lundi 30 novembre 2015

Pourtant, elle tourne

Tu t’absentes deux semaines de la capitale où tu vis. Avec le génie des emboîtements qui te caractérise (formation Lego ?), tu as réussi à caler ces quinze jours dans une période où l’actualité littéraire s’annonce calme (et où la compagnie aérienne nationale, qui assure les vols intérieurs, respecte à peu près ses horaires). Bien sûr, on ne peut pas tout prévoir. Plus tôt dans l’année, tu étais à peine arrivé dans une autre ville que Günter Grass mourait… Tu gardes donc l’esprit en éveil et la connexion wifi à portée de portable. D’ailleurs, tu as un certain nombre d’articles à écrire et, quand tu pars, le dimanche 15, tu n’oublies pas que les lycéens annoncent leur lauréat Goncourt deux jours plus tard. Tu as lu tous les romans de la sélection.
Tu es prêt. Tu peux y aller.
Quand tu arrives, il fait chaud. C’est normal, rien à voir avec la catastrophe climatique annoncée. Tu apprécies. Dans la grande chambre du vieil hôtel où tu as tes habitudes, et où il n’y a toujours pas de wifi, tu t’installes. Le gardien connaît tes besoins : de la seule table dans la pièce, il enlève le poste de télévision, tu y installes ton ordinateur (il est presque neuf), une tablette, un disque dur externe, un téléphone, tes lunettes, trois livres papier, deux clés USB, deux autres pour d’éventuelles connexions 3G+, des câbles, des cigarettes, deux briquets.
Tu es mieux que prêt.
Et, à une dizaine de milliers de kilomètres de Paris qui tente de panser ses plaies, à un millier de kilomètres de chez toi seulement, tu prends tes marques, ton rythme, tu travailles, revois des potes perdus de vue depuis l’année précédente (pas tous, il y a en a que tu vois plus souvent, il y en a qui ont disparu entre-temps). Les livres que tu lis, généralement pour écrire autour d’eux, ne sont pas différents de ce qu’ils sont à Tana ou à Paris. L’actualité littéraire, elle, te parvient comme assourdie. Mais elle te parvient.
Le Goncourt des Lycéens est reporté à une date ultérieure, comme beaucoup d’autres événements culturels. Quand tu apprends enfin qu’il sera remis le 1er décembre, tu souris : tu seras rentré la veille et auras retrouvé un environnement mieux adapté. Puis ton sourire se transforme en grimace : c’est le même jour que le Prix Rossel, organisé par Le Soir, il faudra donc prévenir pour qu’il y ait un peu de place quand même dans les pages culturelles. La cuisine intérieure ne s’arrête jamais.
Au Goncourt des adultes, qui a bien fait décidément de miser cette année sur le formidable roman de Mathias Enard puisque, contrairement aux esprits chagrins qui prédisaient un flop en librairie pour Boussole, réputé peu accessible au lecteur moyen (l’acheteur du Goncourt annuel ?), ses ventes se portent bien, au Goncourt des adultes, donc, Régis Debray démissionne. Pourquoi est-ce que ça te laisse presque indifférent ? (Comment disait Chirac, déjà, ça m’en touche une sans faire bouger l’autre ?) Tu sais en revanche que tu attendras avec intérêt le nom de son remplaçant ou de sa remplaçante. Il n’y a pas assez de femmes dans le jury, ce sera donc une femme. Si la logique est respectée. Mais la logique, en la matière…
Dans ton agenda, tu n’avais pas noté le Renaudot des Lycéens. Le voici pourtant attribué, à Alice Zeniter pour Juste avant l’oubli (Flammarion), que tu venais de commencer après avoir cherché en vain, depuis le début de la rentrée, les heures nécessaires à sa lecture. C’est bien, ce roman, c’est donc bien qu’il n’ait pas été tout à fait oublié dans les palmarès.
Sorj Chalandon reçoit le Prix du Style pour Profession du père (Grasset). Tu lui avais consacré un article louangeur, encore une occasion de se réjouir. Comme du Prix du meilleur livre étranger pour Martin Amis (La zone d’intérêt, Calmann-Lévy) dans la catégorie roman, puisque tu n’avais pas compris les articles qui s’en prenaient à un ouvrage dont tu avais apprécié le burlesque iconoclaste. Dans la catégorie essai, c’est Christoph Ransmayr qui est couronné (Atlas d’un homme inquiet, Albin Michel), tu ne peux que regretter de ne pas l’avoir lu…
Lire et Le Point ont choisi leurs meilleurs livres de l’année. Sous le signe du courage et de l’air du temps mauvais, les deux magazines ont élu, tous genres confondus, 2084, de Boualem Sansal (Gallimard). Lanceurs d’alertes, il est des vôtres, d’ailleurs Michel Houellebecq l’avait dit, dont Soumission (Flammarion) n’est retenu que par Le Point.
Les deux listes (20 livres dans Lire, 25 dans Le Point) présentent quelques analogies. On trouve dans l’une comme dans l’autre Cosmos, de Michel Onfray (Flammarion), Vernon Subutex, de Virginie Despentes (Grasset), Tout ce qui est solide se dissout dans l’air, de Darrah McKeon (Belfond).
Dans la liste de Lire, tu choisis Evariste, de François-Henri Désérable (Gallimard). Dans celle du Point, Americanah, de Chimamanda Ngozi Adichie (Gallimard aussi, pure coïncidence).
La rubrique nécrologique, elle non plus, ne s’arrête jamais. Tu avais prévu de la prolonger en lisant, récemment paru dans la collection Points, Mankell (par) Mankell, de Kirsten Jacobsen, un livre seulement parcouru au moment de la mort de l’écrivain suédois. Et voilà qu’un autre ouvrage tout frais dans la collection, Point Dume, de Dan Fante, te saute aux yeux quand tu apprends la mort du fils de John Fante. Puis, non, il n’est pas mort. Puis, oui, finalement, il a succombé. Annonce en sursauts, lecture quand même. Tu n’as pas perdu ton temps.
Et c’est ainsi que la Terre tourne pourtant, même quand tu ne la regardes pas tourner. Demain est un autre jour, comme on dit ici. (Un film réalisé par deux amis a pris ce titre, vous le trouverez sur YouTube, vous comprendrez mieux.)

