Le Londres-Louxor aurait mérité d’exister. D’ailleurs, si Jakuta Alikavazovic en a fait le
titre et le lieu d’un livre, c’est qu’elle y a trouvé – ou placé – un pan
d’histoire européenne, une architecture magique et ténébreuse, des destins
croisés aux issues incertaines, bref, une matière formidable dont on s’éprend
comme d’une ombre longtemps poursuivie.
Le Londres-Louxor, tel qu’il est présenté, est un cinéma de
style néo-égyptien construit à Paris en 1920. Il a connu des époques plus ou
moins glorieuses. Des faits divers étranges se sont déroulés entre ses murs, on
y a retrouvé une fausse momie qui était un vrai cadavre, des films
pornographiques y ont été projetés, la diaspora yougoslave finit par l’occuper
en 1994 comme on embarque sur un radeau à la dérive mais moins dangereux que
Sarajevo où les obus tombent pendant presque quatre ans à raison de trois cent
vingt-neuf par jour en moyenne…
Esme Vitch est une habituée. Quand elle entre au
Londres-Louxor, elle évite l’escalier monumental qui ne conduit nulle part. La
veille, elle est passée à la télévision pour un livre qu’elle a signé et pas
écrit, encore plus transparente que lors de ses autres prestations en raison
d’une nouvelle teinture blonde. Aujourd’hui, elle cherche Ariana, sa sœur, qui
a disparu après le vol de quatre tableaux à la Fondation Bührle, à Zurich. Monet,
Degas, Van Gogh, Cézanne…
Esme, présente, et Ariana, absente, sont les deux pôles
entre lesquels s’est constitué un monde d’individus vaguement louches, aux
activités indéfinissables, qu’on croirait sortis d’un roman de Modiano si
celui-ci avait eu des origines européennes plus orientales.
On rencontre l’oncle qui a recueilli les deux sœurs, âgées
de six et huit ans, à la descente du dernier avion parti de Sarajevo, en 1992.
Il est arrivé à Paris à dix-neuf ans, trente ans plus tôt, en artiste
d’avant-garde, donc d’opposition. Il a fini décorateur et a travaillé au
Londres-Louxor. Où les autres se regroupent. Un mime ivrogne, peut-être
mexicain, qu’on appelle le Mime. Il ne paie jamais ses verres de mezcal, ce
serait le Vice-Président qui paierait la note.
Arrive Anton Tremain, échotier de talent qui publie des
entrefilets fielleux sur Esme, puis en tombe amoureux. Il se retrouve au
Londres-Louxor sans rien comprendre à la faune locale, et encore moins à leur
appartenance « balkanaise ».
Mais Anton est prêt à aider Esme à retrouver sa sœur, quoi qu’il
advienne.
Et il advient quantité de surprises, abruptement. Elles
forment dans le roman un chemin hasardeux, chaotique, à l’image de
l’architecture labyrinthique de l’ancien cinéma. Il règne un parfum de thriller
à la trame lâche. On vous dira d’autant moins comment cela finit que le flou
subsiste au-delà de la dernière page. C’est très bien ainsi.
Jakuta Alikavazovic avait reçu la Bourse Goncourt
du premier roman pour Corps volatils,
paru en 2008. Elle passe avec brio le cap du deuxième (et même, depuis, du troisième avec La blonde et le bunker). Son imaginaire a
probablement germé, pour partie au moins, à l’endroit de ses origines – elle a
de la famille à Sarajevo. Et sa fantaisie est portée par une écriture si
précise que tout a l’air vrai. Il faut donc le rappeler : le
Londres-Louxor n’existe pas. Même si on s’y croit.
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