheur, puisqu'elle date de vendredi déjà. Mais elle est importante puisque le jury du Femina en a terminé avec les étapes intermédiaires avant le prix du lundi 5 novembre. Les prix, même: au roman français s'ajouteront le roman étranger et l'essai. Dans les jours qui viennent, les troisièmes sélections des prix Médicis, Goncourt et Renaudot confirmeront probablement ce qu'on pense depuis quelques semaines: le roman de Patrick Deville, Peste & choléra, est convoité par tous les jurys. S'il reçoit le prix Femina, les autres n'auront qu'à se rabattre sur ce qui reste. Et qui n'est pas mal non plus. Je ferai un point complet de la situation avant cette sacrée semaine de novembre où les lauriers les plus convoités vont se distribuer à une cadence infernale. En attendant les ultimes sélections, voici donc celles du Femina dans les trois catégories.

Romans français
  • Julia Deck, Viviane Élisabeth Fauville (Minuit)
  • Patrick Deville, Peste et choléra (Seuil)
  • Jérôme Ferrari, Le sermon sur la chute de Rome (Actes Sud)
  • Bruno Le Maire, Musique absolue. Une répétition avec Carlos Kleiber (Gallimard)
  • Anne Serre, Petite table, sois mise ! (Verdier)

Romans étrangers
  • Sébastien Barry, Du côté de Canaan (J. Losfeld)
  • Michiel Heyns, La dactylographe de Mr James (P. Rey)
  • Julie Otsuka, Certaines n’avaient jamais vu la mer (Phébus)
  • Juan Gabriel Vasquez, Le bruit des choses qui tombent (Seuil)

Essais
  • Jean-Claude Berchet, Chateaubriand (Gallimard)
  • Jean-Michel Delacomptée, Passions. La princesse de Clèves (Arléa)
  • Pascal Dibie, Ethnologie de la porte (Métailié)
  • Jacques Julliard, Les gauches françaises (Flammarion)
  • Tobie Nathan, Ethno-roman (Grasset)

jeudi 18 octobre 2012

Cinq premiers romans pour un prix

On a divisé par deux le nombre des sélectionnés, passant de dix à cinq premiers romans pour le prix du Premier roman français, où malheureusement Yannick Grannec a perdu toutes ses chances, au même titre que Lucile Bordes, Félicité Herzog, Bruno Le Maire et Shale Mouradian qui avaient aussi été retenus dans un premier temps. Le candidat le plus sérieux au prix, qui sera attribué le 12 novembre, est une candidate: Julia Deck. Curieusement, j'ai lu un certain nombre d'autres premiers romans, dont certains excellents, mais apparemment pas les mêmes que ce jury essentiellement composé de critiques - selon Livres Hebdo, qui n'a pas pour habitude d'être approximatif dans les informations qu'il fournit.
Voici la sélection que vous attendiez tous.
  • Clélia Anfray, Le coursier de Valenciennes (Gallimard)
  • Christophe Carlier, L’assassin à la pomme verte (Serge Safran)
  • Julia Deck, Viviane Elisabeth Fauville (Minuit)
  • Pauline Dreyfus, Immortel, enfin (Grasset)
  • Chloé Schmitt, Les Affreux (Albin Michel)

Le prix Décembre court-il à la catastrophe?

Si j'en crois la rumeur rapportée par Bibliobs, un média généralement bien informé, Christine Angot aurait toutes les chances de recevoir le prix Décembre le 8 novembre. Je sais qu'elle a ses défenseurs. Vous savez que je n'en suis pas. Et particulièrement pas pour Une semaine de vacances, un roman qui m'a semblé totalement insupportable, pour des raisons que j'ai déjà expliquées au moment où ce livre a reçu le prix Sade. Inutile d'y revenir. Mais, si certains lauréats honorent d'un palmarès d'un prix, d'autres le déshonorent. Je veux espérer que les deux autres ouvrages encore sélectionnés ne sont pas là pour faire seulement de la figuration et qu'ils gardent une chance d'être couronnés. Mais pourquoi est-ce que j'éprouve soudain un tel découragement, une telle difficulté à croire à ce que je viens d'écrire? Enfin, voici quand même la sélection finale, elle vaut ce qu'elle vaut comme information.
  • Christine Angot, Une semaine de vacances (Flammarion)
  • Michaël Ferrier, Fukushima. Récit d’un désastre (Gallimard)
  • Mathieu Riboulet, Les œuvres de miséricorde (Verdier)