A demain, donc.

lundi 16 novembre 2015

Sur la piste d’un mythe littéraire

Mykonos, Palerme et Formentera. D’Est en Ouest, presque une ligne droite – avec le soleil pour témoin. Mais le roman de Jean-Hubert Gailliot couronné par le Prix Wepler-Fondation La Poste, s’il s’intitule Le Soleil, fait moins référence à l’astre, présent malgré tout, qu’à un étrange manuscrit sur la piste duquel Alexandre Varlop, un narrateur grassement payé, a été lancé. La piste passe par les lieux que nous énumérions. Elle passe surtout par les noms de trois créateurs majeurs du siècle dernier, qui auraient été influencés par sa lecture : Man Ray, Ezra Pound et Cy Twombly. L’auteur du texte est inconnu. Mais il s’agirait, si ce manuscrit existe, d’une sorte d’absolu littéraire. De quoi mettre en appétit, en effet, les amateurs d’œuvres d’art sortant de l’ordinaire.
La quête est conduite paresseusement. Alexandre suit néanmoins le fil de ses découvertes, en passant par quelques moments intenses. Le sommet est atteint au De Filippis Non Stop Surrealistic Cabaret de Palerme, où un spectacle hors du commun met en scène une énorme masse de chair informe qui se divise et se reconstitue en de monstrueux accouplements. L’hystérie sexuelle gagne la salle. Un peu moins le lecteur, en raison de la longueur de l’épisode dont l’intérêt finit par diminuer.
Le reproche peut être fait à l’ensemble du livre. Trop souvent, l’écrivain se sent si bien qu’il fait durer les choses, bascule de la narration à la contemplation et son bonheur n’est pas complètement partagé.
Pourtant, quel sujet ! Et que de découvertes à faire avant de lever tous les mystères du manuscrit ! On a beau être freiné par certaines pages, on va jusqu’au bout. Et on ne le regrette pas.

dimanche 15 novembre 2015

14-18, Albert Londres sous le feu ou le poignard



À travers la Serbie envahie de tous côtés

(De notre envoyé spécial.)
Salonique, 5 novembre.
Arrivée le 8 novembre.

Quand j’avais quitté Nisch, quelques drapeaux oubliés par le vent et les hommes flottaient encore aux fenêtres. Or, maintenant, les volets sont clos, la seconde capitale, qui est à la fois le but des envahisseurs du Nord et celui des envahisseurs de l’Est, est presque vide.
Toute la journée, j’ai rôdé dans ce silence, et à la nuit je me suis dirigé vers la présidence du Conseil. Vide, le chemin qui m’y conduit ; vide, le pont de fer qui enjambe la Nichava, toujours boueuse ; vide encore, et vide le bâtiment où je pénètre. Mes pas résonnent dans l’escalier, dans le couloir et devant la porte de M. Pachitch. Rien, pas un garçon. Une large caisse scellée est seule dans l’antichambre. Son secrétaire, M. Gabrilovitch, sort de son cabinet. Il est des minutes où des gens se jettent dans les bras de quelqu’un qu’ils ne connaissaient pas la veille ; M. Gabrilovitch se jette dans les miens.
Le visage du secrétaire du président du Conseil reflète toute la tragédie où sombre son pays. Je lui dis : « J’ai vu ce que font les vôtres. Où puis-je envoyer mes dépêches ? » — « Je me le demande », répondit-il. — « Croyez-vous que j’aie le temps d’aller les mettre à Bucarest et de revenir ? » — Vous pouvez encore aller à Bucarest en partant immédiatement. Je ne vous promets pas que vous puissiez en revenir. » — « Puis-je aller à Salonique pour l’instant par Pritchina ? » — La route est libre, je doute fort qu’elle le soit quand vous arriverez à Pritchina. » — « Alors, vous êtes assiégé ? » — « Nous le sommes. Une seule route pas très sûre nous relie au monde, c’est à travers les montagnes de l’Albanie ; cinq jours de cheval. » C’est celle, comme vous le verrez, que j’ai été forcé de prendre.

Le vide de Nisch

M. Gabrilovitch me regarde et me dit : « C’est vide ici. Tout le monde est parti, nous ne restons qua cinq : le président, Iovanovitch et trois secrétaires. » Il reprend, le corps penché comme s’il souffrait : « Nous avons vécu des heures tragiques, nous avons vu le couteau s’approcher de notre gorge ; il ne nous a pas été permis de nous précipiter en avant pour l’arrêter…
» La Serbie se meurt, monsieur, nous n’avons de reproche ni dans le cœur, ni dans l’esprit. Nous resterons fidèles à nos amis jusque dans la famine et dans la mort. »
La physionomie, le maintien, la résolution de ce Serbe, me remuèrent dans mes profondeurs. Sur ce visage nerveux, crispé, on sentait passer l’angoisse comme parfois dans les yeux on voit venir des larmes.
À ce moment, un homme, la tête penchée, la longue barbe blanche pendant sur son manteau, apparut montant l’escalier ; c’était M. Pachitch. Nous sommes devant sa porte, pas un huissier pour la lui ouvrir. Je ne sais plus, tant l’heure est triste, si je dois lui adresser la parole. Nous n’avons pas pu faire davantage que de nous serrer seulement la main.
Je pénètre dans une salle nue et noire. M. Iovanovitch, ministre-adjoint des Affaires étrangères, doit me recevoir. Il me rejoint dans la pièce noire, il a sa main dans sa poche, et, la figure douloureuse, me montrant la pièce vide et sans lumière, la pièce où il n’y a pas un siège, il me dit : « Excusez-nous. »
C’est un des mots les plus tragiques que j’aie entendus.
Sur un des murs de cette pièce, une carte du royaume est épinglée. Toujours la main dans sa poche, M. Iovanovitch s’en approche. Ensemble, nous regardons à l’est, au nord, à l’ouest. Puis passant son doigt sur l’Albanie, il me dit : « Allez, monsieur, et bonne chance. » – Je sortis, pas un soldat ne montait la garde. La Nichava était encore plus sombre et si j’avais les yeux secs c’est qu’on ne peut tout de même pas toujours pleurer.

Les fugitifs

Le lendemain je monte dans un camion qui doit me rouler 70 kilomètres. Au bout de cela je trouverai des chars à bœufs et des chevaux. Dans trois jours je dois être à Pritchina. Arriverai-je avant que les Bulgares aient coupé la ligne d’Uskub à Velès ? C’est dans ce trajet que je vis la Serbie souffrir et marcher dans les vallées et les montagnes.
Les nouvelles recrues, à pied, sous la boue, par bandes, leur pauvre nourriture au dos, rejoignaient à cent ou deux cents kilomètres des casernes qu’ils n’étaient pas certains de trouver aux mains des Serbes. Il pleuvait, il a plu pendant mes dix jours de voyage. À chaque instant l’eau coupait la route, les recrues s’étaient résignées à quitter leurs chaussures comme des chemineaux, comme des mendiants. Les futurs soldats de la Serbie s’en allaient pieds nus.
Il n’y avait pas que les recrues, une autre triste théorie, triste jusqu’à la mort, marchait aussi. C’étaient les prisonniers autrichiens. La Serbie, alors qu’elle était force à force, il y a un an, à la victoire de Roudnik, a fait soixante-dix mille prisonniers. Pensez à cette armée de deux cent mille hommes qui fait soixante-dix mille prisonniers. Elle les a nourris jusqu’à présent, maintenant elle ne peut plus, la famine est à ses portes, elle veut bien la supporter, mais elle, seulement. Elle s’est tournée vers l’Angleterre, elle lui a dit : « Prenez-les moi. » L’Angleterre a dit : « Je les enverrai en Écosse » ; et, dans la boue de la Serbie, ces malheureux qui montraient naïvement la photographie de leurs amours, comme tout ce qui leur restait, marchent vers l’Écosse.
Je rentre en Macédoine, et en trois jours, et trois jours à pied et en chars à bœufs, je la traverse à moitié. Tout le long du chemin, des tombes : des musulmanes, des catholiques ; ce sont celles des dernières guerres et des massacres périodiques. La terre est grasse, les corbeaux d’ici sont deux fois plus gros que ceux de nos campagnes.
Et voilà des gens qui fuient, mais ils fuient en tous sens ; ceux du nord vers l’est, ceux de l’est vers le nord. Pressés de tous côtés, ils s’arrachent d’une canonnade pour se rejeter dans une autre.
Depuis Nisch, quatre jours se sont passés. Me voici à Pritchina. Trop tard.
Les Bulgares ont occupé Uskub. Je dois sortir par l’Albanie. Je gagne la gare à sept kilomètres. J’irai passer cette nuit à Ferrijovitch, sur la ligne d’Uskub. Au quartier général du général Boiovitch, seuls les trains militaires fonctionnent ; dans un fourgon, avec les soldats, j’attends le départ. Le soir descend, nous sommes en face de la plaine de Kossovo ; la plaine historique de la Serbie, celle où il y a six siècles le petit État perdit son indépendance, celle qui permit aux Turcs de gagner le Danube.

