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mardi 14 juillet 2020

Une découverte par jour

Et dire que certaines personnes, si, si, j’en connais, s’ennuient, confinement ou pas ! Alors que je dois me contraindre à fermer les yeux et les oreilles sur un tas de choses qui m’intéresseraient si j’y allais voir de plus près, mais qui m’interdiraient d’écrire, par exemple mais pas par hasard, l’article sur Joseph Kessel que j’ai promis de donner au journal tout à l’heure – et qui sera le piètre résumé, en 4 385 signes, des impressions accumulées pendant la lecture de 1 500 pages en une petite semaine.
Mais je ne parviens pas à me couper totalement des élans de curiosité qui me saisissent devant des découvertes de hasard – il n’y a pas de hasard, certes, et cela n’arriverait pas si j’abandonnais la fâcheuse et riche habitude de fouiner dans les bibliothèques au milieu des livres anciens.
Loin de toute polémique, archive.org fait entrer actuellement dans ses collections accessibles à tous un nombre considérable d’ouvrages (dont plusieurs dizaines chaque jour en français) de la Public Library of India, et je me délecte d’ouvrir brièvement les œuvres complètes de Diderot ou de Marmontel, des récits de voyage en Russie ou à la Mer Morte, les Mémoires de Saint-Simon, etc.
De temps à autre, un volume – ou plus souvent un ensemble de volumes – requiert une attention plus soutenue, comme cette vingtaine (actuellement) d’ouvrages attribués à feu M. de Bachaumont, sobrement intitulés Mémoires secrets pour servir à l’Histoire de la République des Lettres en France, depuis MDCCLXII jusqu’à nos jours, ou Journal d’un observateur, contenant les analyses des pièces de théâtre qui ont paru durant cet intervalle ; les relations des assemblées littéraires ; les notices des livres nouveaux, clandestins, prohibés ; les pièces fugitives, rares ou manuscrites, en prose ou en vers ; les vaudevilles sur la Cour ; les anecdotes & bons mots ; les éloges des savans, des artistes, des hommes de lettres morts, &c. &c. &c.
Je ne sais pas vous mais, moi, ça m’excite terriblement, de tomber sur ce genre de témoignage de première main, d’où le filtre du temps, si trompeur (j’y reviendrai un de ces jours), est absent.
Je ne savais rien de ce Bachaumont. Renseignements pris, il est pourtant loin d’être un inconnu – mais ma culture littéraire est pleine de trous, hélas ! Je m’en console comme je peux en me disant que je n’ai pas lu tous les livres et que la chair n’est donc pas triste.
L’exemplaire du premier volume (publié à Londres chez John Adamsohn en 1777) numérisé en Inde est un peu mangé par les vers. Gallica a effectué un travail de meilleure qualité sur des exemplaires en bon état qui, en outre, semblent fournir une collection plus complète. C’est donc dans cette direction que je passerais la journée (au moins) si Joseph Kessel n’était en train de me tirer par le pied gauche pour me rappeler que je dois m’occuper de lui.
Un instant quand même, Jef, si tu veux bien.


Car je ne voudrais pas vous laisser sur la promesse d’une lecture formidable sans offrir au moins une mise en bouche. D’autant que ça démarre très fort, le 1er janvier 1762.
Les Chevaux & les Ânes, ou Étrennes aux Sots. Tel est le titre d’une espèce d’épître de 200 vers environ, qu’on attribue à M. de Voltaire, & par laquelle il ouvre l’année littéraire. C’est une satyre dure & pesante contre quelques auteurs, dont celui-là croit avoir sujet de se plaindre, & contre M. Crevier[1] particulièrement. Elle n’est point assez piquante pour faire plaisir au commun des lecteurs, qui ne se passionnent pas à un certain degré pour les diverses querelles du philosophe de Ferney.
Et il y en a, si je crois Wikipédia sans vérifier plus loin, 36 volumes ! C’est mieux qu’une promesse, c’est un banquet !





[1] M. Crevier est Professeur de l’Université & auteur d’une histoire de ce Corps, dans laquelle il a inséré des personnalités odieuses contre M. de Voltaire, & l’attaque sur son irréligion.

vendredi 2 novembre 2018

14-18, Albert Londres : «Ils s’obstinent, nous les brisons.»