Amélie Nothomb, l'imagination au service (?) du fait divers

Le magazine L'Express publie cette semaine, entre un article sur les transhumains et une chronique de David Abiker sur les salauds de stagiaires (je simplifie), un texte (que j'appellerais une nouvelle) d'Amélie Nothomb inspiré par la tuerie de Chevaline. Je vous épargne le rappel des faits, Internet fonctionne à la perfection pour cela.
Cela s'appelle "Mon cri est celui d'un oiseau", mais je me demande sur quelle branche est allée se percher la romancière.
Olivier Le Naire, dans l'édition papier, utilise l'espace de deux colonnes pour expliquer pourquoi il fallait demander cette collaboration à Amélie Nothomb (qui a, de toute évidence hésité avant d'accepter - dommage qu'elle ait fini par prendre la mauvaise décision).
Il écrit: "Le journaliste est un passeur de questions. Mais, quand la vérité échappe à tous, il doit céder la parole à l'écrivain, qui, seul, peut tenter de mettre en mots l'indéchiffrable." Ce qui ne veut pas dire, je le porte au crédit d'Olivier Le Naire, apporter des réponses. Il cite des exemples d'écrivains qui se sont emparés de faits divers. Certains sont de bons exemples: Stendhal, Truman Capote ou Emmanuel Carrère. Il range dans la même catégorie les délires de Marguerite Duras à propos de l'affaire Villemin, et cela m'a fait douter un peu. Pourquoi pas Salim Bachi dans la tête de Merah, tant qu'il y était?
J'ai donc lu ce qu'avait imaginé Amélie Nothomb dans la tête, non du tueur (ou des tueurs, qu'est-ce que j'en sais, moi?), mais des deux jeunes survivantes du massacre. Leur cri d'oiseau - d'un oiseau qui n'existe pas - est un langage qu'elles seules connaissent et à travers lequel elle se reconnaissent, vérifiant pour l'occasion qu'elles sont toutes les deux en vie.
J'ai du mal à comprendre comment cette mise en mots de l'indéchiffrable nous fait approcher, ne serait-ce qu'un peu, un des aspects de cette scène. Peut-être pourrait-elle nous transporter dans une hypothèse de la manière dont elle a été vécue par les deux enfants. Si c'était moins superficiel, moins gratuit.
Amélie Nothomb et le fait divers, ça ne colle pas. Sinon pour produire un bout de littérature tchip-tchip (à cause du chant d'oiseau) qui reste très cheap-cheap.

mercredi 17 octobre 2012

Cinquante sourires de Grey

A leur première rencontre, Anastasia croit voir passer l’ombre d’un sourire sur le visage de Christian Grey. Elle n’en est pas certaine. Elle croit qu’il se retient de sourire dès la page suivante. Cela continue : il sourit « d’un air modeste mais vaguement déçu », « sans une trace d’humour », il esquisse un sourire, il découvre « des dents si blanches et si parfaites » qu’elle en a le souffle coupé, il a un sourire ironique, un autre qui n’atteint pas les yeux, il esquisse à nouveau un sourire – une manière d’esquiver ? –, il a « un petit sourire », son sourire s’accentue, « un sourire erre sur ses lèvres et ses yeux pétillent comme s’il savourait une plaisanterie connue de lui seul », puis « il sourit encore comme s’il gardait un mystérieux secret connu de lui seul ». Ce sera ensuite un sourire en coin, un sourire qui dit « j’ai un secret » (celui-là, on le connaissait), retour du sourire en coin, un sourire qui retrousse « ses lèvres ourlées et sensuelles », un sourire « secret », « un sourire poli qui n’atteint pas ses yeux » (on le connaissait aussi), un sourire sans commentaires, un « sourire de sphinx » qu’Anastasia ne voit pas mais entend, un « petit sourire, l’air sincèrement amusé », un sourire « comme si c’était une affaire entendue », un sourire – attention, un sommet de sourire – « éblouissant, spontané, naturel, sublime », un simple sourire, un demi-sourire (peut-être imaginé), un sourire tout court, un autre, un nouveau sourire « secret », « un petit sourire ironique d’encouragement », « son drôle de petit sourire », un demi-sourire esquissé (un quart de sourire, peut-être ?), un sourire « amusé, sardonique »… Sardonique ? Les choses se compliquent, nous sommes à la page 76, Christian Grey n’a pas fini d’ajouter d’autres nuances de sourires, ou les mêmes, à un roman qui, à force, rend les muscles zygomatiques douloureux.
Pas seulement ceux-là. E.L. James ne craint pas les longueurs et les répétitions. Il vaut mieux par exemple ne pas remarquer dès la page 47 qu’un pantalon descend sur les hanches de Christian Grey, parce que cela arrivera encore six fois. A force, le spectacle s’use.
Cinquante nuances de Grey, le premier roman de la trilogie – car, oui, il en reste deux après celui-ci – arrive en français précédé d’une réputation sulfureuse. Au bout des 560 pages, on se demande ce qui l’a suscitée. Dans le même temps, on admire les centaines de milliers de lecteurs qui se sont obstinés avant nous et qui disent y avoir trouvé du plaisir. Je ne l’ai pas partagé.

P.S. Ceci est la version longue (mais pas si longue) d'un article paru ce matin dans Le Soir.

