Le romancier chinois Mo Yan était le favori avec le Japonais Haruki Murakami, c'est le premier des deux qui reçoit donc le prix Nobel de littérature cette année. Il est né en 1955, de nombreux livres ont été traduits en français, dont Le veau, suivi de Le coureur de fond qui vient de paraître la semaine dernière, en même temps que la réédition au format de poche de Grenouilles. Son livre le plus connu est Beaux seins, belles fesses, mais c'est de La dure loi du karma que je vais vous parler, parce qu'il faut bien choisir - et parce que je l'ai lu.
Un demi-siècle de changements
dans un village de Chine. Les réincarnations successives de Ximen Nao : à
partir de 1950, année de sa mort, il devient âne, bœuf, cochon, chien, singe,
avant de renaître en enfant. La présence constante de Mo Yan en personnage de
son propre roman, auteur de textes qui éclairent le récit – ou l’obscurcissent
– et type bizarre, petit drôle, canaille, petit garnement, petit diable,
non-conformiste, on en passe. Plus de sept cent cinquante pages foisonnant
d’anecdotes, d’action, de dialogues, d’incises, partagées entre plusieurs
narrateurs et conclues par Mo Yan qui reprend la main pour répondre au souhait
des lecteurs « de voir comment tout
se termine. » S’il s’agit bien d’une fin…
La dure loi du karma est un
roman total dans lequel s’inscrivent les vies successives d’un individu mais
aussi celles des habitants du village et, à travers eux, l’évolution d’un
immense pays. Ximen Nao, propriétaire terrien qui n’a rien à se reprocher, est
condamné à mort pour des raisons politiques incompréhensibles à ses yeux. Lan
Lian, son valet, héritera de l’âne dans lequel il retrouve l’âme de son patron,
ainsi que d’un caractère individualiste qui fera de lui le dernier paysan
indépendant d’une commune collectiviste. Bien des personnages ont des noms dont
la traduction reflète fidèlement les événements de la deuxième partie du 20e
siècle : Libération, Entraide mutuelle, Coopération, Tigre, Combattre
l’Amérique, Ouverture, Réforme…
La construction romanesque
propose une vision qui va du particulier au général. Rien de mécanique dans ce
vaste projet dont les fondements disparaissent parmi des scènes d’une grande
drôlerie. Excessif, La dure loi du karma
rebondit, de chapitre en chapitre, des travaux des champs à une dispute, d’un
feu de camp à une réunion de hauts fonctionnaires, d’une castration à une
chasse aux sangliers… La variété des événements se décline presque à l’infini.
Malgré la vitesse du récit et
le nombre de voix qui s’y font entendre, le romancier ne perd jamais de vue le
fil autour duquel tout s’articule : les formes animales endossées par
Ximen Nao. Celui-ci ne perd pas une occasion de manifester les talents
particuliers que lui donnent les espèces dans lesquelles il se transforme.
Soumis à la fois aux instincts de ses races et à ce qu’il connaît du monde
grâce à son passé d’homme, il combine les deux aspects pour jouer souvent les
trouble-fête dans un milieu social où on n’attend guère ses réactions au début
de chaque réincarnation. Avant que les sentiments envers lui se partagent entre
affection, pour ceux qui ont bénéficié de ses actes, et méfiance ou haine, pour
les autres.
Les commentaires émis par les
animaux habités par lui sont savoureux. Ils interviennent en constant décalage
avec le cours d’un roman dont ils brisent le rythme tout en l’infléchissant
parfois dans des directions inattendues.
Mo Yan,
la cinquantaine, a publié beaucoup plus de livres qu’il ne compte d’années. Son
écriture frénétique l’a poussé plusieurs fois vers des romans épais. Celui-ci
est dans sa norme. Son tempérament frondeur lui a valu aussi quelques ennuis
avec la censure. En d’autres temps, La
dure loi du karma en aurait probablement subi les foudres. Il est un
romancier en liberté, lâché sur un vaste espace dont il n’a pas fini d’explorer
les recoins.
Bonjour, je suis un petit blogueur algérien, et je suis avec beaucoup d'intérêt votre blog. Je sais que vous aviez lu ce livre, car vous aviez parlé dans un des numéros de C'est dans la poche (que j'imprimais et collectionnais), et j'avais découpé le petit article sur ce livre ci, pour pouvoir un jour l'acheter). En Algérie, les librairies fonctionnent de manière aléatoire, et rarement possible de pouvoir commander un livre. Vous serait-il possible, de m'envoyer ce livre par colis postal, je pourrais en échange vous envoyer un livre édité en Algérie...
RépondreSupprimerAmicalement
Labib Dadi
Bonjour,
SupprimerJe ne suis pas, côté librairies, beaucoup mieux loti que vous. Peut-être est-ce même pire: je vis à Madagascar. J'ai donc beaucoup ri quand j'ai vu qu'au Mexique, il n'y a qu'une librairie pour 250.000 habitants - vu d'ici, c'est beaucoup.
Bien à vous,
Pierre