Leurs alliés capitulent
Eux se font battre
À sept kilomètres de Gand et Valenciennes débordé

(De notre correspondant de guerre accrédité aux armées.)
Front britannique, 1er novembre.
Ce n’est pas qu’ils soient lâches, ce n’est pas qu’ils s’abandonnent au destin, ce n’est pas qu’ils ne savent plus s’accrocher, se relever, se sacrifier, c’est que nous les dominons. Ils s’obstinent, nous les brisons. Dans les Flandres, les Britanniques ont avancé depuis hier d’environ quatorze kilomètres, Audenarde est pris, le canal d’Eclo, une des plus fortes lignes que leur ait données la retraite, est franchi et au bout de sept kilomètres nous entrerons dans Gand.
Plus bas, même spectacle : Valenciennes va tomber, Valenciennes ne va pas choir d’elle-même des mains allemandes ; ils pressaient si fort contre eux cette dernière ville du Nord qu’il a fallu, ce matin, leur asséner sur les doigts un formidable coup. Ils ont accueilli notre attaque par une concentration d’artillerie plus puissante que toutes celles déchaînées depuis quatre ans. Non, les Allemands ne s’abandonnent pas. Le précipice où ils plongent leur fait peur. Au pied du trou, pour ne pas y être précipités, ils luttent férocement. Nous sentons bien que les nouvelles du front n’ont plus aujourd’hui pour nos pays victorieux l’intérêt de naguère. Ce n’est pas quand la Bulgarie, la Turquie, l’Autriche tombent d’un coup que la chute d’une ligne de tranchées, voire d’un canal, va vous émouvoir. D’autant que vous entrevoyez d’avance le résultat de ces combats derniers. Tout leur déroulement n’est plus pour vous qu’incidents.

Nos soldats demeurent les ouvriers du coup final

Mais nous qui les vivons et qui voyons sous nos yeux s’en dégager le sens, nous devons, pour la gloire des combattants, vous signaler ce qu’ils veulent dire. Ils signifient que l’Allemand ne se résout pas à être vaincu et que nos soldats, dont la ténacité a permis cet hallali, demeurent, par une juste nécessité, les indispensables ouvriers du coup final. Sans eux, les Allemands, assis sur des positions, sur n’importe quelles positions, se croyaient diminués, mais debout, oseraient nous parler d’égal à égal, or sitôt qu’ils s’assoient les nôtres les délogent. Ils veulent posséder des gages pour se présenter devant le tribunal, nous les leur arrachons. Si les messages du docteur Solf révèlent de plus en plus une écriture mal assurée, c’est que depuis qu’il a pris la plume le canon du front ne cesse de lui faire trembler la main.

Ils s’écroulent dans la rage et la cupidité

Et quoique la note approche, leurs fantaisies ne cessent point. Nous avons trouvé vers Audenarde quatre ambulances chargées de butin : tableaux, tapis, cuivres, fauteuils, et cette nuit entre eux et nous flambaient villages et hameaux. Ils s’écroulent dans la rage et la cupidité.
Le Petit Journal, 2 novembre 1918.



Dans la même collection

Jean Giraudoux
Lectures pour une ombre
Edith Wharton
Voyages au front de Dunkerque à Belfort
Georges Ohnet
Journal d’un bourgeois de Paris pendant la guerre de 1914. Intégrale
ou tous les fascicules (de 1 à 17) en autant de volumes
Isabelle Rimbaud
Dans les remous de la bataille

mercredi 31 octobre 2018

14-18, Albert Londres : «Rappelons-nous que la paix n’est encore qu’en question»




La parole est encore au canon

(De notre correspondant de guerre accrédité aux armées.)
Front britannique, 30 octobre.
Que la débâcle autrichienne ne nous fasse pas oublier l’armature guerrière allemande et rappelons-nous que la paix n’est encore qu’en question, tandis que la bataille est en action. Ce qui se passe à l’intérieur de l’Allemagne est évidemment passionnant ; ce que l’on constate sur le front ne l’est pas moins. C’est encore de son front que l’ennemi attend non le sauvetage, mais une atténuation à son naufrage. S’il tient pendant qu’il converse, il peut parler plus haut. C’est ce qu’il tente.
Nous en avons les preuves. Les voici. Et cela nous permettra de dire notre mot sur Valenciennes. Regardez la carte. L’Escaut est devant et les Boches, jusqu’à épuisement, tiendront l’Escaut. Il est aussi sûr qu’ils ne le lâcheront pas de plein gré qu’il est certain que nous le leur enlèverons. Il y a toujours deux personnages en Allemagne, celui qui signe les notes d’appel à Wilson et celui qui paraphe les ordres du jour aux troupes ; les deux, croyez-m’en, sont plus d’accord que vous et moi.
Mais voici les preuves. Ils viennent d’inonder les régions entre Valenciennes et Gand et Valenciennes et Mons, et sur le front qu’ils ne peuvent défendre par eau entre Valenciennes et Maresches, dans le secteur possible d’une trouée, ils ont amené six divisions, six divisions pour sept kilomètres.
La parole est encore au canon, les Britanniques y pensent.
Le Petit Journal, 31 octobre 1918.