Hilary Mantel, deux fois le Man Booker Prize

Hilary Mantel, qui c'est? Elle n'a guère été traduite en français, la romancière anglaise pourtant couverte de prix littéraires, et encore un peu plus depuis hier soir: après le Man Booker Prize pour Wolf Hall obtenu en 2009, elle vient d'en recevoir un second pour Bring up the Bodies.
Le cas est rare et surprend souvent les lecteurs (et les auteurs, et les éditeurs) francophones: ils savent bien qu'on n'a pas deux fois le Goncourt, à moins de s'appeler une fois Romain Gary et, l'autre fois, Emile Ajar.
Mais voilà: les prix littéraires britanniques - celui-ci est l'équivalent du Goncourt - ne fonctionnent pas de la même manière. Peter Carey et John Maxwell Coetzee avaient, ainsi, été les premiers doubles lauréats du Man Booker Prize (qui ne s'appelait d'ailleurs peut-être pas exactement ainsi dans leurs cas, le nom du sponsor principal était venu modifier le nom du prix en je ne sais plus quelle année - 2002, semble-t-il).
Hilary Mantel est occupée à écrire une trilogie romanesque sur l'époque de Thomas Cromwell. Elle a donc déjà plongé deux fois dans le 16e siècle, et autant de fois été récompensée. Le président du jury estime d'ailleurs que le deuxième tome est encore meilleur que le premier. Que sera le troisième? Quand la romancière l'aura-t-elle terminé? Méritera-t-elle un troisième Man Booker Prize, ce qui serait cette fois totalement inédit?
Et, surtout, quand pourrons-nous lire ces livres en français?

mardi 16 octobre 2012

N'oublions pas le prix France Télévisions

Quand on pense avoir fait le tour des prix littéraires, il y en a toujours un pour se rappeler à notre bon souvenir. C'est le prix France Télévisions, aujourd'hui, dont la sélection vient d'être publiée, avec six titres qui ne sont pas tous retenus ailleurs:

  • Christine Angot, Une semaine de vacances (Flammarion)
  • Antoine Choplin, La nuit tombée (La Fosse aux ours)
  • Maryse Condé, La vie sans fards (Lattès)
  • Patrick Deville, Peste & Choléra (Seuil)
  • Jean Echenoz, 14 ( Minuit)
  • Joy Sorman, Comme une bête (Gallimard)

Curieux, le choix de Christine Angot, bien qu'elle soit aussi dans la première sélection du prix Décembre - mais elle en sortira peut-être après-demain. La parole n'est maintenant plus au jury de professionnels (je suis revenu au prix France Télévisions, là), mais aux 21 téléspectateurs qui choisiront le ou la lauréat(e). Proclamation le 5 décembre.

François Garde, prix Jean Giono 2012

Il avait déjà reçu le prix Goncourt du premier roman, le prix Emmanuel-Roblès à Blois, le prix Edmée de la Rochefoucauld et le prix de la ville de Limoges. François Garde complète sa collection avec le prix Jean Giono, qui lui a été attribué aujourd'hui pour son premier roman, Ce qu'il advint du sauvage blanc.
François Garde s’est inspiré de faits authentiques dans Ce qu’il advint du sauvage blanc : le mousse Nicolas Pelletier a, semble-t-il (un doute subsistait à l’époque chez certains commentateurs), vécu dix-sept ans chez les Aborigènes d’Australie au 19e siècle après avoir été abandonné par ses compagnons de navigation. Le romancier a pris quelques libertés avec la biographie du marin et a surtout dédoublé la narration en alternant deux voix.
Celle du héros de cette aventure est la première. L’homme blanc recueilli par une peuplade à laquelle il ne comprend rien. Ni la langue, bien sûr, ni les coutumes, ni son propre statut qui n’est pas tout à fait celui d’un prisonnier, mais y ressemble par certains aspects.
Celle d’Octave de Vallombrun lui répond, dans les lettres qu’il adresse au président de la Société de Géographie. Après avoir résumé son ambition de découvreur et ses premiers échecs, il relate sa découverte du sauvage blanc et son éducation. Ou plutôt sa rééducation : Nicolas Pelletier, dont il mettra d’ailleurs un certain temps à découvrir le nom, a perdu l’usage du langage et du comportement en société. Ses travaux emplissent une correspondance qui tourne à l’aigre : la séance au cours de laquelle Vallombrun a présenté l’objet de ses recherches s’est mal passée. Des savants plus préoccupés de leur propre gloire que de géographie ont porté moins d’intérêt à Pelletier que ne l’a fait l’impératrice Eugénie quand elle a souhaité le rencontrer – lui obtenant, dans la foulée, un porte de fonctionnaire au phare des Baleines, sur l’île de Ré.
Le parallèle entre les deux récits est saisissant : Pelletier qui s’habitue peu à peu à sa nouvelle vie contraste avec Vallombrun qui tente de le ramener à sa vie d’avant. Et les questions que se pose celui-ci font tout l’intérêt du roman.