Eté 2003 : le Festival d’Avignon, gagné par les grèves
des intermittents du spectacle, est une vraie pagaille. Le In est annulé, le Off se
déchire entre les partisans d’un arrêt complet des représentations et ceux qui
croient au théâtre comme la meilleure arme contre tous les pouvoirs. Odon
Schnadel le pense et tient à donner la pièce de Paul Selliès, auteur inconnu –
et mort – qu’il monte cette année. Tant pis s’il doit aller contre ses
principes et fermer les portes aux manifestants qui cherchent à interrompre le
spectacle.
Claudie Gallay a choisi une atmosphère de confusion après Les déferlantes, le roman qui l’a fait
connaître du grand public et dont le contexte était plus paisible. L’amour est une île, comme Avignon peut
sembler être une île quand on s’en éloigne – ou quand on vit, comme Odon, sur
une péniche. Mais Avignon est surtout ici le lieu d’affrontements publics et
privés.
Côté public, les médias en avaient largement rendu compte à
l’époque et Claudie Gallay fait l’économie des détails, se contentant de
quelques descriptions marginales pour nous remettre dans l’ambiance.
Côté privé, les nœuds du roman placent face à face des
personnages entre lesquels les mensonges pèsent lourd. Odon Schnadel se trouve
à mi-chemin de deux femmes qui ont bien des raisons de se détester.
Mathilde, qu’on appelle maintenant la Jogar, a été l’amour
de sa vie. Elle l’est peut-être encore. De retour à Avignon après cinq ans
d’absence pendant lesquels sa carrière a explosé, la transformant en star, elle
revoit certains de ses proches, qui craignent un peu les effets du succès sur
son attitude. Elle croise Odon, d’abord de loin, comme avec inquiétude. Il n’y
a pas eu que de l’amour entre eux mais aussi le don d’un texte que Mathilde a
retravaillé pour le faire sien et qui a été à la base de son succès.
Marie, l’autre femme, n’appartient pas au milieu artistique.
Elle est venue au Festival parce qu’elle avait vu à l’affiche une pièce de son
frère, Paul Selliès. Elle ne connaît pas Nuit
rouge. Elle se souvient en revanche d’avoir dactylographié un autre texte, Anamorphose, que Paul avait envoyé à
Odon Schnadel. Pris par d’autres activités, celui-ci avait trop attendu avant
de téléphoner à l’auteur, qui entretemps était mort dans des circonstances que
Marie lui expliquera.
Marie, personnage torturé qui se livre en permanence à un
rite d’automutilation, cherche un responsable de la mort de Paul. Elle en
trouvera plusieurs, avec une circonstance aggravante : ils ne ressentent
aucune culpabilité.
Claudie Gallay installe lentement les éléments d’un drame qui prendra,
au final, des proportions inattendues. Elle joue avec les codes du théâtre,
oppose la bonne foi à la ferveur créatrice. Et manque un peu sa sortie, trop
démonstrative pour qu’on croie à sa sincérité. Mais elle a, pendant la plus
grande partie du roman, touché les plaies et partagé les douleurs.
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