Biographe, Pierre Assouline est habité par ses sujets au
point qu’ils continuent de le hanter. « Je vois encore le monde en géomètre par
fidélité à Cartier-Bresson », écrit-il. On ne s’étonnera donc pas de
le surprendre, dans son nouveau livre, pourtant pas tout à fait une biographie,
à transformer une rencontre de hasard en titre à la Simenon : « l’homme du banc ». On
s’étonnera un peu plus de trouver une rencontre de hasard dans Vies de Job.
L’auteur s’attaque à forte partie. Job, celui de la Bible du
christianisme et du judaïsme, qui apparaît aussi dans le Coran. Une légende, en
somme, mais si bien intégrée à la pensée qu’elle appartient à tous, même si
elle appartient un peu plus à ceux qui ont effectué des recherches sur le
sujet, ou qui se sont pris pour Job lui-même. Ce n’est pas le cas de Pierre
Assouline. « L’empathie a des limites », heureusement pour lui.
En revanche, de limites, sa curiosité n’en connaît pas. Il
puise dans les textes originaux et chez leurs commentateurs au risque de
multiplier les pistes jusqu’à abandonner la forme classique de la biographie.
Conseillé par Carlos Fuentes, qui lui demandait où il en était de son prochain
livre : « Le roman est le roi
des genres. Il les absorbe tous. Il peut tout se permettre car il est fait du
rêve, du subconscient et de la peur de la nuit. Vous pouvez tout y mettre sans
que ce soit jamais un fourre-tout. Allez, autorisez-vous ! »
Roman, donc, pour le genre. Un roman découpé en
entrées numérotées qui ne se contentent pas de se succéder comme des notes.
Celles-ci se répondent, s’articulent au fil d’une recherche obsessionnelle au
cours de laquelle Pierre Assouline expose, mine de rien, sa méthode autant que
ses doutes.
Au terme d’une rencontre avec Pierre Alferi, philosophe et
traducteur récent du Livre de Job, on
apprend ainsi, en même temps que l’auteur, d’où vient son interlocuteur : il
est le fils de Jacques Derrida. « Son
père ? Je ne lui avais pourtant pas demandé s’il était le fils d’un
philosophe. Je l’ignorais car je ne me renseigne jamais avant de rencontrer un
inconnu. Mains dans les poches, nez au vent. Plus encore maintenant qu’avant,
car, sachez-le, nous vivons désormais un temps où l’on vous googlise
systématiquement avant d’aller vers vous, de manière à éliminer le doute. Ce
faisant on tue le mystère. »
Sans doute cette manière d’arriver désarmé laisse-t-elle à
la conversation plus de chances de prendre des chemins inattendus. Au prix de
quelques risques, comme lors d’une émission de deux heures sur France-Culture
au cours de laquelle Pierre Assouline recevait un peintre que, fidèle à ses
principes, il n’avait pas rencontré pour préparer le direct. L’invité se révéla
presque silencieux, adepte de commentaires en formes de sourires ou de
haussements de sourcils, « ce qui en
radio est assez transparent »…
Oui, il arrive qu’on s’éloigne de Job dans ce livre. Mais
c’est pour mieux y revenir, puisqu’il n’est jamais absent des pensées de
l’écrivain. Son existence se rappelle à lui même quand il voudrait se détendre,
au cinéma par exemple. Il va donc voir le dernier film de Woody Allen, pendant
lequel le personnage central lâche ces mots : « J’ai été élevé dans une maison religieuse, la femme de Job était
ma préférée pour avoir choisi la mort plutôt que l’obséquieux consentement à
Dieu de son masochiste de mari. »
Job est partout, décidément. Surtout après la lecture d’un livre pétillant
d’une telle intelligence.
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