Mélancolie sublime du chant serbe

Les soldats chantent. Les chants des Slaves n’ont rien de commun avec les nôtres, ce sont des plaintes. Le soir descend et ils chantent, ils disent :
« Nous chantons pour que la montagne ressente notre chant guerrier. »
Ils disent encore :
« Camarade, je suis blessé, annonce à ma mère que je suis mort pour qu’elle excite mieux mon frère à me venger. »
Ils disent encore, et cela c’est leur fameuse chanson :
« Quand finira-t-elle cette nuit sanglante où tu es parti, ô mon bien-aimé, pour le grand combat. »
Ceci, ce ne sont que les paroles, mais si vous entendiez l’air ; l’air semble vous envelopper le cœur dans un linceul.
À huit heures, j’arrive à Ferrijovitch. Le quartier général est dans le train, c’est celui qui fait face au front bulgare d’Uskub. À peine ai-je fait vingt pas entre les voies que j’aperçois quatre homme emportant un autre mort ; le mort, c’est le colonel Doucham Glinich. Il vient de se suicider parce qu’il était trop malade et qu’il ne voulait pas assister impuissant à la fin de son pays.
On m’introduit dans le train, je vois le général Boiovitch, il me donne l’hospitalité, la machine accrochée chauffe sans cesse en pleine nuit ; s’il est besoin, il faut pouvoir partir sur le tronçon de ligne qui reste.

Sur le front albanais

La nuit fut sans alerte. Au matin, par un camion automobile, je gagne Prizrend ; c’est là que commence le troisième front, le front albanais. Prizrend est en état de siège, les Albanais ne peuvent plus sortir de la ville, on leur a enlevé la possibilité d’aller s’entendre avec les leurs. C’est assez que l’on ne puisse pas arrêter la nuit les feux sur les montagnes, c’est assez que l’on ne puisse pas pénétrer dans les mosquées pour y chercher les armes cachées.
Ceux d’ici, comme ceux de toute la région que nous allons parcourir, n’attendent que le signal pour se soulever contre les Serbes, et le signal ce sera l’avance des Bulgares sur Pritchina, sur Prizrend et sur Monastir.
Je quitte Prizrend, je vais entrer dans l’Albanie officielle, je vais plutôt y descendre, car la route pique droit. Ainsi j’atteins le premier poste serbe, Liuma, où, parmi les montagnes de rochers, va débuter ma randonnée à cheval. Le Congo est plus civilisé que l’Albanie. Si l’on ne voyait pas ce pays barbare et inaccessible cela dépasserait l’esprit qu’il y ait en pleine Europe une colonie de sauvages, un peuple qui n’a pas d’alphabet. Les Albanais s’appellent « Skipetars », fils d’aigle, ils ont plutôt l’air de fils de buse. Ils ont des villages où, dans chacun, se dresse une espèce de château fort ; c’est la redoute du plus riche pour qu’il puisse se défendre quand ses voisins se réunissent pour l’attaquer. Les maisons n’ont pas de fenêtre, elles n’ont que de petites ouvertures pour passer le fusil, ce n’est pas même le moyen âge, c’est le premier âge ; mais passons, passons, ne décrivons pas…
J’arrive à Dibra, j’y arrive juste au moment où le colonel, en toute hâte, envoie quatre cents hommes.
Entre Tetovo et Kitchevo, une bande de 300 comitadjis bulgares et albanais marche en armes ; c’est le commencement. Les Serbes sont réellement pris de front et des deux flancs ; c’est étouffés qu’ils mourront.
De Dibra à Monastir, en auto, depuis cinq jours que je marchais à travers la piraterie, je ne savais plus rien, aucun écho des batailles ne m’était parvenu.

À Monastir

À dix heures du soir, j’entrais à Monastir, la ville était vide, mais enfin, à dix heures du soir, ce n’est pas un indice d’événements. Je frappe à un hôtel croyant que les réfugiés d’Uskub et de Velès avaient déjà envahi la ville, je ne croyais pas trouver de chambres, l’hôtel était vide.
Premier étonnement ; dans la salle à manger quatre officiers serbes seulement. Eux aussi chantaient :
« Quand finira-t-elle cette nuit terrible où tu es parti, mon bien-aimé, pour le grand combat. »
C’est donc partout la nuit terrible, est-ce qu’elle serait proche d’ici ?
Je laisse les officiers à leur chant, je monte à l’étage, une fenêtre dans le fond du couloir est ouverte. Au-dessus des maisons, au-dessous des arbres, une lueur passe dans le ciel ; ce n’est pas un éclair, ce n’est pas un réflecteur, une autre lueur apparaît un peu plus à gauche, puis deux autres encore plus à gauche, c’est dans la direction de Prilep, ce sont les feux des quatre pièces d’une batterie. Je n’entends pas le bruit du canon parce que le vent ne l’apporte pas, mais il n’y a aucun doute, les Bulgares descendent de Velès sur Monastir ; c’est pourquoi j’ai trouvé l’hôtel vide. La ville, dès hier, a pris peur. Un jeune homme passe dans le couloir, je lui montre les lueurs, c’est le canon, dit-il. Il habitait un village à trois heures d’ici, les paysans l’ont abandonné cet après-midi. Ce sont les Autrichiens, me dit-il, qui avancent. Non, lui dis-je, ce sont les Bulgares ; les Bulgares ! fait-il, effrayé.
Les autorités leur avaient assuré que c’était les Autrichiens pour moins les affoler, car les Bulgares, c’est la femme, l’enfant, le vieillard dans le sang.
À cinq heures du matin, tout ce qu’il y a de voitures à Monastir roule vers la gare ; c’est la panique, c’est la panique parce que s’il y a des Bulgares qui avancent il y en a aussi vingt mille dans la ville ; vingt mille habitants de Monastir sont Bulgares, et quand les autres, ceux de l’armée seront plus près, quand ils auront fait signe, ces vingt mille sortiront et ce sera le massacre. À côté de la guerre, ce sera, comme à Uskub, une double bataille ; une petite au milieu de la grande, et la petite sera plus terrible…
À Belgrade, à Nisch, à Uskub, à Pritchina, Prizrend, à Monastir, en haut, à gauche, à droite, tout est menacé, tout est sous le feu ou le poignard.