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Jean Giraudoux
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Dans les remous de la bataille

dimanche 28 octobre 2018

14-18, Albert Londres : «Le Boche ne détale pas, il étale»



L’attaque l’emporte sur la résistance
On marche sur Gand

(De l’envoyé spécial du petit Journal.)
Front britannique, 25 octobre.
Et, ce matin, les attaques reprirent. Le Boche ne détale pas, il étale : ce qui, en langage militaire, signifie : il tient le coup.
Il s’agit de bien comprendre ce qui se passe. C’est simple.
Hésitant à se retirer sur la Meuse, d’abord parce qu’un tel recul lui donne le frisson, ensuite parce qu’il veut laisser le moins de plumes possible, l’ennemi avait fait halte à mi-chemin. Il avait là tout ce qui est utile pour s’accrocher, des forêts et des canaux. Au nord de Valenciennes, la forêt de Raismes, devant Condé, assez bas au sud de Valenciennes, la forêt de Mormal, devant Maubeuge et surtout, préservant Valenciennes, Condé et plus loin Mons, l’Escaut et son canal, et, préservant Avesnes et Maubeuge, le canal de la Sambre à l’Oise.
Mais les canaux de l’Escaut et de Sambre à Oise à cet endroit étant presque parallèles laissent entre eux un large terrain ; au centre de ce terrain est Le Quesnoy. Si une percée était possible, c’était là, c’est là qu’on la tente. C’est là que nous avons franchi l’Écaillon, perpendiculaire aux deux canaux.
Horne, 1re armée, est sur le canal de l’Escaut, autour de Valenciennes ; Byng, 3e armée, est entre les deux canaux, face au Quesnoy ; Rawlinson, 4e armée, à sa gauche, entre les deux mêmes canaux et le reste de ses forces sur le canal de Sambre-et-Oise.
Or, aujourd’hui, tandis qu’au sud de Valenciennes, on traversait le canal de l’Escaut, on prenait Maing, ce qui fait Valenciennes de plus en plus menacée et qu’à l’autre aile, la bataille, près du canal de Sambre à Oise, s’approchant de Landrecies, nous donnions un coup entre les deux canaux dans le secteur du Quesnoy, dans le secteur de la trouée. C’est là qu’est le centre de la résistance ennemie ; c’est là qu’est le centre de l’attaque britannique.
L’attaque est entêtée, la résistance acharnée : l’attaque l’emporte, et dans les Flandres l’armée Plumer vient de se mettre en marche sur Gand.
Le Petit Journal, 26 octobre 1918.




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samedi 27 octobre 2018

14-18, Albert Londres : «N’insistez pas, nous crie-t-il, vous voyez bien que je tiens.»




Dure bataille

(De l’envoyé spécial du Petit Journal.)
Front britannique, 24 octobre.
Dure est la bataille. Le Boche soutient le choc des trois armées anglaises et il détale. Il donne même nettement l’impression de jouer sur l’usure. Ayant pu s’accrocher où il est, il se demande si un suprême effort, faisant illusion, ne pourrait pas le sauver du déménagement précipité. L’histoire de ces quatre années de guerre est pleine de ces bluffs d’ennemi à ennemi. Quelle est l’armée qui, trompée par des apparences, n’a pas au moins une fois laissé tomber sa chance de porter le coup de grâce. C’est là-dessus que l’Allemand compte. Il se cramponne pour nous déconseiller de continuer l’attaque. Son espoir ne réside plus désormais que dans l’avortement de nos efforts. Il est encore homme à promettre, il n’est plus homme à tenir. C’est ce qu’il fait depuis hier, c’est la signification de sa résistance. N’insistez pas, nous crie-t-il, vous voyez bien que je tiens.
Les Britanniques, quand ils le veulent, sont de remarquables sourds. Ce sont des gens qui n’entendent rien que ce qu’ils veulent.
Des combats violents partout se déchaînent. À Tournai, dans le faubourg de Lille, canons et hommes nous opposent la plus violente des barrières. À Tournai toujours, le petit bois au sud du faubourg Saint-Martin change trois fois de mains et retombe dans celles de l’ennemi. À Froidmont, ayant foncé tête baissée, nous prenons 88 prolonges et caissons et 43 voitures attelées. Au nord de Valenciennes, nous nettoyons la forêt de Raismes, prenons Thiers, Auterives et plusieurs villages. Au sud de Valenciennes, sur tout le front de bataille, lutte déchaînée. On le repousse. Au nord-est du Cateau nous nous mettons en demeure d’entamer un gros morceau de la forêt de Mormal. Nous avons Bouzie, nous avons les dents dans la peau de la bête, elle viendra.
Le Petit Journal, 25 octobre 1918.



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Jean Giraudoux
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Voyages au front de Dunkerque à Belfort
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vendredi 26 octobre 2018

14-18, Albert Londres : «Qui dit que c’est la paix?»




Six kilomètres d’avance et ce n’est pas fini !

(De l’envoyé spécial du petit Journal.)
Front britannique, 23 octobre.
Qui dit que c’est la paix ? Ce matin, trois armées anglaises à la fois se sont remises à « gratter » le Boche, la première, la troisième, la quatrième : Horne, Byng, Rawlinson.
Que veut-on prendre ? Quels sont les objectifs ? Les objectifs : il n’y en a pas et on veut tout prendre. On veut que notre volonté soit maîtresse de celle des Allemands. Les Allemands se cramponnent sur telle ligne : c’est donc qu’ils y ont intérêt. Nous allons nuire à leur intérêt. Nous allons attaquer, les bousculer. Ils sont décidés à prendre le train pour leur pays, mais nous ne voulons pas qu’ils choisissent l’heure du départ. Il nous plaît qu’ils décampent, alors qu’ils n’ont pas encore terminé leurs bagages.
L’acharnement des Britanniques à taper dessus demeurera mémorable. Depuis le 8 août, ils ne se sont pas arrêtés. Au début, quand ils vidaient les poches, après, quand ils atteignaient la muraille Hindenburg, encore après, quand ils la dépassaient et aujourd’hui quand ils délivrent Cambrai, Douai, Lille, Roubaix, Tourcoing, et encore aujourd’hui, quand ils se jettent sur le vaincu récalcitrant, c’est la même obstination. Où le Boche regimbe, ils le « sonnent ». Tant qu’il aura un souffle de vie, ils l’empoigneront.
L’ennemi, pour fuir en ordre, tâche de reprendre haleine, derrière des rivières et des canaux, à l’ombre des forêts ; c’est ce que les Britanniques dérangent.
Les attaques se déclanchèrent à 1 h. 20 du matin, entre Valenciennes et Tournai, la 1re armée avait pris Bruay et atteignit la rive gauche de l’Escaut, à Breharies et Espain. Résistance considérable. Obus à gaz sur le rassemblement de nos troupes. Nous bousculons, ramenons des prisonniers. Partout, aussi bien à la 3e qu’à la 4e, nous avons avancé de six kilomètres.
C’est Mons et Maubeuge qui doivent rire en voyant le Boche bourrer ses malles.
Le Petit Journal, 24 octobre 1918.



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Isabelle Rimbaud
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mercredi 24 octobre 2018

14-18, Albert Londres : «Roubaix et Tourcoing vont nous servir de preuves.»




Roubaix… Tourcoing…

(De l’envoyé spécial du Petit Journal.)
Front britannique, 21 octobre.
Roubaix et Tourcoing vont nous servir de preuves, car nous avons quelque chose à prouver. Roubaix, Tourcoing comme Lille, sont les fruits de la dernière note Wilson. Le crime de Cambrai, le sac répugnant de Douai datent d’avant. Ils n’avaient pas encore reçu l’avertissement ; la douche américaine ne les avait pas touchés, ils se croyaient toujours les bêtes sans contrôle ni responsabilité. Mais la défaite se précisa et le justicier parla. Ils tremblèrent, et, puisqu’ils tremblèrent, ils comprirent.
Et ils ne brûlèrent ni ne saccagèrent Lille, pas plus que Roubaix, pas plus que Tourcoing.
À quoi devons-nous la vie des trois villes ? À leur générosité ? Nous la devons à notre victoire et à la terreur qui, depuis, les talonne.
Mais j’ai promis des preuves, je les apporte.