Le Petit Journal, 10 novembre 1915

La Bibliothèque malgache édite une collection numérique "Bibliothèque 1914-1918". Au catalogue, pour l'instant, les 11 premiers volumes (d'une série de 17) du Journal d'un bourgeois de Paris pendant la guerre de 1914, par Georges Ohnet (1,99 € le volume). Une présentation, à lire ici.
Et le récit, par Isabelle Rimbaud, des deux premiers mois de la Grande Guerre comme elle les a vécus, Dans les remous de la bataille (1,99 €).

vendredi 13 novembre 2015

Sept pour le Goncourt des Lycéens

Non, non, l'Interallié, hier, ne terminait pas tout à fait la saison des prix littéraires. Il en reste et, parmi ceux qu'on attend encore, le Goncourt des Lycéens est assez important pour ne pas être ignoré. Outre qu'il mobilise un nombre considérable de partenaires et de participants, il a à mes yeux pour vertu essentielle de faire lire des jeunes en les motivant de belle manière.
Bon, l'année dernière, ils avaient choisi David Foenkinos, je ne dirai pas que j'ai applaudi bien fort...
J'espère qu'ils feront mieux mardi prochain, jour de la dernière délibération de leurs délégués. Ils ne discuteront pas, en tout cas, de Mathias Enard, qui avait déjà reçu le Goncourt des Lycéens et qui, bien que présent dans la première sélection du Goncourt (qui sert de base à la liste de lectures), n'appartenait pas aux propositions faites aux jeunes cette année. Il n'a pas perdu au change... Ils ne discuteront pas non plus de la moitié des autres écrivains présents dans cette première sélection, puisque sept d'entre eux ont été écartés: Nathalie Azoulai, Nicolas Fargues, Jean Hatzfeld, Hédi Kaddour, Simon Liberati, Boualem Sansal et Denis Tillinac.
Voici donc ceux qui restent, et parmi lesquels se trouve le Goncourt des Lycéens 2015. Parmi eux, deux lauréates de cette saison, au Décembre et au Renaudot.
Saurez-vous les retrouver?
  • Christine Angot, Un amour impossible (Flammarion)
  • Isabelle Autissier, Soudain, seuls (Stock)
  • Olivier Bleys, Discours d’un arbre sur la fragilité des hommes (Albin Michel)
  • Alain Mabanckou, Petit Piment (Seuil)
  • Tobie Nathan, Ce pays qui te ressemble (Stock)
  • Thomas B. Reverdy, Il était une ville (Flammarion)
  • Delphine de Vigan, D'après une histoire vraie (Lattès)

jeudi 12 novembre 2015

Laurent Binet, Prix Interallié

Je sais que certains trouvent que La septième fonction du langage est un livre potache. Ou même un crime de lèse-majesté parce qu'il s'en prend avec légèreté à quelques figures du monde intellectuel parisien (si c'est bien cela, le monde intellectuel) dont l'une, que je ne nommerai pas aujourd'hui, subit même les derniers outrages.
Il n'empêche, si vous voulez savoir ce que je pense (et, après tout, si vous êtes ici, c'est peut-être pour cela), Laurent Binet est un écrivain qui détourne les codes, qu'il s'agisse des mécanismes de l'Histoire dans son premier roman, HHhH, du récit de campagne électorale dans Rien ne se passe comme prévu ou, cette année, de la mort de Roland Barthes - né il y a aujourd'hui cent ans et à qui Philippe Sollers (aïe! je l'ai nommé!) consacre d'ailleurs un petit ouvrage récent.
Laurent Binet se moque, c'est entendu. Mais pas que. Si vous voulez tout savoir, ou presque, de la manière dont il joue avec le langage, son analyse et ceux qui font métier de l'étudier, ou qui faisaient ce métier dans les années 80, je vous conseille de retourner, dans ce même blog, quelques semaines en arrière, le 1er septembre, jour où le Prix du roman Fnac lui avait déjà été attribué pour ce même roman. J'y reproduisais l'entretien qu'il m'avait donné, par écrit et du Pérou où il se trouvait avant la sortie de son livre, à propos de La septième fonction du langage.

mercredi 11 novembre 2015

Prix du premier roman, la classe ouvrière (reconnaissante?)

Le Prix du premier roman, qu'il faudrait comme bien d'autres mettre au pluriel parce qu'il n'y a pas que le roman français dans la vie d'un lecteur - même si je me suis provisoirement arrêté à celui-là - a été attribué hier. Je vous dirai un peu plus loin de quoi il retourne pour les traductions.
Didier Castino est le lauréat 2015 pour Après le silence, un roman dans lequel un fils recueille les confidences posthumes de son père mort à 43 ans, d'un accident du travail le 16 juillet 1974. C'est-à-dire qu'il les invente, ces confidences, prêtant sa plume à une voix qui s'est tue depuis longtemps, écrasée par les sept tonnes d'un moule en déplacement sur une installation prévue pour en supporter quatre et demie.
Le fils, qui dit: "Je ne suis pas ouvrier et je t'emmerde", mais sans l'agressivité que cette phrase pourrait laisser supposer, et avec au contraire des larmes dans la gorge, coupable d'avoir voté parfois à droite sans que cela s'accompagne du sentiment de trahison, le fils, qui reste fils d'ouvrier quand bien même la mort prématurée de son père lui aurait en quelque sorte permis d'échapper à ce statut et de se hisser dans la hiérarchie sociale, le fils, qui reconstitue, compare et raconte, retrouve les accents qui devaient être ceux du père. Quand celui-ci plaçait sur le même plan - élevé, le plan - Dieu et l'idéal communiste, se battait en syndicaliste contre le licenciement de trois ouvriers étrangers, pour l'amélioration des conditions de travail, fort de quelques certitudes inébranlables qu'il aura fallu sept tonnes de métal pour effacer...
La condition ouvrière a un prix. Il n'est pas très coûteux pour les patrons. Dans le procès qui sera fait aux Fonderies et Aciéries du Midi, presque six ans après les faits, le tribunal déclarera que l'accident qui a coûté la vie à deux ouvriers "est imputable à une faute inexcusable de la direction". Les Fonderies et Aciéries du Midi sont donc condamnées.
Condamnées à verser aux familles des victimes la somme d'un franc symbolique.
Il y a des symboles qui pèsent sept tonnes...

Par ailleurs, le Prix du premier roman étranger a été partagé entre Vanessa Barbara (Les nuits de laitue, Zulma) et Maja Haderlap (L'ange de l'oubli, Métailié).

mardi 10 novembre 2015

Flore flirte avec Sade à Pattaya

On ne dira pas, en tout cas, que les prix littéraires de cette année ont été, dans leur majorité, insensibles à la langue des romans qu'ils ont couronnés.
En reprenant la moitié du palmarès 2015 du Prix de Sade qui avait été attribué le 24 septembre, le Prix de Flore salue peut-être, avec le premier roman de Jean-Noël Orengo, La Fleur du Capital, la description ou plutôt les descriptions du lieu de perdition, ou souvent décrit comme tel, qu'est Pattaya. Cinq personnages, cinq parcours, cinq parties.
Mais, à coup sûr, le Prix de Flore, dont les membres du jury ont mieux que moi trouvé le temps de lire ce gros pavé, ont dû aussi être séduits par une écriture qui tranche avec la monotonie stylistique de bien des livres.
La preuve par le début du prologue, à chacun de voir s'il est tenté d'aller voir plus loin.
«Marly» pourrissait lentement dans la fiction que les autres se faisaient de lui. Depuis son enfance, il était la proie d’histoires invraisemblables dont les narrateurs pouvaient être n’importe qui, un passant qui le regardait comme lui ne se regardait pas, un ami dont il devenait brusquement l’ennemi, un chien flairant en lui une odeur qui n’était pas la sienne et qui aboyait. Les récits n’étaient jamais à son avantage, il était toujours préposé aux mauvais rôles, ceux qu’il n’aurait pas choisis, les fins de parties et les queues de pelotons. Ni héros, ni anti-héros cependant, un simple étranger dans une masse informe où se détachaient celles et ceux qu’il aurait pu être. Au début, il avait bien tenté d’imposer quelque chose d’original. on l’avait recalé dès le premier casting, à l’école primaire. Face au public, il se sentait bizarre, absent, incapable de sortir ses répliques au bon moment, quand l’occasion se présentait. Il était toujours en décalage avec lui-même. On attendait quelqu’un, mais ce n’était pas lui. et si c’était lui, on voulait qu’il soit un autre. Alors, il changea d’attitude. Il ne résista plus. Il observa. Se mettre à la place des autres. Il garda pour lui ses meilleurs textes. Il se mit à rejouer indéfiniment les scènes qu’il avait gâchées. Scènes 1, 2, 3, 20. Actes X, Y, Z. et les intermèdes, les préludes, les décors. Tout un théâtre mental. Il avait découvert ça par hasard, et très vite, tout s’était mis en place, une architecture intérieure bien à lui, un lieu à l’abri, avec ses lustres, ses galeries profondes, étroites et sanguines, parfois chapeautées de voûtes aux clés desquelles brillait une ampoule. eurêka en sous-sol. Théâtre mental.

La mort d'André Glucksmann

Il y a quelques jours, je l'avais vu si jeune et si vivant que la nouvelle m'arrive comme totalement invraisemblable. Jeune, vivant et aux réactions virulentes, c'était, pendant quelques instants, dans la formidable émission que Pierre Assouline a consacrée la semaine dernière à Apostrophes. Et puis, il faut accepter que le temps passe, que l'émission de Bernard Pivot elle-même n'existe plus que dans les archives et les souvenirs. Et qu'André Glucksmann avait 78 ans.
Ma réaction m'étonne un peu car, pour dire la vérité, je me tiens surtout dans les territoires de la fiction et j'ai donc très peu lu le philosophe. Il n'empêche: il appartenait au paysage. Comme je suis incapable de dire une chose à peu près sensée sur cet arbre, là, dont je ne connais même pas le nom, je suis tout aussi incapable de vous expliquer quelle était la pensée de Glucksmann et comment elle a évolué à travers ses écrits. D'autres le feront, je leur fait confiance.
Voilà, je voulais seulement faire part de ma surprise. Prendre la mesure de mes lacunes (car celle-ci témoigne par l'exemple de bien d'autres) et peut-être même de ma bêtise. Un sujet que Glucksmann avait abordé il y a trente ans dans un livre qui portait ce titre, La bêtise, et qui vaut bien la lecture de son premier paragraphe.
En veux-tu, en voilà, les exemples de bêtise croissent, multipliant l'illusion de présenter des cas à un œil qui n'en serait pas puisqu'il observe. Étant donné qu'il n'existe guère de bêtise qui par quelque côté ne soit nôtre, le souci de l'étudier est contrebattu par celui de se protéger, et chacun de prendre à n'importe quel prix ses distances, prêt à imiter Gribouille plongeant dans la rivière pour esquiver la pluie. En la matière, les plus fins connaisseurs seraient demeurés parfaits ignares s'ils n'avaient de leur propre chef failli se perdre corps et âme, en combats douteux et avanies singulières. Le précautionneux loge la bêtise en face, belge quand il est français, à droite quand il se croit de gauche et réciproquement ; mais seuls ceux qui, à leurs risques et périls, l'ont dégustée, la reconnurent intime, murmurante, la boivent saumâtre, en apprécient les sortilèges et la saveur. Ainsi les meilleurs critiques du totalitarisme – Soljenitsyne, Orwell, Souvarine – éclairent leur lanterne à la flamme d'un stalinisme dont ils brûlèrent eux-mêmes. Qui n'a jamais cédé à l'ivresse paraît peu préparé à pénétrer le roman de l'ivrognerie. Tant que je contemple la bêtise comme un fait divers, une aventure qui n'arrive qu'aux autres, ou à moi-même mais sous influence étrangère – j'étais hors de moi, je ne sais plus ce qui m'est advenu –, la subtilité du phénomène m'échappe. Sauf à faire étalage de sa propre suffisance, rien ne sert d'accumuler faits bruts et expériences vécues – est-il sot ! suis-je stupide ! L'exclamation signale l'existence d'un dispositif retors et enveloppé.

lundi 9 novembre 2015

Laird Hunt, Grand Prix de littérature américaine

On aurait tort de se plaindre, bien que les plaintes surgissent souvent: la littérature américaine serait envahissante, monopoliserait le monde de la traduction, se vendrait mieux que toutes les littératures du reste de la planète. D'autant plus que ce n'est pas totalement exact et qu'il faudrait apporter d'énormes nuances à ces jugements à l'emporte-pièce. Qui d'ailleurs, pour un certain nombre d'entre eux, se contentent de reproduire le schéma habituel: ce qui se vend ne peut être de la bonne littérature. Inutile d'insister sur le caractère primaire de telles affirmations.
Un jury de trois critiques littéraires, trois éditeurs et trois libraires vient donc, au mépris des simplifications, de donner en France, pays où se tient tous les deux ans le Festival America (et ce n'est pas sans rapport), le premier Grand Prix de littérature américaine à Laird Hunt pour Neverhome. (Et j'entends d'ici les grincheux: ben, dis donc! on n'a même pas pris la peine de traduire le titre!)
Sans l'avoir lu, je ne vais pas essayer de le défendre. Mais la qualité du jury incite, dans l'ordre, à la clémence, à la curiosité, à l'envie de lire. Lisons donc - le début, pour commencer par le commencement.
J’étais forte, lui pas, ce fut donc moi qui partis au combat pour défendre la République. Je franchis la frontière, quittant l’Indiana pour l’Ohio. Vingt dollars, deux sandwiches au petit salé, accompagnés de biscuits, de corned-beef, de six pommes flétries, de sous-vêtements propres et aussi d’une couverture. Il y avait de la chaleur dans l’air donc je me mis en marche en bras de chemise, le chapeau bien enfoncé sur les yeux. Je n’étais pas la seule à chercher à m’engager et au bout d’un moment, nous étions toute une troupe. Les fermiers nous acclamaient au passage. Nous donnaient à manger. Leur meilleure place à l’ombre pour nous reposer. Ils jouaient pour nous de leurs violons : enfin tout ce que vous avez entendu dire sur les commencements, même si un an déjà avait passé depuis Fort Sumter, et que la première bataille de Bull Run avait eu lieu, que Shiloh avait emporté son lot d’âmes, et que c’en était fini des commencements, et pour de bon.