Pour « raisons politiques… »

À Lille, l’ordre avait été donné par le grand quartier général allemand de faire sauter les services publics : eau, gaz, électricité. Au dernier moment, la note Wilson étant arrivée, le gouverneur de Lille en reçut une aussi. Elle disait : « Pour raisons politiques, ne faites rien sauter. »
Mais j’ai mieux. Voilà mon histoire :
Mercredi soir dernier, un officier allemand de Gand arriva à Roubaix. C’était le capitaine Schreider, fils des banquiers de Berlin Beck-Schreider. Cet officier avait été moins brute que les autres. Pour le coup que tentait l’Allemagne, c’était lui qui présentait les plus grandes chances de réussite. On le choisit. Le capitaine Schreider arriva donc à Roubaix. Il alla chez le secrétaire général de la mairie, lui dit : « Dans les journaux alliés, une campagne de presse se mène actuellement tendant à nous faire passer pour des barbares. Les Alliés prétendent que nous avons détruit pour détruire. Outre que c’est faux, cela nuit à la cause de la paix. Je vous demande donc de réunir les notables. J’ai besoin de les voir à ce sujet. » Les notables furent convoqués. « Messieurs, leur dit le capitaine Schreider, vous devez être comme moi pour l’œuvre de paix. Pour cette œuvre je réclame votre collaboration. » Il redit la campagne de presse et arriva au fait. « Ce qu’il me faut, c’est une lettre signée de vous tous, attestant que jamais nous n’avons détruit pour détruire et que seules les nécessités militaires nous ont forcés à ruiner ce que nous avons pu ruiner. » Il ajouta : « J’ai déjà obtenu semblable déclaration de Bruges et de Thielt. Je l’obtiendrai de Lille et de Tourcoing. J’attends la vôtre. »
Les notables refusèrent.

Mais ils volèrent jusqu’au bout

Voilà leurs manœuvres. Ils se savent perdus, ils voient notre couteau sous leur gorge, ils ont peur. Ils n’ont pas eu peur d’assassiner, de détruire, de salir, car le fond de leur nature est fait davantage de saloperie que de cruauté, mais ils ont peur de payer. Ils ne détruisent plus ce qui se voit, ils volent ce qui ne saute pas aux yeux. Wilson leur a dit de ne plus détruire : ils obéissent ; mais il a oublié de leur dire de ne pas voler : ils volent. Ils veulent faire signer des blancs-seings aux maires de Roubaix, de Tourcoing, mais le matin de leur départ ils font sauter la caisse municipale, 450 000 francs, et les emportent. Ils veulent des certificats de civilisation, et ils avaient une commission qui s’appelait exactement commission de destruction des utilités industrielles. Les membres de cette bande officielle s’amenaient dans les usines et à coups de maillet cassaient tout et, la flamme au poing brûlaient ce qui résistait. Ils se sont emparés des métiers. Les usiniers voyaient arriver leurs anciens fournisseurs allemands qui, cette fois en officiers, reprenaient pour rien les outils qu’ils avaient fournis. Il n’y avait pas de prison à Roubaix : ils en ont ouvert trois pour enfermer nos frères, deux pour les hommes, une pour les femmes. Pendant quatre ans, il y passa 700 personnes par jour. Ils prirent nos bancs des écoles pour faire du feu, et les salles pour mettre leurs chevaux. Et à Roubaix, comme ils avaient des dettes et qu’ils voulaient les payer avant la fuite – on est gentleman ou on ne l’est pas – ils prélevèrent sur les finances municipales 6 millions et réglèrent. Et à Lille, à Roubaix, à Tourcoing toutes les mères continuent d’éclater en sanglots à cause de leurs fils de 14, 15, 16 et 17 ans qu’ils leur ont arrachés. Telle est la colombe allemande. Vengeance !
Le Petit Journal, 22 octobre 1918.



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Edith Wharton
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Georges Ohnet
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Isabelle Rimbaud
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