Melville lauréat du Wepler, avec Pierre Senges

Les derniers prix littéraires de la saison puisent des arguments chez des écrivains venus de loin. Nathalie Azoulai avait réveillé des échos raciniens dans le jury du Médicis, Pierre Senges a secoué le jury du Wepler-Fondation La Poste à coups de baleine blanche melvillienne...
Je suis très malheureux, pour tout dire j'ai même un peu honte de n'avoir pas lu encore (heureusement, la rentrée de janvier prochain laisse une huitaine de semaines de répit pour compléter les lectures manquantes de la rentrée) Achab (séquelles), qui avait pourtant déjà reçu le Prix de la page 111 - mais je fais un blocage dès qu'on teste un livre sur une seule page ou qu'on lui donne un prix sur la même base étroite, pyramide inversée qui risque bien de se casser la figure si la pointe et ce qui la surmonte ne sont pas soutenus par quelque chose de plus sérieux, c'est-à-dire une lecture complète de l'ouvrage. Ce qui, dans le cas qui nous concerne, entraîne à 624 pages, pourquoi pas? Je revendique l'extension du domaine des journées de lecture, ce sera tellement plus simple.
A défaut de vous dire ce que j'en pense, et malgré un a priori favorable - ce que j'ai lu de l'auteur, ce que j'ai lu de ce que d'autres ont écrit sur le livre, ce prix qui n'est pas, cette fois, attribué sur une seule page -, je vous en glisse subrepticement les premières lignes.
Acharnement et clapotis – le naufrage selon les rescapésMoby Dick, vous connaissez ? la baleine blanche, les clapotis, le monstre apparu, disparu, éclaboussant chaque fois qu’il se cache – d’ailleurs, toute cette histoire de chasse terminée par un drame, ça vous rappelle quelque chose ? les personnages, les figurants, les accessoires, les clous forgés et les clous découpés. Et le décor ? l’inévitable décor d’océan se donnant comme panorama et comme infini contenant : mille millions (un petit peu plus) de kilomètres cubes d’eau salée mêlée de chair humaine et de poissons en proportions inégales, et là-dedans des harengs frais, des requins-marteaux, des baleines à nez de bouteille et des marsouins hourra, des baleines à tête d’enclume, des poissons-clowns, des poissons-chats, des hippocampes comparés quelque part à des allumeurs de réverbère, des bélugas, des huîtres perlières, d’autres qui ne le sont pas, ne le seront jamais, et se sont fait une raison, des baudroies, des encornets, les restes de la croisade de 1212, les théières de vermeil destinées au roi Charles d’Angleterre coulées en 1633 entre Burntisland et Leith – théières suivies dans l’ordre (à travers un fond trouble) de pianos droits, de lingots d’or ou plus sûrement de pioches de chercheurs d’or bredouilles, de pantoufles et chemises de nuit, extraits de naissance, avis de décès, jeux d’échecs, grille-pain, portes tambours, brosses à reluire, jetons de téléphone, bibles traduites en cent vingt langues, Grand Albert et Petit Albert, livres de bonnes manières, banjos, trompettes, harmonicas, fausses couronnes du roi Richard III, casquettes de marin, fraises élisabéthaines, pages brûlées de Nicolas Gogol, buste de Tibère, cafetières italiennes et cafetières américaines, un Catalogue systématique des mammifères marins, des partitions de Jerome Kern, un livret d’Oscar Hammerstein, un gramophone, un Betta splendens (un parmi des milliers), un clystère, le pendentif de Rita Flowers, le diadème du Toboso, une trousse de toilette ayant appartenu à Josef von Sternberg, une autre à Erich von Stroheim, l’épave complète du Chancewell, les images perdues de A Woman of the Sea, les espadons manqués par Hemingway, les habits démodés du signor da Ponte, l’épave du bateau d’Abissai Hyden, tous les ingrédients du cocktail Manhattan hélas trop éloignés l’un de l’autre, des téléviseurs, des machines à laver, un petit traité sur l’immortalité qui n’a pas dû convaincre grand monde, la pique d’un violoncelle et x couronnes de fleurs en hommage aux marins noyés.
Il faudra le lire, mais ça a déjà de la gueule, après quelques lignes, non?
La mention spéciale du Prix Wepler-Fondation La Poste va, elle, à Lise Charles pour Comme Ulysse, ce qui n'est pas non plus étranger à des réminiscences littéraires anciennes. Celui-là, je l'ai lu, j'en ai même regardé les dessins.
Attention : littérature addictive. Adolescente délurée mais perdue aux Etats-Unis après y avoir été abandonnée par sa sœur aînée, Lou, ou Loo, ou peu importe comment elle s’appelle au gré des rencontres, décrit ses expériences au fil d’une écriture illustrée et libre. Elle coule comme une eau indispensable à la vie, on se laisse aller aux digressions les plus saugrenues comme si elles nous appartenaient. Un miracle d’équilibre fragile.

samedi 7 novembre 2015

14-18, Albert Londres évalue la résistance serbe




Avec l’héroïque armée serbe

(De notre envoyé spécial.)
Salonique, 2 novembre.
(Arrivée le 4 à Paris.)

Depuis vingt jours, les larmes aux yeux, au centre du gouvernement, au grand quartier général, sur le front allemand, sur le front bulgare, sur le front albanais – car il y a aussi un front albanais – dans les vallées, dans les montagnes, j’ai assisté aux soubresauts de la résistance héroïque de la Serbie.
Cela a débuté par des drapeaux, des banderoles et des lampions dans les rues de Nisch. On attendait les Français, il fallait les fêter ; les drapeaux, les banderoles, les lampions se sont balancés sur les portes.
Donc, il y a vingt jours, les Bulgares venaient de couper la ligne de chemin de fer à Vranja. J’étais à Nisch, à la présidence du Conseil, attendant ma permission pour filer sur le front de l’attaque allemande.
Je passai chez le ministre-adjoint des Affaires étrangères, M. Jovanovitch, il me dit, me tendant une lettre : « Voilà, monsieur, avec cela vous pourrez aller voir comment la Serbie va mourir. »
Le lendemain, j’étais à Kragoujevatz, au grand quartier général. Le vieux voïvode Putnik est toujours sur son lit où la toux le secoue. Je vois le chef d’état-major, le colonel Pajlovitch. Une hésitation est dans ses yeux au moment où il donne l’ordre de faciliter ma mission. Il est celui qui ignore le moins que la Serbie va mourir, et c’est vers ce spectacle qu’il me dirige. Je sais qu’il a dit plus tard : « Pour un pays, quelle douleur que de montrer à des yeux étrangers son dernier soupir ! »
Oui, colonel, mais pour un pays quel honneur que de ne pas craindre de pouvoir le faire !

Avec les soldats serbes

Le soir même, à minuit, je quitte Kragoujevatz. Je dois être le matin, à dix heures, à Palanka. Le train ne va pas plus loin. Là, une auto de la division de Choumania m’attendra pour me conduire, suivant les ordres donnés, aux côtés du dernier soldat serbe défendant sa patrie.
L’auto m’attendait. Je pars sans arrêt. Je fais 10 kilomètres et je tombe en pleine retraite : 400 chars à bœufs traînant tout le matériel de la division descendent dans les boues de la Morava ; troupeaux de moutons, troupeaux de cochons de lait, poules, coqs, canards, sont poussés par les bras et les cris des paysannes suivant les hôpitaux de campagne qui s’avancent avec, en tête, une dame anglaise à cheval. Aux canons traînés par quatre bœufs, à l’Intendance traînée par un seul – les chars de l’Intendance devraient avoir deux bœufs – ils possèdent le brancard du milieu, mais les Serbes n’ont même plus de bœufs.
Tout cela qui pourrait s’enchevêtrer se déroule sans panique, et échappe à l’Allemand dont on entend l’effroyable voix.
Nous arrivons à la fin du déchirant cortège, un officier sur son cheval fait de grands signes devant notre auto : — Retournez, nous crie-t-il, les patrouilles de uhlans sont à 5 kilomètres.
Nous devons aller aux côtés du dernier soldat serbe défendant sa patrie.
Le chauffeur se presse, nous rentrons dans un bois. Sa traversée prend un quart d’heure.

La dernière position

À la rencontre d’une route, un capitaine serbe m’attend. L’auto s’arrête. Il me dit : — C’est vous, monsieur ?
On se comprend sans plus de mots. Je descends. Le capitaine reprend : — Le colonel Terzitch, commandant la division, m’a chargé de vous conduire à notre position dernière, c’est à cinq minutes depuis midi.
— Pourquoi depuis midi ?
— Parce que nous venons de prendre deux collines il y a une heure.
Nous marchons l’un à côté de l’autre sans nous parler. Puis nous débouchons sur un plateau.
— C’est notre dernière position, monsieur. Nous sommes sur le plateau d’Ossietz, les deux autres que vous voyez là, à 100 mètres, sont les plateaux de Vaboratz et de Michalovatz, qui viennent de nous être pris.
Je ne vois aucun soldat.
— Où est votre ligne ? demandai-je.
— Elle va venir, me répond l’officier, et je vois déboucher d’un petit bois, un par un, dans un silence, avec un sang-froid, avec une dignité à vous mouiller les yeux, les 150 hommes que sur ce grand terrain les Serbes ont à opposer à la Germanie.
— En se retirant, il y a une heure, du plateau de Vaboratz, reprend le capitaine, ces 150 hommes, pour ne pas être repérés de suite, se sont enfouis dans ce bois, ils reviennent maintenant faire face à l’ennemi.
Le lieutenant qui commande fait quelques pas dans un champ de maïs, et de là, crie un ordre.
Les 150 hommes se couchent à la lisière du champ. Pas un ne dit un mot, pas un ne regarde de côté, froidement ils épaulent le fusil.

La guerre d’artillerie

— Regardez, monsieur, ne prenez pas votre jumelle, ce n’est pas la peine : voici les monts de Hongrie. Derrière ce col, c’est le village de Verschatte où se trouve, en avant, Mackensen. Un peu plus loin, voyez-vous cette ligne bleue ? c’est le Danube. Voilà 16 jours qu’avec leurs 77, leurs 120, leurs 150, leurs 220 et le reste, les Allemands s’efforcent de tirer sur ce front. Ils n’ont cependant jamais trouvé, sur une ligne aussi grande que celle-ci, plus d’hommes que ces 150 braves qui sont devant mes yeux ; voilà seize jours, et ils n’ont pas encore pu empêcher les Serbes, quand ils lèvent la tête, de voir la ligne bleue de leur Danube.
» Regardez encore ce plateau, monsieur, il y a deux jours, il était autrement, il a tellement reçu d’obus qu’il a changé de forme.
» Et là, en bas de Vaboratz, cette fois prenez votre jumelle, regardez ce petit grouillement. – Je vois. – Ce sont les Allemands qui avancent, ils doivent être 200. » Comme c’est peu de chose 200 Allemands dans une vallée ! C’est pourtant la tête de l’invasion qui apparaît.
Entre le plateau de Vaboratz et celui d’Ossietz, où nous sommes, les obus pleuvent à grande pluie. C’est uniquement une guerre d’artillerie que fait Mackensen. Ses soldats avancent devant un rideau de fer.
Entre la journée précédente et dans celle-ci, je le saurai tout à l’heure à la division, il y eut autour d’ici 1 200 blessés serbes, dont pas un par un coup de fusil, tous par des shrapnells.
Et je regarde ces 150 hommes qui n’ont pas bougé depuis trente minutes, qui voient s’approcher d’eux le rideau de fer et qui n’ont pour le percer que leur fusil. Je me trompe, ils ont aussi l’orgueil de leur héroïsme, ils méprisent les Allemands, ces gens qui, pour se battre, ont besoin d’un rempart.

Gare aux Souabes

Nous redescendons vers notre auto, nous n’avions pas roulé cinq minutes, que deux sentinelles serbes, comme auparavant l’officier, font de grands signes devant notre voiture.
Nous nous arrêtons, elles nous crient, nous montrant quelque chose à 300 mètres : les Souabes ! les Souabes ! Nous, nous disons : les Boches ! Les Serbes disent : les Souabes !
Les Allemands venaient de couper la route où nous venions de passer. Nous regardons à la jumelle, il y avait bien des pointes sur les casques.
S’il n’est pas encore coupé, il y a un autre chemin, dit le capitaine, nous retournons la voiture, nous repassons le plateau d’Ossietz. Le rideau de fer n’était plus qu’à 100 mètres des 150.
Le lieutenant qui les commande toujours dans ses maïs, crie : nouvelle position dans le bois ! Avec la même dignité, les 150 se dressent et vont s’installer 50 mètres plus loin.
L’autre chemin n’était pas coupé, par un détour nous rejoignons la première route à la place de la retraite. C’est maintenant un par un, au hasard, sans soutien, les blessés qui se traînent. Les blessés aux jambes écrasées, aux bras mutilés, aux chairs labourées par les éclats, c’est terrible, ce n’est pas terrifiant.
Mais les mutilés de la face, ceux qui, comme celui-ci, étendu sur le bord du chemin, n’ont plus de la tête que la forme, ceux qui vivent encore et qui viennent de perdre leur figure.

Au quartier général d’Azania

À la nuit nous atteignons le quartier général de la division ; il est au village d’Azania. À neuf heures, dans la salle de l’école, sur les pupitres des élèves, nous mangeons quelque chose. Le colonel Terzitch ne parle pas, d’abord personne ne parle. Il me dit : « Une fois, vous avez pu vous rendre compte de ce que nous faisons, monsieur, je ne sais pas ce que vous en pensez, nous faisons pour le mieux. »
Je lui répondis simplement : « Oui mon colonel. » Les larmes prêtes à descendre dans ma voix ont dû lui faire comprendre pourquoi je n’en disais pas davantage.
Il me dit, une autre fois : « La division que je commande, la division de Choumodia, la plus illustre de Serbie, n’a jamais reculé depuis quatre ans, mais nous sommes un petit peuple, monsieur, les hommes tombent, nous diminuons. — Oui mon colonel. »
On lui apprta trois documents à lire, c’est là qu’il dit : « 1 200 blessés en deux jours, rien que par des obus. Nous, nous n’avons que de la chair ; eux, ont de l’acier, ce n’est pas de notre faute. »
Partout, dans les trois quartiers généraux que j’ai vus, au gouvernement, comme pour s’excuser de n’être que 4 millions contre 70, partout, j’ai entendu dire : « Ce n’est pas notre faute ! c’est la guerre sans larmes, c’est la guerre sans reproche. » Ils meurent, ils ne cherchent pas à voir s’ils auraient pu être sauvés, ils se contentent de faire savoir qu’il n’y a pas de leur faute.
Un officier me confie qu’avant le matin le quartier général sera forcé de chercher une autre position. L’ennemi avance, il est près d’Azania, ce n’est pas la peine de se coucher. Nous partons à une heure de la nuit.
Nous n’allons pas loin en voiture. La boue prend les roues jusqu’au milieu ; nous irons à pied à Palanka.
Si la pluie continue, les Allemands ne pourront pas avancer leurs canons, qui sont encore derrière le Danube. Si la pluie continue, ils seront forcés de se battre homme contre homme.
Avec leurs obus, ils ont fait 10 kilomètres en seize jours, avec leurs fusils, au fait voici ce qu’ils ont fait avec leurs fusils.
J’ai quitté Palanka le 20 octobre à midi, ils en étaient à 4 kilomètres, ils n’y sont entrés qu’avant-hier. 4 kilomètres en 11 jours !
La Serbie est à bout, mais elle est dure.

Le Petit Journal, 5 novembre 1915

La Bibliothèque malgache édite une collection numérique "Bibliothèque 1914-1918". Au catalogue, pour l'instant, les 11 premiers volumes (d'une série de 17) du Journal d'un bourgeois de Paris pendant la guerre de 1914, par Georges Ohnet (1,99 € le volume). Une présentation, à lire ici.
Et le récit, par Isabelle Rimbaud, des deux premiers mois de la Grande Guerre comme elle les a vécus, Dans les remous de la bataille (1,99 €).

vendredi 6 novembre 2015

Un Prix Interallié, quatre candidats

On souffle un peu après l'avalanche des prix littéraires de la semaine? A peine. Dès lundi, le Prix Wepler-Fondation La Poste et le Grand Prix de littérature américaine nous rappelleront que la saison n'est pas terminée. Le lendemain, ce sera le tour du Prix de Flore et, jeudi, du Prix Interallié. Il en restera encore quelques-uns plus tard, comme une queue de comète qui ne s'éteint pas si facilement.
A propos du Prix Interallié, précisément, son jury a profité du brouhaha des derniers jours pour glisser en catimini une dernière sélection de quatre titres.
Philippe Lacoche, Olivier Poivre d’Arvor, Nathalie Rheims et Boualem Sansal ont donc disparu tandis que, à la surprise générale, Philippe Jaenada, dont on ne parlait pas du tout pour ce prix, fait son apparition. Il reste quatre écrivains, aucune écrivaine, et ils sont équitablement répartis entre deux maisons d'édition, Grasset et Julliard.
  • Laurent Binet, La septième fonction du langage (Grasset)
  • Charles Dantzig, Histoire de l’amour et de la haine (Grasset)
  • Lionel Duroy, Echapper (Julliard)
  • Philippe Jaenada, La petite femelle (Julliard)

jeudi 5 novembre 2015

Racine lauréat du Médicis, avec Nathalie Azoulai

Chaque année, il y a des éditeurs heureux pendant la grande semaine des prix littéraires. Des malheureux aussi, mais on ne va pas en parler, je préfère rester à la joie de voir Nathalie Azoulai recevoir le Prix Médicis avec un superbe roman, Titus n'aimait pas Bérénice, et associer à cette joie un éditeur de qualité, P.O.L., qui depuis 2011 est salué une année sur deux par le Médicis. Pour la troisième fois, donc.
La langue glisse entre le passé - Racine et sa tragédie Bérénice - et le présent - la tragédie que vit la Bérénice d'aujourd'hui, quittée par Titus. La langue creuse le réel et sa chimie mystérieuse crée des effets de lumière qui nous expliquent, par le détour de la poésie, ce que nous vivons. Ou, au moins, ce que vit Bérénice. Voyez comment Nathalie Azoulai nous montre Racine au travail:
Pendant plus de vingt jours, il ne remet pas les pieds au cabaret. Ses amis le cherchent, le sollicitent, mais, à tous, il répond qu’il travaille. Ils épinglent son penchant pour la pénitence. Jean n’essaie pas de les démentir mais, en réalité, ce qu’il veut, c’est quitter Paris la tête haute. Il se fixe des cadences, s’oblige à former au moins vingt vers par jour. Au bout de huit, il en voit le bout mais revient en arrière, perce des forages autour d’un seul mot, corrige sans relâche. C’est tout le contraire d’une pénitence, se dit-il, ça me grise autant que le vin. Jadis, lorsqu’il écrivait, son sang coulait avec lenteur dans ses veines, désormais il est fluide, rapide, fouetté. Ou peut-être n’avait-il tout simplement pas encore bien identifié la sensation de plaisir, celle qui soulève le cœur, redescend, enflamme le bas des reins, au passage du nerf sympathique.
Cette eau-là, qui s'appelle littérature, n'est pourtant pas pure. Au contraire, elle draine des matières diverses qui lui donnent une couleur, une saveur sans pareille.
Titus n'aimait pas Bérénice est un beau, un très beau roman. Un plaisir de prix littéraire.
Le jury Médicis a aussi donné son prix du roman étranger à Hakan Günday, pour Encore (Galaade), que je n'ai pas lu. Mais qui, pour le peu que j'en sais, devrait éveiller des échos avec Sauve qui peut la vie (Seuil) le livre de la lauréate du Médicis Essai, Nicole Lapierre. Je conseille à ses lecteurs, pour entendre sur un sujet d'actualité un discours bien moins convenu que celui dont on leur rebat les oreilles, de se précipiter sur le chapitre "L'héroïsme des immigrés".

mercredi 4 novembre 2015

Les trois lauréats du Femina

Oui, en français tel que je l'ai appris dans des grammaires déjà anciennes, le masculin l'emporte sur le féminin, même si j'imagine qu'on a, depuis, trouvé une autre manière de le dire. Il y a en tout cas trois lauréats au Prix Femina - un homme et deux femmes, mais remontez d'une ligne ou deux si ce pluriel masculin vous gêne (il me gêne aussi, comment faire?).
Christophe Boltanski, au deuxième tour, a été préféré à Charif Majdalani - qui était mon favori - et c'est donc La cache, son premier roman, qui est couronné cet année. Un excellent roman, d'ailleurs, dans lequel on entre comme dans un immeuble qu'on visiterait non pour l'acheter mais pour connaître la vie de ses habitants. Ils ont des parcours d'exception, à différents titres. On s'attache à eux. A certains plus que d'autres, bien entendu, mais leurs portraits par fragments émeuvent sans que jamais l'auteur utilise la corde sensible.
Par six voix contre cinq à La zone d'intérêt, de Martin Amis, La couleur de l'eau, de Kerry Hudson, a été choisie pour le Prix du roman étranger.
Dans la catégorie des essais, Emmanuelle Loyer et son Claude Levi-Strauss (Flammarion) pourront arborer la bande du Femina.
Je ne vous en dis pas plus long, l'orage menace...